Transition sociale et environnementale des systèmes agricoles et agro-alimentaires au Brésil. Introduction 61 Júlio Cesar Suzuki université de são paulo François Laurent umr L e Brésil est devenu en quelques années une puissance agricole de premier plan. La réussite du secteur agricole et agro-alimentaire a transformé profondément l’environnement et les sociétés. Ces mutations rapides concernent aussi bien les espaces ruraux que les villes où le commerce et la transformation des produits agricoles et des moyens de production tiennent souvent une place importante. Dans le même temps, la transformation de la société brésilienne, l’audience toujours plus grande des valeurs environnementales et les aménagements institutionnels ont modifié la demande sociale à l’égard de l’agriculture et des politiques publiques agro-environnementales. Des innovations en matière de systèmes de production plus durables se diffusent. Elles résultent de politiques publiques de l’État fédéral, des États fédérés ou des municipalités qui encadrent la production agricole afin de favoriser une meilleure répartition des richesses, un développement des espaces ruraux et/ou de mieux protéger les ressources naturelles. L’évolution des systèmes de production n’est pas forcément subie suite à des réglementations, des incitations ou des injonctions des pouvoirs publics ou des marchés, certains producteurs s’engagent dans des démarches pro-actives en apportant leurs propres réponses aux questions sociales et environnementales, dans des démarches individuelles ou collectives. L’enjeu est aujourd’hui de produire tout en consommant moins de ressources naturelles et en valorisant mieux les services écosystémiques. Les demandes des consommateurs, qu’ils soient étrangers ou brésiliens, évoluent également vers un besoin de mieux identifier les produits à la fois pour leur qualité intrinsèque mais aussi, de plus en plus, pour leur éthique sociale et environnementale dans un contexte de bouleversements des pratiques alimentaires et d’accroissement de la proportion de population en sur-consommation d’ali- eso le mans - cnrs 6590 - université du maine ments. Les transformations sont portées par de nouvelles formes de gouvernance des territoires et de prise de décision conduisant à de nouveaux équilibres entre acteurs. Cette gouvernance se caractérise par la mise en place de coordinations horizontales inscrites dans les territoires. Ainsi, si la croissance agricole a longtemps rimé avec dégradation de l’environnement et creusement des inégalités sociales, on peut se demander si l’on assiste ou pas à une « transition » depuis quelques années du fait de l’émergence de nouveaux modèles de production et de consommation. La transition en cours dans les modes de production et la gestion des espaces agricoles peut se lire à différents niveaux, c’est-à-dire à travers les exploitations agricoles, les paysages et les territoires. L’existence et les manifestations de cette transition interrogent tout particulièrement les géographes et les sociologues qui s’intéressent aux mutations des systèmes productifs et à leurs inscriptions territoriales, aux politiques publiques agricoles et environnementales ainsi qu’à l’évolution de la décision publique et de la citoyenneté, aux mobilisations sociales et à la diffusion des innovations et enfin à l’évolution de la demande sociale autour, par exemple, des pratiques alimentaires. Dans ce cadre, le laboratoire Espaces et Sociétés (ESO-UMR 6590) de Rennes a organisé un séminaire international « Transition sociale et environnementale des systèmes agricoles et agro-alimentaires au Brésil », le 7 et le 8 avril 2015, autour de quelques thèmes clés pour débattre des changements sociaux et environnementaux affectant l’agriculture et le monde rural brésiliens. Le présent dossier est constitué de différents articles issus de communications présentées lors du séminaire. Au travers d’études de cas, les auteurs traitent des problématiques de contestation du modèle dominant, de la marginalisation de certaines popula- eso, travaux & documents, n° 40, mars 2016 E E SO O 62 Transition sociale et environnementale des systèmes agricoles et agro-alimentaires au Brésil. Introduction tions qu’il entraîne, de développement de modèles alternatifs cherchant à valoriser les savoir-faire des petits producteurs et à construire de nouvelles alliances avec les populations urbaines. Le premier article « Production et revenu dans des zones d’assentamentos ruraux au Brésil: l’exemple de Pontal do Paranapanema (État de São Paulo) », de Marcos Barros de Souza, porte sur le débat autour de la lutte pour la terre au Brésil, en particulier dans cette région à l’extrême Ouest de l’État de São Paulo. Il présente les principales interprétations d’un enjeu politique fort, la réforme agraire au Brésil, et les difficultés qu’elle entraîne. La contribution de Cesar de David, « L’expansion de la monoculture dans la Pampa Gaucha et son impact sur le paysage », interroge les modifications territoriales qui se lisent à l’échelle du paysage résultant de la grande expansion de la culture de l’eucalyptus dans l’État de Rio Grande do Sul et de son insertion face aux productions de soja et à l’élevage bovin. Júlio Cesar Suzuki et Marcos Henrique Martins, dans le texte « Communautés Caiçaras brésiliennes: entre politique environnementale et mode de vie traditionnel », mettent en évidence les menaces qui pèsent sur le mode de vie traditionnel caiçara1 dans un environnement soumis à de fortes contraintes sociales et environnementales dans l’État de São Paulo, reflétant une situation de risque social et culturel. Dans « Les femmes agricultrices brésiliennes et la relation ville-campagne à partir de la production et de la consommation de plantes médicinales », Roselí Alves dos Santos, Marcos Aurélio Saquet et Luiz Carlos Flávio analysent comment les savoirs sur les plantes médicinales sont valorisés par les femmes par des circuits de production et de commercialisation, dans la municipalité de Francisco Beltrão, dans l’État de Paraná. Préoccupée par la production alimentaire urbaine, Giulia Giacchè, dans l’article « De la ville qui mange à la ville qui produit: l’exemple des Hortelões Urbanos de São Paulo », interroge les nouvelles façons de faire de l’agriculture en ville, dans le cadre d’un programme municipal. 1- Groupe social originaire du mélange d’ethnies indigènes, portugaises et africaines qui vivent de l’agriculture, de la pêche et de la cueillette) séminaire franco-brésilien Vanessa Iceri, Sylvie Lardon et Marcio Rocha, dans « De la production à la consommation alimentaire: regards croisés entre Cianorte (Brésil) et Aubière (France) », s’intéressent aux circuits courts entre producteurs et consommateurs. Ces textes contribuent aux débats sur les transitions sociales et environnementales des systèmes agricoles et agro-alimentaires au Brésil, et à l’analyse de leurs impacts sur l’amélioration des conditions de vie de la population, notamment celles des catégories les plus pauvres.