OBJET D’ETUDE 3 : L’Autobiographie TEXTE 1 : Jean-Jacques ROUSSEAU, LES CONFESSIONS Jean-Jacques Rousseau est un grand penseur et philosophe du siècle des Lumières. Orphelin de mère, très jeune, son père l’abandonne et il tombe sous la tutelle de son oncle. Il est l’un des philosophes de l’Encyclopédie. Il vit en ménage avec une modeste servante avec qui il a cinq enfants. Ne pouvant pas les élever, il les confie aux Enfants-Trouvés. En 1750, il écrit son Discours sur les sciences et les arts. Il y prend comme hypothèse méthodologique ce qui va devenir le thème central de sa philosophie: l'homme naît naturellement bon et heureux, c'est la société qui le corrompt et le rend malheureux. Il réfute ainsi la notion de péché originel. Son œuvre principale, Du contrat social, analyse les principes fondateurs du droit politique. Dans L'Emile ou l'Education, Jean-Jacques Rousseau soutient que l'apprentissage doit se faire par l'expérience plutôt que par l'analyse. Ses idées sur la religion lui valent de trouver refuge en Suisse puis en Angleterre. A son retour à Paris, il est critiqué par les philosophes et particulièrement par Voltaire qui se moque de son analyse sur les influences de la société sur la nature de l’homme. Dans Les confessions, il tente de se défendre et de s’expliquer. Dans ce préambule célèbre, l’auteur présente logiquement son projet et ses intentions, pour éclairer le lecteur, mais aussi pour l’entraîner et le convaincre du bien fondé de son entreprise. Dans un premier temps, nous verrons en quoi ce texte respecte le pacte autobiographique et une seconde étude dévoilera la fonction apologétique du texte. A l’époque l’autobiographie est peu rependue car selon les mœurs contemporaines, celui qui parle de lui est prétentieux et manque de modestie. Pascal dit « le Moi est haïssable » mais dans sa philosophie, écrire sur soi, c’est dire que la créature vaut mieux que le créateur. Avant Rousseau, l’autobiographie est peu rependue outre Les Essais de Montaigne ou Les Confessions de Saint-Augustin. Mais dans ces deux œuvres, le but n’est pas réellement de parler de soi. Montaigne fait une recherche sur lui-même et ne compte même pas publier ses œuvres quant à Saint-Augustin, il veut montrer combien un homme non converti est égaré. Pour certains, écrire une autobiographie, c’est ridicule. Par exemple, pour Stendhal, il est difficile de raconter sa propre vie sans paraître prétentieux et ridicule. Malraux disait à ce propos « Un misérable tas de petits secrets ». I – LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE Le pacte autobiographique est un contrat implicite entre le lecteur et l’auteur, selon lequel le narrateur est sincère. A) Volonté de dire la Vérité Champ lexical de la vérité (vérité, franchise, vrai, faux, sincérité) Ce champ lexical évoque évidemment l’envie de sincérité que recommande le pacte autobiographique. « je n’ai rien tut de mauvais » (l. 11) Il y a une volonté de transparence. Rousseau ne souhaite pas caché ce qu’il a fait de mal : il dit toute la vérité. Champ lexical de la transparence (montrer, dévoiler, découvrir) On retrouve avec ces trois mots l’idée évoquée de transparence. « point d’imitateur » (l. 2-3) Le fait qu’il soit vraiment authentique fait que personne ne l’imitera. Hyperbole « qui n’eut jamais d’exemple » (l. 1) C’est une hyperbole puisque Montaigne et Saint-Augustin, avant lui, avaient déjà fait leurs autobiographies respectives. Saint-Augustin et Rousseau ont d’ailleurs utilisé le même titre, ce qui est grotesque. Rousseau parle donc ici du fait de dire la vérité et pas d’entreprendre d’écrire son autobiographie. -1- B) Parler de soi « je », « moi » L’utilisation de la première personne du singulier montre bien qu’on fait référence au je et au moi. C’est donc bien sa propre vie que Rousseau décrit ici. C’est une autobiographie. « cet homme ce sera moi » (l.3) Le « moi » est souligné par sa place dans la phrase et une ponctuation forte. Il est d’autant plus mis en valeur qu’il se situe en fin de paragraphe. « moi seul » (l. 4) Encore une fois, le « moi » est souligné par sa place dans la phrase mais également par une prononciation forte. La phrase est courte et brutale. Ici, cette manière d’exposer le « moi » est presque poussée à l’extrême ce qui annonce le romantisme du XIXe siècle. Ce courent est centré sur la subjectivité de l’individu. « j’ose croire...aucun de ceux qui existe » (l. 5) Le fait qu’il se sente différent des autres montre bien qu’il parle de sa vie qui est forcément différente de celles des autres et ce en dépit des similitudes. On a toujours l’impression de vivre autrement des situations identiques. « si je ne vaux pas mieux, au moins, je suis autre » (l. 5-6) Encore une fois, Rousseau se détache des autres ce qui nous rapproche de l’idée d’autobiographie. « je sens mon cœur » (l. 5), « j’ai dévoilé mon intérieur » (l. 16), « ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus » (l. 10-11) Le sentiment préromantique de ce « moi » se manifeste à travers la volonté de montrer l’intériorité. Gradation de l’extérieur vers l’intérieur. C’est une autobiographie qui n’est pas seulement événementielle mais c’est aussi une photographie de l’âme. « intus et in cute » La citation est mise en exergue ce qui montre que l’important pour Rousseau, c’est l’intériorité. Parallélisme de construction « je ne suis fait comme aucun...aucun de ceux qui existe » (l. 4-5) Le parallélisme ainsi que la répétition de « aucun » montrent bien combien Rousseau se sent différent des autres : sa vie lui est propre. « autre » (l. 6) Rousseau utilise ici le mot « autre » comme absolu. Il rattache ainsi de l’intérêt à son « moi ». C’est une rupture totale d’avec les mœurs de l’époque. L’autobiographie, après la Renaissance, est le deuxième palier dans l’intérêt porté à l’homme. L’individu se sent de plus en plus irréductible à la société. Mais comme nous avons pu le voir, l’autobiographie pose un problème, parce que si notre vie est comme celle des autres, pourquoi la racontons-nous dans une autobiographie ? C’est donc seulement lorsque l’on se sent différent que l’on veut raconter sa vie. opposition « je » et le reste du groupe (l. 17-18) Encore une fois, on retrouve la différence entre le « moi » et le reste du groupe. Anaphore de « si » (l. 5-6) Cette anaphore met en valeur le lyrisme du texte, qui se ressent également par les rythmes binaires et ternaires. Comme chez les romantiques incompris, on parle de soi car on est différent. II – LA FONCTION APOLOGETIQUE A) Une prétention d’objectivité Antithèses « le bien et le mal » (l. 10), « rien...mauvais...bon » (l. 11), « supposer vrai...faux » (l. 13-14) Cette série d’antithèse, qui structure le texte, montre qu’il veut être objectif en montrant toutes ses caractéristiques et pas seulement le bon. Ce que Rousseau reproche à Montaigne par exemple, c’est d’avoir fait son « autobiographie » en ne faisant apparaître presque que ses bons côtés : c’est un défaut d’objectivité. Titre : Les Confessions En plus de l’idée religieuse évoquée auparavant, le mot « confessions » évoque la culpabilité. Ici, Rousseau montre bien qu’il cherche à montrer tous ce dont il est coupable. « méprisable et vil...bon, généreux, sublime » (l. 14-15) Même si Rousseau, aux premiers abords à l’air assez objectif, on peut voir qu’il met plus d’adjectifs mélioratifs que d’adjectif péjoratifs dans son écrit. Il faut donc ajouter un bémol à cette objectivité. -2- « la même sincérité » (l. 19), « la même franchise » (l. 10-11) « toute la vérité » (l. 2) C’est encore une fois un signe d’objectivité. En plus, l’expression « toute la vérité » montre qu’il s’agit d’une vérité absolue. Il y a une affirmation véhémente d’une volonté de vérité. Pour Rousseau, les premières lois sont celles de la propriété et sont donc basées sur des rapports de force. Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, il dit : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ». A partir du moment où il y a une différence, il y a une comparaison et donc de la jalousie, de l’insatisfaction et de la frustration. La société forme donc des hommes de plus en plus frustrés. Pour Rousseau, jouer le jeu de la société, c’est devenir prisonnier. Répétition « nature » (l. 3, 6) Rousseau n’analyse pas l’homme en société mais dans sa nature. L’expansion du nom, « la vérité de la nature » est intéressante car pour Rousseau la nature est ce qu’il y a de meilleur chez l’homme, il est bon à l’état naturel. Le Ruban volé : Dans son jeune âge, Rousseau vole un ruban mais lorsqu’on demande qui est coupable de cette faute, il laisse accuser une jeune domestique qui va se faire renvoyer, laissant la porte ouverte à la mendicité et à la prostitution. Rousseau montre qu’il a été vil et méprisable mais se défend en rejetant la faute sur la société qui ne lui a pas parlé gentiment. Il ne pensait qu’à sa propre « survie ». Rousseau est le premier à renverser la faute sur la société : l’Homme est bon. On remarque que ce texte a valeur apologétique car malgré une volonté d’objectivité, on a pu analyser une certaine part de subjectivité. B) Les Destinataires Périphrases « le souverain juge » (l. 9), « Etre Eternel » (l. 16) Le destinataire est D.ieu et est désigné par plusieurs périphrases. Rousseau donne ainsi plusieurs gages d’authenticité. Le titre du livre, Les confessions, donne également un aspect religieux au texte. Il ne l’appelle cependant pas D.ieu mais emploie des périphrases. Il parle en quelques sortes au « D.ieu des philosophes » et pas à celui d’une religion particulière. Le « souverain juge » dévoile l’optique du jugement. Champ lexical du jugement (juger, jugement, juge) Le livre de Rousseau devient plaidoyer ce qui trahit Rousseau. En effet, alors qu’il est censé dénoncer ses fautes, Rousseau va s’en servir pour se défendre. De plus, le fait que ce soit un plaidoyer provoque un manque d’objectivité. Discours direct à D.ieu (l. 9-20) La mise en scène est théâtrale. Le but est de prendre D.ieu à témoin. C’est une garantie de franchise et de vérité car on ne peut pas mentir devant D.ieu. C’est une caution, un gage d’authenticité. Le XVIIe siècle est le siècle où l’on s’attaque à la religion. Les humanistes sont des croyants : ils donnent une place énorme à l’homme mais ont simplement changé leur manière de lire la Bible. Mais le XVIIe siècle, lui, ne va pas se contenter de penser à l’homme, mais à la société. Les penseurs de ce siècle sont des penseurs de l’organisation sociale. Ils vont être anticléricaux (contre la religion). Parmi eux, certains croient en D.ieu mais ce qu’ils voient, c’est que si la religion n’est pas forcément mauvaise, ce qui est sûr, c’est qu’elle crée des différences sociales et entraîne la jalousie (Diderot). Les sociétés sont si autocentrées qu’elle considère leur religion comme La bonne sans connaître les autres. Les philosophes des Lumières sont très mal vus par l’Eglise. « voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus » (l. 9-10) Il attache une grande importance à ce qu’il a été et une importance moindre à ce qu’il a fait. Cette phrase est d’autant plus mise en valeur par le rythme ternaire qui donne un aspect théâtral. Il y a également une gradation ascendante dans l’importance de ce qu’il dit : il commence par les faits pour arriver à ce qu’il fut. Pour Rousseau, l’homme est fondamentalement bon mais est perverti par la société. La preuve que l’homme est bon, c’est que lorsqu’il fait du bien, il se sent bien. -3- Contrairement à Rousseau, pour Sartre, un auteur du XXe siècle, ce qui fait ce que nous sommes, ce sont nos actes. Sartre va critiquer un des risques de l’autobiographie : celui de ne pas pouvoir regarder les faits objectivement. C’est pourquoi dans Huis-Clos, il écrira « L’enfer c’est les autres ». Selon Bergson, dans la religion, il y a deux morales : la morale close et la morale ouverte. Dans la morale close, on adapte le texte à ce qui nous intéresse. Le deuxième destinataire, c’est le lecteur. « mes semblables » (l. 2) Avec le lecteur, il y a une certaine distance car il ne les appelle pas directement. « ce dont on ne peut juger...m’avoir lu » (l. 7) Le jugement du lecteur est important pour Rousseau. Ceci prouve que le lecteur est un des destinataires des Confessions. C’est le lecteur idéal de Rousseau. « que chacun découvre son cœur...sincérité » (l. 18-19) La société est basée sur un gigantesque mensonge donc Rousseau appelle à la réflexion. Son autobiographie a valeur d’exemple. C’est une stratégie. Le lecteur idéal, c’est celui dont on pense qu’il lit ce qu’on a écrit. C’est ce lecteur idéal qui conditionne notre écriture. Par exemple, Baudelaire prétend écrire pour des personnes ayant une certaine qualité d’âme quant à Victor Hugo, il veut convaincre le plus grand nombre de personne. « je fus meilleur que cet homme là » (l. 20) Encore une fois, on voit que le jugement du lecteur importe Rousseau puisque ce-dernier imagine que le lecteur se compare à lui. « l’innombrable foule de mes semblables » (l. 16-17) On ressent ici une volonté de proximité entre Rousseau et le groupe, ses lecteurs. Rythme ternaire « qu’ils écoutent... qu’ils gémissent... qu’ils rougissent » (l. 17 -18) Alors que le pacte autobiographique est normalement emprunt d’objectivité, ici, Rousseau s’identifie au lecteur et entre dans le subjectif. « qu’ils rougissent de mes misères » (l. 18) On a l’impression que la société doit avoir honte ce qui va dans le sens de l’idée de Rousseau selon laquelle la société est responsable de ses fautes. Il y a donc ici un retournement subtil car avant de juger Rousseau, ils doivent avant tout se juger euxmêmes. S’ils sont responsables des fautes de Rousseau, ils seront plus cléments à son égard. Il y a donc une graduation : objectivité identification retournement. Comme le dira plus tard Simone de Beauvoir « Je ne suis pas le centre du monde mais je suis le centre de mon monde ». De ce point de vue là, on peut presque comparer Rousseau à Simone de Beauvoir. Cette idée de Rousseau va permettre un foisonnement de l’autobiographie. Avant Rousseau, ce qui intéresse, c’est la vie des gens exceptionnels. Par exemple, Les Mémoires de Saint-Simon (XVIIe siècle) où l’auteur raconte la vie à la cour de Louis XIV. Même s’il appartient à la cour, cette œuvre n’est pas autobiographique car elle parle surtout des gens importants comme le Roi. « intus et in cute », « mon intérieur » (l. 15) « Intérieurement et sous la peau » : On s’intéresse à l’intérêt de tout être. C’est une citation d’un auteur de l’antiquité. Conclusion Rousseau va donner à l’autobiographie une réelle valeur littéraire. Elle annonce le Romantisme notamment par la préoccupation naissante du « moi ». Rousseau raconte sa vie alors qu’il n’est que bourgeois : ce n’est pas une personnalité importante de la société. Cette autobiographie révèle également l’aspect ardu d’écrire son autobiographie en montrant par exemple la difficulté d’être objectif et de dire la vérité. En écrivant soi-même sa biographie, on tombe facilement dans l’apologue. En réalité, l’aspect orgueilleux de Rousseau est le sentiment de chaque homme : tout le monde veut être différent. -4-