CHAPITRE 11 : LA CONDUITE DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE : OBJECTIFS, RÈGLES ET RÉSULTATS
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11. La conduite de la politique monétaire : objectifs, règles et résultats
1. Introduction
Les lois encadrant les opérations de la Banque du Canada tout comme la Réserve fédérale américaine font
mention d’objectifs somme toute assez généraux . Par exemple, dans le préambule de la loi régissant la
Banque du Canada, on retrouve les objectifs suivants:
Considérant qu'il est opportun d'instituer une banque centrale pour réglementer
le crédit et la monnaie dans l'intérêt de la vie économique de la nation, pour
contrôler et protéger la valeur de la monnaie nationale sur les marchés
internationaux, pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les
fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de
l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et
financière du Canada, ...
Dans le cas américain :
The Rederal Reserve Act lays out the goals of monetary
policy. It specifies that, in conducting monetary policy, the Federal
Reserve System and the Federal Open Market Committee should
seek “to promote effectively the goals of maximum employment,
stable prices, and moderate long-term interest rates.”
Au fil des ans, selon l’évolution de la conjoncture et de l’avancement des connaissances, ces objectifs ont
été précisés de façon informelle sans que ces orientations aient été colligées formellement dans un texte de
loi. Ainsi, il est bien connu que la politique monétaire canadienne a été précisée (site Web
http://www.bank-banque-canada.ca/french/monpol-f.htm) :
L'objectif de la politique monétaire au Canada est de préserver la valeur de la
monnaie. Une monnaie stable contribue à la prospérité économique en
facilitant la prise de décisions des ménages et des entreprises. Dans une
déclaration commune qui réaffirmait cet objectif en décembre 1993, le
gouvernement et la Banque du Canada ont annoncé leur intention de maintenir
l'inflation dans une fourchette de 1 à 3 % pour la période comprise entre 1995
et 1998. Le 24 février 1998 le gouvernement et la Banque du Canada ont
convenu de prolonger jusqu'en 2001 l'application de la cible actuelle de
maîtrise de l'inflation. Ils comptent déterminer la cible à long terme de la
politique monétaire avant la fin de 2001.
Pour mieux comprendre le contexte des orientations actuelles, il est important de procéder à un court
historique de la conjoncture économique canadienne et américaine des quarante dernières années.
2. Retour sur l'évolution des principaux indicateurs depuis les années 60
Voir les graphiques 1 à 3 joints.
La guerre du Vietnam 1960-69. La progression soutenue de l’activité économique durant les années
60 (stimulée par les dépenses reliées à la guerre du Vietnam) qui s’est terminée par la récession de
1969-70 (surtout aux États-Unis). Durant cette période, le taux de chômage a baissé de façon
importante et le taux d’inflation est passé de moins de 1% à plus de 5%.
Le choc pétrolier 1973. Le choc pétrolier de 1973 a eu un impact déterminant sur les taux d’inflation.
Au Canada, le taux a grimpé jusqu’à 15% tandis qu’aux États-Unis, le maximum atteint était de 10%.
Ce choc explique en bonne partie la récession américaine de 73-75 : le taux de croissance du PIB réel
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a été nettement négatif pour la première fois depuis fort longtemps, ce qui a été accompagné par une
hausse du taux de chômage, suite à la restructuration de l’économie. Bien qu’il en est subi les
contrecoups, le Canada n’a pas été touché aussi durement et n’a pas connu de récession.
L’arrivée de Volker 1979-82. En 1978-79, un autre choc pétrolier devait frapper (suite à la révolution
iranienne) et les taux d’inflation canadien et américain devaient reprendre leur ascension jusqu’à 12%
et 10% respectivement. En toile de fonds, l’arrivée de Paul Volker à la tête de la Fed américaine et la
mise en place d’une politique restrictive reposant sur les principes monétaristes, a donné lieu à des
hausses sans précédents des taux d’intérêt et à deux récessions aux États-Unis entre 1980-82. La
Canada a été particulièrement touché cette fois et a connu une hausse importante du taux de chômage
qui est passé de 7% à près de 13%. Bien plus, le Canada mettra de nombreuses années à retourner à
un niveau inférieur à 8%.
La reprise de 1992. De 1982 à 1990, on assiste à une reprise qui permet une assez longue reprise et
une baisse graduelle du taux de chômage au Canada et aux États-Unis. Les taux d’inflation canadien et
américains oscillent autour de 5% et 4% respectivement. Cette reprise s’est accompagnée d’une
hausse des taux d’intérêt beaucoup plus importante au Canada.
La récession de 1991. En 1989-90, l’invasion du Kuwait a provoqué une autre hausse du prix du
pétrole tout en créant une certaine incertitude qui, combinée à la hausse des taux d’intérêt enregistrée,
est à la source de la récession de 1990-91. Notons ici que la hausse des taux d’intérêt a été beaucoup
plus importante au Canada. Un peu comme la dernière récession, on assiste alors à une augmentation
du taux de chômage de 5,2% à 7,6% au États-Unis (une augmentation de 2,4%) mais de 7,5% à
11,7% au Canada (une hausse de 4,2%). Février 1991 marque aussi l’introduction au Canada des
cibles inflationnistes.
1992-? La plus long reprise de l’après-guerre et l’apogée de Greenspan. De 1991 à aujourd’hui,
nous avons connu la reprise la plus longue de l’après-guerre avec une baisse des taux d’inflation et des
taux d’intérêt, une diminution des taux de chômage à un peu plus de 4% aux États-Unis et à un peu
plus de 7% au Canada. Nous avons aussi observé une hausse de la croissance économique, surtout aux
États-Unis.
Que retenir de cet épisode s’étalant sur 40 ans sinon que l’histoire est un éternel recommencement. On a
bouclé la boucle! Après 3 chocs pétroliers, 2 récessions majeures, des niveaux de taux d’inflation et
d’intérêt jamais vus, des taux de chômage inquiétants, nous sommes revenus à une environnement assez
proche de celui que nous avons connu au début des années 60.
Les banques centrales ont surtout retenu qu’une fois enclenché, le processus inflationniste est très coûteux à
enrayer, si on se fie aux deux récessions majeures qui ont laissé des séquelles importantes.
3. Un modèle explicatif du taux d'inflation, de la production et des taux d'intérêt (voir annexe)
LE MODÈLE
Pour expliquer l’évolution de l’inflation (PC), des taux d’intérêt (i) et de la production (Y mais plus
précisément GAP=(Y-Y*)/Y* où Y * est le niveau de production de plein-emploi), l’annexe jointe
développe un modèle simple (voir Taylor, 1998) qui repose sur 3 éléments fondamentaux :
1. Un règle de décision de la Banque centrale pour les taux d’intérêt (voir le tableau) car il s »agit là de
l ’approche suivie actuellement.
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Règle de taux d’intérêt
Inflation
Taux d’intérêt
0.0
1.0
1.0
2.5
2.0
4.0
3.0
5.5
4.0
7.0
5.0
8.5
6.0
10.0
2. La demande agrégée Yd= C+I+G+X qui dépend négativement des taux d’intérêt réels
La combinaison de ces deux éléments nous permet de dériver une courbe de demande spéciale qui montre
une relation négative entre le taux d’inflation et le PIB Y. Il est très important de comprendre que la
pente négative de cette demande vient de la règle de la Banque centrale. Quand PC augmente, i
augmente plus que la hausse de PC si bien que r, le taux réel, augmente. Ceci va provoquer une
baisse des investissements et une diminution de Y par rapport au potentiel Y* i.e. GAP<0.
3. L’analyse du graphique 4 montre ensuite que si l’économie est à la droite du potentiel (Y>Y* ou
GAP>0), le taux d’inflation devrait augmenter à la période suivante (surchauffe, demande excédentaire
de travailleurs, hausse de salaires, etc). Si l’économie est à la gauche du plein-emploi, le taux
d’inflation devrait plutôt diminuer. Évidemment, si l’économie opère au plein-emploi, le taux
d’inflation devrait être stable. Il s’agit là d’une constatation très importante découverte la première fois
par Phillips et reprise par Friedman et Phelps qui l’ont appelée l’hypothèse accélérationniste.
Dans notre exemple illustré à l’annexe, la Banque centrale a un objectif d’inflation de 2%. Elle fixe les
taux d’intérêt nominaux à 4%, ce qui donne un taux d’intérêt réel de 2%. L’économie est au plein-emploi
(Y=Y* ou GAP=0). Aucune force ne pousse le taux d’inflation à la hausse ni à la baisse. Les gens
anticipent le maintien de ce taux d’inflation dans un futur immédiat. On dira alors que nous avons un
équilibre stable compatible avec les objectifs de la Banque centrale et les attentes des consommateurs et
entreprises. Bine évidemment, de tels équilibres sont souvent perturbés et le graphique ci-dessous donne
des indications sur les effets probables de changements de politiques :
Inflation
PIB réel
Politique monétaire expansionniste
(hausse du taux d’inflation cible),
politique fiscale expansionniste,
etc.
Politique monétaire
restrictive (baisse du taux
d’inflation cible), politique
fiscale restrictive
PC=4%
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LÉPISODE DE VOLKER
L’épisode Volker illustre assez bien le modèle utilisé. Initialement, la Banque centrale tolérait un taux
d’inflation de 10%. La politique restrictive de Volker s’est traduite en pratique par un objectif
inflationniste beaucoup plus faible (il est difficile de donner un objectif précis faute de transparence ...), ce
qui a provoqué un déplacement vers la gauche de la demande agrégée car la Fed a haussé considérablement
ses taux d’intérêt (et indirectement les taux d’intérêt réels), ce qui manifestement a ralenti l’activité
économique. Comme Y<Y* (GAP<0), alors le taux d’inflation a chuté jusqu’à un nouvel équilibre stable à
PC=4% et GAP=0. Le taux d’inflation a été réduit au prix d’une récession importante et d’une hausse du
taux de chômage.
CHOC PÉTROLIER DE 1973-74
Un choc pétrolier pose d’énormes difficultés à la Banque centrale. Si PC augmente, alors les taux d’intérêt
augmentent selon la règle. Les dépenses sensibles au taux d’intérêt réel diminuent et l’économie est en
dessous du potentiel. Ceci provoque une baisse du taux d’inflation et un retour graduel à la situation
initiale. Le graphique de droite ne correspond pas totalement au graphique de gauche mais l’essentiel du
scénario est illustré. Un choc pétrolier provoque une hausse du taux d’inflation et un baisse de l’activité.
Inflation
PIB réel
ou GAP
Demande
agrégée avec
une cible de
10%
10%
Demande
agrégée avec
une cible de
4%
GAP=0
4%
Inflation
PIB réel
ou GAP
Choc pétrolier : hausse du
taux d’inflation qui n’a
rien à voir avec la
demande
GAP=0
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4. Les coûts de l'inflation, l'importance d'un environnement stable et les limites de la politique
monétaire
LES COÛTS DE LINFLATION
Le texte de Mishkin et et Posen (1997) et Coletti et O’Reilly (1998) mentionnent plusieurs coûts reliés à
l’inflation :
les coûts de gestion des encaisses (shoe leather cost) dans la mesure où un taux d’inflation élevé force
les agents à opérer avec un niveau d’encaisse plus faible (fréquentes visites à un guichet automatique,
files d’attente, etc.) ;
la confusion dans les prix relatifs puisque les prix individuels sont modifiés à des fréquences
différentes ;
l’incertitude au sujet de l’inflation future influence les décisions d’épargne qui sont basées sur les
rendements réels à long terme (on suppose ici que les agents n’ont pas facilement accès aux nouvelles
obligations à taux réel). L’incertitude empêche aussi les agents de s’engager dans des contrats à long
terme ;
des ressources inutiles sont consacrés à se protéger de l’inflation ;
la non indexation du régime fiscal ;
la redistribution des revenus (les retraités et les détenteurs de titres à long terme perdent).
Globalement, on estime que chaque réduction de 1% du taux d’inflation permet une hausse nette (bénéfices
coûts incluant les coûts du chômage prolongé) entre 0,6% et 0,8% de la consommation (Coletti et
O’Reilly, 1998, graphique 2, p. 14). Il faut toutefois prendre garde d’utiliser ces résultats pour justifier un
baisse supplémentaire du taux d’inflation dans un régime de taux d’inflation très faible.
LES LIMITES DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE
Les effets de la politique monétaire sur l’économie sont sentis après des délais longs et variables (entre
18 et 24 mois); une politique monétaire active peut contribuer à déstabiliser l’économie;
comme nous l’avons vu dans le modèle macroéconomique, il n’y a pas d’arbitrage à long terme entre le
taux de chômage et le taux d’inflation ; l’économie revient toujours au plein emploi. La politique
monétaire influence toutefois le taux d’inflation à long terme qui sera observé.
Il faut aussi prendre garde au problème d’incohérence temporelle de la politique monétaire qui est le
sujet de la prochaine section.
5. Les règles et la crédibilité
RÈGLES VS DISCRÉTION : LE BIAIS INFLATIONNISTE ET LESPROBLÈMES DINCOHÉRENCE TEMPORELLE
Le problème d’incohérence temporelle est dû à Kydland et Prescott (voir l’article dans The Economist ou
celui de Herb Talor, 1985). En fait, la mise en oeuvre de la politique monétaire ressemble beaucoup au
problème suivant d’un professeur : pour inciter sa classe à travailler, le professeur peut annoncer qu’il y
aura un examen spécial la semaine prochaine. Le moment venu, comme la classe a bien travaillé, le
professeur annonce qu’il annule l’examen à son grand plaisir (il n’aura pas à corriger) et au grand plaisir de
certains étudiants. Évidemment, dans la mesure où elle se répète, une telle démarche aura des effets
pervers puisque les étudiants n’étudieront plus et que le professeur perdra toute crédibilité.
Dans le cas de la politique monétaire, les autorités peuvent annoncer une cible inflationniste faible (2%)
mais agir par la suite de façon à relâcher un peu cette politique de façon à stimuler l’économie et la
production. Il en résultera un taux d’inflation plus élevé, ce qui pénalise les agents qui ont basé leurs
décisions sur les objectifs annoncés préalablement. L’incohérence temporelle est créée par le processus de
décision des agents et la tentation des autorités de ne pas s’en tenir au plan initial en poursuivant une autre
stratégie, une stratégie discrétionnaire, perçue plus avantageuse, du moins à court terme. L’incohérence
temporelle peut conduire à un biais inflationniste.
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