La détermination du prédicat dans l’inversion locative
1. Introduction
L’inversion locative (IL) peut être étudiée du point de vue stylistique (quels effets produits?),
syntaxique (quel type de verbe possible?), discursif (quels contextes d’apparition ?). Dans cet article
je vais en priorité aborder le problème du verbe et de ses contraintes communes en français et en
anglais, et ce dans l’optique d’une analyse globale de l’IL qui fait le lien entre contraintes intra-
phrastiques, contexte discursif et effets stylistiques.
Ces dix dernières années, l’IL a été un sujet phare, notamment pour tous ceux qui travaillent en
génération. Le but principal : justifier/ prédire le choix restreint des verbes en IL par rapport aux
phrases canoniques et expliquer pourquoi les verbes en IL perdent un certain nombre de leur
propriétés sémantiques. Voici des exemples illustrant des incompatibilités largement discutées dans
la littérature.
(1) At that moment, the main door slammed./ *At that moment slammed the main door
(2) Le calme /le géant régnait dans le château/ Dans le château régnait le calme/ *le géant
L’inacceptabilité de (1) est liée aux propriétés du verbe intransitif SLAM qui renvoie à un
changement d’état, incompatible avec la tournure. En (2) l’interprétation agentive « régner en
maître » n’est plus possible en IL car le verbe dans ce contexte doit avoir un sens non figuré,
dépourvu de valeur agentive et l’énoncé doit renvoyer à une situation spécifique définie dans le
contexte antérieur (comme c’est le cas avec régnait le calme). Pourquoi ces contraintes
apparaissent-elles dans l’énoncé inversé ? Qu’a celui-ci de spécifique par rapport à l’énoncé
canonique pour restreindre ainsi l’interprétation de la relation prédicative ?
A ces questions, on trouve deux grands types de réponses dans la littérature :
1) les contraintes en IL découlent de la fonction discursive de la tournure et du statut
discursif des éléments (cf Birner 1992, 1994),
2) les contraintes en IL découlent de la structure elle-même, qui implique que le
GNpostposé puisse, à tel ou tel niveau de dérivation, être un objet (cf. Hoesktra et Mulder
1990).
Il y a plusieurs objections possibles à ces hypothèses. J’en donnerai quelques-unes, puis je
montrerai qu’un traitement global de l’IL permet de dégager une autre hypothèse. Pour moi, les
contraintes locative en IL sont liées au mode de prédication en jeu dans la tournure. L’IL est la trace
d’une relation prédicative particulière, dans laquelle le premier argument (que l’on peut appeler le
sujet prédicatif) correspond à l’élément locatif dit « antéposé ». C’est en effet ce dernier qui
détermine, avant la mention du procès
, les caractéristiques de ce dernier. Les contraintes verbales
s’expliquent alors par l’homogénéité nécessaire
entre le « sujet prédicatif » et le reste de la relation,
ou en d’autres termes par l’identification entre les propriétés « statales »
du locatif et les propriétés
du procès dans ce contexte.
2. L’IL, un phénomène hétérogène ?
Dans la littérature récente, l’IL est plutôt traitée comme un fait de langue hétérogène, dont
l’analyse syntaxique dépend en premier lieu soit de l’élément verbal en place soit du type de sujet.
Cette tendance à la multiplication des cas découle, par réaction, des études qui associaient l’IL à
l’inaccusativité
(Bresnan et Kanerva 1989, Hoeskstra et Mulder 1990 par exemple). On sait en
Définition de procès : c’est une notion, un faisceau de propriétés, dont certaines garantissent une fonction de relateur
(source procès destinataire) et d’autres une détermination temporelle. Au niveau de la structure argumentale instanciée,
le procès devient prédicat. Ses réalisations linéaires les plus fréquentes : les verbes.
Une nécessité que les travaux de Guillemin-Flescher 1981 ont mis en évidence.
Cf. « statal interpretation » de Levin et Rappaport Hovav 1995
Les verbes inaccusatifs sont des verbes intransitifs sans sujet en structure profonde, uniquement un objet, et ce dernier
est réalisé en surface, dans les énoncés canoniques en position sujet :
ex : The window broke / source de l’action non exprimée dans une structure intransitive
/ destinataire de l’action (qui est affecté par celle-ci) = window