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nous dicterait d’emblée ; soit on prend acte de cette richesse et on essaie
de ne pas la perdre, mais de la comprendre – selon une conception de la
science autre, que je voudrais défendre dans ces pages. L’« énonciation »
n’est pas alors une notion établie, avec une définition prête à
l’application, tout simplement parce qu’elle est beaucoup plus que cela.
L’ « énonciation » est plus qu’une notion car, pour commencer, elle
est un riche éventail de pistes de recherches, un bouquet de possibilités,
distinctes et voisines, d’appréhender les faits de langage, dans leur
amplitude et épaisseur. Comment l’expliquer, plus précisément ? En
premier lieu, on peut observer aisément que l’« énonciation » permet
d’embrasser et de dialectiser une série d’antinomies traditionnelles de nos
manières de concevoir les phénomènes – langagiers et non. Mobiliser
l’« énonciation », c’est ainsi mobiliser ipso facto : le personnel vs
l’anonyme, la description vs l’interprétation, la référence vs la réflexivité,
le discret vs le continu, les formes vs les valeurs, le dire vs le faire… (la
liste est virtuellement ouverte). L’« énonciation », bien plus qu’une
notion à appliquer, est un véritable dispositif conceptuel, qui complexifie
notre regard sur les phénomènes.
Il ne s’ensuit pas qu’elle doive manquer de rigueur, au contraire.
Puisqu’elle engage l’une ou l’autre dialectique conceptuelle, elle précise
le sens de l’approche retenue par tel ou tel autre chercheur : s’attachera-t-
on à la dialectique « dire vs montrer » ? ou bien à celle « discret vs
continu » ? ou bien au rapprochement entre les deux ? et ainsi de suite (je
reviendrai sur le véritable art combinatoire que permet l’« énonciation »
en tant que concept).
En deuxième lieu, une fois le dispositif conceptuel de l’énonciation
saisi, on le voit opérer aussi à un niveau plus philosophique, voire
épistémologique. L’« énonciation » permet en effet de s’attaquer aux
différentes options de connaissance des phénomènes : penchera-t-on pour
l’empirique ou pour le rationnel, pour l’expérience ou pour la règle, pour
le matériel ou pour l’idéal ? Ou encore : pour l’immanence, le système (la
« langue » conçue comme une totalité à soi) ou la transcendance,
l’environnement, la situation ou la culture (ce face à quoi le système doit
réagir, s’ouvrir) ? On constate que l’« énonciation », lorsqu’elle est
mobilisée, porte avec elle la nécessité de pointer vers l’une ou l’autre
option épistémologique de manière assumée, complexe, nuancée (à titre