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MOLIERE : L’École des femmes
Ce document a été réalisé par Mme BONNABEL, agrégée de Lettres Modernes, professeur en CPGE et
spécialiste de l’enseignement Théâtre.
Pistes pour une séquence lycée
Classe de seconde pour l’étude du XVII°
Classe de première pour l’objet d’études Texte et Représentation
Le déroulement de ce travail n’est pas à retenir comme le déroulement d’une séquence prête à
l’emploi. Il s’efforce dans le cadre de l’étude d’une œuvre intégrale d’envisager la pièce dans son
ensemble, de proposer des problématiques diverses en lien avec l’auteur, l’époque, le genre.
L’existence d’outils audiovisuels témoignant de mises en scène variées permet de faire surgir la
polysémie et l’inépuisable richesse du texte.
Deux outils de travail de qualité : le DVD de la mise en scène de Jacques Lassalle d’après la mise
en scène de Jouvet et le DVD de la mise en scène de Didier Besaze. Commande auprès de Copat
et Alapage ou dans le commerce. Également un DVD de l’Impromptu de Versailles en vente à la
Comédie Française.
Pourquoi L’Ecole des Femmes ?
" Le petit chat est mort ", réplique d’Agnès redoutée des jeunes actrices qui veulent néanmoins
toutes jouer le rôle d’Agnès depuis des décennies, appartient à notre patrimoine national.
L’Ecole des Femmes est une œuvre patrimoniale, ce qui signifie que nous avons tous
l’impression de la connaître et qu’il est urgent de la (re)découvrir.
Les problématiques soulevées
1 La double postulation de la comédie moliéresque. Étude du genre.
" Dans ce sac ridicule Scapin s’enveloppe/ Je ne reconnais pas l’auteur du Misanthrope "
écrit Boileau dans l’Art poétique en 1674.
A la suite de Boileau, on jugera l’œuvre de Molière double : d’un côté les grandes comédies en
cinq actes en vers ou même en prose, porteuses d’un regard subtil, voire d’un message sur le
genre humain, de l’autre les petites pièces en un ou trois actes, toujours en prose, directement
inspirées de la farce populaire et donc de facture grossière.
Seulement cette classification qu’on essaie d’expliquer par l’opposition oeuvre de
jeunesse/œuvre de la maturité ou par le désir de plaire à des publics différents ne résiste pas
vraiment lorsqu’on veut bien reconnaître que, par exemple,
Les Fourberies de Scapin
, en cinq
actes et écrites à la fin de la vie de Molière relèvent de la veine farcesque, quand
George
Dandin
pièce en trois actes est une profonde et désespérée réflexion sur l’humain.
La critique s’efforce aujourd’hui de retrouver une cohérence et une unité par delà la diversité
apparente de l’œuvre de Molière. Le projet moliéresque mû par le désir de hausser la comédie au
rang de la tragédie, relève d’une synthèse géniale entre les influences françaises (la farce
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populaire), les influences italiennes (on connaît sa proximité avec les acteurs italiens) et les
impératifs de doctes.
2 Naissance de la comédie classique : entre faveur royale et tempête. Histoire littéraire
a/ On s’intéressera aux éléments de la vie de Molière qui l’ont conduit à produire ce qui
deviendra le modèle de la comédie classique: citons rapidement son enfance près du Pont neuf,
sa proximité des acteurs italiens, sa connaissance du pertoire de son temps, notamment de
Corneille, (On retrouve chez Molière certains vers de Corneille), répertoire qu’il a joué toute sa
vie en tant que comédien, sa volonté de rivaliser avec L’Hôtel de Bourgogne et de gagner son
public, son désir d’être reconnu pas seulement comme comédien mais comme auteur et même
comme auteur tragique (rappelons la tentative de
Don Garcie de Navarre
) enfin et surtout la
faveur royale sans laquelle Molière n’aurait pas été Molière ( voir infra l’analyse du personnage
d’Agnès).
b/ On s’intéressera à la querelle de
L’Ecole des femmes
, " bataille " plus mémorable que celle
d’H
ernani
qui conduit Molière à écrire
La Critique de l’Ecole des Femmes
et
l’Impromptu de
Versailles
. Voir en annexe la chronologie de la querelle.
3 La théâtralité triomphante. Texte et représentation.
A ses détracteurs, Molière répond génialement et répond théâtralement: œuvres de circonstance,
œuvres de polémique,
La Critique de L’Ecole des femmes
et
L’Impromptu de
Versailles
ne sont
pas des ouvrages mineurs mais une fabuleuse mine de renseignements sur le théâtre à l’époque
de Molière, sur le jeu de l’acteur. Ils sont aussi l’étonnante démonstration de ce que peut être
le Théâtre dans le théâtre poussé à l’extrême.
Molière disait lui-même : " Les comédies ne sont faites que pour être jouées et je ne conseille de
les lire qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du
théâtre. " (Préface de
L’amour médecin
). Il nous invite ainsi à conduire notre étude dans un va
et vient du texte aux différentes mises en scène vues avec nos élèves au théâtre ou sur écran
video.
La comparaison de mises en scène différentes convaincra aisément da la plasticité du texte de
Molière, de son incomplétude en attente d’un achèvement réalisé provisoirement de mise en
scène en mise en scène.
Le travail sur le texte.
1. Mise en appétit :
Lecture de quelques extraits avant que l’ensemble du texte n’ait été lu par les élèves:
Vers 129-164
Vers 429-439
Vers 559-564
La lettre d’Agnès à Horace
Vers 108-1025
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Vers 1572-1604
Si on ne donne pas le nom de l’auteur, les élèves percevront la modernité autant que la cruauté
du propos, mais aussi " l’incongruité " de l’alexandrin, ce qui permettra de nous interroger sur
le niveau de langue et le registre.
Plutôt que d’étiqueter immédiatement l’œuvre comme comédie de Molière et lui appliquer
quelques idées reçues, il est intéressant de faire émerger des questionnements : un niveau de
langue familier mais des alexandrins généralement dévolus à la tragédie classique, un sujet
" scandaleux " dans une comédie aux accents parfois touchants.
Il suffira dans ce travail de lecture introductif de faire entendre le texte, de se demander ce
qu’on entend, comment un sens ou des hypothèses de lecture se construisent, comment on
réagit.
2. La fable :
Demander aux élèves de lire les quatre premiers actes de la pièce. Faire raconter la fable en
précisant pour chaque événement les actions en scène et les actions hors scène. Il ne s’agit pas
de faire résumer, mais de lister les actions qui constituent la fable.
On s’aperçoit que les actions se passent hors scène dans les quatre premiers actes. Ce hors
scène est à la fois spatial et temporel. Constatation qui nous amène à une double réflexion sur le
lieu et le temps d’une part, sur la structure d’autre part.
3. Le temps :
Il s’agit d’analyser le découpage en actes et la durée de l’action. Elle ne dure pas plus de vingt
quatre heures, du matin Arnolphe annonce à Chrysalde son mariage jusqu’au matin suivant
où les pères concluent le mariage des jeunes gens.
Les actions se passent entre les actes : pierre jetée avec la lettre attachée, irruption d’Arnolphe
dans la chambre d’Agnès dont il ressort fou d’amour, fausse mort d’Horace, enlèvement
d’Agnès, autant d’événements que le spectateur apprendra par les récits des protagonistes.
Ainsi la règle classique de l’unité de temps est observée, premier indice de la volonté de Molière
d’écrie une " grande comédie " (A ce propos on avait déjà remarqué l’utilisation de
l’alexandrin.)
4. Les lieux :
Le lieu traditionnel de la comédie, la place, est respecté dans son unité. Cependant il faut parler
de lieux pluriels dans
L’Ecole des femmes
en remarquant tout d’abord que la présence du hors
scène est inscrite dans la texte même, que ce hors scène est constitué de la ville au-delà de
place dans laquelle Arnolphe cherche Horace entre l’acte I et l’acte II, de l’intérieur des deux
maisons d’Arnolphe. (On s’intéressera à la façon dont l’espace est traité par les différents
metteurs en scène). La fable de
L’Ecole des femmes
pourrait se raconter par la simple mention
des allées et venues des personnages entre l’intérieur et l’extérieur, l’extérieur et l’intérieur.
En I. 3, Arnolphe fait descendre Agnès, puis la fait remonter dans sa chambre ; en II. 2, il monte
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chez Agnès et revient avec elle ; à l’acte III Arnolphe s’installe dehors " au frais " pour lui faire
la leçon sur ses devoirs de future épousée puis lui ordonne de rentrer ; entre l’acte III et IV
Arnolphe monte chez Agnès se trouve déjà Horace enfermé dans une armoire. Entre IV et V,
Horace, cherchant à gagner l’intérieur de la maison, est refoulé ; Agnès sort le rejoindre et à
l’acte V, il la remet entre les mains d’Arnolphe qui, tout en lui promettant le " cul d’un
couvent ", l’enferme dans sa propre chambre dans l’autre maison d’où elle ne ressortira que
lorsqu’il la fera quérir pour l’emmener dans la retraite promise.
L’Espace et le jeu permanent entre l’intérieur et l’extérieur qu’il induit, racontent une
imposture, figurée par la double maison et la conquête de la liberté qui est l’histoire d’Agnès.
5. La structure :
L’analyse de la temporalité et de l’espace de la pièce conduit à repérer sa structure. En effet, si
les actions se passent hors scène, ce sont les récits, et dans une moindre mesure, les apartés et
les monologues qui en constituent la dramaturgie.
On pourra étudier quelques uns de ces récits et les comparer pour voir avec quel art consommé
Molière joue de la répétition d’un même procédé tout en introduisant des variantes, afin
d’obtenir un comique de répétition pimenté d’audaces de nouveautés toujours plus audacieuses.
Le reproche d’avoir écrit une comédie tout en récits est le principal reproche des détracteurs de
Molière au cours de la querelle de
L’Ecole des Femmes
. Il leur répondra essentiellement dans la
scène 6 de
La Critique de L’Ecole des Femmes
, protestant que dans sa pièce les récits sont des
actions. En effet, " ces innocents récits font entrer Arnolphe dans une confusion propre à
réjouir les spectateurs " et l’amènent à prendre de nouvelles mesures pour se prémunir.
CF Lessing dans
La Dramaturgie de Hambourg
à propos de
L’Ecole des Femmes
: " Il s’agit
bien moins des faits qui sont rapportés que de l’impression qu’ils font sur le vieillard trompé
quand il les apprend. C’était surtout les travers de ce vieillard que Molière voulait représenter;
il faut donc que nous voyions comment il se comporte en présence du malheur qui le menace, et
c’est ce que nous n’aurions pas vu aussi bien si le poète avait mis sous les yeux les choses qu’il
met en récit et en récit celles qu’il met sous les yeux. "
Un travail sur les monologues et leur évolution mettra en lumière comment le personnage
d’Arnolphe oscille du type comique au personnage pourvu de profondeur psychologique.
On voit comment une réflexion sur l’espace, les lieux et le temps d’une part et sur la structure
d’autre part conduit à l’étude des personnages.
6. Les personnages :
Agnès. : Il faut étudier le personnage d’Agnès dans son évolution Evolution remarquable et
rapide de la jeune gourde à la femme émancipée. Explicable certes par sa naissance qui l’a
dotée d’intelligence, par son absence d’éducation qui a maintenu jusque son intelligence en
friche, par la nature elle-même qui s’impose sous l’impulsion de sens réveillés, voire révélés par
l’émoi amoureux. Néanmoins cette évolution est difficilement vraisemblable en si peu de temps.
Les critiques en reprocheront à Molière l’invraisemblance. C’est oublier qu’on est au théâtre.
En effet le théâtre est un concentré de vie, d’émotions ; ce n’est pas la vie dans son
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déroulement linéaire, facteur de lente maturation psychologique.
Et puis à travers Agnès, c’est toute une philosophie de l’existence que Molière porte sur le
théâtre. " Le moyen d’empêcher ce qui fait du plaisir " interroge Agnès. Molière qu’on a dit
élève de Gassendi est en tout cas un adepte de l’épicurisme dont le jeune Louis XIV se sent
proche. Les rapports entre Molière et le Roi peuvent paraître surprenants. Pourquoi cet
indéfectible soutien, sauf à la toute fin de la vie de Molière ? Quelle est la nature de la cabale
contre Molière qui commence avec
L’Ecole des Femmes
et se poursuit avec
Tartuffe
et
Dom
Juan
? La cabale contre Molière renvoie à la lutte entre la vielle Cour qui entoure Anne
d’Autriche et sévit le parti dévot et la jeune Cour autour de Louis XIV qui cherche à se
dégager du joug maternel et à asseoir son règne sur une nouvelle philosophie du plaisir selon la
nature. C’est pourquoi on peut dire que
L’Ecole des Femmes
n’est pas, en dépit de ses
apparences farcesques (le barbon joué par deux jeunes gens amoureux) une oeuvre si différente
des deux grandes pièces polémiques qui suivront. Il est intéressant de voir la continuité de
l’entreprise moliéresque autant que d’en remarquer la diversité.
Arnolphe
Trois visages d’Arnolphe se superposent :
Le barbon jaloux, figure du ridicule.
L’homme qui tombe éperdument amoureux et souffre profondément.
Le monomaniaque, obsédé par le cocuage, monomaniaque utopiste qui veut, contre tout
et tous affirmer que son système est le bon
On pourra judicieusement s’appuyer sur les différentes interprétations d’Arnolphe dans les
documents de mise en scène dont on dispose pour faire sentir aux élèves combien ce type
comique du barbon ridicule va bien au-delà du stéréotype et possède déjà dans ses différentes
facettes une psychologie complexe loin du personnage de farce ou de commedia dell’arte.
La vision d’un Arnolphe monomaniaque, qui se découvre amoureux sur le tard mais qui veut
avant tout avoir raison et est incapable de reconnaître son erreur de jugement, place le
personnage dans la longue liste des monomaniaques moliéresques. Nous sentons bien là, en dépit
de la diversité de sa dramaturgie, une des constantes du théâtre de Molière : stigmatiser par le
rire l’erreur d’un personnage aveuglé par son obsession
A propos du couple Arnolphe/Agnès il faudra bien introduire les éléments sur la vie de Molière
et remarquer l’étrange coïncidence de son destin avec celui de son personnage : marié l’année
même de l’écriture de
L’Ecole
avec une très jeune Armande qui aurait pu (pourrait ?) être sa
fille. Cependant la piste biographique n’amènera pas bien plus loin dans la connaissance de
l’œuvre et de son contexte et reste tributaire de nos modes de pensée modernes qui s’éloignent
beaucoup de la perception que le XVII° siècle pouvait se faire des choses. Ainsi Roger Duchêne
dans son énorme biographie de Molière voit plutôt dans le mariage de Molière et d’Armande un
mariage arrangé par la famille Béjart et Molière afin d’assurer un héritier au bien non négligeable
acquis par l’entreprise théâtrale familiale, augmenté de l’héritage de Jean Baptiste Poquelin.
Il est vrai par ailleurs qu’Armande a trompé Molière dès les débuts de leur mariage et qu’il peut
être légitime, si Molière était amoureux d’Armande, de voir dans
L’Ecole
la douloureuse
catharsis de son auteur.
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