LE FINANCEMENT DE LECONOMIE
Au niveau microéconomique, le financement est nécessaire pour se libérer des contraintes qui
pèsent sur les agents ; au niveau macroéconomique, historiquement, le pouvoir de création
monétaire est considéré comme déterminant dans toute économie, voire comme un attribut
régalien. Le pouvoir politique a toujours voulu contrôler l’émission de monnaie.
Sur le plan théorique, on constate un développement important de l’analyse du rôle de la
monnaie dans la croissance et les fluctuations économiques.
I. Les principaux mécanismes monétaires
A. Définitions de la monnaie
La monnaie est une institution (fait social établi et durable de pratiques et de normes)
caractérisant une économie d’échange. Elle est l’instrument unique d’échange et, comme tel,
sert de contrepartie aux offres et aux biens sur tous les marchés.
La monnaie est le résultat d’un accord entre les différents membres de la société qui permet
de réduire les coûts de transaction (ce qui correspond à la définition que donne Coase de
l’entreprise), à la différence du troc qui entraîne une hausse des risques pour l’acquéreur et le
vendeur. De façon générale, les intervenants conviennent d’un référent commun, d’abord une
marchandise (sel chez les Touaregs). La monnaie est ce à quoi on accorde sa confiance, pour
lequel on est sûr de la reproduction de la valeur : on choisit souvent le bien en fonction de sa
valeur intrinsèque, qu’elle soit symbolique ou exprime la richesse censée être représentée.
Pour A. Clower (Monetary Theory), le le d’intermédiaire dans les échanges rempli par la
monnaie permet d’économiser deux types de coûts : coûts de transaction et coûts d’attente
(subjectifs : la satisfaction est différée et objectifs : les vendeurs doivent stocker leur
marchandise). L’ophélimité de la monnaie explique son institutionnalisation. La monnaie est
un instrument d’échange qui permet l’achat immédiat de biens et services et conserve sa
valeur entre deux échanges, un phénomène social qui repose sur la confiance des agents qui
l’utilisent.
Elle est donc une convention, un « fait social total » (Mauss) dont la valeur est fondée
socialement. Ce point de vue est reconnu par la plupart des écoles économiques. Pour Hayek,
la monnaie fait partie d’un ordre juridique et moral nécessaire à la mise en place de
l’économie de marché. Pour les régulationnistes (Aglietta et Orléan), elle est une institution
qui permet d’assurer la cohésion sociale et joue un rôle de médiation dans les relations
sociales. Elle permet de canaliser la violence sociale (La violence de la monnaie, 84).
Pour jouer correctement son rôle, la monnaie doit rester extérieure aux rivalités des
hommes. Mais elle est souvent un enjeu de ces rivalités et parfois la source de crises.
Une deuxième définition plus fonctionnelle donne les caractéristiques propres de la
monnaie comme répondant aux besoins des agents. Elle est :
-une unité de compte : elle constitue un étalon de valeurs pour simplifier le système des prix
et simplifie le nombre d’informations que l’individu doit retenir pour effectuer son calcul de
maximisation.
-un intermédiaire unique des échanges : cette qualité est essentielle dans la monnaie, qui
doit pouvoir être échangée contre n’importe quel bien ou service sans attente ni coûte. Elle est
un droit sur les biens et ne peut jamais être refusée dans les échanges, elle a un pouvoir
libératoire. Cette fonction contredit la loi de Say. Pour Clower, les biens ne s’achètent pas
contre des biens : « la monnaie achète les biens, les biens achètent la monnaie, mais les biens
n’achètent les biens sur aucun marché organisé ». Il doit donc exister un certain rapport entre
quantité de monnaie en circulation et volume des biens échangés.
-une réserve de valeurs : cette fonction est une extension de la fonction d’intermédiaire. Elle
permet de transporter dans le temps le pouvoir d’exercer un droit sur les biens. Elle fait de la
monnaie « un lien entre le présent et l’avenir » (J. M. Keynes). Elle découle aussi d’une autre
réalité, l’absence de synchronisation entre recettes et dépenses. Elle constitue également une
protection contre l’incertitude (Keynes, préférence pour la liquidité).
La monnaie constitue donc un bien public, indivisible et inappropriable, qui ne trouve
son sens que dans l’échange.
Elle est traditionnellement un attribut de la souveraineté. Son émission fait l’objet de soins
méticuleux. L’Etat doit garantir le respect des fonctions de la monnaie et doit en particulier en
maintenir le pouvoir d’achat, il s’attribue peu à peu le rôle de fixer le cours gal de la
monnaie en la référençant à un étalon (or ou argent). Ce cours légal fait obligation aux agents
d’utiliser la monnaie. Un système de monopole de la monnaie se développe dans les Etats
nations, qui peut conduire quelquefois à des déviances (l’Etat impose un cours forcé de la
monnaie, utilisée pour développer une certaine forme d’action économique, inflation par
exemple).
B. Les formes et agrégats monétaires
Est considéré comme monnaie au sens strict tout instrument de paiement détenu par les agents
non financiers : ménage, entreprises et administrations non financières. Elle inclut la monnaie
fiduciaire et scripturale.
Loi de Gresham : « la mauvaise monnaie chasse la bonne » (cf. marché noir, rôle des
cigarettes, hyperinflation).
C. La création monétaire
La création monétaire vise à assurer les moyens de paiement nécessaires aux transactions des
agents économiques.
1. Exogène ou endogène ?
Le courant classique et néoclassique, puis monétariste, considère la monnaie comme un
phénomène exogène. Les trois postulats de base sont :
L’offre de monnaie ne dépend pas de la demande de monnaie ou des besoins de monnaie.
Elle détermine le niveau général des prix et celui des taux d’intérêt, ce qui renverse la
causalité entre phénomènes réel et monétaire
La monnaie n’est qu’un voile (dichotomie). La distinction est totale entre évolution de la
quantité de monnaie et le développement de l’activité économique réelle
La monnaie est neutre, l’évolution de la quantité de monnaie n’a d’influence que sur le
niveau général des prix
Cette vision est à l’origine de l’école quantitativiste. Pour M. Friedman, « l’inflation est
toujours et partout un phénomène monétaire ».
Dès le XVI°, Bodin explique la hausse des prix intervenue en Europe par l’afflux d’or
du Nouveau Monde. L’idée est développée par Locke au siècle suivant, puis par Hume : le
pouvoir d’achat de la monnaie est inversement proportionnel à sa quantité. Pour Cantillon
(Essai sur la nature du commerce en général) : la vitesse de circulation de la monnaie peut
influer sur la hausse des prix.
A la fin du XIX°, Newcomb établit la première formule algébrique reprise en 1911 par
Fisher : MV = PT (dite aussi équation de l’échange). Plusieurs versions en ont été proposées
au cours du XX° : Pigou et Angell remplacent T par Y (revenu national).
Pour Pigou et Marshall, M = kPY, k=1/V : équation de Cambridge ou équation sur les
encaisses. Si on considère k comme ex ante, elle prend en compte tous les effets qui
influencent la demande d’encaisses nominales et donc le niveau de la monnaie. Mais k peut
être modifié par les mouvements sur les taux d’intérêt ou d’autres facteurs institutionnels qui
conduisent les agents à modifier leur comportement. Cette équation est appelée « équation de
la demande de monnaie » : la demande d’encaisses réelles (M/P) est proportionnelle au
revenu national.
Ce mécanisme est très important pour la théorie monétaire des années 50 à 70 : il est au cœur
de la relation entre monnaie et prix. Quand les agents économiques constatent une hausse de
leurs encaisses réelles, ils sont tentés de s’en débarrasser en augmentant leurs achats. Dans le
modèle néoclassique, l’économie étant supposée en plein emploi, cette hausse conduit à une
hausse des prix puisque l’offre de biens est rigide à court terme. C’est cool, mais on est en
situation de crise, alors le plein emploi, c’est pas ça !
Dans certains cas, l’effet de richesse ou de patrimoine entrave ce retour au niveau
initial des encaisses réelles : les agents, désireux de maintenir leur pouvoir d’achat, diminuent
leur consommation pour augmenter leur épargne. Pour Don Patinkin, cet effet introduit un
biais dans la théorie classique de la monnaie : dans le modèle walrassien, la monnaie est
neutre ; s’il existe un effet d’encaisses réelles, le désir des agents de maintenir le pouvoir
d’achat les conduit à modifier leur comportement d’achats sur le marché des biens =>
interférence des différents marchés. Cette théorie des encaisses réelles ouvre la voie à une
analyse plus intégrée de la monnaie. Il peut exister des situations multiples d’équilibre sur le
marché de la monnaie qui conduisent à la réalisation de l’équilibre sur le marc des biens, et
celui-ci peut être établi par une modification du niveau des encaisses réelles.
Effet d’encaisses réelles : Pigou et Patinkin supposent que les agents veulent détenir de la
monnaie pour elle-même afin de se prémunir contre les incertitudes. Cette quantité de
monnaie est réelle ; si le niveau général des prix augmente, la valeur réelle des encaisses
détenues tombe au-dessous du niveau souhaité, il y a donc demande de monnaie et baisse de
la demande des autres biens. Le prix diminue alors, et les agents peuvent dépenser une partie
de leurs encaisses : l’effet d’encaisses réelles est transitoire. Dans le long terme ne subsiste
que la hausse des prix due à l’accroissement de la masse monétaire.
Friedman montre que ce n’est pas la demande de monnaie qui est instable, mais plutôt
l’offre. Cette déduction constitue une rupture avec le dogme de Say et rompt avec l’hypothèse
d’une dichotomie totale : à court terme, il peut exister une influence de la politique monétaire
sur la sphère réelle. L’histoire monétaire des Etats-Unis : il existe une corrélation entre
variation du stock de monnaie et hausse du revenu (néo-quantitativistes). Cette analyse
affaiblit la théorie classique en introduisant l’hypothèse d’un lien, même à court terme, entre
monnaie et marché des biens. Elle favorise la vision endogène de la monnaie qui peut être
désirée pour elle-même.
Cette endogénéisation de la monnaie justifie dans les années 50 et 60 le recours à une
politique monétaire dans un processus keynésien. Cette révolution donne un nouveau statut au
crédit et à la création monétaire. La monnaie est chez Keynes endogène dans la mesure où sa
présence dans l’économie est liée aux besoins de la production. Le besoin de financement des
agents économiques détermine le crédit et, en contrepartie, l’émission de monnaie, ce qui
entraîne une révision de la conception du système bancaire et l’accord aux banques d’un rôle
fondamental.
2. Les conséquences sur l’activité économique : du principe
de circulation au principe de banques
Le principe de circulation est la conception défendue par Ricardo qui conduit à la
concentration du pouvoir monétaire au niveau de la banque centrale. La valeur de la monnaie
dépend du volume d’émission. Ricardo fixe comme objectif premier de la politique monétaire
la couverture-or des billets, assimilés à de la monnaie métallique : l’évolution de la masse
monétaire est fonction des stocks d’or. Le Peel’s Act de 1844 centralise l’émission monétaire
dans la Banque d’Angleterre et rend obligatoire la couverture des billets. Les cycles
monétaires sont donc liés à la découverte de mines d’or (Cassel).
Le principe de banque est défendu par Tooke dans An Inquiry into the currency
principle (1844). Il montre que l’inflation ne trouve pas son origine seulement dans l’abandon
de la convertibilité de la monnaie. Il existe des causes réelles : les guerres, ruptures dans la
production agricole, l’évolution du coût du travail. Freiner l’émission de monnaie en situation
déflationniste renforce le cycle dépressif. L’émission monétaire doit épouser les besoins de
l’économie. Le crédit est la contrepartie de l’activité économique, la création monétaire est
endogène à l’activité réelle. Il peut exister une partie de monnaie exogène, mais tous les autres
titres de paiement doivent évoluer au rythme de l’activité économique, sous peine de la brider
et de renforcer les cycles. Les crédits ne sont que des reconnaissances de dettes et suivent la
loi du reflux (Fullarton) : quand les créances détenues par les banques arrivent à échéance, les
billets émis refluent vers celles-ci (destruction de la monnaie initialement créée).
Cette théorie permet de comprendre le pouvoir discrétionnaire des banques : « les crédits font
les dépôts ». Le multiplicateur monétaire exprime les possibilités d’expansion de ce crédit,
d’autant plus fort que les fuites au système sont faibles. Le banking principle permet une
politique de création monétaire décentralisée et calée aux besoins de l’économie. Le risque
majeur est le non remboursement du prêt consenti (pas de destruction monétaire, émission de
monnaie sans contrepartie réelle). Les crises financières qui fragilisent l’économie sont
dénoncées dans les années 50 par Hayek et Allais.
II. Les modes de financement
A. Le mode de financement intermédié
Les agents non financiers confient leur épargne à des institutions qui, à leur tour, consentent
des crédits à d’autres agents non financiers.
1. Le crédit
Forme principale de l’intermédiation financière, il trouve son origine dans la définition
même de la monnaie. La mise à disposition des agents non financiers de monnaie par le
système bancaire leur permet d’économiser les coûts de transaction. Le crédit à court terme
finance les dépenses courantes de la production ou de la consommation, il existe aussi des
crédits à moyen terme mobilisables et des crédits à moyen-long terme. Le crédit à court terme
est remboursable au moment l’entreprise rentre dans ses fonds après vente de sa
productionn. C’est un moyen d’assurer durablement le financement de l’économie (lignes de
crédit reconduites régulièrement). Il peut s’agir d’une avance en compte courant ou une
escompte de papier commercial. La banque est un intermédiaire comme un autre, si ce n’est
qu’il pratique l’escompte proportionnel à la valeur de la créance. Mais ce processus est
assez lourd : aujourd’hui, l’escompte est pratiqué par simple présentation des factures. Le
crédit à court terme permet à l’entreprise de s’adapter à la conjoncture et de bénéficier d’une
liquidité suffisante.
Le crédit à moyen terme mobilisable est un crédit à l’investissement d’une durée
inférieure à 7 ans. Il peut être affecté à des secteurs privilégiés (habitat, exportation,
investissement rural, équipement) et bénéficier de clauses favorables. Aujourd’hui en voie de
disparition, il était après 45 pour financer la reconstruction en permettant aux banques de
réescompter des titres à 3 mois renouvelables pendant 5 ans (Jacques Rueff considère cette
technique comme la cause de l’inflation).
Le crédit à moyen long terme s’est développé au XX°. L’Etat a rendu cette technique possible
en créant des organismes spécialisés dont la fonction est d’accorder des prêts à long terme à
certains secteurs : Crédit Foncier (1852, habitat), Caisse des dépôts et consignations (1797,
collectivités locales), Crédit national (1945). Après 70, les autres banques ont été encouragées
à l’utiliser. Il a permis à de nombreux ménages d’accéder à la propriété (d’autant qu’ils
bénéficiaient de la situation inflationniste).
Depuis 45, l’influence importante des banques sur le mode de financement des
économies permet la mise en place d’une économie d’endettement (Hicks) : les agents
économiques disposent de fonds prêtés par les organismes bancaires. En France, elle trouve
son origine dans le faible recours de l’Etat au marché financier en raison de son faible
endettement après 45 et son désendettement (59-73). Parallèlement croissent les crédits au
secteur privé. L’Etat impose des taux faibles qui permettent aux banques de se pourvoir en
ressources peu coûteuses, les emprunteurs bénéficient de taux réels nuls, voire négatifs. Cette
politique d’argent bon marché stimule croissance, accumulation de capital, investissement,
voire surinvestissement. Des privilèges sont accordés à certains crédits, dits bonifiés (les taux
d’intérêt sont fixés en dessous du taux du marché, la différence est payée par l’Etat) qui
expliquent notamment la modernisation de l’agriculture.
Mais cette économie d’endettement engendre une forte création monétaire : dans le cas
français, l’étude faite par Lutfalle et Patat (Histoire monétaire de la France, 1987) montre que
M2 a augmenté de 14% par an entre 1948 et 1973, contre 5% pour le PIB. La monnaie a joué
un rôle crucial dans la dynamique de l’économie, mais aussi dans l’inflation.
2. Avantages et inconvénients de l’intermédiation
A l’issue de la période, on considère qu’il s’agit d’un mode de financement archaïque
en raison de l’endettement, voire du surendettement des agents et de la crise dans laquelle
l’économie est précipitée.
Pour la France, ce système a permis aux entreprises d’assurer leur financement (masse
de fonds propres très faible, pas de marché des capitaux). Cet endettement n’était pas lourd
tant que la croissance perdurait et que les taux d’intérêt restaient faibles. La structure de
financement a un effet d’entraînement pour la croissance, tant que celle-ci reste supérieure
aux taux d’intérêt réels.
L’entrée dans une économie ouverte rend impossible ce mode de financement. Le seul
moyen de lutter contre l’inflation est d’effectuer un contrôle administré de la masse monétaire
par encadrement du crédit (limitation ou affectation à certains secteurs). Ce contrôle est très
arbitraire : il empêche la fluidité du crédit et son allocation en fonction du seul calcul
économique (conséquences discriminatoires). Il faut donc s’orienter progressivement vers un
autre mode de financement, d’autant que les besoins des agents en capitaux sont de plus en
plus importants.
A la fin des années 70, on passe à une économie de marchés financiers du fait de l’importance
du déficit public et du refus de le financer par l’inflation : l’Etat doit faire appel à l’épargne
des agents économiques. Le renversement de politique conduit à une politique de taux
d’intérêt forts dictée par le renversement américain de 79.
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