Comment construire une séquence d`apprentissage ? (d`après une i

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Les modèles en apprentissage : comment construire une séquence ?
D’après Jean-Pierre Astolfi Conférence Université d’été – Marseille 1988
Georges Chappaz Hermès Formation Conseil - Création
Comment construire une
séquence d'apprentissage ?
(d’après une intervention à l'Université d'Eté - Toulouse, Juillet 1989)
Jean-Pierre Astolfi
1 - Dans quel modèle d'apprentissage se situer ?
On peut répertorier trois modèles principaux d'apprentissage qui sous-tendent,
consciemment ou non, les pratiques des enseignants de formation, avec toujours les
variantes que l'on peut imaginer. Chacun a sa logique, sa cohérence, mais aussi des
limites d'emploi. Surtout, chacun répond à des situations d'efficacité différentes qu'il est
important de bien repérer.
1.1 - Le modèle de "l'empreinte"
On peut employer le terme d'empreinte pour qualifier la conception la plus
traditionnelle de l'apprentissage par l'élève ou plus généralement de l’apprenant : celle de
la page blanche à écrire ou du verre vide à remplir. La connaissance viendrait s'imprimer
dans la tête de l'élève comme dans une cire molle, comme sur une bande magnétique
“vierge”. On voit que l'apprentissage est ici compris dans un schéma de communication
"émetteur/récepteur" assez rudimentaire.
La situation de l'élève est considérée de manière assez passive. Ce qu'on attend d'abord
de lui, c'est qu'il adopte certaines attitudes face au travail, lesquelles sont décelables à
travers les annotations traditionnellement portées sur les livrets scolaires : être "attentif",
être "régulier dans le travail et l'effort", faire preuve de "volonté", etc.
Cette "pédagogie de l'empreinte" est aussi une "pédagogie des idées claires": il suffirait
que le formateur s'explique clairement, qu'il commence par le début et expose les choses
de manière progressive, qu'il prenne aussi de bons exemples, et cela devrait suffire.
L'échec et l'erreur devraient ainsi être normalement évités. Si, malgré tout, ils se
produisent, ils font alors objet d'une sanction, car ces échecs sont considérés comme
relevant de la responsabilité de l'élève, lequel n'a pas adopté l'attitude attendue.
Cela signifie-t-il qu'il faille rejeter cette pédagogie ? Non, cela veut seulement dire qu'il
faut connaître les limites strictes dans lesquelles elle peut-être efficace. Par exemple,
quand on a affaire à un public motivé et averti :
- qui a fait la démarche de venir s'informer,
- qui dispose de structures intellectuelles comparables, grosso modo, à celles de
l'enseignant, pour que le message puisse passer par simple émission/réception,
- qui dispose déjà d'éléments de connaissances dans le domaine d'apprentissage
considéré, et qui peut profiter d'un exposé systématique pour organiser et restructurer
des informations préalables existantes, mais lacunaires et mal hiérarchisées.
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Il faut bien admettre que ces conditions ne sont en général pas remplies pour le public
d'aujourd'hui.
1. 2 - Le modèle du conditionnement
La pédagogie dite behavioriste, introduite par Skinner et Watson au début du siècle, a
constitué un essai pour sortir de ce premier modèle. Leur idée centrale est qu'il faut
considérer les structures mentales comme une boîte noire à laquelle on n'a pas accès, et
qu'il est plus efficace de s'intéresser aux "entrées" et aux "sorties" qu'aux processus eux-
mêmes.
On s'attache alors à définir les connaissances à acquérir non pas de manière
"mentaliste" (compréhension, esprit d'analyse ou de synthèse, …) mais en termes de
comportement ("behavior" en anglais) observable que l'on attend en fin d'apprentissage.
De là sont issus notamment l'enseignement programmé, une bonne part de la pédagogie
par objectifs (PPO) et de l'enseignement assisté par ordinateur (EAO). Toute la
méthodologie classique de définition des objectifs, popularisée par l'ouvrage connu de
Mager, dérive de ce modèle d'apprentissage. Chaque objectif y est, en effet, formulé
ainsi : l'apprenant devra être capable de suivi d’un verbe d'action. Un verbe d'action
(distinguer, nommer, reconnaître, classer…) et non un verbe mentaliste (comprendre,
savoir, réfléchir …), c'est-à-dire une "sortie", un comportement final attendu de l'élève.
Notons qu'on a souvent opposé faussement "objectifs de comportement" et "objectifs de
connaissance", sans voir que le "comportement" dont il est ici question n'est pas une
attitude ou une manière d'être de l'élève (sens usuel du mot) mais la manifestation
observable de la maîtrise d'une connaissance.
Dans ce modèle behavioriste, l'apprentissage résulte d'une suite de conditionnements.
L'enseignant découpe la tâche à réussir en unités suffisamment petites pour faire réussir
les élèves (stratégie dérivée du conditionnement animal que Skinner a étudié chez les
pigeons), puis les enchaîne entre elles de la me façon. Il récompense les premières
bonnes réponses obtenues ce qui permet leur renforcement positif.
C'est une pédagogie de la réussite, qui essaie d'éviter l'erreur grâce au découpage des
apprentissages. Si, malgré tout, celle-ci survient, elle est à charge de l'enseignant et/ou du
programme, non plus de l'élève. Et au lieu de la sanction du premier modèle, prennent
place ici remédiations, boucles d'apprentissage et réécriture du programme.
Ce modèle a sans doute eu des effets positifs (et reste un passage obligé dans la
formation des maîtres), car il lutte efficacement contre le dogmatisme verbal, et oblige à
se centrer sur l'élève et sur la tâche intellectuelle que celui-ci doit réussir. il fait prendre
conscience des écarts souvent considérables entre ce que l'on se propose de faire acquérir,
et ce qui se passe réellement pour l'apprenant. La traduction de l'activité des élèves en
objectifs comportementaux amène, en effet, à se rendre compte que ce sont les objectifs
de rang taxonomique inférieur qui sont de facto le plus souvent visés, par-delà des
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intentions ambitieuses.
Mais son efficacité maximale s'est avérée dans les apprentissages technique ou
professionnels, à court ou moyen terme. Pour les apprentissages à long terme - les plus
fréquents dans la formation générale - il y a rapidement trop d'objectifs simultanés et
l'apprentissage ne peut se réduire si facilement à une suite de comportements observables
terminaux.
Surtout, cette pédagogie fait l'impasse sur l'état initial des structures intellectuelles de
l'élève, sur leur transformation nécessaire et sur les obstacles que celles-ci doivent
franchir pour qu'un apprentissage soit réussi. Elle confond souvent le résultat produit (qui
n'est que le symptôme de l'apprentissage) avec le processus suivi (qui en est le coeur). On
peut bien réussir une tâche en contournant l'obstacle plutôt qu'en le franchissant, et c'est
bien d'ailleurs ce qu'ont fait les pigeons de Skinner !
1.3 - Les modèles constructivistes
La pédagogie constructiviste revient au "mentalisme" et s'interroge sur ce qui se passe
dans la fameuse "boite noire", tout en conservant la centration sur l'élève-apprenant.
Elle prend appui d'une part sur les travaux d'épistémologie de Bachelard (auxquels est
empruntée l'idée d'obstacle à franchir), d'autre part sur l'œuvre de psychologues comme
Piaget, Wallon, Vygotsky, Bruner, Rogers,
Ce qui, en un mot, différencie ce modèle des précédents, c'est le nouveau statut de
l'erreur qu'on peut y lire. Celle-ci n'est plus considérée comme une déficience de l'élève,
ni comme un défaut du programme : elle est reconnue comme étant au centre du
processus d'apprentissage. Il est donc utile que les erreurs s'expriment car elles sont
incontournables et, seul, leur traitement didactique permettra de les dépasser. "Vos
erreurs m'intéressent", disent les adeptes de cette pédagogie.
Citons encore une fois ce passage si connu de Bachelard qui, après cinquante ans
(1938), n'a rien perdu de son actualité :
« J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les
autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. (Ils) imaginent que
l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours refaire une culture nonchalante
en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant
point par point. (…) Il s'agit non d'acquérir une culture, mais bien de changer de culture,
de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. »
Il faut rattacher à ce courant, aujourd'hui dominant dans la recherche en éducation
(sinon encore dans les pratiques) l'étude des représentations des élèves face à un concept
enseigné, et la nécessité de les prendre en compte pour mieux les transformer. Egalement
le rôle de conflits socio-cognitifs dans l'apprentissage, l'interaction entre apprenants sur
un sujet qu'aucun d'eux ne maîtrise encore bien, pouvant aboutir à des progrès plus nets et
plus durables que ceux qu'on obtient grâce à l'intervention de l'expert. Même si ce dernier
joue le "maître ignorant" et la redécouverte.
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C'est l'intuition d'un tel modèle qui sert de référence depuis longtemps aux Mouvements
d'éducation nouvelle tels que le "CRAP-Cahiers Pédagogiques", et cela permet d'en
distinguer sommairement deux variantes.
- Le modèle de la "découverte"
La première variante présente l'apprentissage comme un processus "naturel", à
condition que l'on respecte la place centrale qu'y occupe le sujet-élève, sans lequel rien ne
peut réussir. Elle insiste sur l'idée d'"apprendre à apprendre", sur le renouvellement
prioritaire des attitudes face au savoir, sur l'importance des "savoir être"…, à partir de
quoi chaque enfant peut refaire le chemin de la découverte intellectuelle. Dans le cadre,
les connaissances particulières à chaque domaine apparaissent plutôt comme une
retombée utile des démarches bien conduites.
- Le modèle "didactique"
La seconde variante, qui prend corps avec les développements récents des didactiques
des disciplines, ne nie en rien cette place centrale du sujet apprenant, et lui procure même
une nouvelle vigueur, mais elle la juge insuffisante parce que trop simple. Elle insiste en
effet, et simultanément, sur la nécessaire analyse de chaque domaine du savoir et sur les
obstacles que les élèves rencontrent pour pouvoir se l'approprier. C'est alors la
combinatoire d'un intérêt égal pour les structures mentales de l'élève et pour la structure
conceptuelle du savoir, qui peut permettre d'améliorer les apprentissages disciplinaires.
2 - Repères pour construire une séquence d'apprentissage dans une optique
constructiviste.
C'est dans cette dernière perspective constructiviste que je propose maintenant, ci-
dessous, des points de repère qui peuvent être utiles pour la construction didactique d'une
séquence d'apprentissage.
Il s'agit bien d'une liste de référence à laquelle on peut se reporter lors d'une préparation
de séquence, et non pas de la liste prescriptive de ce qu'il faudrait nécessairement faire à
chaque fois(!).
2.1. Choisir le contenu de la formation qui va faire l'objet de l'apprentissage.
Il peut s'agir d'une notion, d’un concept, d’une relation, d’un processus, d'une méthode,
d'une technique, etc.
2.2. Identifier le profil de départ du groupe d’apprenants par rapport à ce contenu.
- Repérer notamment les représentations préalables qu'ils s'en font, les modes de pensée initiaux
qu'ils mettent en œuvre, et que la séquence de formation va avoir pour objet de faire
évoluer, de transformer, de construire…
- Utiliser pour cela, bien sûr, les éléments empiriques dont on dispose, par notre
connaissance des apprenants et notre expérience de cette formation.
- Mais penser qu'il est utile de prévoir, chaque fois que possible, une prise d'information
spécifique : questionnaire préalable à faire passer, entretien semi-directif avec le groupe
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ou quelques apprenants, sollicitation par l’intermédiaire d'un dessin, d’une image, d’un
schèma pour savoir plus précisément "où en est le groupe" avant la séquence.
2.3. Effectuer une analyse a priori de la matière à enseigner.
- Rechercher les quelques notions-clés (concepts clés) qui organisent la séquence, et
auxquelles on voudrait aboutir.
- Différencier ces "concepts intégrateurs" de la masse des informations élémentaires et
ponctuelles qui y est associée, notamment de la liste du vocabulaire technique
correspondant à ce contenu.
- Construire, si possible, une petite trame conceptuelle qui visualise les relations
logiques que l'on peut établir a priori entre les notions-clés ("squelette" ou "branches
maîtresses" de la séance) et les connaissances ponctuelles ("petites branches et feuilles")
qui, bien souvent, masquent pour les apprenants, la structure conceptuelle de ce qu'on
veut leur enseigner.
Attention ! Cette "trame" préalable ne fournit pas un ordre de succession chronologique
de ce qu'il y aura à enseigner ; seulement les liens logiques a priori entre les éléments du
contenu, quel que soit l'ordre de présentation que l'on adoptera.
2.4. Caractériser l'objectif-obstacle que l'on se propose de franchir.
- Confronter entre eux les deux éléments déjà repérés, c'est-à-dire les représentations
des élèves à transformer d'une part, et des notions-clés à faire acquérir d'autre part.
- Sélectionner, parmi les obstacles repérés, un obstacle qui paraît franchissable au cours
de cette séquence (ou d'un petit nombre de séquences) par les élèves que l'on connaît. Et
garder pour plus tard d'autres obstacles, également identifiés, mais dont le dépassement
paraît aujourd'hui hors d'atteinte.
- Caractériser le progrès intellectuel qui correspondra au franchissement de cet obstacle
par les élèves, et le formuler en termes d'objectif à atteindre.
Attention ! Ce qui importe, c'est la "hauteur de la marche" d'apprentissage, à laquelle cet objectif et ce
progrès correspondront pour les élèves.
Pour que la séquence ait des chances d'être efficace, il est important de choisir une tâche qui ne soit ni
trop facile (sinon il n'y a pas vraiment d'obstacle à franchir), ni trop difficile (sinon l'obstacle restera
infranchissable).
2.5. Construire un dispositif didactique qui soit cohérent avec l'objectif-obstacle choisi.
- Elaborer une situation-problème qui mette effectivement en oeuvre le travail de
l'obstacle, et oblige à le construire au lieu de le "contourner".
- Bien penser aux consignes de travail proposées aux apprenants, car on sait que celles-ci
sont souvent source de difficultés supplémentaires imprévues.
- Sélectionner les outils d'apprentissage mis en œuvre au cours de la séquence, aussi bien
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