Avenir Radieux, une fission française de Nicolas Lambert

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AVENIR RADIEUX, UNE FISSION
FRANÇAISE
Fiche pédagogique
Avenir Radieux, une fission française est le deuxième volet de la trilogie BLEU BLANC -ROUGE de Nicolas Lambert, consacrée à l’a-démocratie française du point
de vue de ses grandes sources de richesse. Pétrole, nucléaire, armement...
Le « a » privatif donne le ton de l’engagement du spectacle et permettra de proposer
ici une entrée particulière : Qu’est-ce que ce genre nouveau, dont Nicolas Lambert est
peut-être à l’origine, le théâtre documentaire ou le documentaire théâtral ?
En 3ème, la pièce peut s’inscrire dans le volet Histoire des Arts, « Arts, États,
Pouvoirs » ou dans une thématique élargie de l’engagement à partir de la poésie
engagée voire de la question du regard sur l’histoire et le monde contemporains, pour
le roman et la nouvelle du XXIème siècle. Les Instructions qui invitent « l'élève à
s'interroger sur les problèmes de l'humanité et les grandes questions de notre monde et
de notre temps. » trouvent dans ce spectacle une mine (BO spécial n°6 du 28/8/2008).
Au lycée le spectacle entre parfaitement dans l’Éducation aux médias préconisée en
classe seconde et première. « Le professeur de lettres a un rôle majeur à jouer pour
faire acquérir cette compétence aux élèves. Son objectif est de développer leur
autonomie afin de les aider à se servir librement et de manière responsable des médias
modernes, comme supports de pratiques citoyennes mais aussi créatives. » (BO
spécial n°9 du 30 septembre 2010). La fiche se propose d’être un parcours dans la
revue de presse et le dossier qui accompagnent la pièce.
AVANT LE SPECTACLE
Par groupe de quatre, deux groupes pour chaque thème de travail, le dossier du CDOI
sert de support. Pour la revue de presse on peut ajouter d’autres extraits reproduits en
annexe.
1. L’auteur Nicolas Lambert.
Retracer les éléments qui rattachent Nicolas Lambert à un projet d’éducation du
public. (page 2 du dossier du CDOI)
Il s’agit de sélectionner les informations en fonction d’un objectif de présentation
ciblé : famille qui ne va pas au spectacle, venu au théâtre par son parcours scolaire
et universitaire, compagnie qui joue dans les ZEP, etc.
2. La trilogie
Page 3 du dossier
Quel est le titre de la trilogie ? Pourquoi ces trois couleurs ? À quelle autre
« trinité » peut-on se référer ? (la devise de la République) Quel type de théâtre
Nicolas Lambert veut-il promouvoir ? Avec quels thèmes ? Comment travaille-til ? Quel horizon d’attente suggère le titre du spectacle ?
3. La note d’intention
Pages 5 et 6 du dossier
Qui la rédige ? Que signifie « note d’intention » ? Quelles sont « ces choses-là »
dans la première phrase de la note ? Quel théâtre Nicolas Lambert veut-il faire ?
Quel est le thème du spectacle ? Que veut faire Nicolas Lambert avec son
spectacle ? À quel manque déclare-t-il vouloir remédier ?
4. La revue de presse
Pages 7-8 du dossier et annexes.
On peut reposer les questions de la note d’intention. Quel théâtre l’auteur souhaite-til ? Quel est le thème du spectacle ? et en ajouter d’autres : quels sont les matériaux de
base du spectacle ? Quels sont les trois fils du travail de Nicolas Lambert ?
5. Les photos du dossier, le site internet et les vidéos.
Enfin on peut proposer de réfléchir sur les photos pour prévoir un peu le spectacle.
Combien d’acteurs ? Quel dispositif ? Pourquoi ces choix ?
Le site de la compagnie propose des extraits de Elf, la pompe Afrique.
http://www.unpasdecote.org/UnPasdeCote/Videos.html
Visionner un extrait permet d’anticiper sur les effets documentaires.
Nicolas Lambert produit un théâtre vrai, destiné à informer, à entrer dans le débat
public, à remettre en question certaines vérités et à exercer l’esprit critique. Il se fonde
sur un travail journalistique, de reporter, qu’il transforme par le biais du théâtre dans
un but éducatif et citoyen.
C’est la conclusion à laquelle on voudrait voir aboutir les élèves et qui pourrait
répondre à la problématique de départ : qu’est-ce que le théâtre documentaire ?
PENDANT LE SPECTACLE
1. Le comédien
Comment jugez-vous de la performance de l’acteur Nicolas Lambert ?
2. Le thème
Qu’avez-vous appris, compris ? Quels éclaircissements souhaiteriez-vous ?
3. la musique
Quel est son rôle ? Qui joue et quoi ?
4. La lumière
L’éclairage joue-t-il un rôle particulier et lequel ?
APRÈS LE SPECTACLE
Si on a la chance de rencontrer Nicolas Lambert, des questions peuvent venir sur ses
débuts au théâtre, sur son projet artistique et citoyen, et tout autant sur le nucléaire ou
l’actualité récente.
On peut aussi retravailler à la lueur du spectacle les articles de presse.
Enfin on peut organiser une discussion sur les mérites de ce théâtre documentaire.
ANNEXES
lundi 12 septembre 2011
Nicolas Lambert : "Le nucléaire, en France, c'est Secret Défense"
par Benjamin MiNiMuM
Après s’être attaqué à la politique pétrolière française, avec Elf la pompe Afrique, et avant
d’aborder la question de l’armement dans l’économie hexagonale, la nouvelle pièce de
Nicolas Lambert est intitulée Avenir radieux, une fission française. Accompagné des vidéos
d’Erwan Temple et de la contrebasse d’Eric Chalan, le comédien et metteur en scène
interprète 23 personnages pour pointer l’étonnante gestion du nucléaire dans notre pays.
Quelles sont les particularités du modèle nucléaire français ?
Nicolas Lambert : La France est incomparable en ce domaine et ce n’est pas un
modèle. C’est le seul pays au monde à avoir développé autant l’industrie nucléaire dite
«civile». C’est amusant d’ailleurs : on dit nucléaire « civil » par opposition au nucléaire
« militaire », parce que le terme « atomique » renvoie trop directement à la bombe.
Parler « d’énergie atomique » serait trop signifiant. Pour notre électricité, nous
dépendons du nucléaire à 75 ou 80% selon les années. C’est unique au monde.
Pour Elf, la pompe Afrique, vous aviez travaillé à partir des audiences du procès Elf de
2003. Sur quoi vous êtes vous fondé cette fois-ci ?
Je suis parti de trois fils distincts. D’abord, les discours institutionnels au cours des
soixante dernières années. Ceux des Présidents de la République, du gouvernement,
ceux exprimés devant l’Assemblée nationale. C’est sous la Quatrième République que
la République se nucléarise, et non pas sous de Gaulle. Ensuite, j’ai suivi l’ensemble
des débats publics autour de la construction d’un réacteur nucléaire à Penly, près de
Dieppe, en Normandie. Le collectif grenoblois Pièce et Main-d’œuvre a produit des
analyses remarquables sur ce sujet. Enfin, je m’appuie sur l’interview qu’a donnée à
deux journalistes allemands un homme de l’ombre essentiel à la compréhension de
notre « démocratie » : Pierre Guillaumat. Ancien ministre de la guerre qui, après avoir
dirigé le Commissariat à l’Energie Atomique, créa la compagnie pétrolière Elf... Avec
ces trois fils, je tresse mon scoubidou.
Que vous ont appris vos recherches quant à l’état du parc nucléaire français ?
Secret défense. Le rapport sur le sujet demandé par l’elysée à M. Roussely [ancien
président d’EDF] a été classé avant sa parution.
Sur le recyclage des déchets ?
Secret défense.
Comment circule l’argent du nucléaire et quelles sont les sommes en jeu ?
Secret défense.
Quelles conclusions retirez-vous de la mise en perspective de ces éléments ?
Etonnant tous ces «Secret défense» sur des sujets non militaires, non ?
L’accident de la centrale de Fukushima peut-il remettre cette politique en question ?
En France, non. Les intérêts sont importants, vous savez.
Quelles seraient les alternatives réalistes pour sortir du tout nucléaire ?
Tant que les atomes civils et militaires seront liés, la France ne quittera pas un
système qui lui confère une place majeure dans la prolifération nucléaire. Et fait d’elle
une puissance diplomatique de premier plan siégeant au conseil de sécurité de l’Onu.
Sinon, ce serait très simple de sortir du nucléaire. L’immense majorité des pays de
l’Union européenne s’en passe très bien. Que je sache, l’Italie, l’Autriche ou la Norvège
ne sont pas restés à l’âge de pierre. La part de l’énergie nucléaire, c’est 4% dans le
monde, pas plus. La part des énergies renouvelable est bien plus considérable.
Cassandre Le vendredi 1 juillet 2011
Secrets et mensonges de l'a-République
par Céline Delavaux
Après le pétrole, le nucléaire... et là encore, Nicolas Lambert transcende le sujet!
À partir d'un remarquable travail de recherche et d'analyse, l'auteur-interprète
d'Elf, la pompeAfrique s'est fabriqué un matériau théâtral, a composé un
scénario tissé serré qui nous rend limpides des problématiques stratégiquement
maintenues dans l'ombre.
Mieux qu'à la radio...
Nicolas Lambert a commencé le théâtre dans les années 1980, période où fleurissaient
les radios libres, et n'a cessé de mener les deux activités de front. Il invente aujourd'hui
sa manière de faire du théâtre en tissant
ensemble les fils de ces deux pratiques: il " se transforme en poste de radio au théâtre
»' . Le travail préparatoire de ses spectacles ressemble à celui d'un documentaire
radiophonique : lectures, enquêtes, analyses et montage de textes. Un travail colossal:
pour Elf, la pompe Afrique,Lambert a assisté à toutes les audiences du « procès Elf »
pendant quatre mois; Avenir radieux :une fission française représente cinq années de
recherches. Et le comédien ne manque pas de rappeler que c'est à cela que sert "
l'intermittence » de son statut d'artiste.
Le pétrole, la Françafrique, la géostratégie, le nucléaire sont des sujets de spécialistes
auxquels Lambert s'attelle en néophyte. Mais sa volonté de comprendre la fabrication
du discours dominant se révèle d'une implacable efficacité... Le projet consiste à
mettre en lumière le fonctionnement d'une économie où les industries du pétrole, du
nucléaire et de l'armement sont intimement liées à celles du divertissement et
de l'information.Ce seul constat devrait faire frémir d'angoisse et de dégoût tout citoyen
démocrate!
" Je commence par accumuler de la documentation. Ensuite, j'essaie de voir ce qui
peut incarner ces concepts. Pour Elf, j'avais assisté à plein de procès (les emplois
fictifs, Juppé, les HLM ... ) avant de décider de représenter le "procès Elf '. Ce qui
m'intéressait au départ, c'était de voir comment se révélait le financement du RPR. Sur
le nucléaire, je voulais du foisonnant, de l'électrique, du tourbillonnant, une structure
atomique, un centre et plein de choses qui tournent autour.Je me suis d'abord attaché
au discours officiel, institutionnel, à toute la propagande nucléocrate, puis au discours
antinucléaire. D'un côté, les antinucléaires ont un discours qui reste manifestement
inaudible, sinon nous ne serions pas le pays le plus nucléarisé de la planète. De
l'autre, des industriels sont prêts à investir en communication le prix de la centrale
qu'ils sont en train de construire, alors qu'ils n'ont rien à vendre! » Nul parmi nous n'est
effectivement tenté d'acheter de l'uranium enrichi! À quoi servent ces indécents
investissements si ce n'est à la propagande? Il y a bien lieu de s'interroger pour se
défendre.
Radiographie de la question nucléaire
Avenir radieux, une fission française pourrait se décrire comme un immense canevas.
La toile de fond se compose de séances du " débat public autour de la construction
d'un nouveau réacteur type EPR à la centrale nucléaire de Penly" 1 : paroles croisées
de représentants d'EDF, de délégués de l'Autorité de sûreté nucléaire, d'élus, de
quelques citoyens, du collectif « Non à l'EPR, ni à Penly, ni ailleurs », ou encore, en
point d'orgue, le témoignage alarmant d'un " invisible du nucléaire " 2... Sur ce tissu de
non-dits de la part d'EDF et d'interrogations citoyennes viennent se greffer des
discours politiques, de 1950 à 2010, annoncés par des cartons, comme au cinéma
muet, et accompagnés d'images d'archives. Nicolas Lambert joue les débats de
l'Euratom à l'Assemblée nationale en 1956, interprète les discours des présidents de la
République successifs ou de leurs ministres, du plus drôle au plus affligeant. Et l'on
retrouve, comme un refrain, Pierre Guillaumat, ministre des Armées sous De Gaulle ,
administrateur du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) et créateur d'Elf-Aquitaine:
un homme dont les manuels d'histoire ne parlent pas et qui a pourtant joué un rôle
fondamental dans notre pays, ne serait-ce que dans la bascule du nucléaire militaire
au nucléaire civil.
On apprend énormément dans le spectacle Avenir radieux : l'échec complet du projet
d'indépendance énergétique qui était censé donner un rang d'importance à la France,
par exemple. En 1973, sans consulter la population française ni même le parlement, le
Premier ministre Pierre Messmer puis le Président Valéry Giscard d'Estaing décident
de la construction d'un gigantesque parc nucléaire en France. Ce sont des réacteurs
sous licence américaine Westinghouse qui sont choisis: aujourd'hui encore, 54 de nos
58 réacteurs sont américains.. . Vive l'indépendance! On fait le lien entre la dette
contractée par la France à l'égard de l'Iran en 1974 pour la construction d'Eurodif (1
milliard de dollars, deux réacteurs et livraison annuelle d'uranium enrichi) et les
attentats parisiens des années 1980 (qualifiés d'« islamistes » !) jusqu'à l'assassinat de
Georges Besse (fondateur d'Eurodif) qui pousse enfin la France à rembourser le tiers
de sa dette. .. On apprend aussi que, depuis 2009, suite à un arrêté du 5 mai,
l'incorporation des déchets radioactifs dans des produits de consommation courante
est permise... Ce contenu paraît ardu? Il l'est, mais le tour de force de Lambert réside
dans sa capacité à ramener ces questions à la mesure de tous, à l'échelle de l'homme
citoyen, en les incarnant à lui tout seul.Un scénario vif, mordant, souvent drôle,
l'accompagnement subtil de la contrebasse d'Éric Chalan, l'éclairage soigné d'Erwan
Temple : le travail théâtral opère, en nous donnant de la hauteur, en nous offrant des
clés pour sortir de notre apathique renoncement.
Une trilogie - machine de guerre
Avenir radieux constitue le deuxième volet d'une trilogie intitulée « Bleu - Blanc Rouge » consacrée à l'« a-démocratie française » . La thématique du nucléaire
succède à celle du pétrole et précède un travail sur l'armement.
Avec ce projet mégalomane, Nicolas Lambert se demande «comment être utile ici ? » ,
dans un contexte qu'il est bon de rappeler. L'Organisation mondiale de la santé (OMS)
recommande à toute personne vivant jusqu'à 500 kilomètres d'une centrale d'avoir des
pastilles d'iode en permanence sur elle. En France, cette norme de sécurité a été
réduite à 10 kilomètres. .. Cependant, quand une centrale a explosé au Japon, la
France a rappelé sur le champ ses ressortissants résidant à Tokyo (à plus de 200 km,
donc) . Au bout de quelques semaines, la zone japonaise interdite à l'humanité s'étend
sur 20 km.Or, en France, les élus qui vivent à plus de 10km d'une centrale- Nicolas
Lambert en a rencontré en nombre - n'ont aucune idée de ce qu'il convient de faire en
cas d'accident.
« Cette réalité française est inacceptable, voyez ce qu'en dit l'OMS qui est loin d'être
un repère de dangereux anarchistes antinucléaires! Tout en sachant que l'OMS n'a pas
le droit de se prononcer sur le nucléaire sans l'accord de l'AlEA (Agence internationale
de l'énergie atomique), dont les objectifs sont de "promouvoir le nucléaire" ! Mon désir
est d'éveiller la conscience d'un public, d'alimenter son appétit de connaissance, afin
qu'il agisse ensuite. Que les gens puissent aller demander au maire de leur ville de
leur rendre des comptes, sur le passage de trains qui charrient des déchets
dangereux, par exemple. Peut on prendre de tels risques, non maîtrisables,
irréversibles, pour un confort de quelques euros ? Puisque l'électricité française est un
tout petit peu moins chère que l'électricité italienne. Est-ce que le jeu en vaut la...
centrale ?! Je n'en suis pas certain . »
La trilogie de NicolasLambert s'apparente à une sorte de machine de guerre lancée
contre un système financier qui ronge la démocratie. Et le théâtre en est l'arme
pacifique, l'outil...
Le théâtre, outil d'éducation populaire
« Un outil, absolument, affirme Nicolas Lambert. J'attends du théâtre, comme de la
radio, qu'ils me soient utiles. Si le théâtre ne sert pas à faire de l'Éducation populaire,
alors je ferai autre chose... » Sa méthode s'inscrit dans la tradition de la commedia
dell'arte : des comédiens qui allaient de ville en ville et mettaient leurs outils artistiques
au service des gens qu'ils rencontraient. Dans ce contexte, être seul en scène et
disposer d'une structure légère sont des avantages : il lui est important de pouvoir
jouer partout avec sa compagnie Un Pas de côté, dans une grange, un bistrot comme
sur une scène nationale, pour
une petite association comme pour une institution.
Pourquoi la référence à l'Éducation populaire ? « Parce qu'on ne peut passer du lycée
au divertissement télévisé: c'est trop violent! Je pense qu'il faut continuer à se former,
à grandir et ne pas baisser la garde face à un système qui ne demande que ça. Le but,
c'est de mettre en place un mécanisme de réflexion en ayant donné un certain nombre
d'outils et de munitions pour repartir mieux armé pour affronter le discours dominant.
Nous sommes dominés par un discours : il faut donc savoir comment il fonctionne,
comment il est fabriqué, par qui et peut être pour quoi. C'est l'objet de ce travail
artistique. »
En juin dernier, à l'occasion des représentations d'Elf et d'Avenir radieux au festival
TaParole à Montreuil, une table de presse réunissait des publications sur le sujet. «
Pour que le public puisse repartir avec quelque chose à lire, à se faire passer... C'est
par capillarité que les bases de ce système-là peuvent s'effondrer. Notre travail, c'est
de faire les termites, de s'attaquer aux fondements. Ce système se défend très bien,
mais il est fragile. »
Finalement, c'est aux activités des plus gros employeurs d'intermittents du spectacle
que le comédien s'intéresse là, à ces acteurs qui cumulent tous les mandats dans
notre société et qui se nomment Lagardère, Bouygues ou encore Bolloré ...
« On est en droit de mettre en cause ces employeurs-là, qui sont aussi ceux qui
construisent des centrales nucléaires. Pourquoi ont-ils besoin de s'intéresser à la radio,
à la presse, à la télévision? Il y a une urgence à interroger leur légitimité. C'est un
devoir. Le statut d'intermittent du spectacle, le fait d'être payé par la collectivité crée un
devoir, celui de continuer à être au service de cette collectivité. C'est un métier de
service public. »
À l'issue d'Avenir radieux, j'aurais effectivement pu penser au rôle primordial du
comédien, du poète dans notre société, mais c'est le mythe de la caverne
platonicienne qui m'est venu à l'esprit. Le théâtre de Nicolas Lambert nous sort de la
caverne: fini le confort de l'ignorance et la douce anesthésie procurés par les images
projetées par les sophistes au fond de nos logis. À la sortie, la lumière est
éblouissante, mais nous nous sentons plus forts et plus libres... et le travail ne fait que
commencer.....
* Les propos de Nicolas Lambert ici cités sont issus d'un entretien réalisé en mai 2011
.
l. Le deuxième réacteur de type EPR (European Pressurized water Reactor) sera
construit à partir de 2012 sur le site de Penly(Seine-Maritime).
2.Chaque année, entre 20000et 30000 travailleurs interviennent en sous-traitance
dans l'industrie nucléaire. Robinetiers, calorifugeurs,mécaniciens,électriciens,
soudeurs sont directement affectés aux travaux sous rayonnements. Ce sont eux qui
nettoient les réacteurs des centrales. Cette population ouvrière travaille dans des
conditions hors-normes. Soumis aux rayonnements radioactifs lors de leurs activités,
ces « invisibles du nucléaire» ne bénéficient pas du même suivi médical que les agents
EDF: Certains d'entre eux sont nomades et se déplacent au gré des chantiers.
L'énorme pression qui pèse sur ces sous-traitants pose de sérieux problèmes quant à
la sécurité des centrales. .
dimanche 1 mai 2011
NUCLÉAIRE, ARMEMENT, PÉTROLE
La sainte trinité de la Ve république.
propos recueillis par Louis Tamanoir
Nicolas Lambert n'est pas plus homme de théâtre que militant et
documentariste. Comprendre: il est tout cela il la fois. Au travers d'un
ambitieux triptyque théâtral, il décortique les peu ragoutants dessous de la Ve
République. Entretien.
Tu bosses sur trois sujets -soit autant de pièces qui se complètent et se répondent...
Je me suis dit, un jour : il y a trois sujets qui crèvent les yeux et ne son jamais traités.
Pétrole, nucléaire, armement. J 'ai donc décidé d en faire un triptyque théâtral: Elf la
pompe Afrique, Avenir radieux, une fission française (les premières représentations se
tiendront d'ici peu] "] et une troisième pièce, à venir, sur l'armement. L'objet de ces
pièces est en fait la Ve République - ou comment « liberté, égalité, fraternité » a été
remplacé par « pétrole, nucléaire, armement ». D'où un premier constat : l'adversaire
n'est pas seulement le capitalisme, mais aussi ce parti gaulliste qui a pris, par coup
d'État, le pouvoir en 1958.
Cette trilogie se propose d'être une histoire de l'a -démocratie française - le « a » est
privatif. Avec pour idée qu'on ne peut pas bien comprendre notre vie politique si on
n'intègre pas ses rapports avec le nucléaire, l'armement et le pétrole. Parce qu'on
retrouve dans ces trois secteurs les mêmes protagonistes. Et parce que le système de
financement occulte du parti majoritaire en dépend. Le président actuel, comme son
prédécesseur, se fait appeler «VRP de l'industrie française ». Mais quand on précise
qu'il est VRP de l'armement, du nucléaire et du pétrole, quand on découvre les chiffres
des commissions ou rétro-commissions circulant, et quand on sait que cet argent va
notamment financer son parti politique - qui se trouve être presque toujours au pouvoir
depuis 1958... bref,quand on met ces informations bout à bout, notre vie politique
s'éclaire sous un autre jour.
Note que si un coin du voile se soulève parfois, ce n'est pas grâce au travail de
l'opposition. Seule la faille traversant le parti gaulliste - d'un côté la filiation De Gaulle,
Chirac, De Villepin, et de l'autre Pompidou, Balladur, Sarkozy - fait à l'occasion
exploser certaines vérités, nous donnant des éléments de compréhension. Si ce parti
fonctionne bien tel que la justice - au travers de quelques affaires emblématiques nous permet de le subodorer, son trésor de guerre est considérable.
C’est ce que tu détailles dans Elf, la pompe Afrique.
Avec cette pièce , il s' agissait - et il s'agit toujours - d'aborder de façon frontale la
question du financement des partis.Pour cela, je suis parti du procès Elf que j'ai suivi
de bout en bout, de mars à juillet 2003; cette affaire où la compagnie pétrolière s'est
portée partie civile contre trente-sept prévenus, accusés d'abus de biens sociaux, a
largement éclairé les sombres rouages de la Françafrique.
Ce n'était pas forcément facile à représenter. Sur scène, je suis le seul comédien; je
change donc sans cesse de personnage. Pour El!f, la pompe Afrique, j'en joue dix ;
pour la version en préparation d'Avenir radieux, j'en sui s à vingt-trois personnages.
C'est très rigolo à faire, un peu comme du jonglage. L'idée est d'incarner un concept,
de le rendre intelligible. Il s'agit de penser des domaines - pétrole, nucléaire, armement
- si omniprésents qu'ils en deviennent hors-champ.
C'est donc une forme de documentaire ?
Pourquoi «une forme? Prends la pièce sur Elf : tous les dialogues sont des verbatims
d'audiences, et les gens sont précisément nommés. Il faut désigner l'adversaire, et
puis cela m'oblige à une vraie rigueur.
J'aime bien cette idée : devenir média. Je mène d'abord une enquête au sens
journalistique du mot - ça fait deux ans que je travaille sur le nucléaire. Mais au lieu de
diffuser le résultat à la radio ou dans la presse, j'en deviens le support, pour proposer
un documentaire intelligent et vivant. L'idée est de mettre du théâtre là où il n'y en a
pas. Et d'intégrer du militant au théâtre.
Je suis surpris qu'il n'y ait pas plus de compagnies théâtrales pour saisir cet enjeu
essentiel. Expliquer le monde . Chez moi, le déclic s'est opéré lors du mouvement des
intermittents de 2003 : il y avait alors un vrai foisonnement, avec plein de trucs
géniaux. Je me souviens d'un clown formidable incarnant le recalcul des indemnités : il
l'incarnait vraiment, avec les graphiques, les courbes... Je me suis dit «Super - on va
tous faire ça ! Sauf que non : ça ne s'est pas fait . Sans doute à cause d'un certain
manque de confiance dans l'outil.
Et d’un refus de l’actualité?
Dans mon cas, l’enjeu est d’être en prise avec l’actualité, mais sans se retrouver limité
par elle : dans un an, je jouerai encore le spectacle. Sur le nucléaire, je me retrouve
finalement rattrapé par l’actu... Les copains à qui j’ai montré une première version de la
pièce m’ont d’ailleurs demandé : «Mais pourquoi ne parles tu pas de Fukushima?» Ce
n’est pas le sujet.
C'est quoi, le sujet?
En résumé : comment - en France - nous a-t-on vendu le nucléaire sur le mode d'une
histoire merveilleuse, celle d'une nation accédant à l'indépendance énergétique par la
seule vertu des réacteurs. Et comment - incidemment - discrédite-t-on toute
contestation.
C'est très frappant pour Fukushima , le débat public n 'a pas duré plus de deux
semaines...
Deux semaines ? Tu es gentil : j'aurais dit «cinq jours », avant que les médias n'en
parlent pratiquement plus. Normal : si ces mêmes médias devaient se priver des
budgets pubs d'Areva et d'EDF, ils mettraient la clé sous la porte...Tu ne t'es jamais
demandé à quoi servaient les pubs de ces entreprises? Pourquoi promouvoir un
produit qui n'est pas à vendre ? Quand Carrefour achète des espaces publicitaires,
c'est pour piquer des clients aux concurrents. Mais Areva? Ses pubs ne me poussent
pas à allumer mes interrupteurs pour faire tourner l’électricité à plein...Alors ?
Je me suis fait communiquer le montant des budgets publicitaires d'EDF et Areva.Soit
cinquante millions d'euros par an (hors masse salariale et coûts de conception) pour
chacune de ces entreprises. Le calcul est simple : sur dix ans, un milliard d'euros a
ainsi été reversé aux médias français. Tout est dit
Tu débutes d’ailleurs Avenir Radieux sur ce constat...
Ensuite, je tire trois fils différents. Le premier est classique : il s'agit de propos
institutionnels, tenus du début de la IV~ République à aujourd'hui. Le deuxième met en
lumière un homme de I"ombre : Pierre Guillaumat. Ancien des services secrets du
général De Gaulle en Algérie sous l'occupation, il fut aussi ministre de la Guerre
pendant la Guerre d'Algérie et président du Commissariat à l'énergie atomique, avant
de créer et diriger Elf Avec lui, nous nous trouvons en plein dans cette trilogie que
j'évoquais - fondement de la Ve. Quand tu vends du nucléaire, tu vends de l'armement.
Les deux vont ensemble - et c'est ce qu'énonçait clairement Pierre Guillaumat dans
l'une des rares interviews qu'il a accordées. Nucléair e civil et militaire sont les deux
faces d'une même médaille.
Troisième fil, j'ai suivi le débat public sur l'EPR de Penly - l'EPR est un nouveau design
de réacteur, vendu concurrentiellement par Areva et EDF, et présenté comme plus sûr.
Le président de la République a en effet décidé que la centrale de Penly accueillerait
un troisième réacteur à compter de 2012; la loi impose la tenue d'un débat public, mis
en place par la Commission du même nom. J'ai suivi les treize réunions organisées, et
j'en ai appris beaucoup sur la façon dont on nous refourgue le nucléaire - avec ce
même processus d'acceptabilité que celui pointé, à propos des nanotechnologies, par
le collectif Pièces et Main d'OEuvre.
Il ne peut rien sortir d 'un tel débat?
Rien , même si ses membres essayent de faire leur travail . Dans le cas de Penly, ils
ont ainsi accédé à la demande d'une association questionnant le choix d'un réacteur
supplémentaire.Une contre-expertise a eu lieu, confiée à une agence indépendante qui
a démonté systématiquement tous les arguments d'EDF. Et puis ? Rien ... A la fin, les
membres de la Commission ont remis un rapport à l' Élysée, expliquant globalement
qu'il ne fallait pas de nouveau réacteur, que celui-ci allait juste servir de vitrine au
savoir -faire d'EDF et que l' électricité produite allait, de toute façon, être revendue à
l'Angleterre - la France a suffisamment de centrales...L'Élysée a pris acte. Et a balancé
le rapport au fond d'un tiroir.
Et les habitants de la région?
A Dieppe, ils ont déjà la «chance» de compter six réacteurs aux alentours directs, à
Penly et Paluel. Et la commission est censée leur demander s' ils en veulent un de plus
? Mais ils s'en fichent.. Six ou sept, pour ce que ça change... Surtout que rien n'a été
fait pour qu’ils participent. Pour annoncer les réunions, il y a eu un petit papier dans le
canard local, et douze affiches d'apposées. Moi, je ne risquerais pas un spectacle avec
ces moyens-là : on se planterait direct.. Alors qu’un tel débat devrait - a minima - être
diffusé sur le service public.
Tu ne trouveras personne, dans les médias ou chez les politiques, pour se mettre à la
hauteur de l'enjeu. Pour rappeler que le nucléaire ne représente que 4% de l’énergie
mondiale. Pour souligner que l’Italie, qui n’a pas de nucléaire, n’est pas exactement un
pays de sauvages s’éclairant à la bougie.... Et pour marteler que les dégâts causés
sont irréversibles. Fukushima ne sera plus jamais habitée par l’homme. Jamais.
Comme Tchernobyl : là-bas, 25 ans après la catastrophe, ils disent qu’ils en sont à la
25e marche qui mène à l’enfer...
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