Introduction 500 millions de personnes sont exposées aux risques volcaniques : retombées de cendres, nuées ardentes, écroulement de pentes, tsunamis, coulées de lave, gaz volcaniques… Des villes importantes se sont développées aux pieds de volcans connus pourtant pour être dangereux. Qu’une éruption du Vésuve comme celle de 1631 survienne, et 700000 napolitains sont directement menacés. Depuis une centaine d’années, dans chaque pays, après chaque catastrophe volcanique, la recherche en volcanologie a été développée grâce aux moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics. Les Nations Unies ont décrété 1990-2000, décennie internationale pour la prévention des catastrophes naturelles, et ont demandé à chaque pays de développer les recherches. Comme il n’est pas convenable de déplacer les populations vivant dans les zones à risques ou de les empêcher d’y revenir après une catastrophe, il faut que les scientifiques parviennent à prévoir le réveil d’un volcan et le déroulement de son éruption pour que les autorités civiles soient en mesure de prendre les décisions qui s’imposent. La recherche fondamentale sur les mécanismes éruptifs, fondement de toute surveillance et de toute prévision d’éruption volcanique, est donc indispensable. 1. De Vulcain à la volcanologie De nos jours, le spectacle d’une éruption volcanique, explosion ou coulée de lave, fascine, enchante, bouleverse, inquiète le témoin du phénomène, quelles qu’en soient ses connaissances. Rien d’étonnant alors à ce que les volcans aient toujours frappé l’imaginaire populaire. Un phénomène aussi inhumain, mystérieux et grandiose qu’une éruption volcanique ne pouvait être dû qu’à l’intervention de divinités ou de démons. Les volcans ont donc souvent été considérés comme leurs demeures et devenaient alors des lieux sacrés. Et actuellement encore, ces croyances persistent dans de nombreuses contrées. Volcan : manifestation des humeurs divines Dans l’Antiquité, pour les Grecs de Sicile, le mot etna était synonyme de volcan ; Héphaïstos, dieu du Feu pour les Grecs, avait établi sa forge dans les entrailles de l’Etna et les cyclopes, ses adjoints, y forgeaient le sceptre de Zeus, les armes d’Apollon, d’Hercule ou d’Achille. Les explosions de l’Etna n’étaient que les étincelles jaillissant de la forge. L’Etna servait aussi de prison au géant Encelade qu’Athéna y avait enfermé pour le punir de s’être révolté contre les dieux. Tremblements de terre et éruptions volcaniques étaient les manifestations de son désespoir. La demeure de Vulcain, dieu du Feu chez les Romains, dans les îles Eoliennes, et on trouve ici l’origine du mot « volcan ». Au Japon, le Fujiyama, volcan est le royaume du dieu Soleil ; au Pérou, ce sont les démons qui vivent dans le Misti ; en Orégon, sur la côte Ouest des Etats-Unis, le dieu du Feu des Indiens règne sous le mont Mazama. Il va de soi que la méchanceté ou la colère de certaines divinités ou démons provoquent des éruptions meurtrières. L’attitude irrespectueuse des humains peut irriter des divinités du Bien ; ainsi, à Bali, le manque de faste d’une cérémonie aurait déclenché la colère des dieux, qui, en représailles, auraient réveillé en 1963 le volcan Agung endormi depuis six cent ans, les coulées de pyroclastites et les coulées de boues tuant plus de mille personnes. Au Mexique, la profanation des temples aztèques par l’envahisseur blanc déclencha la colère des dieux, colère qui se manifesta par les éruptions dévastatrices des volcans Colima, Popocatépetl, Orizaba au XVIème siècle. Les exemples sont multiples. Pour les peuples vivant au pied des volcans, apaiser les colères divines, quelles qu’en soient les origines, est une nécessité. C’est par des offrandes et des cérémonies de prières qu’ils espèrent calmer les dieux. Les offrandes se faisaient et se font encore, généralement à l’occasion de grands fêtes annuelles. Au Bromo, dans l’île de Java, la foule se réunit au bord du cratère pour prier et offrir fruits, volailles, fleurs, riz, voire de l’argent. Au Japon, sur de nombreux volcans, Fujiyama, Aso… des cérémonies shintoïstes ont régulièrement lieu. A Hawaii, au bord du Kilauea, se déroulent chaque année des manifestations en l’honneur de la déesse Pelé, la plus célèbre déesse du Pacifique. Au Nicaragua, le Masaya est tristement célèbre : les Indiens sacrifiaient aux dieux leurs plus belles vierges en les jetant dans le lac de lave occupant le cratère de ce volcan (méthode employée récemment, pour d’autres motivations, par la police d’un dictateur de ce pays). En Italie, c’est par la prière que les habitants menacés espèrent calmer les volcans. Combien de processions, l’Etna ou le Vésuve ont-ils vus se dérouler pour détourner ou arrêter en vain une coulée de lave ? Volcans et légendes De nombreuses légendes sont attachées à des volcans ou des régions volcaniques. La plus connue est certainement celle de l’Atlantide. Le philosophe grec Platon rapporte dans Critias et Timée la disparition, il y a dix mille ans, de tout un continent à la civilisation très avancée et de ses habitants, continent que l’on situait à l’époque au centre de l’océan Atlantique. Les travaux géologiques et archéologiques ont montré qu’en 1620 avant Jésus-Christ une formidable éruption avait anéanti la civilisation minoenne et formé la caldeira de Santorin, en mer Egée. Une autre légende se passe au mont Mazama, dans la chaîne des Cascades aux Etats-Unis. Les Indiens Klamaths croyaient que le dieu des Enfers demeurait au mont Lao Yaina. Une jeune fille de la tribu ayant refusé d’épouser ce dieu, il jura d’exterminer la tribu entière par la malédiction du feu. Du sommet de la montagne qu’il faisait gronder et trembler, il crachait du feu tout alentour. Seule l’intervention du dieu du Ciel arrêta cette divinité malfaisante en la faisant disparaitre dans l’effondrement de la montagne. Ici encore, les études géologiques montrent qu’il y a sept mille ans le volcan Mazama eut une forte éruption de pyroclastites (30 km3 émis recouvrirent dix millions de km²) suivie de l’effondrement du volcan et de la formation d’une caldeira, le Crater Lake où, au Xème siècle, à la suite d’une nouvelle éruption, se mit en place l’île du sorcier, un petit cône basaltique. Par la découverte de poteries incluses à la base des pyroclastites, les archéologues montrèrent qu’une peuplade habitait bel et bien au pied de ce volcan au moment de son éruption. Le volcanisme des philosophes grecs et romains Très tôt, les philosophes grecs s’interrogent sur l’origine et le fonctionnement des volcans. Thalès, Eschyle, Pindare, Empédocle, Platon, Aristote, Strabon décrivent les éruptions volcaniques comme un phénomène naturel mais où interviennent des éléments essentiels, différents selon chacun, comme le feu souterrain, les gaz volcaniques, l’eau, l’air et la terre, la vapeur d’eau s’échappant avec force. L’air et l’eau sont les éléments qui d’après eux jouent le rôle principal. PLATON ET ARISTOTE Platon devient le premier, dans Le Phédon, introduit la notion de lave : « Parfois, lorsque la Terre a fondu sous l’action du feu, puis s’est refroidie, il se forme une pierre dotée d’une couleur noire. » Les éruptions seraient dues à un énorme fleuve de feu central coulant à l’intérieur de la Terre. Aristote, dans la Physique, s’il introduit la notion de cratère, établit une théorie qui malheureusement, en dépit des idées de Platon et de Strabon, persistera jusqu’au XVIIème siècle ! : « Un souffle violent s’y élève qui soufflerait naturellement [de l’intérieur] de la terre, mais la ruée massive de la mer le repousse dans la terre… La cause du feu qui se forme dans la terre… La cause du feu qui se forme dans la terre ne peut être que celle-ci : l’air est d’abord broyé en petites particules et alors le vent prend feu par le choc. » Strabon, le premier, décrit des reliefs dans lesquels il reconnait d’anciens volcans éteints, comme le Vésuve dont le sommet était recouvert de vignes avant l’éruption de 79. Il émet aussi l’idée toujours valable que plus un volcan a une activité continue et de faible intensité moins il a de chance d’avoir de très fortes éruptions. Pour les poètes romains, c’est aussi un vent violent qui circule à l’intérieur de la terre où il s’enflamme au contact du soufre, de l’alun ou du bitume ; Lucrèce, Virgile, Ovide décrivent ainsi les éruptions de l’Etna. Lucrèce remarque que ce feu sort par des « fissures rectilignes » et fait ainsi la première description de ce que l’on appelle une éruption fissurale. Sénèque, même si l’on peut regretter qu’il ait suivi Aristote plutôt que Platon ou son contemporain, le philosophe Philon le Juif qui, dans ses descriptions des éruptions, parlait de roches en fusion et non de feu, a le mérite de proposer deux nouveaux concepts, toujours d’actualité : Le rôle important des gaz dans les mécanismes éruptifs ; L’existence d’un foyer local alimenté individuellement pour chaque volcan ; c’est la notion de chambre magmatique. Pline l’Ancien lui aussi s’intéresse aux volcans et, dans son Historia Naturalis, fait un premier inventaire des volcans actifs connus dans le monde : il en dénombre dix. EN L’AN 79 DE NOTRE ERE « Le neuvième jour avant les calendes de septembre (24 août), vers la septième heure, une nuée apparut qui, par son aspect et sa forme, rappelait un arbre et plus précisément un pin […] La cendre tombait […], il pleuvait de la pierre ponce et des cailloux noircis, brûlés et pulvérisés par le feu […]. En cet instant, au sommet du Vésuve brillaient en un bon nombre de points, de larges langues et de hautes colonnes de feu que l’obscurité de la nuit rendait plus rougeoyantes et plus vives encore […]. Les maisons étaient secouées par des tremblements de terre répétés et amples […]. Une nuit plus épaisse qu’aucune autre régnait […]. On voyait la mer retirée et comme tenue à l’écart du rivage par les secousses de la terre […]. Derrière nous, une nuée sombre et effrayante, zébrée par les sinuosités des vapeurs incandescentes qui serpentaient, s’ouvrait comme pour libérer d’énormes trainées de flammes […]. » Lettre, Pline le Jeune Lorsque survient l’éruption du Vésuve en 79, sa passion lui est fatale et il trouve la mort en observant de trop près le phénomène. L’éruption et la mort de Pline sont décrites en détail dans deux lettres célèbres de son neveu, Pline le Jeune, à Tacite. Ces écrits constituent le premier document phénoménologique moderne en volcanologie. Nouvel essor en volcanologie à partir de la Renaissance : existe-t-il des feux souterrains ? Pendant près de quatorze siècles, mis à part quelques moines érudits, personne ne s’intéresse aux volcans. Il faut attendre la renaissance et le début des grandes explorations autour du globe pour assister à un regain d’intérêt vis-à-vis des phénomènes volcaniques. Les explorateurs découvrent des volcans en Amérique centrale, aux Antilles, en Indonésie. De plus, l’éruption du mont Nuovo en 1538, dans les champs phlégréens (près de Naples), celles du Vésuve en 1631, dont les coulées de pyroclastites tueront plus de 4000 personnes, et de l’Etna en 1669, dont les coulées détruiront la ville de Catane, réveillent les esprits curieux. Lorsque le géographe allemand B. Varenius publie son catalogue des volcans du monde au XVIIème siècle, il en dénombre vingt-sept. Au XVIème et au XVIIème siècle, de nouvelles théories vont voir le jour. De nombreux scientifiques dont le pharmacien français N. Lémery, tous faisant intervenir des procédés différents, vont mettre en jeu des interactions entre soufre, pyrite, air, sel de l’eau de mer, eau… Lémery crée même un volcan expérimental avec de la limaille de fer et de la fleur de soufre imbibée d’eau dont le mélange amène un fort échauffement naturel accompagné de projections et de dégagement de vapeur. Il pense, à tort, avoir trouvé l’explication du mécanisme éruptif. Dans ses Principes de philosophie, en 1644, R. Descartes décrit la Terre comme un astre refroidi où subsisterait en son centre une partie en fusion semblable à ce que l’on connait alors du Soleil. Il décrit trois couches concentriques dont l’enveloppe externe aurait été cassée par la chaleur interne, des morceaux se chevauchant pour former des continents. Un précurseur de la tectonique des plaques démontrée au XXème siècle par Wegener en quelque sorte ! G. Leibniz, à la fin du XVIIème siècle, reprend ces idées mais introduit la notion de contraction due au refroidissement pour expliquer les reliefs à la surface de la Terre ; cette explication ne sera abandonnée qu’au XXème, après qu’il a été démontré que le volume de la Terre est constant. L’ouvrage du jésuite A. Kircher, Mundus Subterrameus (1678), a malheureusement marqué son époque. Contemporain de Descartes, il reprend les idées d’Aristote et pense qu’il y a un grand nombre de foyers souterrains dont les bouches d’aération sont les volcans. Cette idée de feu souterrain sera combattue par le père italien G. M. Della Torre dans son traité de 1755 sur le Vésuve : de feu, il ne peut être question, l’intérieur de la Terre ne contenant pas l’air indispensable à l’entretien de la combustion. Lorsque Buffon rédige à la même époque sa célèbre Histoire Naturelle, il ne tient pas compte du traité de Della Torre : méconnaissance de ces écrits ou oubli volontaire? Ce sera bien regrettable ! Buffon a été enthousiasmé par l’idée que les volcans sont produits par la combustion et la fermentation de matières au contact de l’air et de l’eau. « HISTOIRE NATURELLE » « Ce bruit, ce feu, cette fumée viennent de ce qu’ils trouvent dans les montagnes ardentes des venues de soufre, de bitume et d’autres matières inflammables, en même temps que des minéraux, des pyrites qui peuvent fermenter […] toutes les fois qu’elles sont exposées à l’air et à l’humidité. Le feu s’y met et cause une explosion proportionnelle à la quantité de matières enflammées […] Le foyer d’activités des volcans […] se trouve très près de leur sommet ; c’est à ce prix seulement que les grands vents peuvent entretenir la combustion […] Les feux souterrains ne peuvent agir avec violence que quand ils sont assez voisins des mers. » Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, 1777 Bien que n’ayant jamais observé un volcan, Buffon donne des descriptions précises d’éruptions volcaniques, reprenant les observations des grands voyageurs notamment pour l’Amérique du Sud. Neptunistes contre plutonistes : les laves sont-elles des roches sédimentaires ou ignées ? 1752 est une année importante pour la volcanologie, J. E. Guettard, conservateur du Cabinet d’histoire naturelle du duc d’Orléans, publie à l’Académie des sciences son mémoire Sur quelques montagnes de France qui ont été des volcans. Pour compléter la carte géologique de France qu’il avait entreprise, il visite le Massif central. Il n’a jamais vu de volcan mais il a étudié, à Paris, les laves du Vésuve. Il fait rapidement l’analogie entre les roches de la chaîne des Puys et des monts Dore et celles du Vésuve. Pour lui, il ne fait aucun doute que la chaîne des puys est constituée d’anciens volcans, particulièrement jeunes, tout justes endormis et il conseille aux habitants d’être vigilants. Il est étonnant que Guettard, après avoir fait de telles observations et analyses, interprète à tort les basaltes comme des roches d’origine marine. Il suit le minéralogiste suisse, C. Gessner, qui, deux siècles auparavant, pensait déjà que les basaltes cristallisaient dans l’eau. Mais pour Faujas de Saint-Fond, à l’inverse, il ne fit aucun doute que les basaltes sont des roches d’origine volcanique. Guettard sera donc, à son insu, à l’origine de deux écoles qui vont s’opposer allègrement pendant plus d’un demisiècle : Les neptunistes, pour qui le volcanisme a une origine sédimentaire et marine –Neptune, dieu des Mers-, entraînes par l’Allemand Abraham Werner ; Les plutonistes, pour qui le volcanisme vient de l’intérieur de la TerrePluton, dieu des Enfers et du Monde souterrain-, dont le chef de file sera l’Ecossais James Hutton. Respectueux avant tout de la Genèse, Werner affirme que le globe terrestre est entièrement froid, qu’il a été longtemps recouvert d’un océan où se sont formées les roches par précipitation chimique. Les volcans sont des épiphénomènes et la lave est constituée de roches fondues sous l’effet des feux de charbon se produisant localement. Hutton, au contraire, appuie sa théorie sur des observations de terrain très détaillées. Comme Descartes, il pense que l’intérieur de la terre est en fusion et que les volcans sont l’expression superficielle de la chaleur interne de la Terre. Entre neptunistes et plutonistes, l’empoignade fut belle ! L’ascendant de Werner est si fort à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle qu’il faut un nombre considérable d’observations pour que le plutonisme regagne un peu de terrain, avance retardée par de nombreuses digressions, et finisse par l’emporter sur le neptunisme. Mais c’est la découverte de nouveaux volcans, leurs descriptions et le récit de leurs éruptions par les explorateurs du XVIIIème siècle tels J. Cook, L.-A. Bougainville, A. von Humboldt, et bien d’autres, qui apportent si l’on peut dire, de l’eau au moulin des plutonistes ! Grands noms de l’histoire de la volcanologie liés à cette période Le Français N. Desmaret, inspecteur des Manufactures royales, publie en 1771, avant Hutton, un mémoire : Sur l’origine et la nature du basalte à grandes colonnes polygones, dans lequel il montre que les laves et le basalte ont la même origine : les éruptions volcaniques. Lord W. Hamilton, ambassadeur du roi d’Angleterre à la cour de Naples à la fin du XVIIIème siècle, volcanologue enthousiaste, étudie les volcans italiens, publie plusieurs ouvrages et fait plusieurs découvertes. Tout d’abord, en étudiant la répartition des dépôts et leur granulométrie, il trouve l’origine de l’émission de ponces qui a eu lieu lors de l’éruption de Pompéi : en réalité, elles sont issues de la Somma, cratère dans lequel s’est édifié le Vésuve actuel après l’éruption de 79. Il montre aussi que les cônes volcaniques sont formés par l’accumulation de laves ; que les foyers des « feux internes » sont profonds et qu’il n’y a pas combustion mais fusion ; que les coulées sont généralement, à la base et au sommet, scoriacées et, à l’intérieur, massives voire prismées. Il en déduit donc que la présence de formations, regroupant ces éléments, où qu’elles soient, indique nécessairement l’existence de volcanisme. Déodat de Gratet de Dolomieu (1570-1801), précurseur de la volcanologie moderne, pense que l’intérieur du globe est formé de magma incandescent qui génère les laves. Leur diversité vient de ce que les magmas sousjacents sont eux-mêmes diversifiés. Les ponces et les obsidiennes de Lipari, par exemple, seraient une seule et même roche et se distingueraient par la quantité de bulles de gaz qu’elles renferment. Il explique aussi les orgues des coulées de lave basaltique dont la forme prismatique est due au refroidissement. Il montre enfin que les dômes, tel le puy de Dôme, sont mis en place par l’extrusion de lave très « pâteuse ». Deux des plus brillants élèves de Werner vont jouer un rôle important : A. von Humboldt, le grand explorateur allemand, et son ami géologue, L. von Buch. De neptunistes qu’ils étaient, ils vont peu à peu devenir plutonistes et faire disparaitre définitivement la théorie de leur maitre. Humboldt, grand voyageur, a visité un nombre de volcans très important et a donc une vue plus globale que ses prédécesseurs ou contemporains. Sa contribution majeure sera d’avoir observé, d’une part que les volcans forment des chaînes et qu’ils sont liés à des zones de faiblesse de l’écorce terrestre, et d’autre art que les tremblements de terre ne sont pas liés à l’activité des volcans, ceux-ci n’engendrant généralement que de faibles séismes. Enfin, il dénonce très clairement que les laves sont « des mélanges fluides de métaux, d’alcalis et de terre » -idée déjà émise par Platon et Philon le Juif – et que les laves arrivent en surface grâce à « l’expansion des vapeurs », idées déjà émises par Sénèque. Nouvelle polémique : les cratères de soulèvement Von Buch, tout en contribuant à l’établissement du plutonisme, va, par sa théorie des cratères de soulèvement, apporter un nouveau sujet de polémique dans le milieu volcanologique de l’époque. Dans son article « Observations sur les volcans d’Auvergne » publié en 1842, il explique, d’accord par exemple avec Dolomieu, que des volcans tels que le puy de Dôme ou le Sarcoui sont formés de « granite changé et soulevé […] par des vapeurs souterraines »- ce qui est vrai quant au mécanisme de mise en place-, et que seuls les puys du genre Lasolas ou de la Vache sont des accumulations de scories dues à dues projections de lave fluide. Mais malheureusement von Buch va généraliser son idée de « soulèvement » et l’appliquer à presque tous les volcans : les montagnes se soulèvent rapidement, poussées par une force intérieure et, à un certain stade de soulèvement, leurs sommets éclatent et s’effondrent pour donner les cratères à parois verticales. Il y a donc pour lui deux types de volcans : d’un côté, ceux formés par soulèvement de l’édifice, comme le Vésuve ou l’Etna, qui seraient « sortis tout formés du sein de la Terre » ; d’un autre côté, les cônes formés de l’accumulation de scories. De plus, le basalte viendrait de la transformation par l’effet de la chaleur interne du granite en dômite (le mot « dômite » vient de la roche qui forme le puy de Dôme), puis de la fusion de celle-ci (on sait aujourd’hui que ce type de lave est issu du basalte par des processus de contamination et de différenciation). Humbolt, si perspicace par ailleurs, est le premier à suivre cette théorie qui va à l’encontre de toutes les observations qu’il a pu faire ! Une telle pensée ne pouvait être tolérée par des scientifiques de la valeur de G. Poulett Scrope, Ch. Lyell, C. Prévost –l’un des fondateurs de la Société géologique de France-, F. Fouqué et d’autres. La bataille fit rage autant, si ce n’est plus, qu’entre les neptunistes et les plutonistes ! Un événement important (1831) va ébranler la théorie des cratères de soulèvement : la naissance dans le détroit entre la Sicile et l’Afrique du Nord de l’île Ferdinandea liée à une éruption volcanique, événement stratégiquement assez important pour que toutes les puissances maritimes d’alors y envoient des détachements. L’Académie des sciences y dépêche Prévost qui observe que l’île s’est formée par accumulation de produits volcaniques. Mais c’est Fouqué qui, en 1866, enterre définitivement la théorie des « cratères de soulèvement ». En mission à Santorin, haut lieu des cratères de soulèvement, il découvre à la base de la paroi de la caldeira, sous une épaisse couche de ponces, des restes archéologiques. C’est la preuve irréfutable que les produits volcaniques se sont accumulés sur un sol déjà existant et habité. Cette caldeira s’est formée par effondrement et il n’y a eu aucun soulèvement. Cela dit, on sait aujourd’hui que les dômes de lave sont des extrusions, la lave, très pâteuse, voire solide, étant poussée comme par un piston. Deux exemples sont fameux : l’aiguille de la montagne Pelée à la Martinique de 1902 à 1905, et le dôme du Showa-Shinzan au Japon de 1943 à 1945. Les débuts de la volcanologie moderne Les iodées émises par Poulett Scrope dans ses Considérations sur les volcans n’ont été que confirmées depuis : les cônes volcaniques sont formés par l’accumulation de laves, de « cendres » et de scories ; les gaz magmatiques et la vapeur d’eau jouent un rôle moteur dans le phénomène éruptif par leur détente lors des chutes de pression dues au poids des roches, dite lithostatique, survenant à la faveur de l’ouverture des fissures ; émission de laves de compositions chimique et minéralogique différente par évolution (ce que l’on appelle aujourd’hui différenciation) dans un réservoir magmatique ; la viscosité de la lave est fonction de la composition chimique et minéralogique, de la température et de la teneur en gaz ; le magma profond s’est fait lors de la formation initiale de la planète (on se souvient ici des théories de Descartes). Cette dernière idée, sans être fausse, n’est pas tout à fait exacte puisque, sans le processus radioactif entretenant la chaleur interne, la planète serait un astre mort ! Mais à cette époque, on était loin de la notion de radioactivité ! Toutes ces idées sont reprises et fortement soutenues par l’Ecossais Charles Lyell. Celui-ci va, de plus, montrer que les dykes, ces formations étroites, plus ou moins verticales et dont la largeur est généralement inférieure à un mètre, que l’on observe dans les parois volcaniques, sont les fissures, remplies de lave refroidie, par où s’est épanché en surface le magma alimentant les coulées de lave. Poulett Scrope et Lyell sont aidés dans leurs investigations sur le rôle des gaz et l’évolution des laves par la naissance, au cours de cette première moitié du XIXème siècle, de la chimie des gaz volcaniques. Au milieu du siècle, le chimiste français Ch. Sainte-Claire Deville, après avoir analysés les gaz de nombreux volcans, montrent qu’ils sont semblables d’un volcan à l’autre, seuls leurs rapports diffèrent. A la fin du XIXème siècle, une grande partie des volcans actifs des terres émergées est connue et on est loin des 27 volcans répertoriés par Varenius au XVIIème siècle ! Aujourd’hui, la Smithsonian Institution américaine a recensé 1343 volcans actifs ou ayant été actifs depuis dix mille ans. La volcanologie au début du XXème siècle La volcanologie va connaître un tel développement en cette fin du XIXème et début du XXème qu’il est impossible de citer tous les savants qui s’y distinguèrent. Citons Alfred Lacroix qui étudia particulièrement les nuées ardentes et la mise en place de l’aiguille de l’éruption de la montagne Pelée. Au milieu du XXème siècle, on a une connaissance étendue des volcans. On connait bien leur répartition dans le monde, on connait les volcans d’arc et de cordillères, les volcans « boucliers » basaltiques, on commence à avoir une bonne connaissance des mécanismes, de la géochimie, de la pétrographie, de la chimie des gaz, etc., mais on ignore toujours la raison profonde de la répartition à la surface de la Terre. On sait aussi que les volcans sont construits par l’accumulation de laves, magmas partiellement dégazés, en des points particuliers de la surface terrestre. L’origine de ces magmas, mélanges souvent riches en gaz dissouts de liquide silicatés à haute température et de cristaux, est à rechercher dans la constitution chimique et thermique de notre planète. Des précurseurs, comme le géologue français L. Glangeaud, ont compris la genèse des volcans des cordillères, mais il faudra attendre la théorie de la tectonique des plaques (Alfred Wegener) pour avoir enfin une vue globale.