L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire (extraits)
Coordonné par Michel TOZZI. CNDP
L’école n’est plus ce lieu des questions biaisées, souvent fermées, pour vérifier si l’élève sait, où celui-ci est sous
pression de l’ignorance ou de l’erreur, et par sa réponse, perdant ou gagnant. Mais un lieu où l’enfant pose lui-même
les questions qui lui importent, et trouve du sens à chercher ses propres réponses ; où il découvre, sur la base de sa
curiosité, la complexité du monde, la nécessité vitale de la réflexion pour comprendre, et le besoin des autres pour y
voir plus clair dans sa vie ; où le savoir prend signification par l’interrogation, l’énigme, la recherche, dans une
relation non dogmatique aux réponses.
Pourquoi les instituteurs trouvent-ils cette expérience passionnante ? Peut-être parce qu’ils voient les enfants passionnés
par cette activité. Ils sont des accompagnateurs de recherche.
Il est intéressant d’analyser les effets produits par la réflexion philosophique à l’école primaire.
La parole ne doit pas servir seulement à parler, mais à penser, favoriser l’oral réflexif.
Des réticences
Les enfants ont-ils les capacités intellectuelles, les connaissances requises, l’expérience suffisante, la maturité
psychique pour aborder les problèmes ? (la vie, l’amour, la mort) Ceux-ci ne sont-ils pas délicats à aborder en classe,
avec trop d’implication personnelle (pourquoi mémé elle est morte ?), de résonance affective ? n’empiète-t-on pas ainsi
sur le rôle éducatif de la famille ? N’y a t-il pas atteinte à la laïcité en abordant avec les enfants ces problèmes
métaphysiques ? ne risque-t-on pas de les endoctriner ? N’est-il pas dangereux de cultiver le doute chez des êtres
vulnérables qui ont besoin de sécurité plus que d’incertitude ? Ne faut-il pas répondre à leurs questions plutôt que de les
laisser chercher dans la perplexité ? En développant si précocement la rationalité, ne leur vole-t-on pas la part de rêve
nécessaire à l’enfance ? Etc.
Nombre de philosophes sont franchement hostiles : n’abuse-t-on pas du qualitatif de « philosophique » lorsqu’on parle
de discussions avec les enfants ? La discussion n’est-elle pas le règne du préjugé et de l’opinion (doxologie), des
hostilités socio-affectives et des passions obstacles à l’activité rationnelle, des logiques d’affrontement où l’on
recherche à berner ou tuer l’autre par la parole (sophistique) ? Car il ne suffit pas de parler et d’interagir pour penser. La
réflexion ne commence-t-elle pas par le retrait, le silence, le dialogue distancié avec soi ? Et l’étude des grands textes ?
Et la précision conceptuelle de l’écriture ? La difficulté, c’est bien que « nous avons été enfant avant que d’être
homme » (Descartes).
Peut-on postuler « l’éducabilité philosophique » des enfants ? Y a-t-il un âge pour philosopher ? Sont-ils spontanément
philosophes, par cette capacité d’étonnement dont parle Aristote et Jaspers ? Peut-on, doit-on oser avec eux les grandes
questions métaphysiques ? Et que faire de leurs questions quand ils les posent (et ils les posent, quand on veut bien les
entendre) ? Louvoyer, se taire, différer, renvoyer à leur parents, au curé, plus tard quand ils seront grands ? Qu’en est-il
d’un éducateur qui refuse d’entendre la question anthropologique de l’enfant qui lui est confié (exemple : « Où elle est,
maintenant, ma mémé ? ») ? Faut-il répondre ou non ? Si oui, en donnant son point de vue personnel ? En disant qu’il y
a plusieurs points de vue sur la question ? En répondant de façon fermée, définitive, scientifique (clore la question) ? Ou
laisser la question ouverte, avec sa dévolution à la classe ?
La philosophie n’est pas au programme de l’école primaire : elle n’a ni à être enseignée, ni à être évaluée.
Ceux qui se lancent dans l’expérience n’ont pas l’impression qu’ils sont en rupture avec les objectifs de l’institution.
Une approche langagière du débat.
Dans une société et une école historiquement normées par l’écrit, beaucoup d’instituteurs prennent aujourd’hui au
sérieux l’apprentissage de l’oral, comme modalité fondamentale de maîtrise de la langue. La pratique « langagière »
apparaît à la fois comme indispensable à la construction identitaire du sujet, à l’apprentissage de la réflexivité.
Ils sont soucieux de faire travailler en classe l’interaction sociale verbale entre pairs.
L’intérêt de ce travail est de favoriser l’expression orale confrontée, d’avoir des retombées citoyennes en matière de
compétences à débattre démocratiquement.
Instaurer une discussion qualitativement exigeante dans son rapport à la vérité.
L’éducateur doit veiller aux dérives d’une certaine didactisation techniciste coupée de finalités humanistes.
Une approche citoyenne de la discussion.
Le deuxième courant est porté par des instituteurs convaincus de l’importance de la parole et du débat à l’école, à la fois
pour l’épanouissement personnel de l’enfant et pour l’édification d’une société démocratique, plus coopérative.
Argumenter pour savoir si ce que l’on dit est vrai et chercher avec d’autres. Cette approche peut avoir des retombées
importantes sur le climat d’une classe, voire d’une école.
Le souci démocratique peut se faire au détriment de la tenue cognitive du débat : car on peut échanger
démocratiquement des préjugés, ce qui ne fait guère avancer la pensée. La démocratie de l’expression des opinions,
sans l’exigence d’un rapport à la vérité des propos tenus, ce peut être la dérive démagogique, où tout se vaut puisqu’il
suffit que cela soit dit…