Cours de dermatologie du 09.11.01 Pr H.-J. Boulouis DERMATOLOGIE : les dermatoses auto-immunes Le prochain cours portera sur les allergies et les dermites allergiques. Les dermatoses auto-immunes des carnivores sont des affections à composante inflammatoire importante, dont l'étiologie est un disfonctionnement auto-immun du système immunitaire par attaque des propres antigènes de l'organisme. Les cibles sont : - des Ag (antigènes) spécifiques d'organes, dont ceux de la peau, de la thyroïde, du pancréas, du foie, des articulations, de l'oeil, des testicules, du cerveau... D'où des réactions inflamatoires invalidantes: l'organe peut y perdre une partie de sa fonction, comme dans le diabète insulino-dépendant par destruction des ilôts ß de Langerhans par des lymphocytes T cytotoxiques. - des Ag non-spécifiques d'organes : retrouvés dans plusieurs organes (Ag dans l'endocarde et la membrane synoviale d'où rhumatisme articulaire aigu, endocardite et polyarthrite) ou circulants: Ag nucléaires et immunoglobulines. Les pemphigus et la pemphigoïde bulleuse sont des dermatoses auto-immunes avec Ag spécifiques d'organes. Parmi les dermatoses auto-immunes, on trouve aussi certaines maladies avec Ag non-spécifiques d'organe (Ag nucléaires): les lupus dont le Lupus Erythémateux Disséminé qui comporte (entre autres) le symptôme de dermite, et où des auto-anticorps (Ac) couplés à des auto-Ag se déposent dans les tissus. En général, le Chien est le plus atteint par ces pathologies (1% des dermatoses du chien sont auto-immunes). Chez le chat, les dermatoses auto-imunes sont encore plus rares. I Etiologie-pathogénie = attaque d'auto-antigènes par le système immunitaire. Dans les dermites d'organes, les Ag sont aux niveau des zones de jonction serrées des épithéliums : il s'agit des desmogléïne, desmoplakine, desmocoline et desmocalmine. On peut faire des distinctions cliniques entre les réponses à ces différents Ag. Le seul diagnostic imunologique consiste en la mise en évidence par immunofluorescence directe des anticorps à la surface des cellules épithéliales de la peau. On a alors un aspect de fluorescence en résille. Il est possible de rechercher dans le sang des anticorps circulants (mais ceci n'est pas encore effectué). Dans les dermites lupiques, ARN, histones, ADN et protéïnes nucléaires peuvent servir de cible aux auto-anticorps dans ces maladies. Mécanismes imunologiques (pathogéniques seulement) : Le dérèglement imunitaire aboutit à une réponse immunitaire contre les autoantigènes d'où formation d'immuncomplexes et fixation du complément qui déclenche une inflammation. Dans le cas du pemphigus, les Ac en se fixant dissocient les cellules et desorganisent le tissu d'où formation de bulles ("pemphigus bulleux") avec réaction inflammatoire et action du complément. L'éclatement des bulles provoque une ulcération ; il s'agit d'une hypersensibilité de type II (cytotoxique) ou de type III (dépôt d'immuncomplexes, réaction d'Arthus). Des immuncomplexes et des Ac peuvent se déposer sur les jonctions dermo-épidermiques. Les lupus sont des hypersensibilités de type III se déposant à la jonction dermoépidermique. Dans ce cas, la dermite n'est ni bulleuse ni ulcérative. Le diagnostic par immunofluorescence ne montre qu'une ligne à la jonction dermo-épidermique par dépôt d'immuncomplexes. II Aspects cliniques Rappelons que la prévalence des dermatites auto-immunes est de 1% des dermatites chez le chien. Dermatoses bulleuses (souvent ulcéreuses) : On distingue les pemphigus (pemphigue vulgaris, foliaceus, vegetans, erythematosus) et les pemphigoïdes bulleuses. Le mécanisme peut impliquer des IgA. On les sépare selon leur évolution et leur profondeur : pemphigus superficiels (haut dans la couche cornée) ou profonds (au niveau de la jonction dermo-épidermique). Les pemphigus superficiels sont foliacés (sous-cornés) ou érythémateux (suprabasilaires). Prédispositions raciales: Chow-chow, Berger allemand. Pas de différence selon le sexe et l'âge. Pas d'atteinte de l'état général ; les lésions se situent surtout sur la tête: chanfrein, pourtour des yeux, pavilons auriculaires. Les lésions de jonctions cutanéo-muqueuses et les lésions buccales sont rares dans ce cas-ci. Les lésions bulleuses sont peu prurigineuses d'où des ulcères qui supurent ou se couvrent de croûtes. La tendance est à l'aggravation progressive sans guérison spontanée. Les pemphigus profonds (pemphigus vulgaris et vegetans) sont plus rares et plus graves. On ne note pas de prédisposition liée à la race, à l'âge ou au sexe. L'état général est atteint. Les lésions sont localisées à la tête et aux jonctions cutanéo-muqueuses, avec une atteinte de la bouche (ulcères buccaux). Des lésions sont aussi retrouvées sur l'ars, l'abdomen et les coussinets plantaires. Histologiquement, on trouve des bulles à la jonction dermo-épidermique. Les pemphigus profonds peuvent aussi être hémorragiques. Ces dermites évoluent aussi vers l'aggravation. Pas de prurit. Le diagnostic différentiel des pemphigus superficiels et profonds passe par le test de Nikolsky, dans lequel on essaye de séparer derme et épiderme d'où douleur en cas de pemphigus profond. Ce signe de Nikolsky est négatif en cas de pemphigus superficiel. Pemphigoïde bulleuse : affection spécifiquement cutanée. Il y a atteinte de la jonction dermo-épidermique par immuncomplexes formés localement et d'où une bulle à la jonction dermo-épidermique. On ne connaît pas de prédispositions pour cette affection. Il s'agit d'une maladie grave et rare. Le pronostic est défavorable. Il n'y a pas bcp de différences avec les pemphigus profonds : lésions sur la face, la bouche (palais, langue). Les lésions sont ulcératives et s'accompagnent d'une surinfection bactérienne. Peu de prurit. Evolution vers l'aggravation, éventuellement de manière chronique. Pronostic défavorable. Dermatose à dépôt d'immuncomplexes : semblables aux pemphigus vulgaires ou végétants. Dermatoses non-bulleuses: lupus erythémateux disséminé et lupus discoïde: pas de bulles dans les jonctions dermo-épidermiques. Le lupus érythémateux disséminé atteint la peau et d'autres organes; le lupus discoïde atteint seulement la peau. Le lupus érythémateux disséminé est une dermite diffuse généralisée, tandis que le lupus discoïde est localisé à la tête avec des lésions ulcéreuses du conduit auditif, de la bouche, du chanfrein. Il y'a donc peu de diférences avec les pemphigus sauf que dans le cas des lupus il n'y a pas de lésion vésiculaire et les Ag sont nucléaires. III Diagnostic On expose ici surtout le diagnostic de laboratoire. Un diagnostic clinique important doit être effectué, d'où suspicion : il faut alors passer par le laboratoire, car le traitement nécessaire est spécifique. Deux types d'examens: - histologiques: présence ou absence de bulle - immunologiques Les prélèvements doivent inclure une grande partie de la peau (50 mm2 environ), incluant une partie saine et une partie lésée. L'anesthésie locale nécessaire est vasodilatatrice, d'où des saignements. Les biopsie-punch utilisés doivent être de diamètre suffisant (> 6mm). Le fragment réssequé est découpé en deux et on envoie une partie avec un conservateur histologique pour analyse anatomo-pathologique, et l'autre partie vers le laboratoire d'immunologie dans un milieu de Michel (qui épargne les Ig) pour immunofluorescence directe. On pourra bientôt prélever du sang sur tube sec (serum) pour identifier les Ac anti-nucléaires du lupus par immunofluorescence indirecte. Interprétation de l'examen immunologique : fluorescence résillaire (couche épaisse) pour les pemphigus, fluorescence linéaire à la jonction dermo-épidermique pour les autres dermatoses auto-immunes (pemphigoïde bulleuse, lupus). L'examen histologique montre une acantholyse (lyse des acanthocytes) en cas de dermatite bulleuse. Il peut y avoir en cas de dermite non-auto-immune des bulles par mise en circulation d'antigènes autologues mais ne relèvant pas d'une maladie auto-immune d'où des faux positifs en immunologie. D'autres maladies entrainent des bulles visibles en histologie. IV Pronostic et traitement Pronostic défavorable sauf pour le pemphigus suferficiel. Il n'y a pas d'évolution favorable sans traitement. Les lupus s'accompagnent de lésion rénales, par conséquent le pronostic vital est en jeu. Traitement: On utilise des anti-inflammatoires stéroïdiens (AIS) : par exemple la prédnisolone à une dose d'attaque de 1 mg/kg/j avec ensuite une diminution pour atteindre la dose minimale efficace. En cas de pemphigus, les lésions peuvent régresser rapidement. En cas de lupus, le traitement doit durer plus longtemps. Le traitement antibiotique par voie générale est inutile. En revanche, la désinfection locale est opportune. Si les AIS sont inefficaces, on associe des immunosuppresseurs qui permettent de diminuer les doses d'anti-inflammatoires. LES PYODERMITES CANINES Ce sont des dermatoses suppurées d'origine bactérienne le plus souvent. I Bactériologie de la peau Les suppurations viennent de bactéries de l'environnement. On distingue une flore cutanée normale: ainsi par exemple, Staphylococcus aureus et Staphylococcus intermedius sont considérés comme normaux respectivement sur les poils et la peau. En cas de pyodermite, on retrouve les mêmes germes (Staphylococcus, Pseudomonas, Proteus, Streptococcus). Ce sont les mêmes agents pour les otites du chien. Les bactéries des dermites des carnivores ont un pouvoir pathogène cutané opportuniste. Chez Steptococcuus et Staphylococcus, on trouve cependant des dermotoxines entrainant un syndrôme de la peau ébouilantée. II Epidémiologie Il s'agit de dermites primitives à partir d'une peau saine au départ et de dermites secondaires à une peau lésée par des déséquilibres endocriniens ou des traitements. Il existe des facteurs prédiposants : facteurs locaux, mécaniques (contusions, érosions), chimiques (peau trop lavée), immunologiques (dermatites auto-immunes), métaboliques (augmentation du sebum) et parasitaires (demodex => immunodéficience locale). Des races de chien (par leur morphologie) sont plus atteintes (replis de peau => macération et dermite). Facteurs individuels: déficits en IgA, immunoglobulines cutanées qui baignent la surface de la peau (Cocker, Shar Pei, Berger Allemand), et aussi hypersensibilité. III Diagnostic bactériologique Si la désinfection locale n'aboutit pas à la guérison, recourir au diagnostic bactériologique. On distingue 3 types de suppuration selon la profondeur du tissu atteint : - suppurations de classe I : les plus profondes, fermées. On fait un prélèvement profond (si abcès, aiguille avec desinfection de la peau); - suppurations de classe II : profondes et ouvertes. Bien noter qu'on peut avoir une polycontamination via la flore commensale de la peau; - suppurations de classe III : superficielles et ouvertes avec une forte contamination. Quel que soit le prélèvement, le faire avec un matériel (écouvillons) humidifié !... Sinon, on perd la majorité des bactéries au cours du transport par déssication. Isolement et identification: en 4 à 5 jours le plus souvent. IV Antibiotiques et sensibilité Les S. aureus et les germes Gram- présentent de nombreuses résistances. On utilise plusieurs familles : cf tableau fourni en annexe (rajouter les fluoroquinolones). On traite par voie générale sauf pour les otites, dans le cas desquelles on préfère la voie locale. Il existe aussi des pyodermites beaucoup plus rares: cf autre tableau.