LA CHARITE A-T-ELLE ENCORE SA PLACE ET UN SENS DANS L’EXERCICE MEDICAL ET SI OUI
LESQUELS ?
Se poser la question dans ces termes, c’est présupposer une évolution, un changement dans les
pratiques médicales, comme si cette évolution remettait en cause, par une perte de sens ou une
dérive, la pratique de la charité que l’on considérait comme évidente et naturelle.
Il est vrai que les soins ou la guérison des corps ont toujours été pour les chrétiens associés à la
guérison de l’âme, et donc l’amour des frères consiste à vouloir leur bien non seulement pour
cette vie , mais aussi pour sa destinée éternelle. . Jésus a montré que la maladie physique était
le signe du péché, non comme punition personnelle du péché, mais comme signe que la
création est marquée par le péché. La véritable guérison est celle de l’âme. Et Jésus en
guérissant les corps anticipe la guérison définitive qui nous sera acquise comme participation à
sa résurrection. C’est la manifestation suprême de son amour.
En guérissant les corps par amour, il indique qu’il vient aussi par amour apporter une guérison
plus fondamentale, celle du mal et du péché.
Il n’empêche que les soins apportés aux malades pour restaurer leur santé physique manifestent
la charité fraternelle et apportent le signe visible que les chrétiens ont à mener contre la
souffrance et le mal. C’est aussi une manière de servir les pauvres et les petits et de mettre en
œuvre le commandement de l’amour. C’est pourquoi, traditionnellement, l’Eglise a toujours
lié le soin des corps et celui des âmes. Le Moyen-Age en a donné la plus belle expression dans
la construction concomitante des cathédrales et des hôtels-dieu, à la fois hospices et hôpitaux.
Les moyens thérapeutiques dont disposaient les soignants d’alors, permettaient plus de
soulager que de guérir, mais ils permettaient au moins, par la sollicitude qu’ils apportaient aux
souffrants, à les aider à cheminer vers une fin de vie pacifiée et entourée. On peut dire, parce
que l’on était dans une société chrétienne, qu’il y avait une sorte de connaturalité entre les
pratiques médicales et la charité.
C’est du moins l’image traditionnelle qui reste dans la mémoire collective. Et pendant des
siècles, cette image a perduré par la succession des congrégations religieuses, féminines en
particulier, qui , jusqu’à la fin du 19ème siècle et une partie du XXème, ont maintenu la tradition
hospitalière comme expression privilégiée de la charité chrétienne, et principalement envers les
plus pauvres, les plus démunis, les plus délaissés.
Aujourd’hui la situation a changé. D’abord parce que le relais a été pris par d’autres
institutions publiques ou privées non confessionnelles. L’Eglise, et c’est un bien, n’a plus le
monopole de la santé. D’autre part parce que les recherches et les progrès de la médecine ont
permis, non seulement d’apaiser la souffrance, mais de guérir et de prévenir les maladies.
Mais dans le domaine médical comme dans tous les autres, la maîtrise que l’homme acquiert
peu à peu sur la nature et sur lui-même remet en cause sa relation à Dieu. Il est loin le temps où
Laennec pouvait dire avec humilité : « je le panse, Dieu le guérit » Et la charité qui se vivait
sur le registre de la compassion fraternelle, à la manière du Bon Samaritain, du soignant envers
le malade qui n’avait d’autre recours que de se confier à la miséricorde de Dieu, ne peuvent
aujourd’hui se vivre de cette manière. Le malade attend des résultats des soins qui lui sont
prodigués et le soignant est tenu de lui fournir. Que devient la charité dans cette nouvelle
relation ?