La morale chinoise
5
concision des vieux textes, tendent au traducteur des pièges
continuels que les Chinois eux mêmes n'évitent pas toujours,
lorsqu'ils n'ont pas fait une étude approfondie de leur langue
artificielle. Rien n'est donc plus facile, pour le traducteur, que de
céder à la tentation de solliciter le texte pour lui faire dire ce qui plaît,
et, bien entendu, cette tentation est toujours grande quand il s'agit
de traductions d'œuvres de philosophie ou de morale. Au nombre de
ceux qui furent entraînés à commettre ce genre d'erreur, il faut citer
en première ligne un sinologue de mérite, Guillaume Pauthier, qui a
traduit quelques-uns des plus importants livres classiques de la
Chine. Les imperfections de son travail ont eu de graves
conséquences, car c'est dans ses œuvres que beaucoup de publicistes
p.003 français sont allés chercher, pour les connaître, la philosophie et
la morale chinoises.
Il n'est pas étonnant que, dans ces conditions, cette morale soit si
peu, et surtout si mal connue et que l'on croie communément que le
peuple chinois, contrairement, à toutes les lois sociologiques, s'est
développé, depuis Confucius, sur un fonds moral purement
rationaliste.
Le progrès des sciences sociales empêche aujourd'hui les
sociologues de tomber dans l'erreur commise et les met en défiance
contre les travaux déjà faits sur ce sujet ; ils désirent que les
sinologues, continuant à étudier cette question, leur en exposent de
nouveau les termes.
Le présent ouvrage a pour but de répondre à ce désir. La matière en
a fait l'objet de notre cours, au Collège libre des sciences sociales, où
nous nous sommes efforcé de traiter la question sous son aspect le plus
général. Ce n'est pas, en effet, en quelques leçons, qu'on peut se flatter
d'épuiser un pareil sujet.
Pour traiter d'une façon complète et approfondie de la morale d'un
peuple si ancien, pour la suivre dans tout le processus de son évolution,
plus de quarante fois séculaire, pour y exposer seulement toutes les
modifications, actions et réactions, tous les apports étrangers qui ont