La relation forme-sens à travers les constructions du verbe français

La relation forme-sens à travers les constructions du verbe français. Etude de la
structure
SN1VSN2SN3
Asist. Florinela COMĂNESCU
Universitatea din Piteşti
Les plans syntaxique et sémantique de la langue entretiennent des relations étroites, mais ils
ne sont pas isomorphes. Au niveau des constructions du verbe français, ces rapports sont
particulièrement complexes.
Il y a des verbes qui ne peuvent fonctionner que dans le cadre de certaines constructions, dont ils
déterminent la signification. D’autres verbes peuvent apparaître dans des constructions qui ne leur
sont pas propres et ils en acquièrent le sens. Comme la forme est investie sémantiquement, il existe
des constructions qui ne sont propres à aucun verbe, mais dont la signification est construite à
partir de la signification de chacune des fonctions syntaxiques accomplies par les divers
constituants. Vu le nombre réduit de constructions, par rapport au nombre pratiquement illimité de
significations à transmettre, les constructions du verbe français sont polysémiques et forcément
ambiguës.
Ce que nous nous proposons dans cet article, c’est de démontrer que, malgré la complexité
des rapports entre le plan de la forme et le plan du sens, les constructions du verbe français
forment un ensemble structuré, hiérarchisé et cohérent.
Nous démontrerons en second lieu que les définitions de l’objet indirect datif proposées par
les grammaires traditionnelles ne sont pas à rejeter, leur pertinence étant confirmée par d’autres
types d’approches.
1. Préliminaires:
Pour pouvoir parler des constructions du verbe français, il faut tout d’abord préciser la signification
du terme construction, qui a au moins deux acceptions.
La signification large de ce terme concerne les relations qui s’établissent entre le verbe
d’une phrase et les constituants qui se trouvent en rapport avec lui, que ce type de rapport soit ou
non propre au verbe en question et retenu comme tel par les dictionnaires et les grammaires.
Dans son acception étroite, ce terme désigne uniquement les constructions propres au verbe,
notées de façon non-systématique par les dictionnaires lexicaux, mais se constituant en objet
d’étude déclaré de certaines démarches grammaticales.
Nous utilisons ce terme dans son acception étroite, avec les précisions suivantes: nous
désignerons par le terme de construction primaire les structures syntaxiques qui définissent la
configuration argumentale des verbes, nous nommerons constructions secondaires les structures qui,
tout en étant propres à certains verbes peuvent accepter d’autres verbes aussi et nous appellerons
constructions dérivées les structures qui ne sont propres à aucun verbe, mais qui sont obtenues sur
la base de la superposition des significations que l’on reconnaît généralement au constituants des
constructions primaires.
Une deuxième précision s’impose, qui découle de la première: étant donné le fait que nous nous
intéressons aux constructions propres aux verbes et à celles qui en dérivent, nous ne prenons en
considération que les compléments essentiels du verbe, les autres ne contribuant pas à
l’accomplissment de la complémentation verbale et pouvant apparaître, en principe, avec n’importe
quel verbe.
Ce type d’approche nous permettra d’envisager les mouvements d’équilibre et de déséquilibre
du système syntaxique verbal et de mettre en valeur la pertinence des définitions que les grammaires
traditionnelles ont proposées pour la fonction syntaxique d’objet indirect.
Nous nous servirons, dans notre démonstration, de l’analyse de la construction SN1VSN2
SN3, qui nous permettra d’illustrer les trois types de constructions que nous avons délimités et les
conséquences qui en découlent.
2. Cohérence et équilibre du système syntaxique du verbe:
La structure que nous nous proposons d’analyser représente tout d’abord une construction
primaire. Nous précisons encore une fois qu’il s’agit du type de construction que se proposent de noter
les dictionnaires et qui définit la structure argumentale du verbe: verbe intransitif ou transitif, transitif
simple, double ou triple.
Plusieurs verbes fonctionnent, en effet, dans le cadre de ce type de construction: abandonner,
accorder, acheter, adresser, annoncer, apporter, apprendre, attribuer, céder, commander, confier,
conseiller, etc. Ces verbes décrivent des actions concrètes ou abstraites de transfert, signification qu’ils
assignent à la construction dans laquelle ils fonctionnent. Le sens de cette construction est, par
conséquent, relativement constant et le transfert est envisagé surtout comme allant du donateur vers le
donnataire, mais il peut également être présenté inversement.
2. 1. Relations avec d’autres constructions primaires:
A part la relative constance du sens, le mouvement de régularisation du système se manifeste dans les
relations qui s’établissent entre cette constructions et d’autres constructions du verbe.
Au même niveau de complexité formelle se situe la construction SN1 V SN2 deSN3, qui a
le même sens, mais qui présente préferentiellement le procès du point de vue du bénéficiaire du
transfert: apprendre, attendre, demander, désirer, exiger, gagner, hériter, recevoir, etc.
La parenté de ces deux constructions est illustrée également par le fait qu’il existe plusieurs
verbes qui peuvent, en effet, fonctionner dans le cadre des deux constructions, avec des sens
apparentés: apprendre, arracher, demander, emprunter, gagner, etc.
Il faut noter également la relation de la construction primaire étudiée avec la construction
primaire qui n’a qu’un objet indirect introduit par la préposition à.
La construction à un seul objet indirect désigne toujours un échange, sa direction étant la même
que dans la construction à deux objets: appartenir à, échoir à, importer à, incomber à, profiter à,
revenir à, etc.
La structure SN1 V SN2 deSN3 présente le même genre de relation avec la structure SN1
V deSN2: participer de, présumer de, procéder de, relever de, résulter de, etc.
2. 2. La structure SN1 V SN2 àSN3 comme construction secondaire:
En tant que construction primaire de plusieurs verbes, la structure envisagée, dont le sens est
constant, finit par assigner des significations précises à ses constituants: l’objet direct désigne l’ objet
du transfert, l’objet indirect en désigne généralement le bénéficiaire. C’est sur la base de la
signification des fonctions syntaxiques ainsi déterminée que se fonde le fonctionnement dans le cadre
de cette structures des verbes qui ont une structure primaire différente: chanter, coudre, cueillir, laver,
lire, etc. ou des verbes emplos métaphoriquement: ex. glisser dans glisser qqch. à qqn.. Les
dictionnaires ne retiennent dans ce cas que les emplois métaphoriques, les autres constructions étant
possibles sur la base d’un calcul du sens.
2. 3. Une construction dérivée:
La différence entre une construction secondaire et une construction dérivée consiste dans le fait
que la construction secondaire est secondaire seulement pour certains verbes, mais elle existe en tant
que construction primaire, alors que la construction dérivée n’est primaire pour aucun verbe. Le
fonctionnement des constructions dérivées n’est possible qu’en vertu de l’investissement sémantique
qu’acquièrent les fonctions syntaxiques dans le cadre des constructions primaires.
Nous proposons comme exemple de construction dérivée la structure triplement transitive qui
engage un objet direct et deux objets indirects et nous l’illustrons avec les exemples que propose M.
Riegel (1994: 226) pour le datif éthique:
Il te lui a filé une de ces gifles.
Ce bougre-là, je vais te me le coller au bloc. (R. Gary)
La productivité de cette construction est beaucoup plus contrainte que celle des constructions
secondaires, par les restrictions qu’elle pose sur la nature de l’un de ses objets indirects (pronom
personnel de la deuxième personne) et elle appartient plutôt au français populaire, mais son statut en
tant que construction syntaxique du français est reconnu par les grammaires.
Comme nous l’avons dit, son fonctionnement est fondé sur l’investissement sémantique que les
fonctions syntaxiques acquièrent dans le cadre des constructions primaires.
3. Dynamisme et déséquilibre du système syntaxique du verbe:
Nous avons apporté comme argument de la cohérence du système syntaxique du verbe la
corrélation entre la forme des constructions et leur sens. Comme le nombre des constructions est réduit
et le nombre des significations à transmettre est pratiquement illimité, la plupart des constructions du
français, celles moins complexes formellement surtout, sont polysémiques. La polysémie agit tant
comme facteur d’équilibre que de déséquilibre: équilibre et pertinence, parce qu’elle organise et
hiérarchise les significations et relève du principe d’économie, déséquilibre parce que la polysémie
engendre forcément un certain type d’ambiguïté, qui oblige à un effort d’analyse des relations
profondes qui s’établissent entre les constituants des phrases.
L’ambiguïté est propre à la construction envisagée en tant que forme, mais elle peut se
manifester au niveau de la construction d’un seul verbe. Nous prenons comme exemple les verbes
acheter et louer, dont la construction permet une lecture double. L’effet d’économie que présente cette
structure est annulé par l’effort de levée de l’ambiguïté, les deux mouvements opposés qui organisent la
syntaxe du verbe se rejoignent.
L’ambiguïté est, nous l’avons démontré, un facteur en même temps de pertinence et de
déséquilibre. Elle permet que la même structure transmette des effets de sens différents et offre ainsi
une solution pour la relation forme-sens au niveau des constructions du verbe français.
Comme le nombre des structures est inférieur au nombre des sens à transmettre, on s’attendrait
à ce qu’il n’existe pas de constructions différentes qui véhiculent le même contenu. Cependant, cette
situation est assez fréquente dans la langue et elle est illustrée par la relation de paraphrase qui s’établit,
dans certains cas, entre les constructions SN1 V SN2 àSN3 et SN1 V SN2 deSN3. La
redondance est elle aussi un facteur de déséquilibre, mais la cohérence du système est sauvée dans cette
situation par les différences qui s’établissent au niveau communicationnel entre les énoncés qui
actualisent ces structures.
L’existence des constructions secondaires et dérivées est, à son tour, dans une certaine mesure,
destabilisant parce qu’elle oblige à envisager la syntaxe comme un domaine mouvant et instable, à
l’intérieur duquel le fonctionnement des verbes n’est plus prévisible. Ce désavantage est réduit par le
fait que les constructions secondaires et celles dérivées surtout viennent transmettre des sens
supplémentaires par rapport à ceux des constructions primaires et leur fonctionnement se justifie par
des raisons d’économie et de pertinence.
4. Bilan et perspectives:
Le fonctionnement du système que forment les constructions du verbe français repose sur deux
mouvements contraires.
Il y a, d’une part, les éléments de cohérence, qui consistent en la configuration argumentale de
chaque verbe, décrite dans les grammaires et même dans les dictionnaires lexicaux. Chaque élément a
son fonctionnement qui lui assigne sa place dans le système et sur la base duquel on peut dresser des
classes d’éléments. La corrélation entre la forme des constructions et les sens qu’elles transmettent tend
ainsi à être régulière. Sur la base de cette relation, les constituants accomplissant les différents
fonctions syntaxiques sont censés recouvrir prioritairement un certain effet de sens et le système permet
le développement des constructions secondaires et dérivées. C’est le cas, par exemple, de l’objet
indirect appelé datif, qui désigne la personne indirectement intéressée par le procès désigné par le
verbe. La prise en considération des constructions secondaires et dérivées confirme, de façon
surprenante, la pertinence des définitions traditionnelles de l’objet indirect, que tant de grammaires
modernes contestent.
A part les facteurs d’équilibre et de cohésion, il se manifeste, d’autre part certaines tendances de
destablisation et de déséquilibre. La corrélation forme-sens n’est pas systématique, les constructions
sont polysémiques et ambiguës ou leurs significations sont plus ou moins équivalentes avec la
signification d’autres constructions. L’existence des constructions secondaires et dérivées introduit
dans le système le facteur d’imprévisibilité, car, bien que le sens de ces constructions soit déterminable,
il est impossible de justifier pourquoi certains verbes peuvent fonctionner dans certaines constructions
et d’autres non.
Le mouvement de déséquilibre se justifie par des raisons de pertinence et d’économie et il
s’accomplit dans une sorte de tension positive, qui valorise les éléments constants du système dans des
combinaisons nouvelles, exigées par les limites au niveau de la signification des constructions
existantes.
Ces deux mouvements contraires, qui reposent l’un sur l’autre et se déterminent mutuellement
témoignent du dynamisme qui existe dans la langue et qui se manifeste même dans ses compartiments
les plus stables, tel le système des constructions du verbe.
Bibliographie:
- Brousseau A.-M., Roberge Y., 2000, Syntaxe et sématique du français, Fides, Paris
- Gross M., 1975, Méthodes en syntaxe, Hermann, Paris
- Le Goffic P., 1993, Grammaire de la phrase française, Hachette, Paris
- Riegel M., Pellat J.-C., Rioul R., 1994, Grammaire méthodique du français, PUF, Paris
- Wilmet M., 1997, Grammaire critique du français, Hachette-Duculot, Paris
- Willems D., 1981, Syntaxe, lexique et sémantique. Les constructions verbales, Gent
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