Dom Juan, la question des réécritures du mythe
Le mythe : Etymologie : le mot vient du grec « muthos » = « récit légendaire, fiction pourvue d’un sens caché ».
Définitions générales :
Il peut s’agir d’un récit imaginaire, d’origine populaire ou littéraire, mettant en scène des personnages extra-ordinaires,
surhumains ou divins. Les événements fabuleux évoqués par le mythe tantôt retracent l’histoire d’une communauté, tantôt
symbolisent des aspects de la condition humaine, tantôt traduisent les croyances, les aspirations ou les angoisses de la collectivité
pour laquelle ce mythe a un sens. L’ensemble des mythes propres à une civilisation forme une mythologie (ex : la mythologie
grecque).
Les mythes sont donc des histoires symboliques dans lesquelles des sociétés reconnaissent des vérités profondes de leur histoire :
le mythe d’Œdipe (lequel a tué involontairement son père et épousé tout aussi involontairement sa mère), le mythe de Faust (lequel
a vendu son âme au diable), le mythe de Prométhée (lequel a dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes).
L’étude des mythes constitue une branche importante de l’anthropologie.
Au sens philosophique, le mythe est un récit allégorique employé par un auteur pour décrire sa pensée de façon expressive : par
exemple, le mythe de la caverne a été élaboré par Platon pour expliquer que notre monde « réel » n’est que le reflet du monde des
Idées (cf. Baudelaire).
On peut aussi appeler mythe une rêverie utopique, c’est-à-dire une représentation idéalisée que se font certains écrivains des
différents âges de l’humanité : mythe de l’âge d’or ; mythe du paradis perdu (cf. Baudelaire)
Au sens actuel, le mythe désigne une représentation simplifiée ou amplifiée de la réalité, qu’il s’agisse d’un personnage
historique (le mythe napoléonien), d’un événement dont on valorise l’importance (le mythe de la Résistance), d’un phénomène
technique ou social (le mythe du progrès). Le mythe peut aussi agir sur le comportement des individus ayant une responsabilité
politique (le mythe de l’Homme providentiel).
Le mythe de Don Juan : En quoi l’histoire de Don Juan peut-elle être considérée comme un mythe ?
1/ Par son origine, lointaine et fournie par la tradition (auteur inconnu) : dans toute l’Europe circulait en effet depuis le Moyen-
âge, par voie orale, l’histoire d’un impie qui manque de respect à un mort et se trouve convié par lui à souper. Mais au début du
XVIIème siècle (courant baroque), le mythe de Don Juan envahit la littérature. Le baroque est en effet interrogation, fête, tourment,
mouvement (contrairement au classicisme, rigoureux et froid, qui suivra) : Don Juan est un héros baroque. De plus, le mythe
s’enrichit : le thème du libertinage sentimental se développe.
La première version écrite de Don Juan est celle de Tirso de Molina (1630).
Le personnage est inspiré d’Espagnols ayant existé : Don Juan Tenorio, favori du roi Pierre le Cruel à Séville… Don Juna Albarren à
Grenade… le comte de Villamediana, noble et poète de la Renaissance… et Don Miguel de Manara, un séducteur repenti qui finit sa
vie au monastère.
On rattache également le personnage du séducteur à celui de Zeus, l’éternel amoureux.
2/ Par sa forme : c’est un récit organisé qui peut être drame joué, récit ou poème : des dizaines d’œuvres présentent l’histoire de
Don Juan sous une forme ou une autre.
Sous sa forme théâtrale, le mythe naît et renaît sous les plumes de : Tirso de Molina (1630), Molière (1665), Goldoni (1736),
Pouchkine (1830), Max Frisch (1953), Montherlant (1956)… D’autres en font un opéra (Mozart, Don Giovanni, 1787) ; un roman
(Balzac, L’Elixir de longue vie, 1830 ; Mérimée, Les Ames du purgatoire, 1834) ; un poème (Musset, Namouna, 1832 ; Baudelaire,
« Don Juan aux enfers », 1846).
Trois éléments doivent être présents : le Mort, les femmes, le héros (damné ou repenti à la fin).
3/ Par son sens : le mythe propose une vérité qui se dérobe à la seule raison et intéresse la condition humaine ; son sens n’est pas
figé et les interprétations en sont multiples.
On n’en est donc plus seulement, depuis plus d’un siècle, à l’interprétation religieuse ou mystique (cf. libertinage religieux).
La psychologie s’est en effet emparée de Don Juan, voyant en lui la figure de l’angoisse qui vit la rencontre de l’autre comme une
aliénation. Certains voient en DJ un éternel adolescent, à l’évolution psychologique inachevée, voire à la virilité indécise (La Nuit de
Valognes). D’autres voient en lui en apparaître l’image du fils à la recherche de la mère intouchable et absente, dans une quête
désespérée de l’éternel féminin (Lenau).
Une explication psychanalytique considère que Sganarelle est le double contraire de son maître : il représenterait la conscience du
héros (« surmoi » = moi social qui tient compte des lois et de la morale dominante) alors que DJ représenterait le moi individuel (=
« ça ») qui tente d’assouvir ses désirs (cf. slogan de Mai 1968 : « jouir sans entrave »).
Sur un plan socio-historique, DJ devient un être asocial irrespectueux des lois, révolté contre les entraves de la société, une sorte de
délinquant.
Evolution : le XIXème siècle insiste plutôt sur l’aspect romantique de DJ (la débauche étant alors secondaire) qui choisit la mort
pour aller jusqu’au bout de son expérience, alors que le XXème met l’accent sur l’homme de désirs « traversé, en dépit de lui-même,
par la sombre folie du sexe » (Michel Foucault).
En somme, le mythe a constamment évolué : au départ « simple » individu irréligieux qui rejette l’Eglise parce qu’elle contrecarre
ses projets, DJ est devenu un héros tourmenté qui revendique sa différence, un rebelle tragique.