PRÉDICATION DU 22 JUIN 2014 C'EST MOI QUI SUIS LE PAIN DE LA VIE JEAN Chapitre 6 versets 47 à 58 Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'Homme et si vous ne buvez pas son sang … Celui qui mange ma chair et boit mon sang… etc. Oh j'ai vraiment du mal avec ce texte. Oserais-je dire que je le trouve indigeste, qu'il a du mal à passer et que je n'arrive pas à le digérer !! Et encore la traduction est édulcorée, car si l'on voulait être au plus près du texte grec il faudrait dire celui qui mâche, qui croque ma chair. Bon appétit !! Et je repense à toutes ces théories de grands esprits, de grands psychanalystes qui glosent à perte de vue sur la similitude entre eucharistie et cannibalisme, sur ces chrétiens qui ne font que reprendre des coutumes ancestrales en mangeant leur dieu. Oui ce texte qui nous est proposé ce matin est terriblement difficile et choquant pour notre sensibilité protestante réformée, mais il est Parole de Dieu et nous devons l'affronter. Il est bien évident qu'en le lisant on pense immédiatement à la Sainte Cène. Jean est le seul évangéliste qui ne rapporte pas les paroles d'institution de la Cène comme ont pu le faire Matthieu, Marc, Luc et Paul mais je crois qu'il est impossible de ne pas voir dans ces paroles une allusion à cette Sainte Cène. La chair, le sang tout y est. Prenez, mangez, buvez, ceci est mon corps, ceci est mon sang. Les phrases sont là dans les évangiles synoptiques, mais plus édulcorées avec cette mention en plus chez Luc : faites ceci en mémoire de moi, mention reprise par Paul dans l'épitre aux Corinthiens et qui a été à l'origine d'interprétations très divergentes des paroles du Christ. Interprétations qui ont conduit certains réformateurs tels Zwingli à ne considérer la Sainte Cène que comme un mémorial et ne lui donner qu'une valeur symbolique. Et très honnêtement, je pense que c'est le cas pour beaucoup de protestants réformés en France (inconsciemment ou non). Page 1 sur 5 Et pourtant, dans le texte de Jean, l'expression est, si j'ose dire plus "crue" et de plus répétée. "Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle" "car ma chair est vraie nourriture et mon sang vraie boisson". Affirmations difficiles pour nous, comme je l'ai souligné plus haut, mais que nous devons essayer de comprendre. Et pour nous aider à mieux analyser ce que veut dire l'apôtre, qui d'autre de plus qualifié, que Jean Calvin, "Saint Calvin" pour les réformés. La boutade n'est pas de moi, mais je la trouve très juste !! Que dit Calvin ? J'extrais des citations de cet ouvrage très court (50 pages), très facile à lire, que je vous recommande de lire "Le Petit Traité de la Sainte Cène". Je cite : "Nous commençons déjà à entrer dans cette question si débattue et anciennement et au temps présent, à savoir comment doivent être comprises ces paroles où le pain est appelé corps de Jésus-Christ, et le vin son sang. Cette question pourra être résolue sans grande difficulté si nous retenons bien le principe que j'ai déjà énoncé: que toute l'utilité que nous devons chercher dans la Cène est anéantie si Jésus-Christ ne nous y est pas donné comme la substance (comprenez réalité) et le fondement de tout". La Cène a donc une dimension autre qu'un simple geste de mémoire car le Christ nous y est donné. Et en 1981, les Eglises réformées et luthériennes, dont les interprétations de la Cène ont été dans le passé différentes, ont pu accepter un texte commun, appelé "Texte du Liebfrauenberg" dans lequel il est écrit : "Dans la Cène, repas de la Nouvelle Alliance, le Seigneur se lie à l'acte communautaire de manger et de boire. Pour nous communiquer la grâce de sa présence, il a choisi le pain qu'il nous invite à manger et le vin qu'il nous invite à boire. En les recevant, nous recevons le corps du Christ donné pour nous. Cette présence, dont aucune explication ne pourra jamais rendre compte de manière satisfaisante, est fondée sur la promesse du Christ. Elle n'est pas l'œuvre de la subjectivité et de la piété humaines, mais elle est l'œuvre du Saint Esprit". Référence à l'Esprit que l'on retrouvera, dans la bouche de Jésus, au verset 63 de ce même chapitre 6 de l'évangile de Jean : "Les paroles que, moi, je vous ai dites sont Esprit et vie. Page 2 sur 5 Alors oui les similitudes avec les autres évangiles sont trop fortes pour ne pas voir dans ce passage une explication par Jean du dernier repas du Christ, mais ce serait dommage d'en rester uniquement là, car je pense que Jean va plus loin et il insiste sur ce que Calvin appelle les "fruits" et "l'utilité" de la Cène bien résumés dans cet extrait du texte du Liebfrauenberg : "En communion avec le Christ nous nous offrons nous-mêmes pour le service de Dieu et des hommes". Et c'est là tout à la fois l'originalité et la force du texte de Jean. On ne reste pas dans le souvenir, dans l'adhésion purement intellectuelle en commémoration une fois par semaine ou une fois par mois, mais dans l'action "pour le service des hommes". Comme le dit encore Calvin : "il n'est pas seulement question que nous soyons participants de son Esprit, mais il nous faut aussi participer à son humanité". Et l'humanité du Christ, c'est le quotidien, c'est notre quotidien dans ce monde. On ne peut pas, à mon avis, séparer la lecture qui nous était proposée pour ce jour de l'ensemble du chapitre 6 qui traite de la nourriture et de la vie. En racontant le récit de Jésus qui nourrit cinq mille hommes, Jean montre bien que sans l'action du Christ la foule ne peut pas être rassasiée. La seule nourriture qui puisse combler l'humanité c'est celle donnée par le Christ. Et cela va même au-delà de tout ce que l'on peut imaginer car il reste encore douze paniers de pain ! Puis après Jésus insiste sur le fait que même si les Israélites ont pu profiter de la manne au désert, ils sont morts parce que la manne ne leur a été donnée que pour un temps limité, qu'elle n'était pas éternelle. Pour Jean, la seule nourriture inépuisable capable de donner la vie éternelle c'est le Christ, lui qui dit :"Je suis le pain de vie". Rappelons-nous ce que nous avions dit il y a quelques semaines "moi je suis" "έγώ είμι". Ego eimi. Quand Jésus prononce ces mots, c'est très fort. Il révèle comme nous l'avions dit son origine, son identité, sa mission, sa relation avec son Père. Pour avoir la vie éternelle, la vraie vie il ne suffit pas de participer de temps en temps à un office religieux ou à la commémoration du dernier repas du Christ. C'est quotidiennement que nous avons besoin d'ingurgiter une nourriture impérissable, de mâcher, mastiquer la chair et le sang du Christ en recevant sa Page 3 sur 5 Parole. En mâchant et mastiquant la chair et le sang du Christ (souvenons-nous que Jésus précise que ses paroles sont Esprit et vie) nous nous approprions toute la personne de Jésus (car la chair désigne dans la Bible l'ensemble de la personne humaine) et nous prenons part à son humanité comme le dit Calvin. C'est-à-dire que nous ne restons pas dans une foi superficielle, intellectuelle, mais qu'à l'image du Christ qui s'est incarné nous sommes appelés à partager, tous les jours, avec les autres cette grâce qui nous a été donnée. Alors la Cène ne sera pas simplement un acte sacramentel de l'ordre du souvenir mais la manifestation concrète que cette force qui nous pousse dans nos actions quotidiennes, vient de Celui qui a donné sa vie pour nous. Ces paroles sont difficiles à entendre, non seulement pour nous mais elles l'étaient également pour les contemporains de Jésus. Vous avez entendu que les Juifs maugréaient à son sujet et pire au verset 66 que beaucoup de disciples s'en retournaient et ne marchaient plus avec lui. Et nous faisons-nous comme eux et sommes-nous prêts à nous en aller ou bien acceptons-nous de suivre quotidiennement le Christ ? Souvent nous ne savons plus où nous en sommes, nous n'avons plus d'énergie, nous sommes perdus et nous tournons en rond. Et je pense que le Christ, qui nous connaît mieux que tout autre le sait et qu'il nous a donné une aide dans la prière. Oh pas une prière que nous aurions à inventer, mais une prière qu'il nous a donnée dans le Notre Père. Prière si complète, si riche et si dense dont nous oublions la force tellement elle est rabâchée et ânonnée dans nos églises. Trop souvent ce Notre Père est récité, en boucle, comme une litanie et une incantation. Et pourtant si nous disions ce texte en essayant d'en déguster chaque phrase et pour nous ce matin en nous appropriant cette demande "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour" Demande qui m'a souvent interpellé car redondante à mon avis (aujourd'hui notre pain de ce jour ?) jusqu'au jour où j'ai lu une explication par un pasteur qui m'a profondément marqué dans ma jeunesse, explication réfutée par certains commentateurs mais qui pour moi a été une révélation. Et encore une fois, nous sommes confrontés aux problèmes de la traduction des Ecritures. Le mot grec "epiousion" traduit par "quotidien" était un mot Page 4 sur 5 très peu employé sur lequel beaucoup de traducteurs et de commentateurs ont buté. Pour Saint Jérôme, traducteur de la Bible et l'un des quatre pères de l'Eglise latine dans les années 400 après JC, une traduction possible pourrait être "Donne-nous aujourd'hui notre pain supersubstantiel" ou plus simplement notre pain qui est "au-dessus de tout". Et je pense que là nous rejoignons le texte de l'évangile de Jean. Ce pain qui est au-dessus de tout, ce pain supersubstantiel, ce pain de vie, ce pain vivant c'est le Christ. En demandant à Dieu ce pain, nous confessons que tout ce qui est essentiel pour notre vie, c'est le Christ qui nous a été donné par Dieu. Et cette demande nous pouvons la faire parce que Dieu nous a déjà donné son Fils, lui qui nous a dit qu'Il était le Pain vivant descendu du ciel. Et nous pouvons la faire quotidiennement car en formulant cette demande nous nous abandonnons entièrement dans les mains de Dieu et nous plaçons notre entière confiance en Lui. "Donne-nous aujourd'hui notre pain qui est au-dessus de tout." Oui, Seigneur, je sais et je crois que Tu es le Pain vivant descendu du ciel qui me donnera la vie éternelle. Alors oui, Notre Père, ce pain donne-le nous pour que nous puissions mettre toute notre confiance en Ton Fils et non en nous-mêmes pour tout ce qui est nécessaire à notre vie, à la vie des autres, à leur vie matérielle et spirituelle. Amen Page 5 sur 5