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C'est précisément cette perte de l'idée de nature, cette fuite de tout référent qui va faire de
Pascal le penseur des cérémonies. C'est cette absence de fondement qui va livrer l'homme
pascalien (et proprement baroque) à ces « chaînes de l'imagination » qui sont le support de
toutes les cérémonies : que l'on songe ici à l'importance des cérémonies dans l'ordre politique
et, par excellence, dans les régimes totalitaires qui finissent par s'épuiser en elles. En ce sens
on pourrait dire que l'essence des cérémonies est d'être un substitut de l'essence (« Que le
cœur de l'homme est creux et plein d'ordure », écrit Pascal, Pensées, Lafuma, 139). Une lecture
de la liasse « Raisons des effets », dans les Pensées, montrerait que les cérémonies, en leur
contingence même, sont un effet dont il est possible de rendre raison. Sans doute alors que le
peuple adhère naïvement aux cérémonies, croyant qu'elles traduisent un ordre naturel, le demi
habile n'a-t-il pas de peine à montrer leur caractère contingent (qu'il confond d'ailleurs avec
l'arbitraire). Mais le demi habile est fou s'il est vrai que « ce serait être fou d'un autre tour de folie
de n'être pas fou ». Ce qui manque au demi habile, c'est cette « pensée de derrière » qui lui
aurait permis de comprendre que l'homme est un être de cérémonies - et cela dans la mesure
même où sa nature est perdue. Habile et chrétien parfait se plient aux cérémonies et les
respectent, par cette pensée de derrière, d'ordre politique pour le premier (Pensées, 94),
religieux pour le second (Pensées, 14).
Mais c'est surtout dans les Trois discours sur la condition des grands que l'analyse - et la
défense - pascalienne des cérémonies est la plus explicite. Pascal y montre que les « grandeurs
d'établissement » doivent être respectées en leur ordre (qui est un ordre second, sinon
secondaire). Il serait injuste et tyrannique de refuser de saluer un grand seigneur (ou un
adjudant de discipline) pour cette seule raison que je suis plus lettré ou plus moral que lui
(toutes qualités qui relèvent de ce que Pascal nomme les « grandeurs naturelles »). Mais il
serait tout autant injuste de sa part d'exiger de moi un autre respect que ce respect de pure
cérémonie que constitue le salut
« Ainsi aux grandeurs d'établissement, nous leur devons des respects d'établissement,
c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures [...] qui ne font point concevoir quelque qualité
réelle en ceux que nous honorons de cette sorte [...]. Il n'est pas nécessaire parce que vous
êtes duc que je vous estime, mais il est nécessaire que je vous salue. (Trois discours,
p. 367).
Les cérémonies ne jouent donc point entre les personnes (au sens kantien du terme), et elles
ne présentent, en ce sens, nulle dignité. Point de cérémonies entre amants, entre une mère et
son fils, non plus, il est vrai, qu'entre l'exploitant et l'exploité, entre le loup et l'agneau. La
cérémonie est donc cet entre-deux : ni l'ange, ni la bête, son véritable lieu est l'homme en sa