Chapitre 8 On s’étonne que les lois de la nature puissent être saisies par l’esprit humain. On s’émerveille qu’il existe un pareil accord entre ces lois et celles de la logique. La question est très simple. Pouvons-nous penser un monde qui ne soit pas conforme aux lois de la pensée ? Il nous faut nous rappeler que ce que nous observons, ce n’est pas la Nature en soi, mais la Nature exposée à notre méthode d’investigation. W. Heisenberg Penser en amont de h ? Revenons à a) du chapitre précédent, à l’intérieur des bornes de τs il n’y a pas de sens, il n’y a que de la pure existence et notre intelligence ne peut pas investir au cœur de cette durée ni sur ses bords. Immédiatement on doit se poser la question sur la possibilité de concevoir du sens en sommant des fragments qui n’en sont pas porteurs. La réponse que je peux proposer à l’heure actuelle c’est que nous sommes là dans la même situation qui a conduit au résultat produit par G. Cantor : en accumulant, en sommant des segments fermés réduits à des points (le point : entité limite que personne n’a jamais vue car il n’a aucune dimension, longueur, largeur, épaisseur, désigne toutefois un emplacement, comme τs désigne une présence) on obtient une droite qui est un objet mathématique tangible, qui fait sens, et partant devient accessible à notre intelligence c’est-à-dire à notre capacité de concevoir. (Ainsi en est-il avec la langue qui véhicule du sens à partir d’un processus d’addition de signes élémentaires qui pris chacun considéré isolément ne signifie rien. Il en est de même à propos des tic-tac d’une horloge qui en se succédant et partant s’additionnant égrènent ce que l’on nomme le flux du temps. A cette occasion je vous renvoie à l’article de L. Smolin à propos de la gravité quantique pour que vous puissiez repérer là où se situe la faille dans son raisonnement.) Il faut donc constater que c’est dans ce geste de la sommation que se conçoit, se fabrique, le sens. Ce geste, qui est une action, constitue une (la) signature déterminante du sujet pensant. L’homme se trouve dans ce geste et il est irréductible à ce geste. Cette action primordiale, élémentaire, absolument déterminante, constitue le surgissement, l’activité du sujet pensant. ([Les choses elles-mêmes] ne sont que les éclairs et les étincelles qui jaillissent d’épées brandies). Notre intelligence ne peut saisir que des concepts, des objets, résultant de ce processus. L’homme ne peut s’emparer que des entités qui satisfont à sa signature. Tous les objets à qui l’on prête un caractère absolument ponctuel ne sont que des objets chimères, que des faux amis. 1 N’oublions pas que l’essentiel de l’édifice de lois constituant notre savoir théorique en physique fondamentale est basé sur l’exploitation du principe de moindre action. Ce principe est dû à Pierre-Louis de Maupertuis et énoncé en 1744, « Tous les phénomènes naturels s’accordent avec le grand principe que la Nature, dans la production de ses effets, agit toujours par les voies les plus simples […] On ne peut douter que toutes choses ne soient réglées par un Être suprême qui, pendant qu’il a imprimé à la matière des forces qui dénotent sa puissance, l’a destinée à exécuter des effets qui marquent sa sagesse… » L’action est définie comme le produit de la masse par l’espace parcouru et la vitesse et est souvent exploitée sous la forme A = ∫Ldt ou L est le lagrangien du système étudié. N’oublions pas non plus que la grandeur fondamentale, incontournable, de la mécanique quantique, c’est h : constante de Planck qui a exactement l’équation aux dimensions d’une action. Cette constante représente le quantum d’action plancher, insécable = 6,6 10-34 joule x seconde. Sachant que le joule est une quantité d’énergie acquise par une masse d’1 kg chutant de 10cm, autant dire que l’action correspondant à h n’est qu’une « pichenette ». Les autres grandeurs dites de Planck ne sont que des grandeurs déduites en combinant h avec les autres grandeurs constantes universelles c et G et elles ne sont pas accessibles à une évaluation expérimentale. Pour bien saisir l’importance que représente la découverte de h, je rappelle ce qu’en dit G. Cohen-Tannoudji1, « C’est donc sous la forme du quantum d’action h qu’apparaît le discontinu dans la physique de l’élémentarité. S’il est vrai qu’il fallait bien s’attendre à une telle apparition (puisque l’hypothèse atomiste implique l’existence d’entités irréductibles, insécables), il faut bien reconnaître que le discontinu n’apparaît pas là où on l’attendait. L’existence du quantum d’action marque une limite à la divisibilité de la matière, mais ce qui est insécable ce n’est pas une chose, c’est une action. »… voir aussi, p. 356 « Tout compte fait le quantum d’action traduit le caractère insécable du rapport sujet-objet. » L’homme ne s’empare que des entités qui satisfont à sa signature. Tous les objets à qui l’on prête un caractère ponctuel ne sont que des objets chimères. Nous sommes par exemple directement confrontés à ces objets chimères avec la physique dite des particules élémentaires à qui l’on prête la propriété d’être ponctuelles pour les besoins de la cause, mais en retour le prix à payer est d’accepter une procédure de renormalisation peu orthodoxe qu’impose l’exploitation de la théorie quantique des champs. L’homme ne s’empare, et n’investit avec ses capacités de concevoir du sens pour lui-même, que des entités qui satisfont à sa signature et cette signature est constituée d’un geste ontologique qui exclut tout caractère ponctuel. En conséquence, je ne partage pas ce que dit G. Cohen-Tannoudji et M. Spiro quand ils avancent 1 In ‘La Matière-Espace-Temps’, de G. Cohen-Tannoudji et Michel Spiro, Fayard, p 128. 2 l’idée que « tout compte fait la quantum d’action traduit le caractère insécable du rapport sujetobjet. » Cette idée laisse entendre un rapport sujet-objet statique or d’une façon distincte on pourrait considérer que h serait une grandeur qui serait plutôt révélatrice du procédé générique par lequel l’être humain conçoit des objets et des concepts qui font sens et partant sont accessibles à ses facultés intellectuelles déterminées et non pas universelles. Si, comme j’en fais l’hypothèse, l’existence de h peut jouer le rôle d’un révélateur, je précise tout de suite que cette constante ne peut pas se confondre pour autant avec le geste ontologique. Comme l’indique le titre du chapitre il s’agit de penser en amont de h. A ce stade de ma réflexion, je dois dire que j’étais assez dubitatif car si j’avais plus ou moins l’intuition qu’il valait la peine de prolonger cette réflexion, je n’étais pas du tout assuré de pouvoir le faire jusqu’au stade d’une expression quantitative. Or je considérais que je devais satisfaire l’obligation reprise avec autorité par Kant : « J’affirme que, dans toute théorie particulière de la nature, on ne peut trouver de science à proprement parler que dans l’exacte mesure où il peut s’y trouver de la mathématique. » Heureusement qu’à ce stade de mon travail j’ai retrouvé les traces de lectures anciennes très intéressantes dans le livre d’Olivier Rey, ‘Itinéraire de l’égarement’, édit. Seuil, 2003, qui rappelle les bases, selon lui, de la genèse des mathématiques. Ce développement se trouve à partir des pages 160 que je vous recommande. Dans ces pages, à juste raison, il indique que la géométrie n’est pas une construction de l’esprit mais une reconnaissance, que les démonstrations sont monstrations d’elles-mêmes et qu’un objet se montre lui-même dans la mesure où il coïncide exactement avec sa définition. En conclusion O. Rey confirme une idée qui me convient totalement : « Les mathématiques procèdent de l’action en direction de l’objet. » Il évoque aussi Poincaré qui en son temps avait exprimé un point de vue assez semblable : « Pour un être complètement immobile, il n’y aurait ni espace ni géométrie : car ce sont les actions qui engendrent l’espace, et leur structuration ultérieure en opérations l’espace mathématique… l’expérience fondamentale en géométrie ne tient pas à la « vision » des figures, mais à leur tracé. » Quelques citations qui montrent que O. Rey est allé assez loin dans sa réflexion sur ce sujet : « Mais si les mathématiques s’enracinent dans l’action, qui considérée en elle-même conduit aux structures opératoires, il est concevable qu’en retour elles permettent d’appréhender quelque chose du monde. » et plus loin : «La dualité action-objet disparaît par la médiation d’un espace mathématique approprié, constitué à partir des actions, et dans lequel le monde objectal se manifeste à titre de conséquence. L’activité n’est plus subordonnée à l’être, comme dans l’adage scolastique operari sequitur esse (l’œuvre vient de l’être), elle le constitue. » Ce qui conduit l’auteur à rappeler : « Les liaisons, autrefois s’ajoutant aux choses, s’identifient à elles, « les choses sont supposées et posées pour porter la relation, la liaison est nécessaire à 3 leur existence même2 ». On rejoint la conception Leibnizienne des monades, dont l’essence est entièrement caractérisée par les rapports entretenus avec les autres monades… Cette conception pose l’équivalence entre être et action qui domine la pensée scientifique moderne. On aboutit ainsi à une dématérialisation du matérialisme, la matière devient fantomatique. Les particules élémentaires, censées les constituants ultimes de la matière, n’ont plus rien de matériel, leur définition est purement fonctionnelle. » Ces retrouvailles avec O. Rey me confortaient car son travail aboutissait par la voie qui était la sienne, c'est-à-dire celle du mathématicien, à une reconnaissance de la primauté de l’action qui engendre les objets et les opérations dans le domaine des mathématiques. Apparemment donc, nous sommes en phase sur une primauté de l’action sur l’être mais étant donné qu’à l’origine les champs de notre réflexion sont distincts – bien qu’ils s’entrecroisent – nous aboutissons à des conclusions qui ne sont pas les mêmes, bien évidemment. Pour bien montrer où se trouve notre différence je cite encore une fois O. Rey : « Conformément à sa nature mathématique et expérimentale, la physique moderne ne connaît les objets que par leur manière de répondre aux sollicitations extérieures, qu’elle intègre dans des schèmes opératoires. Elle ne dit pas ce que l’objet est, elle dit comment il se comporte, en fonction de tel ou tel paramètre, dans tel ou tel contexte***… L’objet est finalement destiné à s’évanouir à la limite des modèles de ses interactions, constitutifs de la réalité.» A ce niveau là, O. Rey est fataliste et consentant à l’évanouissement de l’objet donc du sujet parce qu’il n’a pas une conception irrémédiablement dynamique de la relation entre le sujet et l’objet. Mon point de vue est qu’avec l’hypothèse de τs l’empreinte de la présence du sujet est toujours là et elle se manifeste dans toute connaissance conquise par l’homme. Rappelons que selon l’hypothèse proposée, τs ne peut être qu’invariant, il est une scansion primordiale, un existential. Ce temps propre représente la durée du tic-tac de l’horloge quantique3 recherchée comme propriété physique dans la Nature par L.Smolin, C. Rovelli, A. Ashtekar. Avec mon hypothèse c’est l’être humain qui est le vecteur de ce qui fait fonction d’horloge quantique. Ainsi se trouve levée une des difficultés rencontrées par les chercheurs cités car comment se peut-il que le tic-tac de leur horloge quantique (qu’ils tentent d’identifier) soit à tout instant dans tous les recoins de l’Univers. Avec mon hypothèse cette difficulté est levée car l’être humain habite évidemment tous les domaines qu’il investit de ses pensées. Jean Ullmo, ‘La pensée scientifique moderne’, Flammarion, 1969, p.160 Il en est ainsi pour la classification des particules élémentaires : Hadrons, Baryons, Bosons, leptons, fermions, etc. 3 Voir article de Marcia Bartusiak in ‘Discover’ avril 1993, p.61-68, et l’article de C. Rovelli ‘Statistical mechanics of gravity and the thermodynamical origin of time.’ In Class. Quantum Grav. 10 (1993) 1549-1566. 2 *** 4 En complément de la référence 3, il faut citer la publication4 de A. Connes et C. Rovelli qui veulent statuer sur une évidence du flux d’un temps physique. Avec leur hypothèse du temps thermique ils affirment que l’être humain ne peut être qu’un être dans la nature et rien de ce qui fait de lui un être humain ne doit se retrouver dans ce qui constitue la connaissance scientifique. Ici, à ce niveau de la réflexion, j’introduis un nouveau paradigme qui est que le sens le plus élémentaire est façonné par une action primordiale : signature de l’être humain. Dans ce geste ontologique primordial que je prête à l’homme, l’homme réalise un processus irréversible – qui est de l’ordre de la nécessité – car l’action conduit à un résultat qui est celui de concevoir du sens. Ainsi le geste fondateur qui projette une longueur élémentaire accessible à l’intelligence humaine est une action qui implique une durée tout autant élémentaire. Cela explique pourquoi nous sommes confrontés par la voie de la mesure, de l’observation, à une constante universelle qui résulte du rapport entre longueur (distance) et temps c'est-à-dire c. La reconnaissance de c, grandeur invariante, est un fait qui s’impose à nous. La connaissance directe et séparée de la longueur élémentaire (le) et du temps élémentaire (te) est totalement inenvisageable. De même il n’est pas exclu que te recouvre plusieurs τs. Il n’empêche que l’on peut essayer d’appréhender des valeurs limites voire des ordres de grandeurs. A titre indicatif si on évalue que τs est plus petit que 10-23s on obtient comme longueur élémentaire maximum de l’ordre de 3x10-15m soit 3 fermi. Pour rappel on estime que la taille du proton est 2,8 fermi (taille estimée à partir ‘d’images’ obtenues par diffusion élastique d’électrons sur une cible de protons), de même on a mesuré que la charge du proton est distribuée sur une région dont le rayon est de 0.8 fermi. Dimension bien supérieure à celle de l’électron dont le rayon est au moins mille fois plus petit5 !!! La résolution spatiale de l’expérience la plus précise pour faire apparaître la structure composite du proton en trois quarks est de 10-17m. On peut considérer que la plus petite dimension spatiale que nous sommes capable de concevoir, de nous représenter, se trouve comprise entre les dimensions estimées du proton et de l’électron. Soit entre quelques fermis et 10-3fermi, en conséquence τs serait compris entre 10-23 et 10-26s. Notre acuité intellectuelle n’est pas infinie, elle serait donc déterminée par ces grandeurs. (Pour mémoire aujourd’hui nous sommes capables de mesurer effectivement des intervalles de temps de l’ordre de 10-18s, soit l’attoseconde. On peut estimer qu’avec des moyens techniques plus sophistiqués encore on pourra dans l’avenir améliorer cette ‘Von Neumann algebra automorphisms and time-thermodynamics relation in generally covariant quantum theories’ in Class. Quantum Grav., 11 (1994) p. 2899-2917. 5 Lu dans le ‘Dictionnaire de la physique, atomes et particules’, p. 447, Albin Michel, 2000. 4 5 résolution temporelle. Jusqu’où ? Ceci me permet de rappeler qu’il ne faut pas confondre capacité de mesurer et capacité de concevoir.) Quelles sont les conséquences envisageables du fait que notre acuité intellectuelle n’est pas infinie ? Peut être que parmi ces conséquences se trouve notre conception étonnante des quarks, constituants élémentaires des nucléons et autres particules, auxquels on affecte des grandeurs physiques censées les caractériser mais qu’on ne peut pas déceler en tant qu’entités autonomes. On ne peut que les concevoir amalgamées. Autres grandeurs physiques qu’il faudra analyser : portée de l’interaction forte 10-15m ; portée de l’interaction faible 10-18m donc quasiment une interaction de contact (comme l’avait représenté Fermi en 1935). De même qu’on a vérifié la validité de l’électrodynamique quantique à des distances d’interaction qui atteignent 5. 10-3fermi. En résumé nous nous retrouvons avec c, constante universelle, rapport entre une distance ‘élémentaire’ et un temps ‘élémentaire’, vitesse limite, indépassable. Il nous est définitivement interdit de considérer qu’un objet ou un signal puisse se déplacer à une vitesse qui lui soit supérieure. C est la vitesse de propagation de quelque chose d’immatérielle : le champ électromagnétique et c’est cette correspondance qu’il faut commenter, à défaut évidemment de pouvoir l’expliquer. (Ne pouvant décrypter seulement que ce qui est dans l’ordre de nos déterminations tout ce qui est en dehors de cet ordre est inconcevable. On devrait dire que le champ E.M. n’est autre que notre champ E.M. puisqu’il satisfait aux conditions de notre acuité. En même temps on peut même dire qu’il constitue la voûte indépassable de celle-ci. Dans ce contexte que dire à propos de ce qui constitue 95% de notre Univers ? Est-ce que ces composants de notre Univers nous sont noirs, sombres, parce qu’ils sont en dehors de nos déterminations ? N’oublions pas que les hypothèses de l’existence de la matière noire et de l’énergie sombre sont formulées par défaut. Effectivement, il est périlleux de vouloir aujourd’hui statuer sur les cas de l’énergie sombre et de la matière noire car il est légitime de considérer qu’avant tout il faut s’accorder du temps pour résoudre les problèmes des moyens de mesure et d’observation qui nous permettront de faire la lumière sur la nature exacte de la matière noire et de l’énergie sombre. Certains considèrent que nos capacités d’entendement sont sérieusement mises à l’épreuve et que ce n’est plus un problème de temps : « La crise est très nette. Il n’y a rien depuis très longtemps. La matière sombre, cela fait plus de cinquante ans que l’on ignore ce que c’est, à tel point que certains pensent qu’elle n’existe pas. L’énergie sombre, c’est un fourvoiement6. ») 6 Marc Lachièze-Rey, in ‘Science et Vie’, Juillet 2007, p. 69. 6 Rappelez-vous d’une coïncidence étonnante que nous avons déjà rencontrée à propos du champ E.M. quand nous avons découvert en T.Q.C que de la propriété d’invariance de jauge, résultante de la contrainte physique de la conservation de la charge électrique de toute particule de matière chargée, découle le champ de jauge qui n’est rien d’autre que le champ EM. « Ce résultat donne une interprétation inattendue du concept d’interaction : le champ que l’on a ajouté « à la main » (sic) afin d’ôter tout arbitraire aux prédictions de la théorie se trouve justement être celui qui est à l’origine de la force électromagnétique, couplant les électrons et les positrons7. » Le champ EM est une conséquence du respect de la symétrie abstraite, purement géométrique, appelée symétrie de jauge. Désormais étant donné cette propriété, il est définitivement erroné de concevoir une particule élémentaire de matière chargée comme par exemple l’électron, le proton et autres particules, sans qu’elle soit accompagnée de son champ EM. Il se trouve que si on considère la réflexion de savants éminents en respectant la chronologie des découvertes on est alors confronté à des points de vue inversés. Ainsi H. Weyl (mathématicien 1885-1955) avait été le premier à s’apercevoir dès 1918 d’une anomalie avec les lois de la R.G. En effet la théorie de la relativité générale traduit la gravitation en termes géométriques alors qu’à cette époque l’électromagnétisme est considérée comme ayant une nature ‘strictement physique’. Ceci constituait a priori une sérieuse difficulté pour toute tentative d’unifier la gravitation et l’électromagnétisme. Cela n’a pas empêché dès cette époque, A. Einstein, H. Weyl, Th. Kaluza et bien d’autres (une centaine) de rechercher une théorie unifiée de la gravitation et de l’électromagnétisme. On constate dans cet exemple qu’il y a une sacrée corrélation entre ce que nous sommes capables de concevoir d’un point de vue formel, ici le champ de jauge (dans les années 1930, 1940, dans le cadre de l’électrodynamique quantique) et les propriétés physiques que l’on attribue à la nature. Je ne sais si ceci doit être rapproché de ce propos de Kant : « C’est nous-mêmes qui introduisons l’ordre et la régularité dans les phénomènes, que nous nommons nature, et nous ne pourrions les y trouver, s’ils n’y avaient été mis originairement par nous ou par la nature de notre esprit. » (Sur le sujet de la recherche d’une théorie unifiée, vous pouvez faire une excellente révision en lisant l’article ‘Einstein et la quête d’une théorie unitaire’ dans le N°62 JanvierMars 2009 de ‘Pour la Science’. De cet article, des auteurs C. Goldstein et Jim Ritter, j’isole évidemment à dessein ces quelques phrases p. 88 « Multiplicité des projets d’unification : si l’électromagnétisme était en première place, il figurait parfois comme interaction à associer à la gravitation, parfois comme fondement possible à toutes les interactions, tandis que certains 7 De G. Cohen-Tannoudji, in ‘Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences’, article : Invariance de Jauge. 7 chercheurs tentaient de combiner à la théorie de la gravitation les lois de la physique quantique peu à peu découvertes. » et p. 90 : « L’unification devait intégrer une théorie de la gravitation et une théorie électromagnétique – les seules vraies interactions physiques selon Einstein. Les équations de champ devaient avoir des solutions non singulières à symétrie sphérique – interprétables comme des particules chargées. La matière devait apparaître comme conséquence de l’unification, et, loin de dédaigner les lois quantiques, Einstein demandait que celles-ci découlent de la théorie unitaire. ») Comme il en est pour h : en physique ce qui nous paraît insécable c’est une action et non pas une chose prise isolément, de même, ayant introduit cette nouvelle hypothèse, ce qui nous paraît une constante universelle invariante c’est un rapport entre une distance et un temps et non pas une distance ou un temps pris isolément. Supposons que je prenne en compte l’action au sens de sa définition physique qui met en jeu distance élémentaire et temps élémentaire (le temps élémentaire est obligatoirement ≥ à τs, j’ai deux possibilités équivalentes d’écrire la même action, A : soit [E]x[Te] soit [P]x[Le] et dans ces conditions si je fais le rapport E/P j’obtiens E/P=c ce qui est l’égalité connue qui lie les deux variables dynamiques du photon. J’ai donc E/P=c comme j’ai Le/Te=c, alors… ? Avec mon hypothèse, le premier sens, la première valeur constituée et accessible à l’homme c’est c et concrètement cela induit une capacité de décrypter un champ immatériel : le champ EM. Ce champ apparaît comme inhérent à la capacité de concevoir, de décrypter de l’homme et il relève de notre capacité de réception. (Cette idée n’est pas totalement extravagante car l’homme voit, décrypte, la nature directement avec ses yeux sur une bande étroite de longueur d’onde du champ EM, comprise entre λ = 0,35 microns (violet) et λ = 0,7 microns (rouge). Cela résulte d’une sélection par l’ÉVOLUTION, l’œil ayant développé sa sensibilité là où le soleil émettait le maximum d’énergie. Cet astre eût-il été une étoile froide et rougeoyante (par exemple, une géante rouge) que notre œil en aurait perdu sans doute sa sensibilité au bleu pour la transposer dans le proche infrarouge.) C, constituerait donc une sorte de cause première et en même temps cette grandeur délimite une voûte au-delà de laquelle l’intelligence de l’homme est aveugle, au-delà de laquelle l’homme ne peut rien décrypter. La problématique de la cause première a déjà une histoire (pour rappel voir l’annexe 1 du chapitre 7). Du point de vue de Newton sur la scène de la physique, en premier, il y a l’espace et le temps, avec Ernst Mach (1838-1916), celui-ci ayant influencé Einstein dans sa jeunesse, c’est à la matière pondérable que revient le statut de réalité exclusive et de cause absolument première. C’était ainsi privilégier une forme de réalité indépendamment de sa relation à tout autre. Einstein avec son principe de relativité ne pouvait adhérer à cette conception de cause première aussi radicale, selon lui, les éléments constitutifs de la réalité physique ne pouvaient 8 être conçus que dans leur interdépendance, aucun d’eux n’ayant d’existence autonome. Métrique et matière, matière et énergie, champ et particules ne devaient se comprendre que dans leur interdépendance. Avec la mécanique quantique c’est le phénomène qui apparaît comme la cause première. Bien que nous soyons confrontés à l’évidence qu’il soit, par exemple, foncièrement erroné de considérer un électron indépendamment de son champ électromagnétique (champ de jauge) nous ne savons pas prendre en compte cette concomitance du point de vue de la TQC. En effet, la densité lagrangienne de l’électrodynamique d’un fermion chargé est constituée de la somme de trois densités lagrangiennes, celle de l’électron « nu », celle du champ EM, et celle du couplage entre fermion (électron) et son champ. Et par ce fait de considérer, un tant soit peu, champ et électron « nu » comme des entités indépendantes parce qu’on ne sait pas faire (penser) autrement est cause de difficultés, d’indéterminations, et in fine de procédure de renormalisation. Dans notre conception où la cause première est c, constant universelle, et champ EM, qu’en est-il de la matière ? En premier lieu, il faut prendre en compte le fait que nous sommes incapables de concevoir la charge électrique, source de ce champ EM, sans un support matériel. Le raisonnement de l’électrodynamique quantique se fonde en considérant exclusivement une particule de matière chargée. A priori il y a une forte corrélation entre la source du champ EM et son substrat : la matière. A priori la réciproque n’est pas vraie car de la matière non chargée électriquement est ‘observable’. Toutefois nous réfléchirons à cette version un peu plus tard en considérant les constituants de matière les plus élémentaires, ceux du ‘modèle standard’. Ainsi il ne peut pas y avoir de champ EM sans que corrélativement il y ait un champ de matière. On peut donc comprendre pourquoi A. Einstein et en parallèle les autres théoriciens que j’ai déjà cités ci-dessus a consacré beaucoup de son énergie créatrice à tenter d’unifier ces deux champs. Certes cette tentative menée jusqu’à la fin de sa vie fut vaine mais on peut comprendre la légitimité a priori de cette tentative. Ce qui continue de nous interpeller c’est l’écart fabuleux des ordres de grandeurs des deux interactions en question tels qu’il nous apparaît : 10-43. Peutêtre que le rapport e/m ne nous a pas encore livré tous ses secrets, notamment en considérant l’électron qui est la particule électriquement chargée la plus élémentaire et directement observable. On pourrait donc formuler plusieurs interrogations qui mériteront tôt ou tard d’être prises en compte. Il y a-t-il un rapport e/m irréductible ? Est-ce que e/me est ce rapport irréductible ? Bref est-ce qu’une charge élémentaire peut être véhiculée par un substrat de matière m< me ? Si nous considérons que la cause première est le champ électromagnétique et étant donné que sa source est la charge électrique nous pouvons considérer, en tenant compte de ce qui a été 9 dit précédemment, que notre perception de la matière en est que la conséquence. C’est donc un effet « second » de cette cause première. Cela veut dire que le concept de matière ne nous est absolument pas directement accessible. La source du champ EM ne devant pas se déplacer à la même vitesse que son champ alors son substrat doit porter cette propriété substantielle. Ceci est rendu compte par la propriété bien vérifiée qu’aucun objet matériel ne peut se déplacer à une vitesse v ≥ c. (S’il est impossible d’accélérer un corps jusqu’à la vitesse limite c, c’est que, au fur et à mesure que sa vitesse et son énergie augmentent, il oppose une inertie de plus en plus grande à la modification de son mouvement. Le corps résiste de plus en plus à l’effort fait pour l’accélérer : plus il va vite, plus il est difficile de le faire aller un peu plus vite. Les lois de la relativité restreinte nous disent exactement cela. ) Le lien entre matière et la charge électrique que véhicule la matière chargée c’est mc2 ? Voilà une hypothèse hardie que je propose de mettre à l’épreuve dans le cadre du modèle standard des particules élémentaires. Avec ce modèle standard nous avons atteint un niveau de rationalité tel que nous pouvons considérer un nombre restreint de particules élémentaires qui sont à la base de l’édifice de la matière sous toutes ses formes. Nous avons trois familles de quarks qui sont constituées de paires ayant une ‘charge électrique’ fractionnaire. Nous avons identifié, calculé, toutes les grandeurs attributs de ces quarks avec une excellente certitude sauf les masses de chacun d’entre eux qui ne sont connues qu’avec une marge d’incertitude significative à cause du fait qu’ils sont toujours agglomérés. Nous avons aussi trois familles de leptons dont les trois chefs de file, électron, muon, tau, sont dotés d’une charge électrique élémentaire entière, par contre les neutrinos de saveurs électronique, muonique, tauique, sont sans charge électrique. Ces neutrinos ne sont sensibles qu’à la seule interaction faible. Depuis 1930 nous avons toutes les difficultés pour connaître les propriétés et les caractéristiques physiques de ces objets quantiques. Notamment nous sommes incapables de cerner leur masse. A leur propos une hypothèse forte a été émise cette dernière décennie, celle de l’oscillation entre les différentes saveurs. La confirmation expérimentale est très longue à venir mais cela n’annule pas pour autant cette perspective. Il est remarquable que jusqu’à présent toutes les hypothèses émises à propos des évaluations de leurs masses s’avèrent franchement erronées. On est passé à une estimation de masse respective de plusieurs keV à aujourd’hui considérer qu’au mieux la somme des masses des trois neutrinos serait de l’ordre de l’électronvolt au maximum. C'est-à-dire que plus on utilise des moyens de mesure précis pour déterminer cette masse plus ces particules nous apparaissent évanescentes de ce point de vue. Or, en ce qui concerne la détection des particules élémentaires tous les moyens mis en œuvre exploitent la propriété E=mc2. Si comme j’en émets l’hypothèse les neutrinos n’obéissent pas à cette contrainte et bien on continuera avec les 10 moyens classiques d’avoir comme réponse de la part des neutrinos : nous ne sommes pas ce que vous croyez. En résumé les neutrinos ne se caractériseraient pas par E=mc2 et c’est pourquoi ils ne nous apparaîtraient pas stable selon la contrainte de la conservation de E exprimée en terme d’égalité avec mc2. Cela suppose qu’il nous faudrait exprimer autrement la valeur de leur énergie intrinsèque et concevoir différemment ce que nous nommons habituellement la « masse du neutrino ». APPENDICE Dans le but de préciser et d’affiner les différentes problématiques qui ont été abordées dans ce chapitre on pourrait en quelque sorte affirmer : « Parmi tout ce qui pourrait faire figure de champ dans la Nature il y a celui qui se propage à la vitesse c et qui a les propriétés révélées du champ électromagnétique. L’être humain est réceptif à ce champ spécifique, il lui fait sens. » L’aspect photon ≡ corpusculaire résulte du mode de conception de l’être humain. Le dualisme onde/corpuscule serait donc la conséquence du dualisme du mode d’identification d’une entité naturelle qui fait sens et du mode de conception qui relève des déterminations du sujet pensant. Au plus près de la plage de la conception (c'est-à-dire au voisinage de τs) c’est l’aspect corpusculaire qui domine et plus on s’en éloigne c’est l’aspect ondulatoire qui se fait voir. Je propose de prolonger ce raisonnement au processus de génération de la masse qui se trouve être corrélée à la durée c'est-à-dire à son éloignement de la plage de la conception, elle se trouve donc dans l’étendue. C’est comme si nous nous retrouvions confrontés à ce fameux dualisme cartésien de la ‘chose pensante’ (res cogitans) et de la ‘chose étendue’, matérielle, (res extensa), à ceci près que nous sommes confrontés au dualisme de ce que conçoit la chose pensante et de ce qui lui correspond dans la chose étendue. La première phrase de cet appendice est évidemment grosse de conséquences car elle laisse entendre qu’une multitude de champs est possible et même probable mais que l’homme ne sélectionne que celui ou ceux qui sont accessibles à ses capacités d’identification. Cela laisse entendre que notre perception de l’Univers est très spécifique et qu’elle laisse de côté un/des Univers plus riche(s) qui lui est/sont transparent(s). Nous nous retrouvons ainsi face à une nouvelle cosmogonie en perspective que nous aborderons peut-être plus tard8. Il est évident que pour l’instant il est préférable de rester dans la problématique de notre Univers auquel nous sommes réceptifs ce qui correspond à une forme sélection anthropocentrique. 8 Voir article de Aurélien Barrau du Cern-courier de décembre 2007. Attention, car les hypothèses physiques mises en avant dans cet article sont différentes mais les hypothèses de multivers sont franchement (sérieusement) abordées. 11 12