Iguana delicatissima Laurenti, 1768 Iguane des Petites Antilles Systématique Type : "Les figures de Séba et le ou les spécimens de la collection du Comte de Turu" (Daudin, 1802a; Brygoo, 1990a). Localité-type : "In Indiis". Restreinte par Lazell (1973) à : "The Island of Terre-de-Bas, Les îles des Saintes, département de la Guadeloupe, French West Indies" . Restriction non valide (p. 5). Synonymes et taxonomie : un travail ultérieur clarifiera ces problèmes. Lazell (1973) a écrit que : "le type n'a jamais été désigné ; Laurenti ( 1 768) note du matériel déposé au Musée de Turin". Etheridge (1982) a repris en l'aggravant l'erreur de Lazell (1973) en écrivant : "Holotype : Zool. Mus. T@rino, non localisé" . En effet, la citation du Musée de Turin par Laze@1 (1973) n'est qu'une erreur de traduction du nom de Tum. Laurenti a indiqué au début de son ouvrage que les collections du comte de Tum étaient à Vienne. La famille des Thum (ou Tum) et Taxis a été une des grandes familles princières d'Europe qui s'est vue confier le monopole des communications par les Habsburg dès le début du XVI' siècle. Les collections du comte de '1'um ont malheureusement disparu (Anne-Marie Olher et Alain Dubois, comm, pers., janvier 1999). Laurenti a fondé sa description d'lguana delicatissima d'une part sur les commentaires et les dessins de Seba (1734) et d'autre part sur des individus des collections d@ comte de Turn. Dans sa description des iguanes, Seba a insisté sur leurs Qualités gustatives. Par exemple il a écrit, à propos de l'iguane représenté par le dessin 96.4 : "même sa chair passe pour être délicieuse". Le nom de delicatissima vient du latin delicius (délicieux), le qualificatif delicatissima suggérerait qu'il est meilleur qu'Iguana iguana. Lazell (1973) qui a étudié et goûté les deux espèces est de cet avis culinaire ! En raison de l'absence d'écailles coniques sur le cou, il a été appelé iguane à cou nu (Iguana nudicollis) par Cuvier (1816, 1829). Description-Diagnose L' iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima) est plus petit et moins lourd que l'iguane vert ou iguane commun (Iguana iguana). Ainsi, les mâles de l'iguane des Petites Antilles atteignent une taille de 43,4cm (longueur du corps de l'extrémité du museau au cloaque) et un poids de 3540g, et les femelles 40, 1 cm et un poids maximal de 2 650 g quand elles sont gravides (Reichling 2000 ; Day et al., 2000). La longueur totale ainsi atteinte n'excède pas 140-150cm. Du Tertre (1667) a donné une longueur atteignant 5 pieds. Il existe une grande variation dans la taille maximale de cette espèce. Ainsi, à Chancel (Martinique), nous n'avons pas trouvé de mâles dépassant une longueur maximale de 1 1 1 ,5 cm (LC = 33 cm) et un poids de 1 900 g (n = 36) et de femelles de plus de 108cm (LC=30,5cm) et d'un poids de 1540g (n = 6 1 ) pour une femelle gravide. À Saint-Barthélemy, le plus long mâle mesuré atteignait 129cm (LC=38,5 cm) et un autre de 115cm (LC=36cm) pesait 2700g, soit 100g de plus que le précédent (n;5). Le mâle présenté sur la photographie p. 129 a vécu plus de 15 ans (J.-C. Plassais, comm. pers., août 2000) et, à sa mort accidentelle, il faisait 1 36 cm de longueur. Les femelles les plus longues mesurent 123 cm (LC=38,5 cm) et la plus lourde, qui était gravide, pesait 3050g (n= 20). Néanmoins, cette population n'est peut-être pas représentative de l'ensemble des iguanes de Saint-Barthélemy. En effet, elle bénéficie d'un apport alimentaire (bananes, fruits divers . . . ) par les propriétaires du terrain où elle se situe notamment après les cyclones. À Petite Terre, le plus long mâle mesuré atteignait 12lcm (LC = 39 cm) pour un poids de 2 450 g (n = 1 7) et la plus grande femelle gravide mesurait 115cm (LC=33,5 cm) pour un poids de 1950g (n=35). Dans les ravines humides de la Basse-Terre, les individus sont beaucoup plus imposants et le plus gros mâle que nous avons mesuré atteignait 141,5cm (LC=41 cm) pour un poids de 3400g (n= 10) et la plus grosse femelle 130cm (LC=40cm) pour un poids de 2700g (n=15). Il en est de même à la Dominique et à la Martinique. Schardt (1998a) a mesuré à la Désirade un mâle de 139cm (LC=38,7cm) et d'un poids de 2550g. Sa plus grosse femelle atteignait 114,5cm (LC=33cm)etunpoids de 1900g. Dans ce contexte, les iguanes de Chancel apparaissent très petits même par rapport à ceux de Petite Terre qui vivent dans un milieu à peu près équivalent. Iguana delicatissima est trapu. Cette caractéristique, associée à la coloration marron et un comportement particulier, le fait ressembler superficiellement aux iguanes terrestres du genre Cyclura (Alberts, 2000) qui habitent actuellement les Grandes Antilles, mais qui était peut-être aussi présent dans les Petites Antilles (p. 31). Le genre Iguana se distingue morphologiquement des espèces du genre Cyclura (iguane terrestre ou de rocher), par la présence d'épines gulaires sur le fanon (absentes chez toutes les espèces de Cyclura), et par la crête épineuse continue s'étendant de la nuque à la queue alors que celle des Cyclura est séparée en trois régions distinctes (n@ale, dorsale, caudale). L'iguane des Petites Antilles peut être facilement distingué, quel que soit son âge, d'Iguana iguana, par un seul détail moryhologique. Iguana delicatissima ne présente pas d'écaille (plaque) subtympanique élargie, alors qu'Iguana iguana a une plaque subtympanique beaucoup plus grande que le tympan. D'autres caractères morphologiques différencient les deux espèces. Ainsi, la queue d'Iguana delicatissima est unie alors que celle d'Iguana iguana est annelée de noir. Les épines du fanon (moins de 10 et en général moins de 8) ont plutôt une section circulaire et sont souvent recourbées chez Iguana delicatissima alors qu'elles sont aplaties chez Iguana iguana. Ces épines se trouvent dans la moitié supérieure du fanon chez I. delicatissima alors qu'elles s'étendent dans la moitié inférieure chez I. iguana. L'angle antérieur du fanon est arrondi chez I. delicatissima et plutôt droit chez I. iguana. Chez Iguana delicatissima, les écailles supralabiales et sublabiales sont bombées et alignées alors qu'elles sont plutôt plates et forment une mosaïque chez Iguana iguana. Les seules exceptions à ces caractéristiques sont les hybrides entre ces deux espèces trouvés aux Saintes, sur la Basse-Terre (Breuil, 2000b,c ; Day et al., 2000) et sur la Grande-Terre (Breuil, 2000b,c). F@jffels (1997) a donné une assez bonne description des caractères différentiant les deux espèces du genre Iguana. Les hybrides présentent des phénotypes très variables, certains ressemblent par leur couleur et leur morphologie à l'une ou l'autre espèce. Ainsi;un mâle de Terre-de-Bas des Saintes, de phénotype global delicatissima, présentait une plaque subtympanique de grande taille et la rangée classique d'écailles supralabiales de cette espèce. En revanche, des individus de la Basse-Terre et de la Grande-Terre possèdent un phénotype global d'/garvn iguana avec une queue néanmoins peu annelée et une plaque subtympanique de taille plus réduite, prolongée par 3 ou 4 écailles infralabiales bombées plus ou moins isodiamétriques (Breuil, 2000c). La couleur est parfois originale, un mâle de la Basse-Terre (p.133) possède une coloration globalement orange en plus des caractères cités précédemment et une femelle de la Grande-Terre (p. 118) une couleur uniforme beige-brun. Un mâle de Grande-Terre présente une coloration orange vermillon plus soutenue avec des marbrures brunes, un nombre d'épines gulaires de 8-9, une série d'écailles labiales pratiquement isodiamétriques mais asymétrique entre le côté droit et le côté gauche (p. 144) et une queue orange vermillon annelée de noir. Cette couleur orange-rouge a été notée par les Saintois pour les iguanes du Chameau (partie occidentale de Terre-de-Haut) que certains appellent iguanes rouges (Breuil et Sastre, 1993). Nous l'interprétons comme une marque de l'hybridation entre le vert d'Iguana iguana et le grismarron d'Iguana delicatissima. Ces - différents phénotypes suggèrent que les hybrides pourraient éventuellement se croiser, dans certaines conditions, avec les espèces parentales à moins que la prédominance d'un type de phénotype corresponde à celui de la femelle (Breuil, 2000c). Les adultes de l'iguane des Petites Antilles présentent un dimorphisme sexuel pour quelques caractères. Les mâles possèdent des épines nucales, dorsales, caudales et gulaires de taille supérieure à celles des femelles ainsi que des écailles occipitales de plus grande dimension. Tous ces caractères dimorphiques donnent un profil particulier aux mâles qui est mis en avant lors des disputes territoriales. Chez les mâles dominants adultes, le corps et la queue sont marron-gris foncé. Quand les mâles sont sexuellement actifs, les joues deviennent rosées et les écailles occipitales charnues développent une légère couleur bleue. Le dessus de la tête présente deux gibbosités molles de couleur gris-bleu. Un dépôt important de graisse forme les "bajoues" qui donnent l'illusion d'une plus grosse tête et d'un profil triangulaire quand l'iguane est vu pardessus, comme dans les cas de combat frontaux et de hochements de tête (head-bobbing). Le dimorphisme sexuel est beaucoup plus marqué dans les populations vivant dans les parties les plus humides (Basse-Terre) de l'aire de répartition que dans celles habitant dans des îles plus sèches où les femelles âgées adoptent une couleur gris foncé, très semblable à celle des mâles dominés (Petite Terre, la Désirade, Saint-Barthélemy). Les nouveau-nés et les juvéniles sont vert brillant (vert pomme). Des marques blanches sur la mâchoire inférieure, sur les épaules et souvent trois barres verticales blanches sur les flancs forment des dessins qui cassent la silhouette. Les juvéniles ont aussi la possibilité d'assombrir certaines parties du corps, leurs chevrons, ce qui améliore leur camouflage; de ce fait leur couleur s'étend du vert uni au vert avec des taches brunâtres. Les changements ontogéniques de coloration sont dus à une perte progressive des marques blanches et à une réduction significative des capacités à changer de couleur. Chez les deux sexes, la coloration de la tête s'éclaircit jusqu'à ce qu'elle soit claire (blanchâtre) et le corps reste vert uni. La couleur de la queue change précocement, elle devient marron à l'extrémité et s'assombrit progressivement en remontant vers le cloaque. L'observation d'individus captifs (Jersey Wildlife Trust) indique que lorsque deux mâles sont gardés ensemble au milieu de femelles, l'un devient dominant et prend les caractéristiques physiques et la coloration de cet état. Quand le mâle dominant est retiré, le mâle le plus petit prend les caractères dimorphiques et dichromatiques de la dominance (Day et Morton, 1993; Day et al., 2000). Répartition dans l'archipel Guadeloupéen À Saint-Barthélemy, l'iguane des Petites Antilles est présent sur toute la superficie de l'île, mais il est plus abondant dans la partie nord. Son effectif serait de l'ordre de 300-500 adultes avec trois concentrations, l'une sur les hauteurs de Saint-Jean, l'autre à l'anse des Cayes et la dernière à Corossol. Bengt Anders Euphrasen (1756-1797) a relaté dans son séjour en 1788 à Saint-Barthélemy (in Tingbrand, 1995) qu' "Il y a bien des années, ce quadrupède ou lézard était sur toutes les tables, mais à présent, depuis que le pays a été mieux défriché et mis en culture, il devient rare, car les gens l'attrapent pour le manger, en particulier les nègres. On le rencontre encore sur la petite île Fourchue; le plus grand parmi tous ceux que nous avons vu avait 2 pieds de long et valait un demi rixdale specie". Il était présent à l'îlet Frégate, à l'îlet Bonhomme ou Chevreau dans les années 1960 (Lazell, 1973), mais il en a disparu à la suite de la destruction de la végétation par les cabris (Day et Thorpe, 1992; Breuil, obs. pers. août 1996, 2000). Quelques individus vivent encore à l'ilet au Vent à l'est de l'île Fourchue, à Petite Islette à l'ouest de cette île (Breuil, 2000d). Deux terriers et des fèces ont été observés sur Fourchue (Breuil, 2000d), mais aucun iguane; en revanche en août 2001 nous avons observé 2 individus. Une petite population (moins de 10 individus ?) se maintient donc encore sur Fourchue et ses deux satellites (Breuil, 2001b). Sur l'île de Saint-Martin, Iguana delicatissima semble localisé à la vallée de Colombier et aux mornes la délimitant où nous n'avons vu qu'un seul individu en août 1996. Des témoignages (juillet 1996 et avril 2000) des habitants indiquent que des iguanes (Iguana sp.) sont régulièrement observés dans cette zone ainsi que dans la forêt humide du Pic du Paradis. II y a quelques années, des Iguana delicatissima ont été capturés illégalement dans cette zone et sont depuis élevés en Allemagne. L' espèce est absente de l'île Tintamarre et de l'îlet Pinel. Elle serait à rechercher dans l'extrémité nord-est de l'île qui est une des rares zones qui n'a pas été trop abîmée. Avant nos prospections intensives (Breuil et Thiébot, 1994), la seule information concernant la présence d'Iguana delicatissima sur la Basse-Terre était une donnée vague de Lazell (1973) à Habitation Debout. Dans l'état actuel de nos connaissances, la répartition d'Iguana delicatissima sur la Basse-Terre est la suivante :de Saint-Christophe (sud de Goyave) à la ravine du Grand Carbet (dans cette région, il cohabite et s'hybride avec Iguana iguana) ; Pointe à Lézard (Philippe Feldmann, comm. pers., avril 1995) et Plage de Clugny sur la côte Caraïbe (Alain Rousteau, Fortuné Guiougou, comm. pers., février 1995). Nous avons pu vérifier (avril 1995, juillet 1997 et août 1999) l'existence de cette espèce dans ces deux localités où elle se reproduit (nids observés à Clugny en août 1999, 2000, 2001). Sa présence aux îlets à Goyaves est rapportée par Underwood (1962), mais mise en doute par Lazell (1973). Sur ces îlets, nous avons observé (1989, 1993) Iguana iguana ainsi que sur le Rocher de Malendure (Pointe Batterie). Des iguanes sont régulièrement signalés au Morne Deshaies, à Fort-Royal et à îlet à Kahouanne (obs. d'un terrier en août 1999), il est probable que ces iguanes soient des Iguana delicatissima, mais la présence d'Iguana iguana est aussi attestée par un individu trouvé écrasé sur la route dans cette zone (Breuil et Thiébot, 1994). La côte sous le vent et la côte au vent de la Basse-Terre ont certainement eu un peuplement quasi continu d'Iguana-delicatissima comme c'est le cas actuellement à la Dominique. La destruction de l'habitat (p. 40) est un facteur de régression de l'espèce. La présence d'Iguana iguana sur la côte sous le vent, entre des populations d'Iguana delicatissima est bien réelle ainsi que l'hybridation qui en résulte (Day et Thorpe, 1996). Elle pourrait être due à une introduction d'iguanes capturés dans le sud de la Basse-Terre et relâchés dans cette zone (Breuil et Thiébot, 1994). Sur la Grande-Terre, Lazell (1973) a rapporté l'existence d'une population au Bois Eusèbe, mais il a été impossible de la retrouver. En revanche, nous avons appris l'existence d'une introduction d'Iguana delicatissima de la Désirade à Saint-François et leur présence nous a été signalée dans les environs. Néanmoins, à la fin août 1999, nous avons découvert dans la région de Saint-François des iguanes dans un reliquat de mangrove qui a échappé à la destruction. Sur les trois individus observés, il y avait un mâle d'Iguana delicatissima, une vieille femelle d'Iguana iguana et un individu atypique au phénotype Iguana iguana majoritaire que nous avons interprété comme un hybride (Breuil, 2000b). En août 2000 et 2001, nous avons étudié cette petite population. Elle contient au moins un mâle et une femelle delicatissima typiques, un mâle et une femelle iguana, des hybrides (Breuil, 2000c) et quelques jeunes de moins d'un an aux phénotypes difficilement interprétables (conditions d'observation défavorables). Compte tenu de la localisation de cette population, il est peu probable qu'il s'agisse d'introductions. Iguana delicarissima a été introduit à Gosier, et Breuil et Thiébot ( 1994) en ont observé un dans un jardin d'une zone où Iguana iguana est également présent. Les collections du MNHN renferment des Iguana delicatissima dont l'origine est imprécise (Martinique et Guadeloupe), mais aussi des individus -MNHN 2364, 2366, 2366A) récoltés en Guadeloupe par L'Herminier. Ces individus ont été mentionnés par Duméril et Bibron (1837) et envoyés par L'Herminier Fils. Aux Saintes, les premiers Iguana delicatissima et Iguana iguana ont été collectés en 1914 (Dunn, 1934). Dans les années 1940-50 Underwood (1962) n'a vu, à Terre-de-Haut qu'Iguana delicatissima. Dans les années 1960, les deux espèces y étaient présentes en grand nombre (Lazell, 1973). Selon Lazell (1973), Iguana iguana occupe les parties sèches de l'archipel: îlet à Cabrit, l'est et le centre de Terre-de-Haut, la Coche et Grand Ilet alors qu'Iguana delicatissima fréquente Terre-de-Bas et la partie occidentale de Terre-de-Haut, c'est-à-dire les milieux les plus humides. Dans les années 1970, Wijffels (1976) a mentionné la présence d'Iguana delicatissima et d'Iguana iguana à Terre-de-Haut. En supposant que les données de Lazell (1973) représentent la situation réelle dans les années 1960, les observations réalisées aux Saintes depuis 1987 montrent que la situation a bien changé. Iguana iguana a colonisé le Chameau et en a pratiquement éliminé Iguana delicatissima. Au Carême 1995, en faisant le tour du Chameau, nous avons observé, dans de mauvaises conditions, 5 Iguana delicatissima (peut-être hybrides). Tous les autres iguanes déterminés sur le Chameau depuis 1992 sont des Iguana iguana (Breuil, 1996). Schardt (1998b) n'a pas trouvé le moindre I. delicatissima à Terre-de-Haut en 1995. Sur Terre-de-Bas, il en est de même : nous avons observé des iguanes présentant les caractéristiques d'I. delicatissima (couleur, forme de la tête, nombre d'épines gulaires), mais possédant une écaille subtympanique typique d'Iguana iguana. (Breuil et Sastre, 1993; Breuil, 2000c). Inversement, d'autres individus de Terre-de-Bas présentent plus une morphologie de type Iguana iguana avec quelques particularités d'Iguana delicatissima (rang d'écailles isodiamétriques au lieu d'une mosaïque comme chez Iguana iguana), mais la plupart des iguanes observés sont des Iguana iguana typiques. Les iguanes de Terre-de-Bas considérés comme des hybrides d'un point de vue morphologique se sont révélés l'être aussi d'un point de vue génétique (Day et Thorpe, 1996; Day et al., 2000). Ainsi, les deux espèces s'hybrident et sont en compétition aux dépens d'Iguana delicatissima, mais les modalités de la compétition et de l'hybridation ne sont pas encore bien connues. Ce phénomène d'hybridation était déjà en cours dans les années 1960 comme l'a montré l'étude morphologique des iguanes collectés par Lazell dans les années Soixante (Day et al., 2000). Schardt (1998b) a considéré qu'Iguana delicatissima a disparu de Terre-de-Haut pour des raisons inconnues sans que personne ne s'en soit aperçu et il a suggéré d'inventorier les iguanes de la Guadeloupe... ce que nous faisons depuis 1992! C'est Iguana delicatissima qui est présent à la Désirade et non pas Iguana iguana comme l'a indiqué Pinchon (1967), suivi par Bénito-Espinal (1978) qui a corrigé son erreur par la suite (Bénito-Espinal, 1990). Les îles de la Petite Terre abritent une population phénoménale d'Iguana delicatissima dont personne n'avait compris l'importance jusqu'à nos observations (Breuil et Thiébot, 1994; Breuil, 1994; Breuil et al., 1994). La taille de la population a d'abord été évaluée à 4000-6000 individus adultes durant l'été 1993 (Breuil et Thiébot, 1994). Son effectif est variable et a atteint 12 000 individus (p. 124) avant l'été 1995 (Barré et al., 1997) et se situait en 1998-99 autour de 10000 individus (Breuil, 2000b; Lorvelec et al., 2000). Cette différence entre les deux premières estimations est à relier d'une part à la chute probable des effectifs à la suite du cyclone Hugo de 1989 (individus entraînés au large, destruction des pontes par la mer, diminution des ressources alimentaires...) et d'autre part à une exploration très difficile de Terre de Bas en 1993 jonchée par les troncs d'arbres (p. 124). Ces îles sont maintenant classées en réserve naturelle depuis le 3 septembre 1998. Il est étonnant de noter à ce propos que Lazell (1973) a écrit qu'il n'y avait aucun iguane à Petite Terre alors que sa présence était connue de longue date des gardiens du phare et des pêcheurs de Saint-François et de la Désirade, mais les fluctuations d'effectifs sont peut-être responsables de cette absence d'observation. Ni Breton (1665, 1666), ni Du Tertre (1654, 1667) n'ont mentionné la présence d'iguanes à Petite Terre alors que ces deux pères y ont indiqué la présence de phoques moines tropicaux (Monachus tropicalis) respectivement sous le nom d'ours de mer et de loup de mer ("couritou") qui était l'animal le plus original de l'archipel. Les Caraïbes y chassaient ces animaux pendant la saison des pluies au moment de leur migration. Il existe des traces d'occupation arawak datées entre 0 et 1200 après J.C. On pourrait alors se demander si les Amérindiens n'ont pas relâché des iguanes à Petite Terre voire d'autres animaux (tortue charbonnière, agouti...), comme ils l'ont probablement fait à Tintamarre pour ces deux dernières espèces (qui y sont toujours présentes), afin d'avoir de la nourriture dans cette île sans eau. Du Tertre a indiqué qu'une des îles de la Guadeloupe était peuplée par des lézards (p. 33), il pourrait s'agir de Petite Terre. Les Caraïbes ont nommé Petite Terre "Cayaoli" ce qui signifie d'après Breton (1665, 1666) : "varesque (varech), herbes de mer que les tortues broustent, & que la vague jette sur le rivage de la mer", ce qui est un nom très approprié. D'un point de vue quantitatif, la Dominique est supposée abriter la plus grande population continue d'iguanes des Petites Antilles principalement à cause de l'importance des habitats littoraux (Day et al., 2000) alors que les îles de la Petite Terre possèdent incontestablement la plus grande densité de cette espèce, mais peut-être aussi une population d'effectif comparable à celle de la Dominique (Breuil, 1994; Breuil et al., 1994 ; Barré et al., 1997 ; Lorvelec et al., 2000). En revanche, certaines populations (BasseTerre, Grande-Terre, Fourchue) ont été réduites à un niveau extrêmement bas dans des zones très limitées et de ce fait, leur survie à long terme est problématique (p. 131). Répartition La distribution précise d'Iguana delicatissima est encore incomplètement connue. Aucune sous-espèce n'est actuellement admise. L'analyse de la variation géographique a été réalisée, utilisant une analyse statistique multidimensionnelle des données biométriques et des techniques de génétique moléculaire (séquençage de gènes). Les résultats obtenus (Day et Thorpe, 1996) ont indiqué, sur la séquence étudiée du gène du cytochrome c, qu'il n'y a pas de variations génétiques chez Iguana delicatissima, mais qu'il existe certaines caractéristiques morphométriques associées à des particularités climatiques. Les iguanes des régions humides sont, entre autres, plus grands que ceux des régions sèches (p. 117). L'uniformité génétique apparente des iguanes des Petites Antilles sur l'ensemble de l'aire de répartition pourrait s'expliquer par une différenciation sur un des bancs méridionaux des Petites Antilles, suivie par une colonisation récente des autres îles. Cette colonisation pourrait avoir une composante d'origine amérindienne (p. 33), mais aussi naturelle. L'iguane des Petites Antilles habite d'Anguilla au nord à la Martinique au sud. Actuellement, les îles suivantes abritent des populations d'Iguana delicatissima:Anguilla, Saint-Martin, SaintBarthélemy (+ îlet au Vent à l'est de l'île Fourchue + Petite Islette à l'ouest, Fourchue [en voie d'extinction]), Saint-Eustache, Antigua, Basse-Terre, Grande-Terre [en voie d'extinction], la Désirade, les îles de la Petite Terre, Les îles des Saintes [en voie d'extinction], la Dominique, la Martinique + l'îlet Chancel. Les collections des musées et les données de la littérature (Dunn, 1934; Lazell, 1973) indiquent qu'Iguana delicatissima a existé à Nevis, Saint-Christophe, Barbuda, à l'île Chevreau, à l'îlet Frégate (SaintBarthélemy). Les dates de la majorité de ces extincrions locales sont inconnues, mais celles des îlots de Saint-Barthélemy sont postérieures à 1960 (Lazell, ? 973). La présence d'iguanes, probablement Iguana delicatissima, aujourd'hui disparus, est attestée à Marie-Galante depuis le 4 novembre 1493 par Christophe Colomb qui a débarqué à l'Anse Ballet p. 39). De nombreux restes d'Iguana ont été découverts à état fossile dans les Caraïbes, ils sont datés entre - 500 av. J.-C. et 1500 ap. J.-C. La distinction entre les deux espèces ne peut pas toujours être faite sur les • portions disponibles de squelette et de nombreux auteurs ont tendance à considérer que ces restes apparti f ennent à Iguana delicatissima (Pregill et al., 1994). Ces fossiles d'Iguana sont connus des îles Vierges (Wing, 1989), de Saint-Christophe, de Saint-Eustache, de Montserrat, d'Antigua, de Grande-Terre, de Marie-Galante, de la Dominique, de Martinique, de Sainte-Lucie, de Grenade et de la Barbade (revue in Pregill et al., 1994; Grouard, 2001). Les fossiles de la Barbade ont été attribués à Iguana iguana (Swinton, 1937), ceux de Saint-Christophe, SaintEustache et Antigua à Iguana delicatissima (Pregill et al., 1994). Pregill et al. (1994) ont signalé l'existence de fossile d'Iguanidés à Saint-Martin. Il est à remarquer que la majorité des squelettes d'Iguana ainsi trouvés sont associés à des sites culturels. Pregill et al. (1994) ont supposé que l'agouti (Dasyprocta sp. ) et probablement les iguanes ont été transportés par l'Homme pour sa consommation (p. 33). Hoffstetter (1946) a décrit des restes fossiles d'Iguana de Martinique comme appartenant à une nouvelle sous-espèce Iguana iguana reverti que Lazell (1973) a mis en synonymie avec Iguana delicatissima. Habitat Iguana delicatissima occupe les régions côtières du nord des Petites Antilles, du niveau de la mer jusqu'à 300m d'altitude (Lazell, 1973). Il vient d'être découvert dans le nord de la Martinique à 400m d'altitude par une équipe de l'Office National des Forêts (Michel Tanasi ONF, comm. pers., février 1999). La distribution verticale de cette espèce est restreinte par ses besoins thermiques. L'iguane des Petites Antilles occupe ainsi les broussailles sèches, les forêts littorales sèches, la mangrove aussi bien que les zones basses des forêts humides (Dominique, Martinique, Saint-Martin). Les conditions écologiques de ces habitats varient beaucoup d'une île à l'autre, avec par exemple, la possibilité de vivre dans des habitats secs dégradés en l'absence de prédateurs ou de compétiteurs. Il est possible que cette espèce soit particulièrement adaptée aux modifications annuelles de la végétation provoquées par les cyclones. Son métabolisme et sa taille lui permettent aussi de survivre malgré des perturbations environnementales majeures. Sur la côte au vent de la Basse-Terre (zone de pluviométrie comprise entre 2000 et 4 000 mm d'eau, qui correspond aussi à la répartition d'Anolis marmoratus marmoratus), les biotopes fréquentés par Iguana delicatissima sont les ravines humides bordées d'arbres (manguiers, poisdoux, bois couleuvre...) coupant les bananeraies surplombant les rivières. L'iguane des Petites Antilles affectionne tout particulièrement les arbres et les substrats supportant de grandes guirlandes d'une liane appelée localement patate sauvage (Ipomea tiliacea) dont il fait une très grande consommation. La limite altitudinale dans cette région se situe pour l'instant vers 100m (Routhiers). La quasitotalité des Iguana delicatissima que nous avons observés sur la côte au vent de la Basse-Terre se trouve localisée sur ces lianes. Ceux qui ne l'étaient pas n'en étaient jamais très éloignés. Sur la côte sous le vent, Iguana delicatissima habite des falaises à succulentes (Pointe à Lézard) et une mangrove d'arrière plage très dégradée (Plage de Clugny). À la Désirade, tout comme aux îles de la Petite „ Terre, il tombe environ un mètre d'eau et Iguana delicatissima occupe des milieux arides. Aux îles de la Petite Terre, il affectionne les zones les plus boisées: bois à poiriers et mancenilliers, mapous, gaïacs et les arbustes comme les deux espèces de Capparis (bois couleuvre et bois noir) qui constituent l'essentiel de son régime alimentaire (Breuil et Thiébot, 1994; Breuil, 1994 ; Barré et al., 1997). , En raison de l'altération continue et intense de l'habitat, et plus particulièrement depuis l'arrivée des Européens qui ont pratiqué l'agriculture, l'exploitation des bois, ont construit des habitations, il est peu probable qu'il reste dans les Petites Antilles des habitats côtiers dans leur état original à l'exception, peut-être, de certains secteurs de la partie nord de la Martinique. Néanmoins, la régénération rapide, quand elle est possible, est une caractéristique de la végétation adaptée aux cyclones. Ainsi, il reste encore aux Petites Antilles des surfaces capables d'abriter des populations d'Iguana delicatissima. La destruction locale de l'habitat ou la perturbation du paysage pour l'exploitation du bois ou la production de charbon de bois, par exemple, ont provoqué le départ des iguanes qui ont pu cependant revenir avec la réinstallation de la végétation (ils peuvent alors réutiliser les anciens fours à charbon pour pondre comme à l'îlet Chancel en Martinique). Toutefois, les iguanes ne peuvent tolérer des perturbations à grande échelle. La dégradation régulière et continue des milieux par des chèvres et des moutons semble avoir des effets immédiats et à long terme sérieux. C'est ainsi que les chèvres ont détruit complètement la végétation de l'îlet Frégate (Day et Thorpe, 1992) et des autres îlets du nord de Saint-Barthélemy comme Chevreau ou Fourchue entraînant la quasi disparition des iguanes. À l'île Fourchue, la végétation arborée a été complètement détruite et il ne reste plus qu'une vingtaine d'arbres (Pisonia, Tabebuia, Capparis) et une végétation d'épineux constituée par différentes espèces de raquettes (Opuntia) et des z'yeux à chattes (Caesalpinia bonduc) alors que dans les années 60, elle était dominée par des poiriers (Benoît Aubin, comm. pers., avril 2000). Quelques iguanes se maintiennent sur cette île et les deux îlets associés (p. 141). Le pâturage conduit au remplacement progressif des espèces dont s'alimentent les iguanes par des espèces toxiques ou physiquement protégées ou peu attractives (Lantana, Croton, Caesalpinia...). D'une manière générale, les zones sujettes à pâturages supportent des densités d'iguane inférieures à celles qui en sont dépourvues. La population d'iguanes des îles de la Petite Terre est sujette aux aléas climatiques (sécheresses, cyclones...) comme le montrent les variations d'effectifs d'environ 12000 (Carême 1995) à moins de 6000 adultes (début 1996) (Barré et al., 1997). II semble qu'en 19981a population se soit reconstituée (Cabanis, 1998) et elle se maintenait à un effectif très important en 1999 (Breuil, 2000b, Lorvelec et al., 2000). L'augmentation apparente de l'effectif de cette population pourrait être due à un accroissement de la surface de ponte liée à l'exploitation par les iguanes du chemin de gestion taillé dans les formations xérophytiques (Breuil, 2000b). À la suite du Carême très sec de 2001, la population d'iguanes des îles de la Petite Terre a connu une mortalité très importante. En deux heures et demie de prospection le 05.08.01, nous avons compté plus de 300 iguanes adultes morts sur environ 10% de la surface de l'île de Terre de Bas avec des mortalités atteignant, en milieu arboré 20 à 30 individus à l'hectare. Une première évaluation grossière donnerait entre 2000 et 4 000 morts (Breuil, 2001b). Une semaine avant notre visite, les pluies ont débuté et certains secteurs ont commencé à reverdir très partiellement, mais des iguanes continuaient de mourir. Nous avons déposé auprès du gestionnaire de la réserve et de la DIREN un protocole d'étude destiné à obtenir une évaluation plus précise de cette mortalité en fonction des différents milieux et des classes d'âges. Malheureusement, différents obstacles ont empêché la collecte de ces informations inestimables... À la Désirade et à la Dominique, où les populations sont importantes, il y a des diminutions locales d'effectifs à cause de la destruction de l'habitat et de la chasse.