excessive, puisqu’elle aboutit à mettre sur le même plan un verbe spatial comme aller
et un verbe comme
donner. A ces considérations, on peut ajouter le fait (Levin & Hovav, 2005 : 84) que du point de vue de la
structure argumentale, l’hypothèse localiste se révèle peu utile dès lors que l’on cherche à prédire la
configuration et la nature des arguments. Jackendoff (1990) a pris en compte certaines des difficultés
rencontrées par sa théorie en introduisant d’autres types de primitifs dans sa description. Il postule par exemple
un primitif « INCH » (rappelant « inchoatif ») comme nécessaire à la description des verbes de changement
d’état, primitif qu’il substitue au verbe aller (« GO ») utilisé dans ses analyses précédentes. On voit que
l’hypothèse localiste perd ici son caractère direct et exclusif, pour ne plus devenir qu’un élément dans un
système plus complexe.
Etudiant prioritairement des noms, nous ne recourons pas à des verbes conçus comme des primitifs
spatiaux, mais nous nous situerons plus classiquement dans le cadre d’un modèle visant à analyser les traits
sémantiques de ces noms, en précisant ceux de ces traits qui relèvent de la dimension spatiale, ce qui s’avère il
est vrai parfois difficile. Nous refusons cependant une approche qui attribuerait des traits intrinsèques à ces
noms, et nous efforcerons d’identifier ces traits à partir des collocatifs qui leur sont associés de manière
privilégiée.
2.2. La métaphore comme conceptualisation
Le point de vue localiste (conceptualisation de l’abstrait à travers des expressions considérées comme plus
concrètes) trouve une illustration bien connue dans les travaux de Lakoff et Johnson (1980), où la métaphore est
comprise comme principe organisateur de la pensée. En effet, un principe fondamental de l'aspect expérientiel
de la cognition est la théorie selon laquelle les structures conceptuelles prennent leur source, en premier lieu, au
travers de l'expérience du corps et deuxièmement, au travers des capacités de projection des images sur des
structures conceptuelles abstraites (Lakoff, 1986). La notion de « transfert » renvoie ainsi à la métaphore
comprise, d’après les auteurs, comme un processus purement conceptuel et non pas comme un procédé
stylistique
). Ce phénomène concerne diverses catégories sémantiques, la métaphore structurant par exemple la
représentation sémantique du temps ou des idées, effectuée principalement au travers des concepts spatiaux.
Cependant, ce point de vue radical peut être relativisé, dès lors que l’on peut montrer que le transfert ne
s’effectue pas toujours de manière unilatérale à partir d’un domaine-source, la métaphore conduisant plutôt à la
création d’un nouvel espace conceptuel, comme dans les modèles plus complexes du type de celui présenté dans
Fauconnier & Turner (1994). Un tel point de vue, s’il est développé par ces auteurs en termes d’ « espace
mentaux » peut aussi être traduit, de manière préférable pour notre problématique, en termes de « micro-mondes
linguistiques » intégrant la dimension spatiale.
3. Quelques principes méthodologiques liés à nos choix théoriques
Nous avons décidé d’abord de nous limiter à la classe des noms d’affects, pour des raisons pratiques, mais
aussi pour une raison théorique. On sait qu’il n’est pas possible de généraliser les constatations faites pour une
catégorie aux mots de la même famille morphologique et qu’il existe, dans une certaine mesure, une sémantique
des catégories, la classe des noms « intensifs » à laquelle appartiennent les noms d’affect ayant une série de
caractéristiques communes.. Cette remarque ne doit pas cependant aboutir à cloisonner de manière étanche les
catégories, le passage de l’une à l’autre s’effectuant fréquemment de manière transitionnelle : par exemple, dans
les collocations, le nom de base support permet souvent de fabriquer une expression verbale, comme par
exemple dans avoir peur. Nous intéressant aux collocations métaphoriques, et excluant une perspective localiste
« forte » qui traduirait par exemple la possession par le mouvement, nous n’avons pas été confrontés cependant
à ce cas de figure. Notre deuxième parti pris réside en effet dans le fait que nous retenons, pour l’analyse, non
pas les noms seuls, mais aussi leur combinatoire lexicale. Nous analysons plus particulièrement, à cet effet, ce
qu’il est convenu d’appeler des collocations, c’est-à-dire des expressions semi-figées dans lesquelles une unité
lexicale (ici le nom d’affect, qui est en l’occurrence la base de la collocation) est associé à un verbe, à un
adjectif, ou éventuellement, même si ce cas présente peu d’intérêt pour les affects, d’un autre nom. Ces associés
seront nommés, suivant la tradition usuelle dans le domaine, ses collocatifs. Le choix d’étudier les collocations a
Même si ce statut lui est parfois refusé, étant donné sa polyfonctionnalité. Par verbe spatial au sens strict, nous n’entendons pas
un verbe qui a toujours un sens spatial, mais un verbe dont le sens spatial est prototypique, et bien attesté, ce qui semble bien le cas
pour aller.
Là encore, on aurait beau jeu de montrer comment nos sémanticiens oublient parfois la dimension « cognitive » de la rhétorique
ancienne en la réduisant à un jeu stylistique.