LA VIE DE SAINT MATTHIAS, APÔTRE - fêté le 14 mai
Matthias est un nom hébreu qui signifie donné par Dieu, ou donation du Seigneur, ou humble, petit,
car il fut donné par le Seigneur quand il le choisit et le sépara du monde, et en fit un des soixante-douze
disciples. Il fut donation du Seigneur quand, ayant été choisi par le sort, il mérita d’être du nombre des
Apôtres. Il fut petit, car toujours il garda une véritable humilité. Il y a trois sortes d’humilité, dit saint
Ambroise :
- la première d’affliction quand quelqu’un est humilié,
- la seconde de considération qui vient de la considération de soi,
- la troisième de dévotion qui procède de la connaissance du Créateur. Saint Matthias eut la première
en souffrant le martyre, la seconde en se méprisant lui-même, la troisième en admirant la Majesté de
Dieu. Matthias vient encore de manu, qui veut dire bon, et thésis, qui signifie placement. De Matthias,
le bon à la place du méchant, savoir de Judas. Sa vie, qu’on lit dans les Églises, est attribuée à Bède.
Matthias remplaça Judas dans l’apostolat. Mais voyons d’abord en peu de mots la naissance et
l’origine de ce Judas, le traître. On lit donc dans une histoire (toutefois elle est apocryphe), qu’il y eut à
Jérusalem un homme du nom de Ruben, appelé autrement Simon, de la tribu de Dam, ou d’après saint
Jérôme, de la tribu d’Issachar, qui eut pour femme Cyborée. Or, une nuit qu’ils s’étaient mutuellement
rendus le devoir, Cyborée s’endormit et eut un songe dont elle fut effrayée et qu’elle raconta comme il
suit à son mari avec sanglots et soupirs : « Il me semblait enfanter un fils souillé de vices qui devait être la
cause de la ruine de toute notre nation. » Ruben lui dit : « Tu racontes une chose affreuse qu’on ne
devrait jamais réciter, et tu as, je pense, été le jouet d’un esprit python. » Elle lui répondit : « Si je
m’aperçois que j’ai conçu, et si je mets au monde un fils, il n’y aura certainement pas d’esprit python ;
dès lors la révélation devient évidente. ». Or, son temps expiré, elle enfanta un fils ; ses parents furent
dans une grande angoisse et réfléchirent sur ce qu’ils feraient de cet enfant ; comme ils avaient horreur
de le tuer, et qu’ils ne voulaient pas élever le destructeur de leur race, ils le placèrent dans un panier de
jonc qu’ils exposèrent sur la mer dont les flots le jetèrent sur une île appelée Scarioth. Judas a donc pris
de cette île son nom d’Iscarioth. Or, la reine de ce pays n’avait point d’enfant. Étant allée se promener sur
le bord de la mer, et voyant cette corbeille ballottée par les flots, elle l’ouvrit. En trouvant cet enfant qui
était de forme élégante, elle dit avec un soupir : « Oh ! que n’ai-je la consolation d’avoir un si grand
enfant pour ne pas laisser mon royaume sans successeur ! » Elle fit donc nourrir l’enfant en cachette,
simula une grossesse, enfin elle déclara mensongèrement avoir mis au monde un fils, et cette grande
nouvelle fut répandue par tout le royaume. Le prince fut dans l’ivresse d’avoir un fils et le peuple en
conçut une grande joie. L’enfant fut élevé avec une magnificence royale. Mais peu de temps après la
reine conçut du roi et elle enfanta un fils à son terme. Les enfants avaient déjà grandi un peu, fort
souvent ils jouaient ensemble, et Judas tourmentait l’enfant du roi par de fréquentes taquineries et par
des injures, au point de le faire souvent pleurer. Or, la reine, qui le souffrait avec chagrin, et qui savait que
Judas ne lui était de rien, le frappait souvent. Mais cela ne corrigea pas Judas de molester l’enfant. Enfin
le fait est divulgué, et Judas déclaré n’être pas le vrai fils de la reine, mais un enfant trouvé. Après cette
découverte, Judas tout honteux tua, sans qu’on le vit, son frère putatif, le fils du roi. Craignant d’être
condamné à perdre la tête pour ce crime, il s’enfuit à rusalem avec ceux qui étaient soumis au tribut, et
se mit au service de la cour de Pilate pour lors gouverneur, et comme qui se ressemble se rassemble,
Pilate trouva que Judas lui convenait et conçut pour lui une grande affection. Judas est donc mis à la tête
de la cour de Pilate, et tout se fait d’après ses ordres. Un jour que Pilate regardait de son palais dans un
verger enclos, il fut pris d’une telle envie d’avoir des pommes qui s’y trouvaient qu’il faillit presque
tomber faible. Or, ce jardin appartenait à Ruben, le père de Judas, mais Judas ne connaissait pas son père,
ni Ruben ne connaissait son fils, parce que, d’abord, Ruben pensait que son fils avait péri dans la mer, et
ensuite que Judas ignorait complètement qui était son père et quelle était sa patrie. Pilate fit donc
mander Judas et lui dit : « J’ai un si grand désir de ces fruits que si j’en suis privé j’en mourrai. » Alors
Judas s’empressa de sauter dans l’enclos et cueillit des pommes au plus vite. Sur ces entrefaites, arrive
Ruben qui trouve Judas cueillant ses pommes. Alors voilà une vive dispute qui s’engage : ils se disent des
injures ; après les injures, viennent les coups, et ils se font beaucoup de mal ; enfin Judas frappe Ruben
avec une pierre à la jointure du cou, et le tue ; il prend ses pommes et vient raconter à Pilate l’accident
qui lui est arrivé. C’était au déclin du jour, et la nuit approchait, quand on trouva Ruben mort. On croit
qu’il est la victime d’une mort subite. Pilate concéda alors à Judas tous les biens de Ruben, de plus, il lui,
donna pour femme l’épouse de ce même Ruben. Or, un jour que Ciborée poussait de profonds soupirs et
que Judas son mari lui demandait avec intérêt ce qui l’agitait, elle répondit : « hélas ! je suis la plus
misérable des femmes, j’ai noyé mon petit enfant dans la mer et j’ai trouvé mon mari mort avant le
temps mais, de plus, voici que Pilate a ajouté malheureusement une douleur à ma douleur, en me faisant
marier au milieu de la plus grande tristesse, et en m’unissant à toi contre ma volonté. » Quand elle lui eut
raconté tout ce qui avait trait au petit enfant, et que Judas lui eut rapporté tous ses malheurs, il fut
reconnu que Judas avait épou sa mère et qu’il avait tué son père. Touché de repentir, il alla, par le
conseil de Ciborée, trouver N. S. JÉSUS-CHRIST et lui demanda pardon de ses péchés. Jusqu’ici c’est le
récit de l’histoire apocryphe qui est laissée à l’appréciation du lecteur, quoiqu’elle soit plutôt à rejeter
qu’à admettre. Or, le Seigneur le fit son disciple ; de disciple il l’élut Apôtre, et il l’eut en telle confiance et
amitié qu’il fit son procureur de celui que peu de temps après il supporta comme traditeur : en effet, il
portait la bourse et il volait ce qu’on donnait à JÉSUS-CHRIST. Il fut marri, au temps de la Passion du
Seigneur, que le parfum, qui valait trois cents deniers, n’eût pas été vendu, pour les pouvoir encore ravir.
Alors il alla vendre son maître trente deniers, dont un valait dix des deniers courants, et il se compensa
ainsi de la perte des trois cents deniers du parfum, ou bien, d’après le rapport de quelques personnes, il
volait la dixième partie de tout ce qu’on donnait pour JÉSUS-CHRIST, et pour la dixième partie qu’il avait
perdue du parfum, c’est-à-dire pour trente deniers, il vendit le Seigneur. Il est vrai que touché de repentir
il les rapporta et qu’il alla se pendre avec un lacet, et s’étant pendu il a crevé par le milieu du ventre et
toutes ses entrailles se sont répandues, et il ne rejeta rien par la bouche car il n’était pas convenable
qu’elle fût souillée d’une façon si ignominieuse après avoir été touchée par la glorieuse bouche de JÉSUS-
CHRIST. Il était encore convenable que les entrailles qui avaient conçu la trahison fussent déchirées et
répandues, et que la gorge par la parole de trahison avait passé fût étranglée avec un lacet. Il mourut
en l’air, afin qu’ayant offensé les anges dans le ciel et les hommes sur la terre, il fût placé ailleurs que
dans l’habitation des anges et des hommes, et qu’il fût associé avec les démons dans l’air(1).
(1) Papias, évêque d’Hiérapolis, disciple de saint Jean, affirme que Judas survécut à sa pendaison, mais que,
devenu affreusement hydropique, il fut écrasé par un char. Théophylacte et Euthyme l’assurent aussi. - Après avoir
rendu les 30 deniers, il passa chez Marie, la Mère de Jésus qui lui dit : ne fait pas ce que tu as préparé, mon Fils te
pardonnera. Mais lui ne voulant rien entendre, il alla se pendre. Jésus commente : "Si Judas s'était jeté aux pieds de
la Mère en disant : "Pitié", la Mère de la Pitié l'aurait recueilli comme un blessé." (Tome 9, chapitre 25).
Comme, entre l’Ascension et la Pentecôte, les Apôtres étaient réunis pour la première fois dans le
Cénacle, Pierre voyant que le nombre des douze Apôtres était diminué, nombre que le Seigneur avait
choisi lui-même pour annoncer la Trinité dans les quatre parties du monde, il se leva au milieu des frères
et dit : « Mes Frères, il faut que nous mettions quelqu’un à la place de Judas, pour qu’il témoigne avec
nous de la Résurrection de JÉSUS-CHRIST qui nous a dit : « Vous me serez des témoins à Jérusalem, en
toute la Judée, en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ; et parce qu’un témoin ne peut rendre
témoignage que de ce qu’il a vu, il nous faut choisir un de ces hommes qui ont toujours été avec nous, qui
ont vu les miracles du Seigneur, et qui ont ouï sa doctrine. » Et ils présentèrent deux des soixante-douze
disciples, Joseph, qui, pour sa sainteté, fut surnommé le Juste, frère de Jacques-Alphée, et Matthias, dont
on ne fait pas l’éloge. Il suffit, en effet, pour le louer, de dire qu’il a été choisi comme Apôtre. Et s’étant
mis en prières, ils dirent : « Seigneur, vous qui connaissez les cœurs de tous les hommes, montrez lequel
de ces deux vous avez choisi pour remplir ce ministère et pour entrer dans l’apostolat que Judas a
perdu. » Ils les tirèrent au sort et le sort tombant sur Matthias, celui-ci fut associé aux onze Apôtres. Il
faut faire attention, dit saint Jérôme, que l’on ne peut pas se servir de cet exemple pour tirer au sort, car
les privilèges dont jouissent quelques personnes ne font pas la loi commune. En outre, dit Bède, jusqu’à la
venue de la vérité, il fut permis de se servir des figures, car la véritable Hostie fut immolée à la Passion,
mais elle fut consommée à la Pentecôte, et, dans l’élection de saint Matthias, on eut recours au sort pour
ne pas déroger à la loi qui ordonnait de chercher par le sort quel serait le grand prêtre. Mais après la
Pentecôte, la vérité ayant été proclamée, les sept diacres furent ordonnés, non par la voie du sort, mais
par l’élection des disciples, par la prière des Apôtres et par l’imposition des mains. Quel fut le sort qu’on
employa ? Il y a là-dessus deux sentiments parmi les saints Pères. Saint Jérôme et Bède veulent que ce
sort fût de ceux dont il gavait un très fréquent usage sous l’ancienne loi. Mais saint Denys, qui fut le
disciple de saint Paul, pense que c’est, chose irréligieuse de penser ainsi, et il affirme que ce sort ne fut
rien autre chose qu’une splendeur et un rayon de la divine lumière qui descendit sur saint Matthias,
comme un signe visible indiquant qu’il fallait le prendre pour Apôtre. Voici ses paroles dans le livre de la
Hiérarchie ecclésiastique : Par rapport au sort divin qui échut du ciel à Matthias, quelques-uns ont avancé,
à mon avis, des propositions qui ne sont pas conformes à l’esprit de la religion. Voici mon opinion : « Je
crois donc que les Saintes Lettrés ont nommé sort en cet endroit quelque céleste indice par lequel fut
manifesté au collège apostolique celui qu’avait adopté l’élection divine. » Saint Matthias Apôtre eut en
partage la Judée, il se livra avec ardeur à la prédication, et où, après avoir fait beaucoup de miracles, il
reposa en paix. On lit dans quelques manuscrits qu’il endura le supplice de la croix, et que c’est après
avoir été couronné par ce genre de martyre, qu’il monta au ciel. Son corps a été, dit-on, enseveli à Rome
en l’Église de Sainte-Marie-Majeure, dans une pierre de porphyre, et dans le même lieu, on montre sa
tête au peuple. Voici ce qu’on lit dans une légende(2) conservée à Trèves. Matthias de la tribu de Juda
naquit à Bethléem d’une famille illustre. Dans les écoles, il apprit en peu de temps la science de la loi et
des prophètes, et comme il avait en horreur la volupté, il triompha, par la maturité de ses mœurs, des
séductions de la jeunesse. Il formait son cœur à la vertu, pour devenir apte à concevoir, enclin à la
miséricorde, simple dans la prospérité, constant et intrépide dans l’adversité. Il s’attachait à pratiquer ce
qu’il avait lui-même commandé, et à prouver par ses œuvres la doctrine qu’il annonçait. Alors qu’il
prêchait en Judée, il rendait la vue aux aveugles, guérissait les lépreux, chassait les démons, restituait aux
boiteux le marcher, aux sourds l’ouïe, et la vie aux morts. Ayant été accusé devant le pontife, il se
contenta de répondre : « Vous me reprochez des crimes : je n’ai que peu de mots à dire, ce n’est pas un
crime d’être chrétien, c’est un titre de gloire. » Le pontife lui dit : « Si on t’accordait un délai, voudrais-tu
te repentir ? » Tant s’en faut, répondit-il, que je m’écarte par l’apostasie de la vérité que j’ai une fois
trouvée. » Matthias était donc très instruit dans la loi, pur de cœur, prudent d’esprit, subtil à résoudre les
questions d’Écriture Sainte, prudent dans ses conseils, et habile à parler. Quand il prêchait la Parole de
Dieu en Judée, il opérait un grand nombre de conversions par ses miracles et ses prodiges. De naquit
l’envie des juifs qui le traduisirent devant le Conseil. Alors, deux faux témoins qui l’avaient accusé jetèrent
sur lui les premières pierres, et le saint demanda qu’on ensevelît ces pierres avec lui pour servir de
témoignage contre eux. Pendant qu’on le lapidait, il fut frappé de la hache, selon la coutume des
Romains, et après avoir levé les mains au ciel, il rendit l’esprit à Dieu. Cette légende ajoute que son corps
fut transféré de Judée à Rome et de Rome à Trèves.
(2) Cette légende n’est autre que la traduction faite au XIIe siècle des Actes de saint Matthias extraits d’un
ouvrage écrit en hébreu et intitulé : Livre des condamnés. Elle est attribuée à saint Euchaire de Trèves, par le
P. Henschénius des Bollandistes.
On dit dans une autre légende que quand Matthias vint en Macédoine prêcher la foi de JÉSUS-CHRIST,
on lui donna une potion empoisonnée qui faisait perdre la vue ; il la but au Nom de JÉSUS-CHRIST, et il
n’en ressentit aucun mal. Et comme on avait aveuglé plus de 250 personnes avec cette potion, il leur
rendit la vue à toutes en leur imposant les mains. Le diable cependant leur apparut sous les traits d’un
enfant et conseilla de tuer Matthias qui détruisait leur culte ; quoique le saint fût resté au milieu d’eux, ils
ne le trouvèrent pas même après trois jours de recherche. Mais le troisième jour, il se manifesta à eux et
leur dit : « Je suis celui qui a eu les mains liées derrière le dos, auquel on a mis une corde au cou, que l’on
à cruellement traité, et qui fut mis en prison. » Alors furent vus des diables qui grinçaient des dents
contre lui, sans pouvoir l’approcher. Mais le Seigneur vint le trouver avec une grande lumière, le leva de
terre, le débarrassa de ses liens, et lui ouvrit la porte du cachot en le fortifiant par de douces paroles. Il ne
fut pas plutôt sorti, qu’il prêcha la Parole de Dieu. Comme plusieurs restaient endurcis, il leur dit : « Je
vous préviens que vous descendrez vivants en enfer. » Et à l’instant la terre s’entrouvrit et les engloutit
tous, les autres se convertirent au Seigneur.
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