A la Gloire du Grand Architecte de l`Univers

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« Faire ses Humanités pour faire un Humaniste »
Telle pourrait être la devise du Franc-Maçon qui, à l’issue de ses
voyages initiatiques au cours desquels il sera mis en possession des moyens et des objets de la
Connaissance, coopérera à l’exécution du Grand Œuvre. En effet, le symbole commun à tous les
degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté est celui de la construction d’un édifice, construction
du Temple, symbole de l’univers, dont l’homme est lui-même l’image en tant que microcosme.
Ainsi, ayant fait en quelque sorte ses Humanités afin de se construire lui-même, l’éternel
Compagnon que nous sommes participera donc à la construction de l’homme en général, c'est-àdire l’autre, le « tout autre », en rendant le monde qui l’entoure plus humain, témoignant ainsi de
son humanisme.
Mais, qu’est-ce que l’humanisme ? et tout d’abord, qu’est-ce que l’humanité ?
Prolégomènes :
La notion d’Humanité :
L’Homme est-il un animal politique et qui parle, comme le voulait Aristote ? Un animal à
deux pieds et sans plume, comme l’affirmait Platon. Un animal raisonnable, comme le pensaient
les stoïciens puis les scolastiques ? Un être qui rit, pour Rabelais ; qui pense, pour Descartes ; qui
juge pour Kant ; qui travaille pour Marx ; qui crée pour Bergson ? Aucune de ces réponses ni
leur somme n’est en fait satisfaisante car l’humanité ne se définit pas par ce qu’elle fait ou sait
faire mais parce qu’elle est… Ainsi l’humanité est d’abord un fait biologique et si elle peut
devenir valeur ou vertu, ce n’est que par la fidélité à ce fait et à cette espèce. « Chaque homme,
disait Montaigne, porte la forme entière de l’humaine condition ».
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On naît homme, on devient humain ; mais qui échoue à le devenir n’en est pas moins
homme pour autant. L’humanité n’est pas une création mais bien plus une transmission ; elle est
ainsi naturelle avant que d’être culturelle, ce n’est pas une essence, c’est une filiation : Homme
parce que fils de l’homme…
Que l’humanité soit d’abord une espèce animale, c’est ce qui pose aussi, et surtout, la
question de l’humanisme comme morale. Il y a donc tout d’abord un humanisme pratique qui
consiste à accorder une certaine valeur à l’humanité, c'est-à-dire à s’imposer un certains nombre
de devoirs et d’interdits. Ainsi, si les hommes ont des droits, c’est d’abord que nous avons des
devoirs, tous les uns par rapport aux autres : agir humainement et pour l’humanité.
Philosophie et Humanisme :
L’Antiquité, et singulièrement l’Antiquité grecque, est le lieu de naissance de la
philosophie ; elle contient en germe tout le développement de celle de l’occident. Des
philosophies comme celles de Platon et d’Aristote ne sont pas des approximations grossières que
la philosophie moderne aurait dépassées, mais des systèmes exemplaires, sinon complètement
achevés, qui continuent, peut-être en raison de leur ouverture, à solliciter notre réflexion, au
même titre que les systèmes de Descartes ou de Kant. La philosophie grecque, relayée à partir du
Ier siècle av. J.C. par la philosophie romaine, a exercé une influence déterminante sur les formes
de pensée caractéristiques de la civilisation occidentale et qui se sont universalisées au point de
régir aujourd’hui notre planète tout entière. En épurant le mythe de ses ambiguïtés, la
philosophie grecque n’a pas été seulement le banc d’essai de la pensée rationnelle ; elle a fourni
les cadres conceptuels de la grammaire, de l’administration, de la science et, finalement, de
l’exploitation technique de la nature.
D’un autre côté, la philosophie grecque, dans ses différentes écoles, a développé un art de
vivre, de se comporter à l’égard de la nature, des dieux et des autres hommes. Cet art, appelé
aussi « sagesse » (sophia), exige que l’homme prenne soin de soi ou ait le « souci de soi », qu’il
domine ses passions, qu’il se prépare à la mort. Les problèmes pratiques eux-mêmes ne peuvent
être résolus sans le recours à la théorisation, sans le passage au concept. Pour apprendre à
devenir vertueux, dit Platon dans La République, il faut « prendre le circuit le plus long » :
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non l’imitation d’un héros, mais l’apprentissage de la science, qui, après une longue ascension,
permet à l’apprenti-philosophe d’atteindre la science la plus haute : celle du Bien. La philosophie
n’est sagesse, pratique du bien, que parce qu’elle est d’abord le long détour intellectuel qui
permet d’y accéder et d’en fonder rationnellement l’exigence.
On pourrait en dire tout autant de notre Voie Initiatique : « L’épreuve de la Terre qu’est
pour nous le commencement de notre vie maçonnique, est-ce une préparation à mourir ? Non,
c’est une préparation à une certaine façon de vivre parce que nous passons notre vie à mourir »
(G Komar).
Humanités et Humanisme :
Au sens premier (XVI° siècle), l’expression « faire ses humanités » (1539) signifiait
étudier la langue et la littérature gréco-latine… Par extension, il s’agit de nos jours d’études plus
générales (ex. en Belgique : études secondaires), même orientées sur la littérature et les sciences
humaines. L’humaniste (1677) était un homme lettré qui se consacrait à l’étude des écrivains
Antiques et à en faire connaître les œuvres et les idées… Ce terme a désigné tout d’abord une
attitude intellectuelle qui, historiquement, s’était manifestée au temps de la Renaissance. Il
s’agissait au début d’une discipline de l’intelligence plutôt que d’une conception philosophique.
Le mot se rattachait étroitement à celui d’« humanités » par son étymologie. « L’humaniste était,
dans cette vue, l’homme qui a cultivé son esprit, qui a extrait de certaines disciplines, telles que
les langues anciennes, des principes de pensées » (Daniel Rops : Ce qui se meurt). L’humanisme
définit ainsi un mouvement de libération de l’homme par la redécouverte des valeurs morales et
intellectuelles encloses dans la littérature gréco-latine et leur adaptation à des besoins nouveaux.
Mais parler d’humanisme c’est aussi revenir inévitablement aux sources moyenâgeuses
de la culture méditerranéenne, donc de « Mare Nostrum », et plus particulièrement celles du
courant précurseur Arabo-Andalou, né au XII° siècle en Espagne… En effet, au temps de
Maïmonide, Médecin et philosophe né en 1138 à Cordoue et mort au Caire en 1204 (Serait-ce
l’endroit d’où sont nées les Voies Initiatiques de notre culture, comme le lieu où elle y
retournent ? Cf. Guénon), l’Espagne musulmane, « l’Andalus », fut une terre de philosophes de
l’une ou l’autre religion, assez nombreux pour se répartir en tendances différentes, à la
confluence des cultures grecque, latine, hébraïque, chrétienne et musulmane, et assez tolérants
pour y construire une véritable Culture nouvelle et enrichie de mutuelles différences (Cf.
Université, bibliothèque… etc.).
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Maïmonide partagera avec bien d’autres les concepts ontologiques d’Avicenne (X° siècle)
et la rigueur démonstrative mise au point par Aristote (IV° av. J.C.), en affirmant qu’il ne faut
point mélanger deux types de connaissance : celle des prophètes et celle des philosophes ! Il
s’agit donc déjà, à cette époque, d’une réflexion relevant de deux usages de la vie apparemment
irréductibles l’un à l’autre : la tension entre la foi en l’intellect, d’une part, et l’amour de la Loi,
d’autre part ; un double postulat vers la solitude philosophique et vers l’existence
communautaire…
Du point de vue de la religion, ce que les humanistes de la Renaissance, tels Pic de la
Mirandole en Italie au XV° siècle, Erasme en Hollande au XVI°, etc., ont retenu de ce pèlerinage
aux sources, c’est que la philosophie platonicienne ou stoïcienne (Zénon, au III° av. J.C. puis
Epictète et Sénèque, 50 ap. J.C.) est une propédeutique à la philosophie chrétienne et que la
fréquentation des grands auteurs, tels que Platon (IV° av. J.C.) ou Cicéron (50 av. J.C.), peut
avoir une finalité éthico religieuse et que le monde de la culture est « Un ». De même, Bérulle
(en France, au XVI°), s’opposant à la dévotion, préparera ainsi la voie à Pascal (fameuse nuit
mystique du 23 Novembre 1654 !) dans une spiritualité héritée de Saint Augustin (III°-IV° ap.
J.C.).
Sur le plan politique, le pacifisme, l’esprit d’œcuménisme et parfois de cosmopolitisme,
l’amour du peuple et la volonté d’équilibre et d’harmonie entre les pouvoirs, sont des traits
communs à tous les humanistes du XV° et XVI° siècle. Ils sont alors volontiers réformateurs
(More, Rabelais) : le sens de l’histoire et de la continuité du destin de l’humanité leur fait
préférer une réforme intérieure à un renversement brutal des institutions sociales, car ils restent
persuadés du triomphe nécessaire de l’esprit.
Au XVIII° siècle (1765), il s’agit d’un mouvement caractérisé par un effort pour relever
la dignité de l’esprit humain et le mettre en valeur en rénovant la culture Antique. L’humanisme
oppose donc au formalisme scolastique (enseignement théologique du XI° au XVII°) une culture
plus vivante, un ensemble d’études plus humaines. Par lui, se répand le meilleur de la sagesse
Antique. Fort de la philosophie païenne, il aide à secouer le joug de la théologie et révèle le
monde des idées pures… A l’esprit de soumission il substitue l’esprit d’examen, le goût de la
recherche critique. De là un vaste effort de rénovation spirituelle et esthétique (Javinski :
Histoire de la littérature française). En fait, l’humanisme est simplement le fait de se rendre
compte que le problème philosophique concerne des êtres humains s’efforçant de comprendre un
monde d’expériences humaines avec les ressources de l’esprit humain (Schiller).
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Au XIX° siècle (1877), l’humanisme prend le sens général de formation de l’esprit
humain par la culture littéraire ou scientifique (sciences humaines). Ainsi, une culture générale
vraiment digne de ce nom devra toujours comporter, en dehors de l’acquisition des
connaissances scientifiques, une réflexion approfondie sur la complexité de la personne humaine
et sur les divers aspects qu’elle présente, une initiation aussi à l’art de sentir et de vouloir. Louis
de Broglie d’affirmer : « Un humanisme moderne, même s’il doit devenir tout à fait indépendant
de la culture gréco-latine, devra conserver ce caractère et, pour cette raison, il devra toujours
réserver une place importante aux études littéraires » (La culture scientifique).
Par son aspect philosophique actuel, c’est une théorie ou une doctrine, qui prend pour fin
la personne humaine et son épanouissement, qui s’attache à la mise en valeur de l’homme par les
seules forces humaines. Ainsi Sartre a-t-il pu dire : « Par humanisme on peut entendre une
théorie qui prend l’homme comme fin et comme valeur supérieure et par chacun de ses actes,
tous exemplaires, engage l’humanité entière » (L’existentialisme est un humanisme…). C’est en
outre une conception philosophique de la vie d’après laquelle l’homme, du point vue moral, doit
s’affranchir de toute croyance religieuse et construire son avenir en se fondant sur les forces
humaines … Marx ou Nietzsche en sont des exemples classiques. Depuis lors, des philosophes,
des éducateurs et des politiques ont mis en question un grand nombre de valeurs sur lesquelles
reposait naguère l’idée que la plupart des hommes se faisaient de leur propre destin et du progrès
de la civilisation. Mouvement historique, force socioculturelle, l’Humanisme n’exprime pas une
philosophie déterminée mais une synthèse harmonieuse (syncrétisme) de l’Erudition et de la
Vertu : Ces sciences (« studia humanitatis » & « litterae humaniores ») qui nous rendent « plus
humains » sont précisément celles qui doivent nous permettre de réaliser en nous un modèle
anthropologique, voire un idéal…
Humanisme et Franc-Maçonnerie :
Dans ses discours (1721/1736), Michel de Ramsay affirme : « Le monde entier
n’est qu’une grande république dont chaque nation est une famille et chaque particulier un
enfant…Nous voulons réunir tous les hommes d’un esprit éclairé et d’une humeur agréable, non
seulement par l’amour des beaux-arts, mais encore plus par les grands principes de vertu, où
l’intérêt de la confraternité devient celui du genre humain entier» …
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La première Loge anglaise de Maçons Acceptés remonte à 1646 et comprenait, en pleine
guerre civile, des royalistes et des partisans du Parlement, des anglicans, des non-conformistes,
et même un « papiste ». Ainsi, dès sa naissance, la Freemasonry non opérative mettait en
pratique une vertu alors bien méconnue en Europe : la Tolérance. De là, savants et hommes du
monde affluèrent dans les Ateliers (1717) où : « La raison, sceptre en main, de son trône
gouverne la Loge et nous fait Un » !
Nos Constitutions actuelles précisent également : « Les Francs-Maçons travaillent à
l’amélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur
le plan du bien-être matériel…Ils recherchent la conciliation des contraires et veulent unir les
hommes dans la pratique d'une morale universelle et dans le respect de la personnalité de
chacun… ».
L’Apprenti, au sein de nos Loges, ouvre ses yeux à la « Lumière » et travaille à dégrossir
sa « Pierre Brute » en se dépouillant de ses préjugés, de ses certitudes… (N’oublions jamais que
cet acte fut du fait de sa propre et libre volonté !). La découverte du symbolisme sera, pour le
nouvel Initié, matière à son intégration au sein de l’œuvre commune de construction du Temple :
la Sagesse doit présider à la construction de l’édifice, la Force le soutenir et la Beauté l’orner…
Cet équilibre, stable mais subtil, devra induire désormais chez le FM toute la ligne de
conduite de son Idéal, tourné au service du Bien, du Beau et du Juste, en dépit de ses propres
imperfections comme de ses doutes…
Fort du précepte socratique inscrit au fronton du Temple de Delphes : « Connais-toi toimême », ayant développé ses sens (contact avec l’extérieur), il se réalisera en devenant lui-même
une Colonne vivante du Temple. A lui seul appartient désormais une quête vers un
« Humanisme », une Voie vers les autres.
En effet, par l’entremise de la raison et de
l’imagination, la démarche initiatique doit déboucher vers la Voie du cœur, dépourvue de toute
passion et sublimée dans l’action… sachant que « Ce n’est pas le chemin qui est difficile mais le
difficile qui est le chemin » (Confucius)…et que le but n’est pas au bout du chemin…car « c’est
la Voie qui est le But » (Lao-Tseu).
A ce sujet je voudrais, pour reprendre l’expression de certains, « tordre le cou » à
l’expression commune : « Nous sommes des éternels Apprentis » !
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Non, mes FF, bien au contraire, notre Rite et nos rituels nous expriment clairement
qu’un jour notre temps d’apprentissage est terminé et que pour nous s’ouvre le vaste domaine de
la pensée et de l’action…
En cela, nous serons effectivement toujours des « éternels Compagnons », c'est-à-dire, au
sens étymologique du terme, ceux qui partagent le « Pain », symbole de nourriture terrestre,
certes, mais aussi spirituelle… Et ce partage, mes Frères, c’est justement ce sentiment d’altérité
qui nous lient les uns aux autres, d’une part, et avec tous nos frères en humanité, d’autre part…Je
serai même tenté d’aller plus loin en affirmant que cette altérité s’étend à tout ce qui existe dans
l’Univers.
La qualité de notre vie provient de la qualité de nos propos, comportements, émotions et
actes ainsi que du sens que nous entendons leur donner. A contrario, ce qui est le plus important
dans la vie, ce n’est pas tant de savoir si la Vie a un sens, c’est d’agir comme si elle en avait un,
même s’il nous faut à jamais en ignorer le contenu, même s’il nous faut à la rigueur accepter
qu’elle put ne pas en avoir. Mais « Vivre sa vie comme si elle en avait un, n’est-ce pas déjà lui
donner un sens ? »( G. Komar ).
L’ignorance étant la première étape du mépris, la recherche de la Vérité et de la
Connaissance, fondements de notre démarche initiatique (Cf. le Scepticisme de Pyrrhon, III°-IV°
av. J.C.), doit ainsi nous conduire vers le respect et la dignité de l’homme, donc de tous les
hommes. La « mort de Dieu » ne débouche pas forcément sur un humanisme mais peut-être bien
sur « La mort de l’Homme » (Michel Foucault), en ce début de nouveau siècle quelque peu
perturbé et en quête de ses propres valeurs humaines et universelles. L’Homme n’a pas de prix, il
est la valeur originale dont toutes les autres dérivent : seule la conscience morale garantit à
l’homme sa dignité et mérite le respect quant elle s’incarne dans la Loi absolue qui juge de
« l’universalité » (impératif catégorique de Kant, 1788). « Tout seul, oui, mais universellement »
(Cf. Alain) ! C’est à dire vivre, au moins en partie, selon l’autre.
Le problème de la dignité humaine peut être aussi abordé sur un plan métaphysique dans
la mesure où l’on peut dire aussi bien, pour J.P. Sartre : « Nous somme sur un plan où il y a
seulement des hommes », que pour Heidegger : « Sur un plan où il y a d’abord de l’Etre ».
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En tout état de cause, du point de vue de la Morale : « être libre et de bonnes mœurs »,
c’est à dire libéré et raisonnable, est une « législation » qui va dans le sens de l’humanité de tout
homme, à sa liberté guidée par sa raison, qui ne transforme pas autrui en simple instrument au
service d’un désir et ne fasse pas un « objet » de ce qui ne peut être qu’un « sujet ».
Humanisme, Fraternité et Initiation :
L'Histoire nous apprend cependant que l'Homme n'est rien sans son milieu ; La
civilisation se fait en assimilant, par un travail séculaire et collectif, les forces de la nature et les
richesses spirituelles ; elle s'oriente ainsi peu à peu vers des manières communes de penser, de
sentir, d'agir, comme l’exprimait si bien notre Frère Albert Chevrillon : « Humaniste pour ne pas
dire Humanitaire, notre Ordre l'est aussi. Tout homme est tributaire des autres. Chaque individu
est imparfait dans le temps, dans l'espace, dans ses qualités; il ne représente qu'une étincelle
dans l'histoire de l'Humanité, qu'une goutte d'eau parmi tant d'autres (dans l’océan de
l’éternité…). Ce n'est qu'au contact de l'autre qu'il peut s'enrichir »…Ainsi que le disait déjà
Montaigne au XVI° siècle : « Il faut limer sa cervelle à celle d’autrui » !
De fait, c’est au cœur de la démarche initiatique et de la recherche de ce qui fait « sens »,
que se trouve et se construit la fraternité des hommes ! « La fraternité maçonnique est avant tout
initiatique » (Michel Barrat : La conversion du regard). Elle ne trouve sa raison d’être que dans
le chemin d’une sagesse humaine ! Ainsi, c’est la quête même qui fonde la fraternité et non le
contraire ! Comme c’était le cas jadis dans les communautés philosophiques de l’Antiquité et
dans la Chevalerie, c’est la quête de vérité qui unit en fraternité.
Les textes fondateurs de la Franc-Maçonnerie (Cf. supra) mettent donc en évidence que
la notion de fraternité est au centre même de l’idée maçonnique : elle est d’abord fraternité
initiatique puis fraternité des hommes. On peut dire ainsi qu’elle est d’abord posée comme une
qualité spirituelle puis, par voie de conséquence, comme une vertu éthique tournée vers un
Humanisme.
Les Maçons d’aujourd’hui ne sont pas simplement les conservateurs de traditions
anciennes mais les continuateurs et les promoteurs d’une tradition vivante qu’il faut sans doute
rendre plus efficace dans les Temples et hors des Temples. …
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« La Franc-Maçonnerie est appelée à refaire le monde … oui, à la seule condition
qu’elle soit ce qu’elle doit être » ! (O. Wirth). Si donc la fraternité s’enracine d’abord dans la
sensibilité naturelle de l’homme qui le porte à s’unir à l’autre puis avec les autres, cette
sensibilité ne se suffit pas à elle-même pour construire un véritable universalisme…La démarche
maçonnique exprime une confiance, une foi, dans ce qu’est la nature humaine, et la perfectibilité
de l’homme ne peut s’épanouir que si elle est éclairée, développée et construite ; ce que
Parménide (V° siècle av. J.C.) exprimait ainsi : « S’écarter du sentier battu des hommes, conduit
d’errances en désespérances… » (L’être est UN, continu et éternel… proposition fondamentale
de l’ontologie).
Être humain, c’est aussi léguer une tradition et un patrimoine culturel par lequel chacun
trouvera sa personnalité en s’appropriant et en transformant ce que ses prédécesseurs lui ont
légué pour, à son tour, en faire don à ceux qui lui succèderont, réalisant ainsi une chaîne qui unit
les hommes du présent à ceux d’hier et de demain… Et Epictète d’affirmer (esclave affranchi, 50
ap. J.C.) : « Nous sommes hommes d’abord, citoyens et partie maîtresse du monde ! ». Cette
partie sera maîtresse dans la mesure où, libre d’elle-même, elle oeuvrera dans le sens de
l’harmonie des êtres. L’humanisme moderne affirme que les hommes ont droit à la différence, ce
que notre rituel nous rappelle en affirmant devoir nous enrichir de nos mutuelles différences,
nécessaires mais fécondes…
Ainsi, le prochain, cet alter ego, doit avoir, à nos propres yeux, la valeur que lui attribue
le sentiment de la dignité humaine et de « l’altérité ». Cette loi morale conceptualisée par Kant,
affirme qu’il ne faut jamais considérer autrui et soi-même comme un moyen mais toujours
comme une fin, et donc l’expression même de la conception « d’humanisme ».
La fraternité initiatique ouvre bien le règne des fins : les hommes ne sont point les
moyens pour la satisfaction des désirs des autres, mais des fins, c'est-à-dire des êtres ayant leur
dignité en eux-mêmes… Ainsi, en affirmant que la singularité d’une personne, d’une
culture…etc. est irréductible, on affirme en même temps qu’elle est porteuse d’universalité.
Si la fraternité abstraite - idéal d’esprit - n’est qu’une illusion, voire une hypocrisie (Cf.
Flaubert et le jésuitisme, au XIX°), la fraternité concrète - altérité de droit et de fait -, celle qui
n’est pas donnée mais qui doit se construire, est une exigence et une nécessité pour notre
modernité, voire notre survie (Cf. Jankélévitch)… exigence dans la mesure de l’obligation
morale…
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et nécessité parce qu’il n’y aurait de salut des uns en dehors du salut des autres…« Nous sommes
tous solidaires », disait Paul Valéry ! Et de rajouter : « A force de construire, je crois bien que je
me suis construit moi-même »…Telle devrait être l’ambition et l’heureux résultat du FM et
plus particulièrement du Compagnon qui, en opérant sur lui-même, œuvre à la construction du
Temple de l’humanité …
S’il n’est pas nécessaire d’accomplir une démarche initiatique pour aller dans ce sens,
pour le Franc-Maçon il s’agit réellement d’un devoir dans la mesure où nous avons droit à
l’action mais pas au fruit de l’action. S’il existe bien une différence entre bonne volonté et
capacité, seul le travail sur lui-même permet au Franc-Maçon de « poursuivre au dehors l’œuvre
commencée au-dedans » (en évitant ce décalage parfois indécent entre le Temple et la vie
extérieure).
Ainsi l’utilité de la démarche initiatique consiste à faire coïncider nos idéaux avec nos
actes, ce que Malraux exprimait dans Les voies du silence : « Un homme ne devient vraiment
homme que dans la poursuite de sa part la plus haute ». N’oublions pas que notre Ordre est
avant tout Initiatique et Spirituel !
Conclusions :
Ainsi l’initiation, c'est-à-dire la quête, permet de découvrir que la relation
fraternelle que les hommes doivent entretenir entre eux fait partie de l’essence même de l’être
humain. La prise de conscience de notre humanité, qui n’est point spontanée mais le fruit d’un
travail spirituel et intellectuel sur soi, se traduit par un Humanisme qui vise à participer à
l’édification d’une société plus humaine et plus fraternelle.
L’amour inconditionné de toute vie, n’est il pas un feu qui embrase le cœur des Initiés et
qui les pousse à tout faire en sorte pour rétablir le respect de la Règle et de l’Ethique, à faire
régner l’Ordre sur le Chaos, à exalter les nobles sentiments, en un mot à rénover incessamment
la société et les hommes ? Il faut bâtir l’Homme parce que, dans son être Social et Politique
comme dans son être Spirituel et Culturel, il apparaît le plus souvent comme déchiré, perdu,
brisé et plus particulièrement du fait que cet Homme d’aujourd’hui subit le drame majeur de sa
génération qui vit à cheval sur deux mondes, c’est à dire un monde qui ne finit pas de mourir et
un autre monde qui ne parvient pas à naître !
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Notre propre notion d’existence se reflète ainsi dans le miroir de l’autre et débouche sur
la notion sociale et philosophique d’humanité et d’humanisme : cette idée que l’homme se fait de
lui-même dans son plus grand accomplissement intellectuel, moral, voire religieux ou esthétique,
en réalisant une synthèse harmonieuse de la connaissance et de la vertu, nous rendent plus
humain et permettent de réaliser en nous l’accomplissement d’un idéal : L’humanisme est
retournement de soi et action juste face à l’autre (Cf. Le Souverain Bien de Sénèque).
Conformons-nous donc, en toute circonstance, au Bien, sans complaisance pour nos
préjugés et nos intérêts. Souvenons-nous que les nobles pensées viennent du cœur et que
l'accomplissement du devoir exige souvent un sacrifice …
L’invocation du GADL’U rappelle aux Francs-Maçons qu’il ne travaillent pas à
leur propre gloire ni à développer leur intelligence au profit de l’Ego orgueilleux mais qu’ils
doivent justement utiliser cette intelligence et leur cœur pour servir la dimension spirituelle de
l’Homme. Le Rituel nous ramène ainsi à notre besoin intime d’Unité profonde et peut nous
conduire à une action réelle tournée vers les autres, au service du Bien, du Beau et du Juste.
C’est parce qu’il travaille sur lui-même que le Maçon construit la fraternité spirituelle qui
le lie à ses Frères et qu’il peut participer à la construction du Temple des hommes. L’unité de
l’Humanité est un fait métaphysique qui n’est pensable que par l’intervention de l’amour de la
vie.
Cette compréhension du « sens » permet donc à l’initié de se réaliser et de devenir
homme de vérité, porteur de lumière et facteur de paix, de joie et d’amour… ce que prônaient
déjà les philosophes Antiques comme ceux du Moyen-Âge puis de la Renaissance, tous quelque
part enfants de « Mare Nostrum », Mer (Mère) nourricière située au milieu de toutes les terres et
donc au confluent (au sein) de toutes les cultures… de toutes les espérances !
Elevons ainsi nos cœurs en fraternité et que nos regards se tournent vers la Lumière !
MG
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