Comment lanalyse économique rend-elle compte
des gains de productivité dans les entreprises ?
Ne pas confondre la PRODUCTIVITE, qui rapporte le volume de la production à la quantité de facteur de
production, et la RENTABILITE, qui rapporte le profit au capital. Ainsi :
- la baisse des salaires accroît la rentabilité, mais na pas deffet direct sur la productivité (elle peut
indirectement la diminuer dans le modèle du salaire defficience)
- le prix de vente dun bien joue sur la rentabilité, mais pas sur la productivité. Tout développement sur la
fixation du prix de vente (concurrence imparfaite) est donc hors-sujet.
Nous verrons que lanalyse économique a progressivement endogénéisé les gains de productivité des entreprises
: longtemps envisagés comme des paramètres exogènes de lefficacité allocative, ils sont aujourdhui expliqués
par lefficacité productive interne des entreprises et leur environnement. Les gains de productivité procèdent de
laccumulation des facteurs (I), mais aussi et surtout de lassimilation du progrès technique (II etI III)
I) Les gains de productivité factorielle conditionnent les décisions des entreprises
A) La loi des rendements croissants est un pilier commun à la physiocratie, à l’économie politique classique
et à la théorie néoclassique. Formulée par Turgot, elle est également une hypothèse implicite du circuit de
Quesnay, qui représente la circulation de flux de richesses engendrées par des « avances productives », qui sont
reconstituées à lidentique au terme du circuit.
Cette finitude des capacités productives imprègne la loi de population chez Malthus, la convergence vers l’état
stationnaire dhez Ricardo, la baisse tendancielle du taux de profit chez Marx. Dans le contexte dune économie
agricole les effets de lindustrialisation étaient encore peu visible, l’éventualidune croissance intensive
nourrie par des gains de productivité nest pas envisagée par les économistes classiques.
B) La théorie néoclassique du producteur formalise et conceptualise la notion de productivité, qui devient
un paramètre décisif des choix du producteur et, derechef, de l’équilibre. De la fonction de production Y = F (K,
L) découle la productivité moyenne du capital F (K, L) / K ; du travail F (K, L) / L, et les productivités
marginales δY/δK = FK et δY/δL = FL, avec FK > 0 ; F’’K < 0 ; FL > 0 ; F’’L < 0 en raison de la loi des
rendements décroissants.
La fonction de production permet de dégager des mécanismes faisant varier le niveau de la productivité.
- A court terme, le capital est fixe. La productivité du travail connaît une phase croissante puis décroissante, la
productivité marginale coupe la productivité moyenne en son maximum. *
- A long terme, le capital varie. La productivité du capital a alors des propriétés analogues à la productivité du
travail.
Les courbes de coût de production de court terme et de long terme découlent de ces hypothèses sur les
productivités factorielles. *
La fonction de production permet également de spécifier les rendements d’échelle, lorsquon fait varier
simultanément les deux facteurs de production. Les rendements d’échelle sont décroissants / constants /
croissants selon que pour a>1, F (aK ; aL) est < / = / > à aF (K, L). Les gains de productivité naissent de
rendements d’échelle croissants.
Lanalyse économique adopte en général des fonctions de production dont la forme correspond aux
hypothèses usuelles de productivité marginale décroissante et de rendements d’échelle constants :
- la fonction Cobb Douglas : Y=AKα L1-α , avec 0 < α < 1 ; qui implique PmK = δY/δK = α(AL / K)1-α et PMK
= Y / K = (AL / K)1-α
- la fonction CES (= à élasticité de substitution constante), avec < 1 : Y = [α K + (1-α) L ]1/
Lorsque les facteurs de production sont complémentaires, la productivité marginale et les rendements factoriels
sont nuls, les rendements d’échelle sont constants.
Le choix du producteur est conditionné par le niveau des productivités factorielles. La combinaison des
facteurs de production à l’équilibre égalise le prix relatif des facteurs de production w / r et le rapport de leur
productivité respective FL / FK .
La productivité factorielle conditionne également l’équilibre sur le marché des capitaux et le marché du travail
par lintermédiaire des courbes de demande.
C) L’économie (néo-)classique place donc le niveau de la productivité et ses variations au cœur de son analyse,
mais comme des paramètres exogènes. La construction néoclassique se heurte à des difficultés :
conceptuelles : La mesure de la PmK suppose que lon connaisse la valeur de K. Mais le capital est une
collection de biens d’équipement produits à des périodes différentes, de nature différente, il faut le mesurer par
sa valeur monétaire. Or, pour exprimer cette valeur en unités monétaires, qui correspond à la somme actualisée
des revenus engendrée par la détention de capital, on a besoin de connaître la valeur de r, qui est déterminée sur
le marché des capitaux comme équilibrant le taux de préférence pour le présent et la productivité marginale du
capital. On est donc en présence dun raisonnement circulaire, pointé par les économistes de Cambridge comme
Joan Robinson.
empiriques : extrapolée à l’échelle macroéconomique, la fonction de production néoclassique permet de
rendre compte de faits stylisés de la croissance, comme le rattrapage progressif des pays riches fortement dotés
en capital par les pays pauvres, ou encore les « cycles réels daffaires » (Kydland & Prescott) mais elle ne peut
rendre compte de lexistence de gains de productivité généralisés sur le long terme autrement que par un progrès
technique considéré comme un « résidu » dans le modèle de Solow :
δY/δt = FK x δK/δt + FL x δL/δt +
La croissance économique sexplique donc par laccumulation du capital (FK x δK/δt), laccumulation du travail
(FL x δL/δt ) et un résidu interprété comme la « productivité globale des facteurs »,
Les variations amples des gains de productivité à travers lespace et le temps échappent alors au modèle
néoclassique : comment expliquer quaujourdhui les gains de productivité soient spectaculaires en Chine et
pas en Afrique ? Comment expliquer le « paradoxe de Solow », cest à dire que les gains de productivité se
soient ralentis dans les pays occidentaux à partir des années 80, en dépit de la diffusion rapide des nouvelles
technologies de linformation et de la communication ?
II) Les gains de productivité globale des facteurs sont conditionnés par lefficacité productive de
lentreprise
Lorsquon entre dans la « boîte noire de lentreprise », les gains de productivité napparaissent plus comme des
paramètres exogènes, mais bien comme des sources stratégiques de profit, et renvoient à lefficacité-X de la
firme (cf. Leibenstein)
A) Smith montre à propos de la manufacture d’épingles que la division du travail permet, en évitant les temps
morts, en limitant la circulation des individus, mais aussi et surtout en donnant loccasion aux travailleurs
spécialisés dacquérir par lexpérience une certaine dextérité dans lexécutaion de leur tâche, des gains de
productivité conséquents. Le taylorisme et le fordisme amplifient, systématisent et perfectionnent cette division
du travail (double division du travail, chronométrage, convoyage des pièces).
B) La division du travail implique une coordination des tâches, une organisation du travail dont lenjeu est de
gagner en productivité en optimisant la structure hiérarchique et la circulation des informations.
Les formes différenciées de lorganigramme de lentreprise identifiés par Chandler et analysés par Williamson
facilitent ainsi les gains de productivité dans des contextes différents : une innovation radicale est ainsi plus
rapidement adoptée lorsque la chaïne de commandement est plus centralisée (forme U), alors quune gestion plus
décentralisée de la production (forme M) permet d’être plus réactif aux variations de la demande, et donc
d’éviter les invendus, de mobiliser à bon escient les facteurs de production dont la productivité saccroît.
La circulation horizontale de linformation dans la firme J thématisée par Aoki à travers les dispositifs du
toyotisme (kanban, kaizen) favorise la réduction continue des coûts de production (cf. les « cinq zéros »), on
traque ainsi les gaspillages productifs, ce qui augmente la productivité globale des facteurs.
C) Lorganisation optimale du travail doit saccompagner dincitations adéquates : Aoki souligne ainsi la
nécessité dune structure dincitations verticale dans la firme J. Ford avait dailleurs mis en place le « 5 $ day »
en même temps que la chaîne de production pour réduire le turn-over. Plus néralement, le modèle principal-
agent envisage leffort productif du salarié comme déterminé de façon endogène par les incitations à leffort. Le
salaire nest alors pas la rémunération dune productivité du travail, mais bien un outil incitatif qui stimule la
productivité. Dans le modèle du « tire-au-flanc » de Shapiro et Stiglitz, le principal combine le salaire et le
contrôle du salarié pour résorber laléa moral.
On peut cependant douter de la validité de cette conception behavioriste et opportuniste du travailleur. Akerlof
conçoit ainsi de façon alternative le salaire dans une relation don / contre-don. Beauvallet étaye les effets pervers
des dispositifs incitatifs, qui peuvent en tant que motivation du travailleur se substituer aux satisfactions
intrinsèques du travail, nuire à lesprit d’équipe et à lautonomie du salarié, qui sont eux-mêmes de puissants
leviers de productivité ! Le modèle de Lazear * présente lavantage denvisager les gains de productivité du
travail dans une relation salariale de long terme, conciliant ainsi lincitation dans le court terme et dans le long
terme.
III) Les facteurs macroéconomiques des gains de productivité des entreprises
Endogénéiser les gains de productivité, cest aussi dégager les mécanismes macroéconomiques qui les
engendrent.
A) Gains de productivité et cycles macroéconomiques
Les gains de productivité sont discontinus et cycliques. Soutenus durant les Trente Glorieuses, ils se sont
ralentis à partir des années 70, puis se sont accélérés à partir des années 90, aux Etats-Unis principalement.
Schumpeter rend compte de cette dynamique par la diffusion irrégulière des « grappes dinnovations ». Les
innovations de procédé entraînent des gains de productivité. Les nouvelles technologiques de linformation et de
la communication joueraient ainsi aujourdhui un rôle analogue à la machine à vapeur lors de la première
révolution industrielle et à l’électricité lors de la deuxième révolution industrielle.
Schumpeter dégage par ailleurs les facteurs environnementaux propices aux gains de productivité : une culture
entrepreneuriale valorisant la prise de risque et la compétition, une tolérance envers les « rentes de monopole »
qui motivent les innovations.
B) Les théories de la croissance endogène définissent des politiques publiques favorables aux gains de
productivité des entreprises.
Les théories de la croissance endogène peuvent être considérées comme « néo-schumpéteriennes » car elles
partagent cette attention aux facteurs macroéconomiques et sociaux propices aux gains de productivité :
linvestissement doit être encouragé car il produit des externalités positives. LEtat contribue aux gains de
productivité des entreprises en prenant partiellement à sa charge ou en subventionnant linvestissement, tout
particulièrement lorsquil est risqué, par exemple dans la recherche et développement.
les externalités positives de linvestissement public sont particulièrement fortes, car lEtat internalise ces
externalités dans ses décisions, ce qui explique le niveau élevé de son rendement estimé par Aschauer.
Le capital humain, général et spécifique, peut senvisager comme un facteur de production à part entière,
complémentaire du travail et du capital, dont il peut accroître la productivité. Les politiques de l’éducation sont
ainsi source de productivité pour les entreprises.
la législation des brevets et de la concurrence doivent être ajustées à la « distance à la frontière technologique
» (cf. Aghion) dune branche et/ou dun pays donné pour favoriser les gains de productivité.
C) Des gisements de productivité contingents de contextes spécifiques.
Lanalyse économique a gagné en finesse et en réalisme en différenciant les gisements de productivité en
fonction du contexte macroéconomique :
Les gains de productivité sobtiennent par innovation dans les pays proches de la frontière technologique, par
imitation dans les pays plus éloignés (Aghion), ce qui modifie les préconisations en termes de politique de la
concurrence.
Les gains de productivité sont de nature différente selon les « modèles productifs » des entreprises. (Boyer
Freyssenet). Ainsi, Dans un contexte où la demande est régulièrement croissante et uniforme, les gains de
productivité sobtiennent essentiellement par le jeu des économies d’échelle. : cest le modèle productif fordiste.
Dans un contexte où la relation salariale est stabilisée et la demande est fluctuante et diversifiée, les gains de
productivité sacquièrent par un processus continu de réduction des coûts en éliminant les stocks et en mobilisant
au plus juste, à flux tendus, les capacités de production : cest le modèle productif toyotiste. La nature des gains
de productivité dépend de stratégies de profit elles me adaptées à une configuration institutionnelle : le
fordisme était en harmonie avec un mode de régulation marqué par une politique de croissance du niveau de vie
des salariés par la redistribution des revenus, un accès au crédit aisé, une faible exposition à la concurrence.
* Un schéma illustratif est ici bienvenu.
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