Réflexions sur le fonctionnement des politiques de développement

publicité
Réflexions sur le fonctionnement des politiques de
développement et des politiques économiques
En Algérie de 1967 à 1998.
Par M.L.Benhassine
Pourquoi un tel sujet de réflexion?
1) - Il s’agit de tenter de reconstituer d’une façon critique la marche des
politiques de développement et des politiques économiques que les pouvoirs
successifs ont appliquées pendant les trois dernières décennies en Algérie.
2) - Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de chercher à pénétrer et à saisir
les ressorts du fonctionnement ou du dysfonctionnement des activités
économiques et sociales qui ont été impulsées par ces politiques de
développement et ces politiques économiques.
3) - Ce n’est pas un bilan exhaustif des résultats quantifiés de ces activités que
nous voulons faire. Mais surtout faire ressortir les moments forts, indicateurs de
tendances caractéristiques et durables qui ont sous-tendu la marche, le
mouvement de la politique de développement et celui de la politique
économique.
4) - Nous pensons, à la différence de beaucoup d’économistes et de spécialistes
des sciences sociales, que compte tenu des grandes particularités des situations
dans les pays sous-développés, il est nécessaire de faire la distinction entre la
politique de développement et la politique économique.
5) - La distinction entre ces deux types de mesures ne signifie pas rupture entre
les modes de fonctionnement qui caractérisent chacune d’elles. Dans l’ensemble
des activités économiques et sociales, les mécanismes qui régissent la politique
de développement et ceux de la politique économique se rencontrent à différents
niveaux, mais peuvent ne pas coïncider. Ceci est explicable par la spécificité des
rapports économiques et sociaux des formations sociales sous-développées.
1
Mais d’abord, quel sens donnons nous à ces deux termes?
I- Notre conception de la politique de développement et de la politique
économique.
Une politique de développement se caractérise par l’application sur le terrain de
l’ensemble des mesures politiques, économiques et sociales qui ont pour objectif
principal la transformation des rapports économiques et sociaux en vue du
dépassement des formes ou des restes de dépendance coloniale et des formes
pré- coloniales du retard. Le résultat de cette politique de développement est la
création de forces productives nouvelles et de rapports capitalistes productifs
modernes qui contrecarrent, marginalisent les formes de prédation et de
parasitisme, afin d’ouvrir les perspectives d’une croissance durable soucieuse du
bien être social.
La politique économique est l’ensemble des mesures politiques, économiques et
sociales décidées par l’Etat ou le pouvoir, mesures qui donnent un sens et une
orientation aux différents modes d’organisation des affaires, de répartition et de
redistribution des revenus. La politique économique peut déboucher sur un
accroissement quantitatif des principaux agrégats comptables d’une économie
sous-développée sans qu’il n’y ait dans le moyen et le long terme une
amélioration sensible des conditions de vie pour la majorité de la société.
La politique économique, face à une politique de développement précédemment
mise en application, peut à la faveur d’un changement d’équipes politiques
remplir la fonction de réorientation, de détournement et d’essoufflement
progressif des mesures de politique de développement appliquées sur le terrain.
Ces changements ne sont pas saisis d’une façon claire par l’analyse quantitative
et comptable. Pour les mettre en lumière il est nécessaire pensons-nous de
montrer les modes d’insertion de la politique de développement et de la
politique économique dans le fonctionnement de la formation sociale sousdéveloppée. Exercice peut être délicat, difficile. Mais il peut avoir le mérite de
nous éloigner des approches ou des appréciations normatives que nous sommes
enclins de faire quand il s’agit d’élaborer ou d’évaluer les résultats de ces
politiques.
Nous ne disons pas que politique de développement et politique économique
s’excluent l’une, l’autre. Une politique de développement peut se doter d’une
politique économique adéquate si la politique de développement veut concentrer
2
ses efforts sur le processus d’investissement, tandis que la politique économique
peut mettre l’accent sur les modes de répartition, de redistribution des revenus et
de consommation.
Par contre, pensons-nous, il est fort difficile, dans une formation sociale sousdéveloppée, de faire émerger une politique de développement à partir d’une
politique économique existante. Les raisons explicatives de ce phénomène
peuvent être nombreuses. Mais nous en citons au moins deux qui nous semblent
plausibles :
a) - la mise en place d’une politique économique sans ouverture sur le
développement est l’indice de l’échec de l’accumulation du capital.
b) - Ce processus d’accumulation étant converti ou détourné vers les méandres
du processus d’enrichissement. Ce dernier est à distinguer du processus
d’accumulation. L’enrichissement pouvant résulter d’activités d’accaparement,
de prédation, de corruption et autres malversations courantes. Ce qui signifie
que l’ancrage des forces sociales qui font promouvoir cette politique
économique est composé de classes et couches sociales dont les intérêts
immédiats sont dans les sphères de circulation, de répartition et de redistribution
du capital et des revenus. Le profit échoue en quelque sorte dans des catégories
diverses de revenus. A la longue, le produit social public opère un mouvement
de spirale descendante qui fait que ce produit social, au lieu de se faire valeur,
c’est à dire de continuer à se faire valoriser par l’activité productive, tend à se
transformer en un ensemble de valeurs d’usage. C’est la contradiction entre
activités productives et activités diverses de circulation et de consommation qui
n’est pas politiquement résolue.
Ceci peut constituer une hypothèse de travail que la suite viendra confirmer ou
infirmer. Elle peut jeter un éclairage sur les distances qui peuvent exister entre
les résultats de la politique de développement et ceux de la politique
économique.
II. Examen de la politique de développement et des politiques économiques,
1967-1997.
1. De 1967 à 1978-1979 a été appliquée une politique de développement qui
avait pour objectif principal, par le moyen des plans de développement, de
transformer l’économie algérienne en y implantant une industrie de base, en
procédant à des transformations des rapports de propriété au sein de l’agriculture
3
et en maîtrisant le commerce extérieur à l’aide des institutions de l’Etat. Le
résultat final attendu ou recherché étant d’impulser, d’implanter une dynamique
de développement industriel qui crée une nouvelle articulation entre les secteurs
afin élargir le marché intérieur et accroître les moyens d’accumulation internes.
Le moyen financier initial de cette industrialisation et de ce type de
développement était la mobilisation des revenus des hydrocarbures.
2. L’autre objectif, qu’il était prévu d’atteindre dans le long terme, était de
rompre le cercle vicieux de dépendance dans lequel se trouvait l’économie, de
dépasser l’état d’une économie semi -coloniale, pour tenter de la transformer en
économie nationale.
3. De quelques résultats significatifs de cette politique de développement
1967 -1978-1979 :
Les taux de croissance de la production globale hors hydrocarbures ont été de
9,2% en moyenne en 1974-1977 et 14,1% en 1978 (Documents non publies)
pour la période 1969-1978, le taux d’épargne moyen a été de 36,54% et le taux
d’investissement moyen de 45,71% sans sacrifier la consommation par tête qui
s’est
accrue de 4,5% par an. La politique salariale a nettement favorisé le secteur
agricole : les indices du salaire et du pouvoir d’achat sont passés respectivement
de l’indice 100 en 1967 aux indices 256 et 146 en agriculture, 174 et 93,2 dans
le secteur non - agricole et 206 et 111,7 dans 111,7 l’administration en 1977. Le
taux de chômage est passé de 25% en 1967 à 23,5% en 1973 et 19%
en 1978. Selon la même source,(1) le taux de croissance de la production
intérieure brute totale (Publique et privée), en prix constants de 1974, a été de
7% l’an, entre 1969 et 1978. Le stock de la dette pour la même période a été :
Années
1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978
Montant 944
1979
1.260 1.550 2.991 3.412 4.593 6.085 8.902 13.687 16.510
Montant ( en MO de dollars US)
4
Nous avons reproduit un ensemble de données qui nous permettront de faire une
analyse approfondie et comparée des différentes étapes de l’évolution
économique et sociale de l’Algérie.
Qu’en est-il de l’autre étape, celle de 1980 à 1994?
4. Politique de développement ou politique économique de 1980 à 1994?
L’idée directrice de l’ensemble des mesures entreprises, d’ordre politique,
organisationnel, économique, pendant cette étape, est de démanteler
progressivement,
sous
le
couvert
de
réformes,
l’orientation
‘’développementiste’’ qui a été imprimée à la société pendant la précédente
étape. Nous ne reprenons pas en détail cette logique du démantèlement (2).
Seulement quelques moments significatifs :
- l’application des mesures successives de restructuration des entreprises
publiques a eu pour résultat l’affaiblissement du secteur public.
- On a démantelé l’outil technique, on s’est attaqué à la mémoire de
l’entreprise par la dilapidation de l’expérience qui s’était accumulée, et on a
remplacé les cadres compétents et aguerris par d’autres plus obéissants et
dociles.
- On a gelé l’initiative des entreprises en les rendant directement
dépendantes des décisions des ministères de tutelle....Tout un vaste programme
qui bouleverse les superstructures politiques et idéologiques qui maintiennent et
orientent l’économie nationale, et dont le secteur public constitue la force
d’équilibre. Parce qu’il a émergé et s’est formé dans un long processus, qui est
lui même le résultat d’un consensus national. Il y a là, la première brèche faite à
ce consensus.
De quelques résultats importants de la période :
Pour pouvoir mesurer le passage de la politique de développement à la
politique économique qui cherche à banaliser l’effort social passé, tout en
banalisant du même coup à la fois sa propre démarche et aussi ses résultats, il est
utile de faire des comparaisons sur les modes d’investissement pendant les deux
étapes :
5
Selon la même source que précédemment, l’investissement total, en prix
courants, s’est multiplié par 15 de 1969 à 1978, passant de 3409 à 53424
millions de dinars. Il a parfois représenté plus de 50% de la PIB. Le taux
d’investissement moyen de la période est de 45,7%, nettement supérieur à celui
des pays à revenu moyen qui se situe à 26% .
Par contre, à partir des années 80, on assiste à une réorientation de la politique
d’investissement qui signifiera, sous le couvert d’une continuité formelle, un
rejet réel de la politique de développement initiée pendant la première étape .
Les recettes extrêmement élevées des hydrocarbures et l’existence de la dette ne
peuvent pas servir d’alibi explicatif de ce vaste détournement de la politique de
développement. C’est cette orientation productive de la politique de
développement 1967- 1979, qui représente un rapport social précis, qui est visée
et agressée par des volontés politiques de répartition et de redistribution
improductives, parasitaires des revenus. Ce qui signifie en fait un
bouleversement, une remise en cause politique de la répartition du revenu
national. Le décalage grandit, s’accentue entre les nouvelles visées du politique
et la tendance imprimée à l’activité productive et au développement pendant
l’étape précédente.
Le foyer de la crise sociale est là :
Mais en attendant de donner les chiffres pour comparer entre ces deux types de
politiques et les tendances qu’elles révèlent, il se forme entre 1972 et 1979 la
matrice politique de la crise sociale algérienne. Les contours politiques de
l’abcès de crise qui affectent cette matrice politique résident d’abord
superficiellement, dans le déséquilibre entre le corps économique et social de la
société qui a grandi et est entrain de grandir, et le corps politique qui n’a pas
évolué selon le rythme et les exigences des transformations dues aux avancées
de la politique de développement. L’exigence de démocratisation rapide des
institutions de la vie sociale et dans de bonnes conditions entre 1972 et 1979 n’a
pas été entreprise par le pouvoir (3). Le politique va prendre un gros retard par
rapport à l’avance et aux exigences de la société. Le pouvoir se contente alors de
‘’couver’’ l’ancienne société ; il s’appuie par sa représentation sur elle et il n’en
démord pas. Le décalage entre ses méthodes de réguler et de gérer une société
qui grandit et qui lui échappe devient de plus en plus criant. Ceci est en partie
prouvé par les modes de répartition des investissements à partir de 1980 jusqu’à
pratiquement nos jours.
6
5. Qu’en est-il des résultats de cette pratique économique jusqu’ en 1994?
Selon les données disponibles, il faut relever que de 1974 jusqu’à 1985-1986, les
recettes d’exportation des hydrocarbures ont augmenté à un rythme très rapide.
Quelques chiffres : si nous nous référons à 1978, ces recettes étaient de 6000 M0
de dollars US. En 1979, elles se rapprochent de 10.000 M0 de dollars, pour
grimper approximativement jusqu’à 14000 M0, respectivement pour les années
1980, 1981 & 1982. En 1985 elles sont de 12,7 milliards et en 1986, elles
atteignent 7,9 milliards.(4) avec une tendance à la baisse continue à partir de
1991. A titre d’exemple, le prix du baril est de 21 dollars en 1991, de 17,65 en
1993, pour continuer sa chute à 14,65 dollars en 1994 (5). Il oscille de nos jours
entre 12 et 13 dollars. Sans entrer dans le détail des politiques d’adaptation au
processus de baisse des recettes provenant des hydrocarbures, nous ne pouvons
pas ne pas remarquer que ce sont des sommes énormes qui ont été perçues entre
1979 et 1994, comparées aux recettes et aux réalisations de la période 19671978.
Mais ceci ne suffit pas pour montrer d’autres traits caractéristiques de ces
réorientations. La même source des données que nous utilisons, confirme les
jugements que nous avons portés. La part des investissements des entreprises
publiques est passée de 56% en 1980 à 24% en 1984, au profit des
investissements dans les infrastructures qui passent de 30% en 1980 à 55% en
1984.(6) Toujours selon la même source, la structure des investissements montre
que la part de l’industrie est passée de 56% en 1980 à 24% en 1984, au profit
des infrastructures économiques (de 7% en 1980 a 15% en 1984) et des
infrastructures sociales (7% en 1980 au 15% en 1984). Tandis que la part de
l’agriculture est stabilisée autour de 3 à 4%.(7)
La tendance à la désindustrialisation se confirme après les années 80. Par
exemple, sur les 191,5 milliards de dinars prévus dans la loi de finances de
1993, 102 milliards de dinars étaient affectés à l’investissement. Sur les 102
milliards de dinars seulement 23,4 MDS étaient destinés à l’investissement
productif, soit à peine 12% des dépenses d’équipement. (8). Ces données nous
permettent de faire quelques remarques sur les différences entre ces deux types
de politiques.
6. Les décalages entre politique de développement et politique économique
(1967-1994) :
7
a) - Le centre de gravité de l’effort social organisé par la politique de
développement (1967-1978) se déplace de la sphère de production vers les
sphères d’échange, de circulation et de répartition du capital et des revenus entre
1980 à 1994. La politique de développement, initiée grâce aux exigences et aux
pressions du mouvement social encore porteur du souffle de la libération, tend à
se transformer en politique économique. Il faudrait analyser plus avant ces
pesanteurs. Ce qui est en dehors des objectifs de cet article
b) - Il y a une volonté du facteur politique à maintenir, retenir le mouvement du
capital et des revenus dans les sphères non directement productives. Une sorte
de mentalité politique qui adhère et « colle » facilement à tous les actes qui
génèrent l’argent frais et repousse tout ce qui crée, reproduit, l’effort
social créateur.
L’allocation des ressources pour l’investissement prouve alors que la
minimisation des ressources réservées à l’industrie et à l’agriculture signifie le
refus, plus encore, le rejet du développement, peut-être d’un type de
développement, celui représenté, personnalisé par la politique de développement
de 1967-1978.
c) - C’est dire que nous retombons, avec cette conception, dans une logique
économique de type post-colonial. L’arrêt, pratiquement, du processus
d’industrialisation participe de cette logique. De toute façon il lui demeure
apparenté.
d) - C’est pendant cette étape que se forment et se consolident les éléments
constituants d’une contradiction sociale majeure, celle du divorce grandissant
entre le rejet ou le refus du développement des forces productives nationales et
les besoins du développement sans cesse grandissants de la société. Le
mécanisme politique qui a accéléré la maturation et les modes d’expression de
cette contradiction réside dans l’exigence sociale accordée à la répartition et à la
redistribution des ressources qui devraient revenir au développement de
l’économie et de la société.
e) - La révolte des jeunes d’octobre 1988 dans ses débuts, est l’expression du
refus, du rejet d’une telle orientation parasitaire, arbitrairement imposée à
l’économie et à la société, au mépris et à l’encontre de l’action des lois
économiques et sociales. Il semble que ce processus pervers se poursuive de nos
jours. Ainsi, le foyer de la crise sociale s’est élargi, il est devenu béant à la suite
8
d’un cumul de contradictions économiques et sociales que le politique a perçues
et n’a pas daigné les résoudre.
f) - En attendant de revenir à d’autres points de ces mêmes problèmes, il est
nécessaire d’examiner d’autres aspects de cette politique économique.
7. Autres aspects de cette politique économique.
a) En effet, la réorientation majoritairement improductive de l’allocation des
ressources publiques des flux économiques, d’une façon privilégiée vers les
sphères de circulation et de répartition, va avoir pour conséquence directe le
rétrécissement des capacités productives du secteur industriel public
principalement. La source initiale du processus récessionniste se trouve là,
processus qui se compliquera plus tard. De plus, la baisse des prix des
hydrocarbures, conjuguée à l’ensemble des actes de gestion antiéconomiques va
accentuer la spirale de l’endettement et rendre l’économie plus fragile et plus
vulnérable, face aux injonctions du capital financier international ou mondial.
b) La dette, vue du point de vue qui nous occupe, devient un indice éloquent de
l’échec de l’accumulation et du développement, centré, rivé au marche
capitaliste dans lequel dominent les stratégies du capital financier. Ce dernier a
su diviser les pays sous-développés en réduisant, en imposant ses relations avec
lui, au cas par cas.
c) - La dette et le processus d’endettement se sont substitués alors aux
préoccupations d’accumulation et de développement qui caractérisaient les
années soixante et soixante-dix, dans les pays sous-développés.
d) - Ce qui ne veut point dire qu’il faille innocenter ou déresponsabiliser les
pouvoirs de ces pays. Dans le cas que nous examinons, une grande
responsabilité revient aux modalités avec lesquelles le processus de
développement a été mené et qui a conduit à ce que nous avons appelé des
situations de ‘’surchauffes’’ d’industrialisation, de ‘’surchauffes’’ du
développement. La maîtrise du processus de développement s’est alors affaiblie
et a ouvert les portes à beaucoup de perversions. Ceci n’est qu’un aspect négatif
entre autres, de ce même processus.
e) - L’autre aspect réside dans la réorientation des flux d’investissement vers les
activités peu productives ou improductives de l’activité économique et sociale.
Cette situation engendre des malversations, des transferts de capital et d’argent
et souvent aussi des formes d’appropriations illicites de capital et de revenus.
9
f) - Malgré tout cela, le processus d’endettement est régulé par une stratégie du
capital financier qui obéit à quatre types de mécanismes qui sont mis en
application par les tenants du capital financier et des multinationales :
- la baisse du prix du pétrole qui conduit à une diminution des recettes et
entraîne une baisse du revenu national en proportion de la partie du produit
exporté et qui entre dans la formation de ce revenu.
- La variation des taux de change et la dépréciation de la monnaie dans
laquelle s’expriment les recettes d’exportation.
- L’augmentation des taux de l’intérêt qui a renchéri le loyer de l’argent.
- Les difficultés à accéder aux prêts ou aux crédits des banques lorsque
le pays présente des signes d’insolvabilité.
g) - Nous sommes alors face à un cumul de situations complexes, les unes
intérieures, les autres extérieures, qui agissent d’une façon concomitante pour
orienter les flux économiques du pays vers ce que l’on a appelé la ‘’trappe
monétaire’’.
h) - Ainsi donc, la réorientation de l’économie par l’ensemble des moyens et
des mécanismes que nous avons examinés et analysés, nous permet d’affirmer
que de 1980 à 1994 est l’étape de pré-libéralisation des rapports et des activités
économiques. Une étape qui prépare la privatisation, l’appropriation du
capitalisme d’Etat – et non ce que certains confondent avec le socialisme- et que
cette même bourgeoisie au pouvoir depuis l’indépendance a contribué à former
et à étendre.
Le programme d’ajustement structurel est dans la suite logique de cette
démarche. Par les ordres et les commandements qu’il adresse, même si ces
ordres sont ‘’feutrés’’ et poliment enveloppés, ce programme contribue à
transformer la subordination formelle du travail au capital en une subordination
réelle de ce travail au capital, et ce au fur à mesure que ses injonctions sont
appliquées. (9)
i) Mais si nous nous référons à la publication du FMI, (10), le taux élevé de
croissance proclamé par cette institution ne s’est pas « manifesté » jusqu’à ce
jour. L’économie continue de vivre une situation de récession avec de grandes
incertitudes qui planent sur la source principale d’accumulation, dues à la baisse
des prix du pétrole. Un accroissement brutal du chômage, la diminution du
10
pouvoir d’achat pour toutes les catégories de la population qui vivent de revenus
fixes. Un processus accéléré de paupérisation et d’exclusion forme actuellement
un phénomène frappant et révoltant. La balance des paiements viable, pour
reprendre l’expression du FMI, est le résultat d’une contraction de la demande
due à la diminution de la consommation de masse d’une part, et à l’état de
récession de l’économie, d’autre part. Ce qui a été appelé excédent de la balance
commerciale et parfois excédent de la balance des paiements !
Ces réflexions restent inachevées si nous nous contentons des résultats de
l’analyse que nous avons faite. Ce qui est frappant est sans doute le décalage
important constaté dans les deux démarches de la politique de développement
d’une part, et de la politique économique d’autre part. Les causes profondes de
ces différences, plus encore de ces oppositions entre ces deux types de politiques
ne peuvent pas être suffisamment cernées si nous ne procédons pas à un autre
type d’approche et d’analyse, complémentaire du précédent.
En effet, si nous examinons le fonctionnement des politiques de développement
et des politiques économiques, cela signifie aussi bien du point de vue de la
théorie que de la pratique, que ce fonctionnement est déterminé aussi par
l’instance politique. Donc, pour pouvoir faire ressortir d’autres aspects cachés
ou non - dits de ces processus économiques, il faudrait voir comment politique
de développement et politique économique trouvent leur insertion dans la
formation sociale algérienne.
8) - Exemples d’insertion des politiques de développement et politique
économique dans la formation sociale algérienne.
D’abord, de quelques caractéristiques de cette formation sociale.
a) - C’est une formation sociale sous-développée. Si le sous-développement
économique est reconnu et accepté comme rapport social historique, il n’y a pas
de raisons pour que les superstructures de cette même formation sociale ne
vivent pas des situations similaires.
b) - C’est une formation sociale où la relation entre l’Etat et le pouvoir ne s’est
pas encore clarifiée, ni stabilisée ou normalisée.
c) - Depuis l’indépendance, les superstructures politiques et idéologiques ont
subi des ralentissements et des déformations dans leur évolution normale, à la
suite des différentes formes d’hégémonisme et d’accaparement qui ont été
exercées par les pouvoirs successifs sur ces superstructures. L’analyse de ces
11
déformations et de ces scléroses reste à faire pour mettre en lumière les aspects
de la crise sociale et ainsi voir plus clair dans des situations très complexes.
Cet ensemble de contraintes va exercer sans doute des pesanteurs sur les
rythmes et les modes de déploiement des processus qui régissent la marche de la
politique de développement et des politiques économiques.
d) - Le processus de globalisation contemporain remet de plus en plus en cause
les anciens types de relations superstructurelles, non seulement par la
mondialisation de l’information et des relations idéologiques et culturelles, mais
aussi les modes nouveaux d’interpénétrations institutionnelles. Au fur et à
mesure que s’approfondissent les relations politiques et économiques entre les
régions, il y a des pans, des « zones « de ces superstructures qui s’ouvrent les
uns aux autres, tendent à se régionaliser...à la suite des nouvelles articulations
internationales et mondiales qui s’annoncent. Cette situation peut constituer une
force entraînante si les superstructures régionales et mondiales ne sont pas
seulement porteuses de poids d’écrasement et de marginalisation, mais au
contraire si elles sont porteuses de culture universelle, de sciences, de
connaissances techniques et technologiques.
C’est l’action conjuguée de cet ensemble de facteurs et situations qui agissent
aussi sur la marche des politiques de développement et des politiques
économiques.
Mais il n’en demeure pas moins que c’est l’instance politique qui transmet
l’injonction directrice principale à tout processus de réalisation sur le terrain de
la politique de développement ou de la politique économique.
Premier exemple : l’insistance particulière de la politique de développement de
1967-1978, à créer et à élargir la sphère de production industrielle est non
seulement une orientation économique mais aussi un message politique qui
s’adresse aux forces sociales productives créatrices de richesses. Donc, cette
politique de développement de 1967 à 1979 a un profil social de classe. Elle
s’appuie pour sa réalisation, sur les classes et forces sociales suivantes :
- Les noyaux de la classe ouvrière, les techniciens,
- Les cadres des entreprises d’Etat,
Des forces rurales de type plébéien et qui se dégagent difficilement de
toute la nébuleuse sociale qui émerge lentement et douloureusement de la nuit
12
coloniale. A notre avis, c’est une base sociale étroite au regard des ambitions
économiques portées par les plans de développement. Mais c’est aussi une
vision et une attitude sectaires qui caractérisent le pouvoir politique d’alors. Il
faudrait faire ressortir d’autres paramètres politiques et sociaux pour pouvoir
répondre à la question de l’abandon de cette orientation et de sa substitution par
une autre. Les raisons sont multiples. Nous énumérons quelques unes, à savoir
l’environnement capitaliste international, le sectarisme idéologique et politique
vis à vis de forces nationales capables d’élargir la base sociale du travail
productif, le volontarisme qui cache beaucoup d’autres déficiences et la non
prise en compte des forces internes d’inertie....qui voyaient dans
l’industrialisation un processus dangereux de modernisation et de laïcisation de
la société.
Sans oublier ce que nous avons dit plus haut sur le refus, le rejet ou
l’incompréhension par le pouvoir
d’alors de la nécessaire démocratisation des relations de travail pour mettre en
correspondance le corps économique en croissance et le corps politique,
l’ensemble institutionnel encore rachitique et de plus en plus inadapté par
rapport aux exigences du niveau de développement, crée par le processus
d’industrialisation et de transformation.
Ce qui n’a pas été fait par cette équipe politique pour approfondir, consolider et
élargir l’orientation du développement qui a été initiée, sera reconsidéré,
contrecarré, et sans beaucoup de bruit, par l’autre équipe politique qui
présidera après 1979- 1980 , aux destinées de la politique économique. Mais il
n’en demeure pas moins que les abcès de la crise politique sont déjà fixés dans
cette étape.
Une crise de l’orientation sociale du développement de la société, où la
politique et l’idéologie nationalistes ne se sont pas converties aux exigences du
besoin social large, à l’image de la représentation que s’est faite la majorité de la
société de ce que doit ou devrait être logiquement la suite du mouvement de
libération nationale.
Deuxième exemple : la nature du politique change progressivement. Ceci est
visible à travers les mesures entreprises et les modes d’allocation des ressources.
Mais il y a d’autres indices aussi probants. C’est le recentrage de l’activité
économique autour des sphères de circulation, d’échange et de répartition des
revenus. Cette nouvelle plate-forme fait appel à un autre profil de classes
13
sociales qui va émerger et se consolider progressivement. Il s’agit
principalement des forces sociales qui remplissent les fonctions économiques et
sociales d’intermédiaires, tels les gros commerçants, les couches sociales de la
bourgeoisie bureaucratique et la bourgeoisie compradore.
En un mot, ces classes et couches sociales qui tournent le dos au développement
national productif et créateur.
Ainsi donc, des classes sociales nouvelles se sont formées et ont émergé à partir
de la réorientation de la politique de développement et de sa transformation en
politique économique, au service des différentes fonctions de la circulation du
capital.
Et c’est cette structure de classe et ce profil de social qui sera nécessaire, qui
répond et qui répondra aux besoins et aux ordres de la future
orientation néolibérale de l’économie.
Cependant, il ne faut pas faire abstraction des réalités qui ont un poids décisif
sur la marche de la formation sociale porteuse de cette orientation de la politique
économique.
La réalisation de cette politique économique a vu s’instaurer d’abord la
stagnation de la société algérienne, puis l’élargissement entre 1986 et 1988 du
foyer de la crise économique qui prend les traits d’une longue récession, pour,
entre 1988 et 1992, devenir ou se transformer en crise sociale qui concerne et
interroge toutes les faces de la formation sociale algérienne.
Conclusions et perspectives.
Le processus que nous avons saisi et analysé dans ses traits caractéristiques et
essentiels à travers la mise en application des politiques de développement et des
politiques économiques est aussi un processus de développement d’un type de
capitalisme. Le capitalisme post-colonial qui se fraie son chemin dans un
contexte économique hostile. Soit par son orientation initialement
indépendantiste, soit par ses propres difficultés, ses déficiences dans la maîtrise
de ce développement et qui a conduit à un énorme endettement. La dette , qui est
une affaire pour plusieurs fractions du capital intérieur et extérieur, est un poids
et un handicap pour l’épanouissement des forces sociales créatrices de richesse
14
et de développement. Elle est aussi un obstacle au développement d’un
capitalisme productif et moderne. La dette, l’endettement et une politique
économique qui maintient et entretient le parasitisme ne peut engendrer que le
capitalisme parasitaire, sans perspective pour le développement de la société.
D’où alors, ce n’est pas n’importe quel type de capitalisme qui est capable de
développer les forces productives nationales. Celles-ci doivent être
suffisamment ancrées dans un processus de progrès technologique, scientifique
et technique pour éviter l’accentuation des déséquilibres régionaux, à partir
desquels se sont reproduits, se reproduisent encore le sous-développement et le
retard.
Alger le 18 Novembre 1998
Article paru dans El Watan les 11, 12, 13 janvier 1999.
Notes
(utilisez la touche retour de votre Browser pour retourner dans le texte)
(1) Les données ci-dessus sont dans : Ahmed Benbitour - l’Algérie au troisième
millénaire, défis, potentialités. Ed. Marinoor. Alger 1998.P. 43,56,57.
(2) Pour plus d’explications du processus de démantèlement de la politique de
développements, voir : Maâmar Benguerba : 1988-1995; l’Algérie au fil du
temps. El Watan 21/12/1995 à 28/12/1995.
(3) M.L. Benhassine. : Les classes sociales urbaines en Algérie, le marché
mondial et la mondialisation. 1999.
15
(4) (5) (6) (7) (8) Ahmed Benbitour : l’Algérie au troisième millénaire. Défis et
potentialités. Ed Marinoor, Alger, 1998. P.67,154,67,76.
(9) Autrement dit, subordination formelle, de nos jours de plus en plus réelle des
travailleurs, du travail, aux différentes fractions du capital de la bourgeoisie
intérieure et extérieure.
(10) FMI. Bulletin du 5 août 1996. P.251.
16
Téléchargement