Université Utrecht - Utrecht University Repository

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Université Utrecht
Faculté des Lettres
Département de langue et culture françaises
Guillemette, une femme
exceptionnelle.
Recherche qualitative sur les femmes mises en scène dans la farce ; un
genre du théâtre comique au Moyen Âge.
Fabrian Y. E. Jongerius-Souisay (9301348)
Mémoire de fin d’études
Sous la direction de
Dr. K. Lavéant
Prof. Dr. M.B. van Buuren
Août 2007
Table de matières
INTRODUCTION
PRÉSENTATION DU CORPUS DE FARCES
1. Le gentilhomme et Naudet.
2. Le galant qui a fait le coup.
3. Le cuvier.
4. Le pâté et la tarte.
5. Mahuet qui donne ses œufs
au prix du marché.
6. George le Veau.
7. L’obstination des femmes.
8. Frère Guillebert.
CHAPITRE 1
p. 5
p. 7
p. 7
p. 7
p. 8
p. 8
p. 9
p. 9
p. 10
p. 10
LA FARCE DE MAÎTRE PATHELIN
1.0.
1.1.
1.2.
1.3.
1.4.
1.5.
Introduction.
La misogynie au Moyen Âge.
La conception de la femme au Moyen Âge.
La Farce en général.
L’histoire de la Farce de Maître Pathelin.
Une pièce de théâtre très soignée.
1.5.1. Le trompeur trompé.
1.5.2. Le jeu verbal
.
p. 11
p. 11
p. 13
p. 14
p. 15
p. 16
p. 16
p. 17
1.6.
1.7.
La datation de la Farce de « Maître Pathelin ».
La question d’auteur et la localisation
de la Farce de « Maître Pathelin ».
La structure dramaturgique et le texte
de la Farce de « Maître Pathelin ».
Conclusion
p. 17
p. 19
1.8.
1.9.
CHAPITRE 2
p. 20
p. 21
LA PAROLE DE GUILLEMETTE.
2.0.
2.1.
Introduction.
La parole dans la Farce de Maître Pathelin.
2.1.1. La parole et le pouvoir.
2.1.2. La parole et l’argent.
2.1.3. L’éducation de Pathelin.
p. 22
p. 22
p. 22
p. 25
p. 26
2.2.
La parole de « Guillemette ».
2.2.1. Les lamentations de Guillemette.
2.2.2. Les évocations religieuses de Guillemette.
2.2.3. La fable du corbeau.
2.2.4. La scène de « parler bas ».
p. 27
p. 27
p. 28
p. 29
p. 31
2.3.
La parole des femmes mises en scènes
dans le corpus des farces.
p. 32
2
2.4.
2.3.1. La grossièreté.
2.3.2. La sexualité.
2.3.3. Les mot doux.
p. 32
p. 33
p. 34
Conclusion.
p. 35
CHAPITRE 3
LA RELATION DE GUILLEMETTE
ET PATHELIN.
3.0.
3.1.
Introduction.
La guerre des sexes.
3.1.1. La femme.
3.1.2. L’amant.
3.1.3. Le mari.
p. 35
p. 36
p. 36
p. 37
p. 38
3.2.
La relation homme femme dans
la Farce de Maître Pathelin.
p. 39
La relation homme femme dans le corpus
des farces étudiées.
3.3.1. ‘L’obstination des femmes’.
3.3.2. ‘Le galant qui fait le coup’.
3.3.3. ‘George le Veau’.
p. 41
p. 41
p. 42
p. 43
Conclusion.
p. 44
3.3.
3.3.
CHAPITRE 4
GUILLEMETTE ET LA FAÇON DE
TENIR LE MÉNAGE.
4.0.
4.1.
Introduction.
Le mariage au Moyen Âge.
4.1.1. Le statut de la femme mariée.
4.1.2. Les devoirs des époux.
4.2.
Le décalage entre le discours théorique de l’Église
sur les femmes et la réalité féminine.
p. 47
4.3.
Le décalage entre la réalité des relations homme- femmes et
l’inversion carnavalesque dans les farces.
p. 49
4.4.
Le mariage entre Pathelin et Guillemette.
4.4.1. Le grimoire de Guillemette
4.5.
La scène de tenir le ménage dans le corpus de
farces.
4.5.1. Le pâté et la tarte.
4.5.2. Mahuet qui donne ses œufs
au prix du marché.
3
p. 45
p. 45
p. 45
p. 46
p. 50
p. 50
p. 52
p. 52
p. 52
4.6.
4.5.3. Le cuvier.
p. 52
Conclusion
p. 54
CONCLUSION
p. 55
BIBLIOGRAPHIE
p. 57
4
INTRODUCTION
Au Moyen Âge, les gens aiment le théâtre. Le théâtre médiéval est un genre
très vivant et très apprécié du public. Précisons tout d’abord que le théâtre vise à
faire rire et à divertir le spectateur ou vise à son édification, s’il s’agit du théâtre
religieux . En gros, nous pouvons distinguer deux genres de théâtre médiéval, à
savoir le théâtre religieux et le théâtre comique. Le théâtre religieux, comme par
exemple, ‘Le Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban’, ou le théâtre comique, comme
‘La Farce de Maître Pathelin’, a connu au XVe siècle un immense succès, que nous
pouvons aisément comprendre grâce à la qualité des textes et du spectacle.
L’émotion ou le rire sont toujours présents dans ce théâtre qui n’a pas vieilli autant
que nous pourrions le croire. La mécanique du rire, l’art de la composition
dramatique, de la présentation d’un personnage à travers ses propos et ses
attitudes, sont déjà bien maîtrisés dans ce théâtre médiéval éminemment populaire.
Dans ce mémoire, nous nous concentrerons sur la Farce de Maître Pathelin.
En effet, ce n’est pas tout, nous voudrions mettre l’accent sur le personnage féminin
‘Guillemette’ représenté dans cette farce médiévale.
Pour ce qui est de la mise en scène de ‘Guillemette’, nous voudrions nous
baser sur trois aspects, premièrement, la parole de ‘Guillemette’, deuxièmement, ses
relations avec son mari Pathelin et finalement sa façon de tenir le ménage. Donc, il
nous serait utile d’examiner, d’un part la farce médiévale et d’autre part la femme
telle qu’elle y est représentée. Ensuite, nous voudrions mettre ensemble ces deux
aspects parce qu’à notre avis c’est un sujet qui n’est guère approfondi.
Ensuite, en considérant ces trois aspects, il est dans nos intentions
d’examiner le rapport entre ‘Guillemette’ et le personnage des femmes mis en scène
dans d’autres farces à savoir ‘George le Veau’, ‘L’obstination des femmes’, ‘Le
cuvier’, ‘Frère Guillebert’, ‘Le galant qui fait le coup’, ‘Le gentilhomme et Naudet’, ‘Le
pâté et la tarte’ et ‘Mahuet qui donne ses œufs au prix du marché’.
Tout d’abord, dans le chapitre 1, nous voudrions expliquer brièvement la farce
en nous basant sur le livre de Michel Rousse1 et celui de Jean-Claude Aubailly2.
Nous essayerons de répondre à la question suivante : qu’est-ce que c’est une
farce ? Il est dans nos intentions de déterminer certaines caractéristiques de base de
la farce. Ensuite, nous irons nous pencher sur La Farce de Maître Pathelin. C’est-àdire que nous parlerons de l’histoire de Pathelin d’une façon sommaire et nous
discuterons certaines ressources du comique, à savoir le comique de situation, le
comique de langage et la portée satirique. De plus, nous nous poserons la question
suivante : que est l’auteur de la Farce de Maître Pathelin ? Finalement, il s’agit
d’examiner de plus près la datation, la structure dramatique et scénique de la farce
de Maître Pathelin.
Ensuite, dans le chapitre 2, nous aborderons la parole de ‘Guillemette’. Il est
vrai que la parole et le langage soient très importants dans cette farce. Nous avons
déterminé que l’analyse de la parole doit être appliquée aux études de Dufournet,
Rousse3, Hüe et Smith4. C‘est le langage qui est le moteur de l‘action et de la
1
Rousse, Michel. ‘La scène et les tréteaux, le théâtre de la farce au Moyen Âge’, Orléans : Paradigme, 2004.
Aubailly, Jean-Claude. ‘Le théâtre médiéval profane et comique : la naissance d'un art’ , Paris : Larousse,
1975· ‘La farce médiévale : évolution et structures’ p. 111-162.
2
3
Dufournet, Jean & Rousse, Michel. ‘Sur « La farce de Maître Pierre Pathelin »’, Genève : Éditions Slatkine,
1986.
5
tromperie, de sorte que la farce de Maître Pathelin devienne une comédie du
langage. Tout est fondé sur la parole. C’est la parole elle-même qui assure les
différentes tromperies. Au début, la parole peut être tenu pour un moyen de
communication mais à travers le développement de la représentation, elle devient de
plus en plus un moyen de domination. Ce qui est sûr, c’est que la parole et le pouvoir
sont étroitement liés. D‘une part, nous voudrions faire une comparaison entre la
parole de ‘Guillemette’ et d’autre part la parole des femmes représentées dans notre
corpus de farces à partir de plusieurs sujets à savoir la grossièreté, la sexualité et les
mots doux. D’après nous, les farces dans notre corpus sont tout à fait différentes par
rapport à la Farce de Maître Pathelin. C’est pourquoi, nous avons choisi pour cette
stratégie car il nous semble que la parole des femmes étudiées est étroitement liée
aux thèmes mentionnés ci-dessus.
De plus, dans le chapitre 3, nous allons nous occuper de la relation de
‘homme – femme’, en particulier celle de Guillemette et Pathelin. Nous avons
l’intention d’employer le livre de Bernard Faivre ‘La guerre des sexes’5. D’un point de
vue générale, l’épouse mise en scène dans la farce est plutôt mécontente. En ce qui
concerne cette insatisfaction, nous pouvons remarquer qu’ elle va de pair avec un
sentiment négatif adressé au mari. Elle se plaint de son mari et toujours pour la
même raison ; il n’en fait pas assez, il est trop vieux, ou trop ivrogne ou trop faible.
Par conséquent, la femme prend son plaisir avec l’amant au nez et à la barbe de son
mari. Le triangle mari-femme-amant, est considéré comme un thème que nous
rencontrons souvent dans la farce. Afin de mieux comprendre de quoi nous parlons,
nous aimerions approfondir les personnages du triangle. En donnant des exemples,
il nous serait utile d’analyser spécifiquement, tout d’abord le mari, ensuite l’amant et
finalement la femme. Il est question d’une tension relationnelle, dans ce cas-ci une
tension entre un homme et une femme. La ruse est construite sur ce thème ; car
pour obtenir ce qu’on n’a pas (l’amour, la nourriture ou l’argent), pour réparer le
erreurs de la nature, il faut ruser! Il semble donc que la farce est un univers où
l’homme doit satisfaire la femme de toute manières possibles. C’est pourquoi, dans
ce chapitre, nous nous concentrerons sur la dispute conjugale et la manière dont les
couples se rapprochent. Cette fois-ci, nous avons décidé de nous concentrer sur les
farces suivantes : ‘L’obstination des femmes’, ‘Le galant qui fait le coup’ et ‘George
le Veau’. Ce sont toutes des farces dans lesquelles il est question du triangle marifemme-amant.
En outre, le chapitre 4 cible la façon de ‘Guillemette’ de tenir le ménage. Nous
parlerons du mariage au Moyen Âge. En nous concentrant sur l’étude de George
Duby ‘l’Histoire des Femmes6’, nous voudrions aborder ici le statut de la femme
mariée et les devoirs des époux. Ensuite, il est dans nos intentions d’examiner le
mariage entre Guillemette et Pathelin. Nous parlerons de la scène du ‘grimoire’ de
Guillemette. Enfin, nous nous baserons sur la façon dont les femmes tiennent le
ménage. En outre, nous étudierons la différence entre le dogme ecclésiastique et la
réalité féminine. Finalement, nous aborderons l’opposition entre la réalité hommefemme et l’inversion carnavalesque.
4
Hüe, Denis & Smith, Darwin. ‘Maistre Pierre Pathelin, Lectures et contextes, textes réunis par Denis Hüe &
Darwin Smith’, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2000.
5
Faivre, Bernard. ‘L es Farces : Moyen Age et Renaissance, la guerre des sexes’, t. 1. Paris : Imprimerie
Nationale, 1997.
6
Duby, George. (dir) ‘Histoire des femmes en occident, t. 2. le Moyen Age sous la direction de C. KlapischZuber, Paris : Seuil, 1991.
6
Encore une fois, nous avons opté pour l’analyse de plusieurs farces à savoir : ‘Le
cuvier’, ‘Le pâté et la tarte’ et ‘Mahuet qui donne ses œufs au prix du marché’. Ces
farces laissent transparaître la vie privée à la campagne (Mahuet) et exposent
certains travaux domestiques. Nous sommes d’avis qu’elles montrent les rapports
dans la scène de ménage surtout pour ce qui est de la farce du ‘Cuvier’ et de ‘la pâté
et la tarte’.
Pour terminer, nous voudrions présenter les résultats de notre recherche dans
la conclusion. Nous essayerons de répondre aux questions posées et d’établir un
rapport entre le personnage de ‘Guillemette’ et les femmes mises en scène dans ces
autres farces.
Maintenant, nous passerons en revue une présentation concise/brève des
farces celles que nous utiliserons afin d’établir une comparaison entre Guillemette et
ces autres femmes mises en scène.
PRÉSENTATION DU CORPUS DE FARCES
La première remarque porte sur la datation des farces. Il est très difficile
d’accorder une date précise aux farces. Prenons en considération qu’il est probable
que beaucoup de farces datent en fait du XVe siècle mais que l’on n’ait conservé de
version qu’au XVIe siècle, quand elles ont été imprimées.
1. Le gentilhomme et Naudet.
Il est vraisemblable que cette farce ait été représentée et composée à la fin du
XVe siècle. André Tissier est d’avis qu’elle a été publiée à Rouen vers 1550. Cette
farce représente quatre personnes ; Le gentilhomme, Lison, Naudet et La
damoiselle. Cet histoire nous montre comment un mari trompé agisse par vengeance
en trompant celui qui l’avait trompé. Lison, la femme de Naudet, trompe son mari
avec le gentilhomme. Naudet le sait, il fonctionne ici comme le badin7. C’est le badin
qui mène le jeu afin de faire du gentilhomme sa victime. Ce qu’il y a de remarquable
c’est que ‘Le gentilhomme et Naudet ‘ se distingue d’autre farces en donnant le rôle
du badin à un mari. Il ne faut pas oublier que nous ne rencontrons guère le
gentilhomme trompé de qui le spectateur rit . Au contraire, c’est le rôle du badin qui
divertit.
Donc, Lison trompe son mari Naudet avec le gentilhomme. Naudet le sait,
mais qu’y peut-il ? D’ailleurs, dès son arrivée, son seigneur, le gentilhomme, expédie
au loin l’époux encombrant. Naudet, bête qu’il est, multiplie les retours. Alors, on
l’envoie porter une lettre à la Damoiselle, femme du Gentilhomme. Celle-ci se venge
de son mari en couchant avec Naudet. Mais dès que Naudet prend la robe oubliée
sur la table, sa situation change. Il se rend au château du Gentilhomme, y entre avec
la robe de Monsieur, se met à la table de Monsieur et commence à parler à la
Damoiselle. Naudet est toujours grossier et maladroit, mais c’est lui qui passera dans
la chambre de derrière avec la Damoiselle entre ses bras, pour lui faire l’amour
comme Monsieur.
2. Le galant qui a fait le coup.
Cette farce est d’origine normande et remonte aux premières années du XVIe
siècle. Elle développe essentiellement une situation à trois : le mari Oudin, la femme
Crépinette et la maîtresse dans ce cas-ci la chambrière Malaperte. Le thème est
Le badin est très souvent un homme simple. D’un côté, il est vêtu avec un costume typique à savoir un habit
court et serré et le bonnet. De l’autre, le badin est, parfois, mis en scène avec le visage enfariné ou le visage
noirci. Il faut ajouter à cela que le badin est plus intelligent qu’il en a l’air.
7
7
celui du ‘mari enceinte’. Il est question d’une intrigue amoureuse entre Oudin et sa
chambrière. Cette farce met en scène quatre personnages à savoir la chambrière
’Malaperte’, le badin Oudin, sa femme ‘Crespinete’ et le médecin.
Pendant que sa femme est en pèlerinage, le mari engrosse sa chambrière.
Comment Oudin peut-il résoudre son problème de la jeune fille déshonorée ? Il a
recours à son ami le médecin, il se mettent d’accord sur une ruse. Quand sa femme
revient de son voyage, il feint des maux au ventre. Sur les conseils et avec la
complicité du médecin, le mari prétend lui-même être ‘enceinte’. Dans le but de se
débarrasser du fœtus, il doit le transmettre à une autre femme. Par conséquent, il
faut se coucher avec elle. Sa femme le croit et finit par installer son mari et sa
servante dans le même lit !
3. Le cuvier.
Probablement, le plus ancien texte qui nous soit parvenu date du XVIe siècle.
Cette farce est d’origine picarde. Comme la plupart des auteurs de farces, l’auteur du
Cuvier reste inconnu. Cependant, le thème, à savoir le contrat passé entre mari et
femme, qu’on représente est un thème n’ayant pas l’air très originale. Nous le
rencontrons aussi dans des fabliaux et contes. Le Cuvier met en scène trois
personnes :Jacquinot (le mari), la femme et la mère (Jaquette).
Dès son mariage, Jacquinot a accepté les devoirs que lui imposait sa femme
pour faciliter la vie du ménage. Il regrette de s’être marié. Sa femme et sa belle-mère
ne s’arrêtent pas de crier et de lui donner des ordres. Et les deux femmes afin
d’assurer leur pouvoir finissent par se liguer contre Jacquinot. Elles se servent d’un
« rollet », un rouleau de papier sur lequel sont inscrits les devoirs qu’il est obligé
d’exécuter. Jacquinot, à son tour, tombe dans le pouvoir de ces femmes. II fait tous
ses travaux ménagers à contrecoeur et n’attend qu’une possibilité pour retourner la
situation en sa faveur. Tout à coup, la femme tombe dans le cuvier à lessive. Elle
n’arrive pas à se libérer et demande à son mari de l’en sortir. Jacquinot refuse
carrément, cette tâche ne figure pas sur sa liste d’obligations domestiques, donc elle
doit se débrouiller elle-même. Finalement, il réussit à gagner. La femme doit lui
promettre qu’elle s’occupera désormais des travaux ménagers et devra obéir son
mari.
4. Le pâté et la tarte.
D’après Tissier, la farce du ‘Pâté et la tarte’ a été imprimée à Paris par Nicolas
Chrestien au milieu du XVIe siècle. Le texte nous montre un certain nombre de
formes dialectes comme ‘my’,’ ty’ pour ‘moy’, ‘ toy.’ L’auteur nous fait comprendre
que ce phénomène renvoie à un texte d’origine picarde. Il est question de quatre
personnages à savoir un pâtissier Gautier, sa femme Marion et deux mendiants.
D’un côté, dans cette farce, il s’agit de la nourriture ou autrement dit le thème
de la nourriture est omniprésente. De l’autre, nous avons constaté beaucoup de
violence, des coups de bâton. Au début de la farce, les deux coquins crèvent de faim
et ils ont froid. Ils ont l’intention d’aller mendier. Un des coquins a entendu parler
Gautier à sa femme Marion. Il lui dit qu’il va dîner en ville, et lui donne des
instructions directe. Après avoir parti, Gautier revient. Cette fois-ci, il lui rappelle très
directement qu’elle ne doit pas donner ce pâté à quelqu’un d’autre. Marion lui répond
qu’il est nécessaire d’envoyer la personne juste et ils se mettent d’accord sur un
signe. Le coquin est tout à fait au courant du fait de ce que Gautier et Marion ont
accordé. Par conséquent, les deux coquins arrivent à tromper la femme.
Donc, Marion s’est laissé influencer par les voleurs et a ‘donné’ ce pâté aux voleurs.
8
À son retour, le mari refuse de la croire et la frappe violement. Les mendiants
essaient de se procurer par le même moyen de la tarte. Malheureusement, ils n’y
réussissent pas. Cette fois, ils tombent sur le pâtissier qui les roue de coups.
5. Mahuet qui donne ses œufs au prix du marché.
Tissier soutient qu’il est impossible de dater avec précision cette farce. Le
texte de cette farce nous a été transmis en deux versions, l’une venant du Recueil du
British Museum et l’autre appartenant au Recueil Cohen. Nous nous basons sur le
texte du British Museum. Cette version courte de Mahuet est selon Lewicka « sans
doute plus ancienne ». D’après Cohen, il faut considérer cette version comme un
scénario sur lequel les acteurs pouvaient improviser8. On met en scène quatre
personnes dans cette farce à savoir Mahuet, sa mère, la femme et Gautier.
Dans la ferme de la mère de Mahuet , à Bagnolet, près de Paris, elle envoie
son fils vendre crème et oeufs à Paris. Sa mère lui dit de les vendre au prix du
marché. En route pour le marche de Paris, Tout ignorant qu’il est, Mahuet ne sait pas
le chemin pour aller à Paris. Au marché, Mahuet refuse de vendre à une femme ses
œufs, parce qu’elle n’est pas le prix du marché. Entre-temps, Mahuet a faim et
trempe son pain dans le pot de crème, lâche le pain et sa main reste prisonnière du
pot. La femme se presse de Gautier afin de raconter la sottise de Mahuet. Ensuite,
Gautier se rend vers Mahuet et lui dit que son nom est ‘Prix du marché. Gautier
reçoit les œufs sans payer. La femme pousse Gautier à profiter de la bêtise de
Mahuet. Il fait semblant de lui nettoyer son visage mais, à vrai dire, il le barbouille de
noir. Mahuet cherche à se débarrasser du pot qui retient sa main. Et renversement
de la situation avec le trompeur trompé. C’est-à-dire que Gautier lui a conseillé de
casser le pot sur la première personne qu’il rencontrerait. Mahuet le prend très
littéralement et il casse donc le pot sur Gautier même! Mahuet, retourne chez lui. Il
est tout content. Par contre, Il n’a rien du tout, il n’a pas reçu d’argent, il est sans
œufs, et il a mangé la crème. En outre, il a le visage tout noir. Sa mère refuse de le
reconnaître. Elle ne sait plus qui il est.
6. George le Veau.
Selon Tissier, la farce de ‘George le Veau’ appartient au Recueil du British
Museum. Elle est peut-être d’origine normande et elle a été imprimée au milieu du
XVIe siècle. Cette farce comporte quatre personnages à savoir George le Veau, sa
femme, le curé et son clerc.
George et sa femme Alison se trouvent dans la maison. Le dialogue commence et
finit par une dispute conjugale portant sur les origines et l’identité de George . À
cause de cette dispute, il est au bord du désespoir parce qu’il doute de son identité. Il
lui faut aller à l’église pour demander conseil au curé. Le curé dit que George doit
s’adresser à Dieu. Il reste à l’église, et s’installe auprès de l’autel afin de prier. Le
curé est amoureux d 'Alison, il ne pense qu’à arriver à ses propres fins! Il invente une
ruse afin de faire sa cour à la femme de George. Le curé rencontre sa maîtresse
Alison dans la maison de George. Lui (George) se trouve à l’église près de l’autel,
derrière lequel le clerc fait lui croire qu’ il parle à Dieu. George voudrait coûte que
coûte savoir ses origines pour qu’il se trouve une généalogie qui satisfasse sa
femme. À l’autel de l’église, le clerc feint d’être Dieu. Le clerc, sans être vu, jette à
George une peau de veau. Il lui fait croire qu’il s’agit d’une robe de paradis afin de le
convaincre de la revêtir. George se voit berner. George remercie le curé pour les
prières qu’il devait adresser à Dieu. Il va à la maison pour mettre fin à la dispute, et
8
Voir p.123 . André Tissier - Recueil de Farces (1450-1550).
9
résoudre le problème avec sa femme. George est de retour chez lui. Par ordre du
curé, la femme fait semblant de ne pas reconnaître son mari. Elle fait croire qu’elle
pense avoir affaire au diable. Par conséquent, elle s’adresse au curé pour qu’il
chasse le diable. George se soumet totalement aux ‘conseils’ de sa femme, du curé
et son clerc. Cependant, il sait désormais qui il est un veau de dîme que l’on donne
au curé et qui finira à l’abattoir. George se soumet à son destin et accepte son (m)
sort.
7. L’obstination des femmes.
Tout d’abord, il nous faut signaler que cette farce existe sous un autre titre, à
savoir :’la mauvaistié des femmes’. À notre avis, ceci prouve que le texte de la farce
se développe sans cesse. L’obstination des femmes est une farce courte (199 vers)
qui représente une scène caractéristique pour la farce : la scène de ménage et la
dispute conjugale. Cette farce est sans date, mais d’après Lewicka, elle est
composée au milieu de XVIe siècle9.
Cette farce contient deux personnages, c'est-à-dire Rifflart et sa femme
Finette. Rifflart finit de réparer une cage où il veut placer une pie. Sa femme refuse
carrément et elle décide d’y mettre un coucou. L’homme et sa femme se disputent
d’une manière agressive. Il est question d’insultes, des menaces et même de coups.
À un moment donné, Rifflart se met d’accord avec sa femme et il finit par accepter sa
défaite.
Pourquoi est-ce qu 'il est question d’oiseaux : la pie contre le coucou ? D’un
côté, la pie est le symbole du bavardage féminin. De l’autre, un même mot désigne
au XVIe siècle le « coucou » et le « cocu ». Rifflart veut mettre en cage sa femme
trop bavarde et Finette veut mettre derrière les barreaux son benêt de cocu.
8. Frère Guillebert.
Le texte de cette farce provient d’une édition faite à Rouen, date du milieu du
XVIe siècle. Elle met en scène quatre personnages à savoir Frère Guillebert, la
femme, le commère Agnès et l’homme Marin.
La femme envoie son mari au marché. Elle n’aime pas son mari car il est trop
vieux. Elle voudrait bien passer son temps avec son amant. Donc, elle fixe rendezvous à Frère Guillebert. Ils s’installent dans le lit, mais tout à coup, son mari est de
retour. Il a oublié son bissac. Frère Guillebert se cache, il a peur d’être découvert. Le
mari fouille en vain et finit par repartir avec les chausses du moine qu’il a prises pour
son bissac. La femme déteste la situation dans laquelle elle se trouve et se plaint
auprès de la commère. Agnès arrive à résoudre le problème ; elles se mettent
d’accord sur la ruse suivante : ils disent que c’était les chausses de saint François,
souveraines contre la stérilité féminine. Marin croit les femmes et il considère les
chausses comme une relique très importante. Et c’est pourquoi il rend les chausses
à Frère Guillebert.
9
Ibid. p. 13.
10
CHAPITRE 1
LA FARCE DE MAÎTRE PATHELIN
1.0.
Introduction
Afin de mieux comprendre de quoi nous parlerons dans ce mémoire, il
convient tout d’abord d’expliquer brièvement la société médiévale. Nous voudrions
mettre l’accent sur la misogynie et la femme au Moyen Âge. Le premier paragraphe
portera sur la misogynie au Moyen Âge. En gros, nous pouvons la considérer comme
un mouvement transmis par l’Église médiévale se reflétant sur une vision négative
de la femme. Ensuite, le deuxième paragraphe traite de la conception de la femme
au Moyen Âge. Il s’est avéré que la place de la femme au sein de la société
médiévale est influencée d’une façon négative par une attitude misogyne des
hommes de religion. Ce qui constitue en premier lieu » la femme « c'est le regard
des hommes. Au Moyen Âge, les hommes ont la parole. Ce sont avant tout les
clercs, hommes de religion et l’Église qui gouvernent l’écrit, transmettent les
connaissances et par-delà ce qu’il faut penser de la femme10.
Pour le reste du chapitre 1, nous nous concentrerons sur la farce, un genre
unique faisant partie du théâtre comique au Moyen Âge. De plus, nous voudrions
mettre l’accent sur une farce très spécifique à savoir la Farce de Maître Pathelin.
Avant de présenter la Farce de Maître Pathelin, il nous faut nous poser la question
suivante : qu’est-ce que c’est une farce ? Dans le paragraphe 1.3., il est dans nos
intentions de déterminer certaines caractéristiques de base de la farce.
Ensuite, il nous serait utile d’esquisser brièvement l’histoire de la Farce de
Maître Pathelin (paragraphe 1.4.) afin de mieux comprendre de quoi nous parlerons
dans ce mémoire. De plus, il faut reconnaître que le comique de cette farce repose
pour la plus grande partie sur le jeu verbal. Dans chacune des trois actions de cette
pièce de théâtre, la tromperie est construite autour l’emploi et les possibilités du
langage. Nous en parlerons dans le paragraphe 1.5.
Dans les trois paragraphes suivants 1.6. jusqu’au 1. 8., nous nous
pencherons sur certaines questions essentielles dans la genèse de la Farce de
Maître Pathelin. En premier lieu, quand la Farce de Maître Pathelin est elle écrite et
mise en scène ? En deuxième lieu, qui est l’auteur de la Farce de Maître Pathelin ?
On a beaucoup écrit sur la datation, la localisation et la structure dramaturgique de la
Farce de Maître Pathelin, d’après nous, ces questions sont trop essentielles pour les
ignorer et elles sont indispensables pour comprendre le contexte de cette farce en
particulier et le théâtre du comique en général. En dernier lieu, nous analyserons la
différence entre la lecture et le jeu d’une pièce de théâtre. Il faut se demander s’il y a
une différence entre un état de texte écrit et le texte joué.
1.1.
La misogynie au Moyen Âge.
Disons d’abord que le trait dominant de la pensée cléricale à cette époque est
sans doute la misogynie11. Il est vrai aussi que l’image et la condition de la femme au
Moyen Âge se contredisent bien souvent12. La condition de la femme se balance
entre l’enfer et le paradis. Il est question d’une véritable paradigme du genre féminin,
Duby, George (dir). ‘Histoire des femmes en Occident’ t. 2, le Moyen Age sous la direction de C. KlapischZuber, Paris : Plon, 1991, p.33-54.
11
‘Haine ou mépris des femmes’, Misogyne (adj); qui a une hostilité manifeste à l’égard des femmes ; qui
déteste les femmes ou qui les méprise. ( Dictionnaire Petit Larousse et le Nouveau Petit Le Robert).
12
Duby, George (dir). ‘Histoire des femmes en Occident’ t. 2, le Moyen Age sous la direction de C. KlapischZuber, Paris : Plon, 1991, p.33-54.
10
11
la femme par excellence, : Ève, femme d’Adam ou Marie, Mère du Christ ? Ces deux
idées proviennent de la tradition de l’Église et influencent profondément la mentalité
médiévale. La vision de la femme comme instrument du Diable, une chose à la fois
inférieure et mauvaise, existe dès le début de l’histoire de l’ Église.
Pourtant, il est généralement reconnu que l’Église divise l’humanité en trois
états à savoir : les femmes mariées, les veuves et les vierges, ces dernières
occupant la première place. Dans la culture médiévale, le choix d’une bonne épouse
est la première condition pour établir avec une base bien fondée la vie conjugale. Il
apparaît que l’épouse doit être jeune et vierge plutôt que veuve. Elle doit se
débarrasser de la jalousie, de la passion et la folie. Ces sentiments sont considérés
comme caractéristiques typiques pour la femme au Moyen Âge. D’ailleurs, la femme
est plus proche que l’homme des forces mystérieuses de la vie et de la mort. ‘Mort
par Ève, vie par Marie’. ‘À une Ève innommée s’oppose une inaccessible Marie 13’.
Marie est tenue pour la femme qui triomphe comme mère. Elle échappe encore un
peu plus à la condition humaine à cause de l’Immaculée Conception. Ève, par
contre, est considérée comme la fille du Diable. Ève s’est laissée séduire par le
serpent et avec elle entrent dans le monde le péché originel, la mort et la damnation
éternelle. Sa faiblesse fatale la rend vulnérable et coupable. C’est elle la cause de
tous ces maux et toutes les femmes sont comme elle, excepté bien sur la Vierge.
Enfin, Madeleine, elle se rattache à la pécheresse et au péché originel, commis par
Ève (et Adam) et dont tout être humain mais surtout la femme est coupable en
naissant. Cela veut dire que tout pécheur doit se racheter de la faute qui le marque
depuis sa conception. À cette époque, on trouve que les femmes, à l’exemple de
Madeleine, doivent se racheter plutôt deux fois qu’une : d’êtres pécheresses, et
d’être femmes.
Il semble donc que ce soit le regard des hommes qui constitue en premier lieu
la femme. Au Moyen Âge, les hommes ont la parole. Ce sont avant tout les clercs,
hommes de religion et l’ Église qui gouvernent l’écrit, transmettent les connaissances
et notamment ce qu’il faut penser de la femme. Ces hommes pensent au travers des
modèles fournis par l’Écriture et se fondent uniquement sur ces textes religieux.
Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a un décalage entre ce dogme clérical et la
réalité dans la société médiévale. En effet, les pères d’église ne savent rien de
femmes. Ils sont coupés d’elles par le célibat. Ils ont peur de la femme, et elle s’est
liée à des notions comme ‘la distance, l’étrangeté et la crainte14’. Par contre, en
réalité, la femme peut se conduire d’une manière très différente à celle prescrite par
l’ Église.
La place de la femme au sein de la société médiévale est influencée d’une
façon négative par une attitude misogyne des hommes de religion. La littérature
religieuse masculine représente une femme dépourvue de toute humanité : elle n’est
rien d’autre que la projection du désir coupable de l’homme. ‘Ce sexe a empoisonné
notre premier parent, qui était aussi son mari et son père, il a étranglé Jean-Baptiste,
livré le très courageux Samson à la mort. D’une certaine manière aussi, il a tué le
Sauveur, car si sa faute ne l’avait pas exigé, notre Sauveur n’aurait pas eu besoin de
mourir. Malheur à ce sexe en qui n’est ni crainte, ni bonté, ni amitié et qui est plus à
redouter lorsqu’il est aimé que lorsqu’il est haï15. L’Église rejette la faute sur Ève,
c’est elle qui est responsable du malheur de l’homme voire du malheur dans le
monde entier. L’histoire biblique de la Création et de la Chute dans la Genèse pèse
13
Ibid, p. 39.
Ibid. p. 32.
15
Ibid; p. 35. Voir note 4.
14
12
constamment sur la vision médiévale de la femme. Son rôle dans la Chute est estimé
comme le plus grave. À cause de cette doctrine religieuse, qui est négative envers la
femme médiévale, la femme est placée au-dessous du rang de l’homme. Ève et par
conséquent toutes les femmes sont tenues pour des êtres inférieurs à Adam et à
l’homme.
1.2.
La conception de la femme au Moyen Âge.
Au début du Moyen Âge, l’opinion reçue connaît deux sources : l’Église et la
noblesse. La conception de la femme est élaborée par le clergé où le célibat était la
règle et par la noblesse qui peut se permettre de considérer les femmes comme des
objets décoratifs et de les subordonner aux intérêts de son bien principale, la terre.
Ces mêmes classes créent aussi la conception du mariage définissant le statut
juridique de la femme. Celle-ci étant placée, sous la dépendance de l’homme, ni le
statut du mariage, ni la loi ne la considère pas comme un individu. Il est
généralement reconnu que le mariage est considéré comme une condition parmi les
plus basses de l’existence humaine.
L’idéal conjugal, tel qu’il est décrit dans la majorité des ouvrages médiévaux
destinés aux femmes, implique l’obéissance absolue. Les femmes désobéissantes
doivent subir une peine ou correction. Il fait partie du droit de l’homme de battre leurs
femmes. De fait, nous pouvons affirmer que le mariage implique une certaine
négation de la femme comme personne. Presque tous les mariages de convenance
sont dictés par des intérêts fonciers. Par conséquent, il faut souligner que la
condition de la femme n’est pas déterminée par sa personnalité mais par son sexe.
Autrement dit, la femme est inférieure à l’homme par son sexe !
A partir du XIIe siècle, nous verrons que la bourgeoisie devient de plus en plus
importante grâce à l’essor du commerce et des villes. Sa conception de la femme
révèle une meilleure compréhension de sa position réelle dans la vie médiévale que
celle de l’Église et de la noblesse. La bourgeoisie change lentement l’idée médiévale
de la femme. De fait, elle est en train de développer énormément le commerce dans
les villes. Pour les hommes, il est important que leurs épouses puissent le remplacer
durant leurs absences. Nous pouvons remarquer que si nous descendons vers le
bas de l’échelle sociale, nous nous apercevons que le pouvoir de la femme ne
diminue pas pour autant. En revanche, l’activité féminine et son importance dans le
cadre familial sont d’autant plus grandes que ses revenus. Sur le plan économique,
la femme fait jeu égal avec les hommes tandis qu’elle n’a guère d’influence dans le
domaine politique, juridique ou dans les affaires militaires.
La femme faisant partie des couches sociales supérieures (la Noblesse) n’est
pas pour autant une femme soumise. C’est une femme qui est sûre d’elle-même et
incarne un certaine pouvoir. Cette femme dispose d’une puissance économique
jouant un rôle important sur ses possibilités d’action dans la société. Souvent, on dit
que la vie conjugale au Moyen Âge est une manière de vivre et un moyen de régler
les relations sociales avec l’extérieur. Il en va de même pour la femme de la
bourgeoisie urbaine. La femme en tant que ‘mater familias16’ dispose des revenus de
la ‘domus17’ au moins dans le cadre de la gestion domestique. Les conditions de vie
de la bourgeoisie urbaine sont plus modestes que celle de la noblesse. Le cadre
économique permet bien moins de frivolités personnelles. Ces femmes travaillent
dans les entreprises familiales rurales, plus encore urbaines et artisanales et elles
16
17
La mère, la personne la plus importante qui se trouve au sommet de la famille.
La maison.
13
jouent un rôle économique plus important que les dames de la noblesse. Nous en
reviendrons sur de point dans le chapitre 4.
1.3.
La Farce en général.
Dans ce paragraphe nous essayons de déterminer la farce d’une manière
générale. Comment pouvons nous caractériser la farce ? Comme nous l’avons déjà
remarqué, avec la farce, il ne s’agit évidemment pas d’éduquer, mais de donner le
plaisir du rire. Cependant, la satire n’est pas le but de la farce. La farce est « un
mécanisme organisé pour susciter le rire », dit Michel Rousse, « une machine à
rire » dit Bernadette Rey –Flaud18. En général, nous pouvons dire que la farce
désigne une courte pièce comique. Par contre, « la Farce de Maître Pathelin »
compte environ 1600 vers. Rousse l’a qualifié d’une façon suivante : un comique qui
rompt avec la tradition des farces19. Il est généralement reconnu que cette farce doit
être considérée comme le chef-d’œuvre de la farce. Mais en même temps, nous
avons affaire à une farce tout à fait atypique. Cela se rapproche entre autres à sa
longueur. Rousse est d’avis que nous pouvons la diviser en trois intrigues de 500
vers20. En général, il est normal qu’une farce compte environ 500 vers.
La farce se caractérise par un petit nombre de personnages et par un certain
type de personnage. Souvent, nous y trouvons 3 à 5 personnes. Tous les
personnages ou les types sont définis selon leur état social. C’est-à-dire qu’ils sont
réduits à un trait de caractère ou à leur profession. Il faut ajouter à cela que la farce
nous transporte à la campagne et à la ville. Elle met scène le peuple, surtout les
milieux un peu plus aisés, que nous pourrons qualifier de petite bourgeoisie. Des
nobles y paraissent, qui font d’ailleurs triste figure. On saisit donc la noblesse dans
ses rapports avec les paysans, avec les artisans, avec les inférieurs. Le mépris et
l’orgueil sont à l’origine chez la noblesse. Les ecclésiastiques étant mis en scène
sont nombreux et rarement recommandables. Le seul acte religieux qui est accompli
par eux est la confession. Cet acte est souvent ridiculisé par des personnages
déguisés en prêtres. Un phénomène que nous verrons aussi est le curé prenant son
plaisir avec la dame, tandis que le mari est dupé pas les adultères. Des hommes de
pouvoir et de savoir passent dans la farce. Ils représentent la justice, l’enseignement
et la médicine. On met en scène beaucoup de marchands, de commerçants et des
artisans indispensables à la vie quotidienne des villes, car il faut se nourrir et se vêtir.
Du noble au marchand, la farce comprend toutes les classes sociales. Chaque
groupe est saisi dans certains de ses habitudes, dans certains de ses traits et
comportements caractéristiques. Ainsi, la farce recompose des aspects de la société
médiévale. Les spectateurs doivent avoir l’impression d’entendre et de voir les gens
qu’ils rencontrent dans la vie de tous les jours.
Le plus souvent, la farce se situe en plein air, est ouverte à tous et peut-être
gratuite. Elle dresse ses tréteaux sur la place publique. L’espace du jeu est clos,
séparé du public, les gravures nous montrent. Il est question de frontières séparant
Mazouer, Charles. ‘Le théâtre français du Moyen Age’, Paris : Cedes, 1998, p.288.
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, Préface p. 11.
20
Rousse, Michel. ‘Le rythme d’un spectacle médiéval : Maître Pierre Pathelin et la farce’ dans ‘Sur « La farce
de Maître Pierre Pathelin »’, Genève : Éditions Slatkine, 1986, p. 88-97. En analysant de plus près la Farce de
Maître Pathelin, Rousse souligne que l’auteur a créé cette pièce en sorte que des points de rupture apparaissent
tous les 500 vers. Quant à la forme et au sujet, il avance que toutes les trois actions répondent à une farce
complète. En gros, nous pouvons distinguer les actions suivantes : le vol du drap, le délire et le jugement.
18
19
14
la réalité de la fiction théâtrale. Un échafaud d’une grande simplicité, donc vite
démonté et remonté, et peu coûteux. Aucun décor construit n’est nécessaire. Un
meuble ou un objet courant nous montre un lieu fictif nécessaire à l’action. Par
exemple, dans la Farce de Maître Pathelin, nous trouvons sur scène deux tabourets
pour indiquer la maison de Pathelin et pour le drapier nous y voyons un étal et un
tabouret21.
Le thème le plus important de la farce est la tromperie. L’intrigue est facile à
comprendre et toujours la même, il s’agit du trompeur trompé. Nous relevons que les
farces sont déterminées par une nécessité élémentaire comme par exemple le
besoin de vêtements, de nourriture et d’amour. Les personnages ont recours au vol
ou à la tromperie pour arriver à leurs fins. Il en résulte que nous avons affaire à la
question de survivre, à l’exercice du besoin.
Précisons qu’il est question d’une tension relationnelle entre un homme et une
femme. Par exemple, nous avons affaire à une femme qui est supérieure à son mari.
Il s’agit du pouvoir, de l’autorité même! Dans les rapports homme-femme, il est
question de savoir qui commandera l’autre, qui échappera à l’autorité de l’autre. Le
monde de la farce est régi par la loi du plus fort. C’est un monde où survivent les
personnages les plus aptes à tromper l’autre.
Voici donc ; un genre de théâtre, avec ses personnages fictifs empruntés à la
vie quotidienne, une action dramatique organisée faits de leurs conflits. Nous avons
affaire au théâtre dédié à la joie des spectateurs.
L’histoire de la Farce de Maître Pathelin.
Au début de cette pièce, nous observons une dispute entre Pathelin et sa
femme Guillemette. Maître Pathelin est mécontent de ne plus avoir de clients, tandis
qu’il était jadis le meilleur avocat. En tant qu’avocat, il sait très bien plaider.
Guillemette se proteste contre son mari, elle se moque de son situation économique
pitoyable. Ils n’ont plus d’argent, pas de vêtements et par conséquent pas de
prestige social. De ce fait, elle rejette la faute sur Pathelin.
Pathelin veut lui coûte que coûte montrer qu’il est encore capable d’exercer son
métier. En ayant recours à la tromperie, il lui promet d’acheter de l’étoffe sans payer
évidemment ! À la foire, il rencontre le drapier. Le drapier hésite à recevoir Pathelin
mais finit par se laisser influencer par ses flatteries qui portent sur sa famille,
notamment sur la ressemblance à son père. Après l’achat du drap, il dit qu’il lui
paiera et l’invite à venir se faire payer et à dîner chez lui. Cette idée de Pathelin lui
permet de se procurer du drap sans rien dépenser. Malgré les soupçons du drapier,
il y réussit.
De retour chez lui, Pathelin est heureux qu’il ait obtenu le drap, montre son
victoire à sa femme. Guillemette se souci de créanciers et se demande par quelle
manière son mari a pu tromper le drapier. Pathelin lui explique son réussite et lui
apprend la ruse qu’il a découvert pour échapper au paiement. Elle accepte sans
protester, mais elle ne peut pas s’empêcher de dire qu’il a déjà été mis au pilori pour
tromperie. Guillemette se soumet à son mari et assure au drapier que son mari est
très malade.
Guillemette accueille le drapier, et fait comme si elle était une femme triste à
cause de la ’feinte’ maladie de son mari. ‘Elle feint de ne rien comprendre aux
paroles du Drapier, furieux, qui dit venir chercher de l’argent de l’étoffe prise par
1.4.
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p.285.
21
15
Pathelin.22’ Pathelin fait semblant de tenir le marchand pour son médecin et
commence à délirer en huit langues. Pourtant, il se doute encore, mais il se laisse
encore une fois amadouer par lui. Finalement, l’esprit troublé, le drapier est d’avis
que Pathelin est à l’article de la mort. Par conséquent, le drapier se retire et accepte
qu’il a perdu son argent. De plus, il croit qu’il a été pris par le diable. Pathelin et
Guillemette se félicitent de leur succès.
En se considérant victime misérable, le drapier se met en route et il rencontre
son berger. ‘Il lui reproche d’avoir régulièrement tué et mangé ses moutons depuis
dix ans.23’ Le berger se voit assigner devant le tribunal car le drapier veut défendre
ses droits.
Le berger s’adresse à Pathelin et reconnaît avoir tué des moutons et demande
à Pathelin de le défendre. Le berger lui promet de le payer en beaux écus. Pathelin
voudrait bien gagner de l’argent et y accepte bien qu’il soit au courant de le difficulté
de la cause. Il y avait beaucoup de témoins qui ont vu le berger tuer les brebis.
‘ …Pathelin… trouve un moyen de lui éviter d’être condamné : il ne répondra rien
d’autre que « Bée » à toutes questions qu’on lui posera, et aucun autre mot ne
devra sortir de sa bouche, même si Pathelin lui-même l’en presse.24’
À la cour, le drapier expose son accusation mais tout à coup il reconnaît
Pathelin qu’il estimait mourant. Le juge ne s’aperçoit pas de quoi il s’agit et lui
demande de se concentrer sur la cause. Mais le drapier échoue, il commence à
mélanger tout, il confond constamment l’étoffe et les moutons. Le juge interroge le
berger qui ne répond que par les « Bée » prévus. Influencé par Pathelin, il décide de
renoncer à l’affaire en acquittant le berger.
Pathelin demande au berger son argent mais le berger refuse de lui répondre
d’une façon normale. Il ne fait que répondre par « Bée ». Pathelin lui dit q u’il n’est
plus nécessaire de bêler. Il voudrait être payé, mais le berger persiste dans son rôle.
De ce fait, ‘Pathelin n’aura pas son argent et il quitte la scène en réclamant un
sergent25’.
1.5.
Une pièce de théâtre très soignée.
1.5.1. Le trompeur trompé.
La farce de Maître Pathelin se base tout entièrement sur le thème de la
tromperie. Nous constatons qu’il est question de deux histoires à l’intérieur de cette
farce. D’une part, nous avons affaire à la scène de Maître Pathelin qui trompe le
drapier. D’autre part, il est question de la représentation du berger qui trompe Maître
Pathelin. Ce qu’il y a de remarquable c’est que le drapier croyait tromper en essayant
de vendre l’étoffe à un prix trop élevé, a été trompé. Maître Pathelin qui pensait
tromper finit par être trompé lui-même. Pour ainsi dire, nous nous rendons compte de
l’histoire classique du trompeur trompé. Seul le berger réussit à tromper son patron,
le drapier, son avocat, Pathelin et le juge. La morale de cette farce consiste à la
leçon suivante : l’élève dépassant son maître. ‘Pathelin, pédagogue avec le berger, à
22
Ibid. p 286.
Bouhaïk-Gironès, M. ‘La basoche et le théâtre comique, identité sociale, pratique et culture des clercs de
justice, (Paris 1420-1550)’, Thèse de doctorat, Université Paris VII, 2004, p 241.
24
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p 288.
25
Bouhaïk-Gironès, M. ‘La basoche et le théâtre comique, identité sociale, pratique et culture des clercs de
justice, (Paris 1420-1550)’, Thèse de doctorat, Université Paris VII, 2004, p 242.
23
16
qui il apprend à jouer avec le langage, se voit dépasser par son élève dans l’art de la
tromperie26.’
1.5.2. Le jeu verbal.
Selon Rousse, le comique de cette farce repose surtout sur le jeu verbal. Il est
d’avis que la ruse se fonde sur l’emploi des possibilités du langage. ‘La flatterie dont
le Drapier est victime est une ruse bien connue du public, et Guillemette évoque la
fable du Corbeau et le Renard ; le délire de Pathelin qui feint d’être en proie à la
fièvre permet de donner libre cours à un flot de paroles découses ; enfin le langage
réduit à son minimum – une onomatopée qui imite le cri du mouton – constitue la
dernière ruse27’.
La parole est considérée comme très important dans la Farce de Maître
Pathelin. Pathelin se sert du langage dans le but d’arriver à ses fins. Nous en
analyserons de façon détaillée dans le chapitre 2 qui porte sur ce sujet. Les
personnages qui sont mis en scènes n’hésitent pas à se servir de phrases à double
sens. Faivre stipule que ‘la parole ne peut triompher que de celui qui entre dans le
jeu du langage’. Le berger refuse l’échange verbal et se limite à la réponse du
« Bée », devient une personne difficile à saisir. Il devient imprenable, opaque.
‘Pathelin s’engage à payer le Drapier « à un mot » (sans marchander) et il le paiera
… de mots ; le berger, a son tour promet de payer Pathelin « à (son) mot » ( à ses
conditions) et il le paiera de son mot : le « Bée » que Pathelin lui a enseigné28.’
Avant de passer à la question de qui a écrit la Farce de Maître Pathelin. Il est
fort probable que cette pièce a été écrite par une personne qui maîtrise parfaitement
le droit. Nous sommes d’avis que la farce est probablement écrite par un membre du
barreau ou de la magistrature. En effet, Bouhaïk-Gironès nous montre qu’il existe
une étude qui analyse la connaissance du droit de l’auteur de cette farce29. Il est
dans nos intentions d’aborder cette question dans le paragraphe 1.7. Dans le
paragraphe qui suit, nous examinons la question de la datation de la Farce de Maître
Pathelin.
1.6.
La datation de la Farce de Maître Pathelin.
Il est difficile de parler d’une date fixe pour la Farce de Maître Pathelin. Dans
les études critiques sur la Farce de Maître Pathelin que les savants ont rédigées,
nous rencontrons les années suivantes : 1460, 1469, 1470, 1464-1465, 1456.
Quelques exemples suffissent à montrer la difficulté de la datation exacte de la Farce
de Maître Pathelin. Rousse a donné comme date probable : 146030. Il y en a qui ont
lié cette date à l’emploi du verbe ‘pateliner’. Par contre, Tissier31 se demande si ce
mot ‘pateliner’ n’était pas plus ancien que la farce. Holbrook32 a situé la composition
26
Ibid. p 242.
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p 12.
28
Faivre, Bernard. ‘Répertoire des farces françaises des origines à Tabarin, Paris : Imprimerie Nationale, 1993,
p. 252.
29
Bouhaïk-Gironès, M. ‘La basoche et le théâtre comique, identité sociale, pratique et culture des clercs de
justice, (Paris 1420-1550)’, Thèse de doctorat, Université Paris VII, 2004, p 245.
30
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p.31.
31
Tissier, André. ‘Recueil de farces (1450-1550), textes établis, annotés et commentés par André Tissier’, Tome
VII Maître Pathelin, Droz, Genève, 1993.
27
32
Holbrook, Richard T. ‘Guillaume Alecis et Pathelin. Berkeley : University of California Press 1928.
17
de cette farce entre 1463 et 1465 parce qu’il croyait que son auteur était le moine et
poète Guillaume Alecis et que Pathelin avait été écrit à l’abbaye de Lyre « sous
l’abbatiat de Louis d’Harcourt » (1463 et années suivantes) , qui vit un procès de
draperie et un procès contre Thibault, curé de Saint-Mor.’33 Un autre argument
souvent cité est une œuvre d’Alecis, les ‘Feintes du Monde’. Cet ouvrage contient
plusieurs allusions. Comme par exemple : ‘Tel a largement de blason. Qui ne sçait
pas son patelin .’ Vers 859-860. … ‘Allusion à l’invitation fallacieuse de Pathelin au
drapier à venir chez lui manger de l’oie (Texte I, v. 292 et note) : Tel dit : venez
menger de l’oye, Qui n’a chien luy rien appresté. (vv. 275-276)’34. Mais on se
demande si on peut déterminer d’une façon exacte la date des ‘Feintes du Monde’.
L’un des aspects les plus frappants de ce problème est que les textes de
farces trouvent leurs origines dans le domaine oral et populaire au Moyen Âge.
Tout d’abord, essayons de comprendre que l’idée que nous avons aujourd’hui sur les
auteurs et sur la propriété littéraire se distingue énormément de cette conception au
Moyen Âge. Pour ce qui est des farces, elles se passent encore d’un auteur à l’autre,
d’une couche sociale à une autre, sont remaniées, adaptées selon son opinion et
son public. À cette époque-là, l’anonymat était d’usage. La plupart des textes
médiévaux ont ainsi circulé sans qu’on en connaisse les auteurs. Nous laisserons de
côté ce point pour y revenir dans le paragraphe suivant.
Pour revenir à la question de la datation, il apparaît que la date exacte à la
quelle Farce de Maître Pathelin a été rédigée ne nous est pas connue. Comme nous
l’avons déjà suggéré, il y a cependant certains faits qui peuvent à peu près la situer
dans les années 1460. Cette farce est considérée comme le chef-d’œuvre du théâtre
comique. La Farce de Maître Pathelin est apparue au moment où ce genre théâtral
commence à s’épanouir énormément. Comme Michel Rousse le dit : ‘Il est vrai que
les farces qui nous sont parvenues lui sont postérieures’. ‘Il est vrai aussi que la
période de la plus grande faveur de ce genre ne fait que commencer dans la
seconde moitié du XVe siècle.35’
Par contre, il y a aussi des scientifiques qui datent la Farce de Maître Pathelin
dans les années 1470. Smith est d’avis que La Farce de Maître Pathelin pourrait
dater du milieu des années 1470. En analysant cette farce, il s’est basé sur le
manuscrit de Bigot. Il a constaté qu’il existe des similarités entre le manuscrit La
Vallière et le Bigot et nous montre que leur rédaction a eu lieu entre les années 1475
et 1468. ‘Sans remettre ici en cause la période généralement admise pour
l’émergence de l’œuvre, 1464 et 1468, il faut sérieusement envisager l’hypothèse
que, rédigé tel que nous le connaissons dans ses différents états, Maistre Pierre
Pathelin est légèrement antérieur à la production des manuscrits La Vallière et Bigot,
et pourrait donc dater du milieu des années 1470’36. Bouhaïk-Gironès reprend cette
idée, elle partage l‘opinion de Smith. ‘On admettra que la pièce est probablement
d´origine parisienne, mais qu’elle peut être aussi normande voire angevine, qu’elle a
Tissier, André. ‘Recueil de farces (1450-1550), textes établis, annotés et commentés par André Tissier,
Genève, Droz, 1993, T. 7, p. 140.
34
Ibid. p. 142.
35
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999. Préface p. 31.
36
Smith, Darwin. ‘Maistre Pierre Pathelin, le Miroir d’orgueil : texte d’un recueil inédit du XVe siècle (mss
Paris, B.N.F. fr. 1707 & 15080)’ , Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, 2002. p. 100.
33
18
été composée probablement pour un groupe de joueurs associés, puis diffusée dans
des états textuels différents aux débuts des années 1470.‘37
La question d’auteur et la localisation de la Farce de « Maître Pathelin ».
Tout d’abord, il serait utile de nous demander qui est l’auteur de la Farce de
Maître Pathelin. À vrai dire, que veut dire le mot « auteur », au Moyen Âge ? Afin
que nous puissions comprendre le sens du mot « auteur », il faut prendre en
considération que l’idée d’une ‘propriété littéraire’ n’existe pas. D’une part, une
œuvre médiévale dans l’état où nous la lisons aujourd’hui n’appartient pas à un
auteur unique. Il est tout à fait normal de s’en servir. Par exemple, il se peut qu’un
auteur plagie, remanie ou donne une suite à un certain texte. Toujours, il faut se
demander si nous avons affaire au texte original ou s’il est question d’un
remaniement. D’autre part, les auteurs du Moyen Âge ont une conception de
l’originalité qui diffère de la nôtre. C'est-à-dire qu’un auteur n’hésite pas à insérer
plusieurs passages d’une œuvre antérieure dans son texte. Il est sûr que nous ne
connaissons pas le nom de l’auteur de la farce, mais quelques indices permettent au
moins de le situer. La pièce est écrite en dialecte d´Île-de-France, avec des traits
normands et picards ; les pièces de monnaie dont se servent les personnages sont
normandes ; les personnages eux-mêmes, un drapier et un avocat, font penser à la
bourgeoisie de Rouen, dominée par la corporation des drapiers, et qui compte un
nombre impressionnant d’avocats inscrits à son barreau. Il est donc probable que
l’auteur est normand, et qu’il composa cette pièce entre 1464 et 1470, date à laquelle
on repère le premier emploi de l’expression « pateliner » pour « feindre d’être
malade » . Ce détail dit assez à lui seul le succès de la farce38 On a émis plusieurs
hypothèses quant à l’identité précise de l’auteur . Aucune n’est tout à fait vérifiable,
mais un fait demeure : tout au long de la farce, l’auteur montre une connaissance
des procédures judiciaires très précise39. Comme nous l’ avons déjà stipulé, dans le
paragraphe 1.5.2., qu’il est donc vraisemblable que l’auteur de cette farce soit luimême homme de justice40’.
Tout d’abord, il faut noter que la Farce de Maître Pathelin pouvait être jouée
sur une estrade et faire partie des pièces que les troupes d’acteurs, professionnel ou
non, pouvaient présenter. Nous avons affaire à plusieurs lieux où se déroulent les
différentes scènes à savoir un lieu défini comme la maison de Pathelin, un autre lieu
sera caractérisé comme le champ de foire et l’étal du drapier. Il faut se rendre
compte qu’en cours de la représentation, le matériel diffère l’une action à l’autre.
Rousse le dit : ‘On observe donc que le lieu scénique de la farce peut servir à
instituer deux lieux théâtraux à la fois. L’un est marqué par la présence d’un objet
qui, outre sa fonction propre, a valeur de symbolique. L’autre est neutre et ne
comporte aucun élément qui le désigne, ce qui lui permet de se modifier selon les
besoins de l’action’41. Par exemple, le lit où Pathelin feint d’être malade n’intervient
que dans la deuxième partie. Il en va de même pour l’action du tribunal qui ne sera
représenté par le siège et le tabouret que lors du procès. Il apparaît donc qu’une
table ou une cuve (dans le Cuvier) peuvent accentuer la désignation d’un certain lieu.
1.7.
38
Rabelais, dans le Tiers Livre (voir p. 208), invente, lui, le néologisme « patelinage ».
Voir surtout dans l’action 3 au tribunal , scène 3.
40
Décote, George. (dir) ‘Itinéraires Littéraires : Moyen Âge XVIe siècle’ , Paris : Hatier, 1988, p 87.
41
Rousse, Michel. ‘La scène et les tréteaux, le théâtre de la farce au Moyen Âge’, Orléans : Paradigme, 2004.
p. 84/85.
39
19
Autrement dit, la fonction du lit ou du siège est plus importante par rapport à l’objet
qu’il désigne. Cet objet symbolise l’intérieur.
Dans le paragraphe suivant, nous analyserons la différence entre le texte et la
représentation de la Farce de Maître Pathelin. Il est question de différents objets qui
peuvent échapper à la lecture d’un texte de théâtre.
1.8.
La structure dramaturgique et le texte de la Farce de « Maître Pathelin ».
Les manuscrits et les éditions du XVe siècle nous ont livré un texte. De
Pathelin, il nous reste plusieurs copies manuscrites et un certain nombre d’éditions.
En ce qui concerne les manuscrits, il y en a quatre à savoir, le Manuscrit La Vallière,
le manuscrit Taylor, le manuscrit Bigot et celui de Harvard.
Le texte de théâtre n’est pas du tout comparable au celui d’un livre destiné à une
lecture personnelle. Un texte qui est destiné pour le théâtre doit être considéré
comme un répertoire que les acteurs apprennent par cœur, il est très souvent
adapté, remanié par des auteurs ou même l’auteur invente et ajoute lui-même un
nouvel passage. De cette manière, nous pouvons constater que le texte de théâtre
est un texte dynamique.
Le texte destiné à la lecture ne fait pas du tout preuve des indications de mise
en scène, des divisions en acte ou en scène. Or, il ne faut pas oublier que nous
avons affaire à un texte dramatique n’ayant pas pour but d’être lu, au contraire, il est
destiné à être joué. Rousse l’affirme bien en disant : ‘Au coeur du théâtre, nous
situons aujourd’hui, dans nos recherches, le texte ; il est notre source d’information la
plus riche sur un art dont nous ignorons (et sommes condamnés à ignorer)
l’essentiel : la saveur de la représentation, à chaque fois unique, qui la constitue’42.
Pour ce qui est de mise en scène d’un texte de la farce, l’auteur nous fait
comprendre que nous avons besoin d’un auteur, mais il faut surtout des acteurs, un
dispositif scénique (comme par exemple l’espace-coulisse43) et un public. Cela veut
dire qu’un texte destiné à être lu est incomplet, qu’il lui manque pour ainsi dire son
fonctionnement du dispositif scénique, sa composition du spectacle et sa réception
par le public.
L’espace-coulisse est très important pour le déroulement des scènes de la
farce. Il s’agit ici, d’une forme la plus simple comme par exemple un rideau. Il
fonctionne comme le lieu où l’action se déroule. Comme Rousse le stipule : ‘.. le lieu
magique où s’opèrent les transmutations qui permettent le passage du réel à la
fiction’44.
Il est primordial que le théâtre de la farce (re)présente des acteurs et un
public, et que leur participation est indispensable pour établir les conventions qui
fondent le jeu. Il en résulte de tout cela que cette mise en scène nous offre une unité
spécifique que la lecture d’un texte nous n’offre pas. Tout est lié dans le théâtre ;
l’auteur de la farce doit se soumettre au rôle de ses acteurs. Dans le théâtre de la
farce, le personnage et sa parole sont caractérisés par un pouvoir décisif. Or, il faut
ajouter à cela qu’il a besoin de l’imagination des spectateurs. Rousse déclare : ‘Le
42
Rousse, Michel. ‘La scène et les tréteaux, le théâtre de la farce au Moyen Âge’, Orléans : Paradigme, 2004 p.
71.
43
On l’appelle aussi ‘la scena ‘; ‘un espace-coulisse qui oriente l’espace de jeu, met le public face à la
représentation, et délimite dans sa dimension longitudinale la scène’. Ibid. p. 90.
44
Ibid. p. 81.
20
théâtre, c’est voir, c’est aussi entendre. Il semble que tout une époque de notre
histoire dramatique l’ait oublié’45.
Il est pourtant frappant de constater qu’en analysant les possibilités de jeu,
nous sommes obligés de les étudier à partir d’un texte ! Aujourd’hui, ce texte sert
comme point de repère, comme base pour examiner la production d’une farce, alors
qu’il est en fait le point d’aboutissement.
1.9. Conclusion
Dans le chapitre 1, nous avons étudié la Farce de Maître Pathelin. Tout,
d’abord, nous avons présenté certaines caractéristiques de base de la farce. Ainsi,
nous avons essayé de déterminer la notion de ‘farce’. Ensuite, nous avons mis en
présence notre corpus, c’est-à-dire comme point de départ, nous avons choisi La
Farce de Maître Pathelin et pour nous procurer de matériaux de comparaison, nous
avons décidé d’analyser toute une série de différentes farces. Il est dans nos
intentions de comparer le personnage et le comportement de femmes mises en
scène à ceux de Guillemette, le personnage féminin dans la Farce de Maître
Pathelin. En mettant l’accent sur trois aspects à savoir la parole des femmes, la
manière dont elles tiennent le ménage et leurs relations conjugales, nous voudrions
faire une analyse et donner une image complète de Guillemette et les autres femmes
mises en scène.
De plus, nous avons décrit l’histoire de la Farce de Maître Pathelin. En outre,
nous avons abordé la question de la datation et celle de l’auteur. Enfin, nous nous
sommes demandés s’il est question d’une différence entre le texte et la scène de la
Farce de Maître Pathelin.
Il apparaît que le langage occupe une place très important à l’intérieur de la
farce. Les personnages se servent du langage ou de la parole afin de tromper l’autre.
Il semble donc que cette farce respecte les situations burlesques, les renversements
comme les autres farces, mais elle repose avant tout sur le jeu verbal. Nous en
parlerons de plus et étudierons cette question dans le chapitre 2.
45
Ibid. p.91.
21
CHAPITRE 2
-
LA PAROLE DE GUILLEMETTE.
2.0.
Introduction.
Dès les premiers vers de la farce, Pathelin est mis en relation avec la parole,
puisqu’il s’agit d’un avocat, d’un homme de la parole, dont la parole est l’arme. Vers
5 ‘Or viz je que j’avocassoye’ . Vers 7 ‘Dont on chante, en advocassaige,’. Vers 13
‘Partout advocat dessoubz l’orme’. Le titre même, « La farce de Maître Pathelin »,
évoque ce règne de la parole. La notion de « Maître » renvoie entre autres à la
profession de l’avocat. En général, elle renvoie également à un grade universitaire.
Nous en parlerons plus dans le chapitre 4.
Pour ce qui est du nom de Pathelin, il est lié à une famille de mots comme par
exemple « patelin » ce qui signifie « façon étrange de parler » et « pateliner » ce qui
signifie « tromper par des paroles46 ». Au fond, il apparaît que le nom de Pathelin
désigne un beau parleur qui use du charme de ses mots pour tromper celui qu’il
flatte.
Il faut insister sur le fait que le langage et la parole sont très importants dans
la Farce de Maître Pathelin. La ruse et la parole ou bien l’emploi du langage sont
étroitement liée. On se sert du langage pour chercher à tromper l’autre de sorte que
la farce devienne/soit une comédie du langage et de sa puissance. Tout est fondé
sur la parole et sur son ambiguïté. C’est la parole elle-même qui assure les
différentes tromperies. Elle est mise au service de la ruse.
Dans le premier paragraphe, nous nous concentrerons sur la parole de Maître
Pathelin. Il apparaît que Pathelin se sert de la parole afin d’avoir plus de pouvoir sur
ses adversaires et d’arriver à ses fins. Nous admettons que l’argent et la parole sont
étroitement liés. Pathelin attache beaucoup d’importance à l’argent et c’est pourquoi
nous aimerions étudier le rapport entre l’argent et sa parole. De plus, nous sommes
d’avis que la question de l’argent se rapproche du pouvoir. Finalement, nous
parlerons de l’éducation de Pathelin.
Dans le paragraphe 2.2., nous irons nous pencher sur la parole de
Guillemette. Nous parlerons d’une façon explicite sur les énoncés de Guillemette.
C’est-à-dire que nous aimerions faire une analyse textuelle en étudiant de plus près
le langage employé par Guillemette. Il est dans nos intentions de passer en revue les
thèmes suivants : les lamentations de Guillemette (2.2.1.), les évocations religieuses
de Guillemette (2.2.2.), la fable du corbeau 2.2.3 et enfin la scène de « parler bas »
(2.2.4).
Enfin, nous aimerions comparer la parole de la Farce de Maître Pathelin à la
parole dans notre corpus de farces. Nous nous demanderons s’il est question d’un
emploi différent de la parole.
2.1.
La parole dans la Farce de Maître Pathelin.
2.1.1. La parole et le pouvoir.
Quel est le propre de la parole dans la Farce de Maître Pathelin ? Il faut se
demander si le langage vise à s’exprimer ou à se mettre en relations avec d’autres
personnes. D’après nous, on se sert du langage dans le but d’exercer une influence
ou un pouvoir sur les autres. Nous touchons ici à un thème que nous rencontrons
souvent dans le genre de la farce. Il s’agit du pouvoir, de l’autorité même! Le monde
de la farce est régi par la loi du plus fort. C’est un monde où survivent les
46
Voir étude d’Omer Jodogne dans Rabelais et « Pathelin », Les Lettres romanes, t. IX, 1955, p. 8-14.
22
personnages les plus aptes à tromper l’autre. Tous les rusés n’ont pour but que de
tromper les personnes qui sont moins fortes. On a recours à la tromperie justement
pour arriver à ses propres fins.
Il en va de même dans la Farce de Maître Pathelin. Il est question du pouvoir,
pouvoir des mots, pouvoir de l’argent et pouvoir de la parole qui expliquent peu à peu
la condition des relations humaines et qui visent à dominer, à s’imposer au monde.
Cette idée se rattache, à notre avis, aussi aux personnages. Ils sont tous
caractérisés par une certaine puissance. Premièrement, le juge a choisi la loi afin
d’avoir plus de pouvoir dans le domaine du droit. Ensuite, le drapier est devenu
commerçant pour s’assurer le contrôle au moyen de l’argent. En outre, le berger peut
être tenu pour le ‘badin’ de cette pièce. Il joue le rôle du niais stupide. Nous
soulignons que le badin est souvent plus intelligent qu’il en a l’air. Il en va de même
pour le Berger, il finit par dominer Pathelin en ayant recours à la tromperie du ‘Bée’.
Nous reconnaissons ici l’histoire classique du trompeur trompé. La morale est celleci : ‘l’élève qui dépasse son maître, ou du moins qui se sert trop bien de ce qu’il a
appris’47. Finalement, Pathelin est devenu par son nom un ‘type’ original, celui du
beau parleur et dénué de scrupules, un maître/avocat trompeur. Il use de la parole
pour arriver à ses fins. Comme Dufournet le stipule : ‘Les relations qui unissent
pouvoir et parole dans la Farce de Maître Pathelin, sont ambiguës, puisqu’à l’arrièreplan elles découvrent le malaise qui leur permet d’exister : celui du décalage entre
l’individu et le monde qui naît des rapports fictifs au réel instauré par un langage
truqué.48’
On se souvient que la Farce de Maître Pathelin est construite en trois grandes
actions. Rousse affirme que cette pièce est divisée en trois parties se rattachant
chacune à une scène spécifique49. Par ailleurs, il faut ajouter à cela que Dufournet
est d’avis que chacune de ces actions est liée à une différente relation du pouvoir et
de la parole. L’auteur attire notre attention sur une représentation des phases
particulières de la relation du pouvoir et de la parole. Selon lui, la première action
montre la naissance du langage. Elle présente la parole comme la conséquence d’un
manque de pouvoir. Il estime que la parole se découvre, dès le début de la pièce,
comme la seule possibilité de surmonter ou de sortir de sa situation sociale
et économique. À la faiblesse sociale de Pathelin oppose la puissance de la parole.
À travers la première action, l’importance de la parole commence à augmenter et de
cette manière s’engage une lutte du pouvoir. D’une part, la parole peut se tenir pour
signe d’une relation/dispute conjugale entre Pathelin et Guillemette. D’autre part, elle
est, selon Pathelin, le seul moyen de gravir les échelons de la société. Il s’ensuit de
tout cela que la parole se présente comme la conséquence d’un manque de pouvoir.
La deuxième action est déterminée par la vie du langage. Cette deuxième
action caractérise la parole comme étant l’invention de pouvoir. À côté du fait que la
parole constitue l’expression d’une impuissance sociale et économique, le pouvoir se
manifeste aussi dans d’autres niveaux. La parole est considérée comme une
possibilité de renverser la supériorité aristocratique et de critiquer la société
médiévale.
47
Bouhaïk-Gironès, M. ‘La basoche et le théâtre comique, identité sociale, pratique et culture des clercs de
justice, (Paris 1420-1550)’, Thèse de doctorat, Université Paris VII, 2004, p.242.
48
Dufournet, Jean & Rousse, Michel. ‘Sur « La farce de Maître Pierre Pathelin »’, Paris : Champion
(Unichamp 13), 1986, p. 60.
49
Ibid. p. 89.
23
À partir de vers 142, par son discours de filiation, Pathelin a recours à une
‘parole contestataire50 s’adressant d’une manière négative à l’aristocratie et à la
bourgeoisie. Dufournet soutient que cette parole a pour but de montrer le caractère
artificiel de la rhétorique aristocratique. Il détruit les normes en vigueur dans le
domaine de la parole ou du système d’identification de la noblesse en utilisant des
mots comme ‘lignage’, vaillant’, ‘bachelier’ et ‘preudomme’ . Vers 166, 171, 174.
Il est d’avis que ces expressions sont débarrassées de leur signification et
dépréciées de la parole aristocratique.
Vers 58-61 ’Si ont ceulx qui de camelos’, ‘Sont vestus et de camocas.’, ‘Qui
dient qu’i sont avocas,’, ’Mais pou tant ne le sont ilz mye’.’ En s’exprimant de telle
façon, il dénonce en quelque sorte l’orgueil, la richesse et le statut de l’aristocratie et
de la bourgeoisie. Dufournet avance :’ la parole conduit à une prise de conscience
étonnée de l’absurde de la condition humaine et des fondements discriminatoires de
la société51’. Nous pouvons encore aller plus loin en soutenant que la parole se
développe comme une ‘parole récréative52’ qui s’efforce de le réinventer. C’est-à-dire
que la parole devient une occasion de conquérir le pouvoir dans le domaine
économique et sociale. En outre, elle aboutit à une chance excellente de
s’approprier les qualités inhérentes au pouvoir comme par exemple le prestige, le
respect, l’admiration et l’autorité. Vers 9-10 ‘Des quattre pars, comme on souloit.’, ‘Je
vis que chascun vous vouloit’. Vers 14-17 ‘ Encor ne le dis je pas pour me’,’Vanter,
mais n’a, au territoire’, ‘Ou nous tenon nostre auditoire,’, ‘Homme plus saige, fors le
maire.’. L’auteur nous fait comprendre que : ‘la parole agit sur les individus grâce à
son pouvoir de suggestion’. … ‘La flatterie (du discours) joue sur la faiblesse et
l’imperfection humaines, sur la vanité du drapier, sur l’orgueil professionnel du
juge53’.
En fin de compte, la dernière action est caractérisée par la mort du langage.
Celle-ci présente la parole en démontrant qu’elle n’est que l’illusion du pouvoir. Peu à
peu, la réalité change, altère, elle devient opaque. Entre autres les vers 1556-1557
‘Quel Bée ? Parle saigement’, ‘Et me paye, si m’en yray’. Le berger persiste à
répondre à toutes les demandes de paiement exprimées par Pathelin par « Bée ».
Pathelin ne sait plus quoi faire, peu à peu la situation se tourne contre lui-même. Car
comme prévu, pendant l’interrogatoire du berger54, Pathelin et celui-ci se sont mis
d’accord sur des réponses de « Bée ». Vers 1544 ‘Ne dy plus « bée », il n’y a force.’.
Vers 1556 ‘Quel « bée » ? Il ne fault plus dire.’ Vers 1562 ‘Je ne vueil plus de ta
baierie.’, Vers 1571-1572 ‘Ne me babilles Meshuy de ton « bée » et me paye !’ Vers
1573 ‘N’en auray je aultre monnoye ?’ Vers 1582 ‘N’en auray je aultre parolle ?’
Enfin, vers 1587 ‘Les oisons mainnent les oes paistre !55’ Nous avons affaire à
l’inversion du bien et du mal qui entraîne le renforcement du pouvoir de la parole.
Pathelin a perdu tout le contrôle. La parole se retourne contre elle-même, en rejetant
tout forme de logique humaine. Ces expressions sont liées au comique de l’inversion
qui marque ainsi la double défaite de Pathelin et la parole.
50
Ibid. p. 63.
51
Ibid. p. 64.
Ibid. p. 64.
53
Ibid. p. 64/65.
54
Dans l’action 3: Le procès, Scène 3, devant le Juge.
55
Il est question du monde renversé. ’ L’ordre naturel des choses est renversé’. Pathelin se considère ‘maître’ de
la parole et par là ‘maître’ de la tromperie, mais il doit accepter qu’il est trompé par un simple berger. Voir:
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p. 249.
52
24
À la fin de la pièce, les personnages ne sont plus rien dans le domaine sociale
et économique. Toutes les tentatives de Pathelin de surmonter son statut social et sa
raison d’être échouent. Il redécouvre encore une fois sa faiblesse sociale et
économique et se dévoile victime de la parole par laquelle il réinventait son
existence. Cette dernière action fait preuve d’un échec de l’homme pour rendre sien
le langage et maîtriser la parole. Il résulte de ce qui précède que la parole se
manifeste comme la négation de tout pouvoir de l’homme sur le monde. Nous avons
affaire à beaucoup de négations dans cette pièce. Il est fort probable que la parole
mise en scène par Pathelin ne fonctionne pas comme un langage de vie mais de
mort à cause du très grand nombre de négations. La représentation de sa mort est
annoncée par Guillemette au drapier dans les vers 969/970. ‘Par mon serment, il se
mourra’ ‘Tout parlant.’. Dufournet soutient que : ‘dans Pathelin, les mots détruisent,
mais ne construisent pas ; ils contestent, mais ils ne libèrent pas…. ‘La parole
apparaît comme la négation de tout pouvoir de l´homme sur le monde’… ‘En
conclusion, si le pouvoir passe par la parole, la parole est la négation méthodique de
tout pouvoir56’.
2.1.2. La parole et l’argent.
On a souvent souligné que la parole et l’argent dans la Farce de Maître
Pathelin sont liés. L’argent y occupe une place importante. Roudaut est d’avis que
l’argent ‘ressemble fort à de la fausse monnaie57’. Il nous fait comprendre que le
thème de l’argent se rapporte à la question de signification dans la société
médiévale. Nous prétendons que la notion de signification peut être considérée sous
l’angle de la puissance ou pouvoir. La personne qui possède beaucoup d’argent, est
en même temps tenue en grande estime. Il en va de même pour Pathelin : au début
de la pièce, il n’a plus d’argent et il ne se sent pas à l’aise. Il lui faut de beaux
vêtements pour tenir son rang social ou bien des clients afin de gravir les échelons
de la société. La mise en relation de la monnaie et de la parole apparaît dans la
dernière scène entre Pathelin et le berger. Vers 1573 : ‘N’en auray je aultre
monnoye ?’. Vers 1581 :’N’en auray je aultre parolle ?’ Comme nous l’avons déjà
stipulé dans le paragraphe 2.1.1, Pathelin s’adresse finalement au berger qui est
resté sans rien dire. Mais à toutes ses demandes de paiement, le berger ne répond
que par « Bée ». De ce fait, Pathelin n’aura pas son argent et il quitte la scène en
cherchant un sergent. La tromperie dont Pathelin se sert peut être expliquée comme
étant une attaque à la société médiévale (l’aristocratie et de la bourgeoisie). Elle ne
peut que se retourner contre lui-même. Cette destruction des liens sociaux se fait
expliquer par un mauvais usage de la parole, la perte de la parole et en même temps
elle entraîne la perte du pouvoir.
Au moment où, Pathelin demande au drapier de « manger de l’oie » , l’auteur
se sert de la rime suivante : ‘monnoye’ – ‘mon oye’. Vers 298-300 ‘Souffist il se je
vous estraine’, ‘‘D’escus d’or, non pas de monnoye ? Et si mengerés de mon oye,’. Il
est question d’une expression proverbiale c’est-à-dire ‘faire manger de l’oie’ ce qui
signifie ‘tromper’. L’auteur de la pièce a ajouté ici une équivoque dans la rime
finissant par cette identité phonique ‘monnoye’ – ‘mon oye’. Comme déclare
Roudaut, c’est la première fois cette rime a été mise en place dans une farce. D’un
côté, la relation de la parole et l’argent se présente ici d’une façon explicite. De
56
Ibid. p. 67-68.
Hüe, Denis & Smith, Darwin. ‘Maistre Pierre Pathelin, Lectures et contextes, textes réunis par Denis Hüe &
Darwin Smith’, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2000, p. 39.
57
25
l’autre, l’auteur a voulu attirer l’attention des spectateurs sur le lien existant entre la
tromperie et l’argent.
La relation entre la parole et l’argent se manifeste aussi d’une façon directe
dans les vers suivants : ‘Endea ! il ne m’a pas vendu’, ‘A mon mot, ce a esté au sien,’
(vers 336-338) et ‘Quant ce sera fait, de ta paye.’, ‘Monseigneur, se je ne vous paye’,
‘A vostre mot, ne me croiés’ (vers 1194-1196). Roudaut estime que c’est à chaque
fois le mot de Pathelin qui est le paiement. Comme Pathelin n’a plus d’argent, il lui
faut une ruse. Par conséquent, il se sert de la parole pour arriver à ses fins, sans
payer bien sûr.
2.1.3. L’éducation de Pathelin.
Guillemette nous fait comprendre que Pathelin n’a pas de diplôme. Pathelin le
confirme. Mais, il s’est nommée ‘maître’. Cela implique qu’il a dû recevoir une
certaine instruction. Smith affirme qu’au XVe siècle, les mots ‘maistre’ et ‘magister’
désignent aussi bien maîtres de métiers (statut obtenu après apprentissage, chef
d’oeuvre et cooptation par un groupe de maîtres de la corporation concernée) que
des ‘maîtres’ de l’université58’. Ce mot pourrait désigner qu’il existe un certain
pouvoir entre Guillemette et Pathelin. Guillemette estime que son mari est bien
maître de tromperie mais elle se doute qu’il soit maître d’avocat. Elle s’adresse d’une
façon ironique à Pathelin. Cependant, il faut ajouter que le fait qu’on emploie le titre
de ‘maître’, implique pas qu’on a fini ses études. Quand même, cette notion lui donne
un prestige social. Il en va de même pour le chant polyphonique . Grâce à son titre,
Pathelin s’est acquis plusieurs privilèges et il appartient à un couche social supérieur.
Smith est d’avis que Pathelin a bien reçu une éducation. Il estime que Pathelin
‘a reçu une instruction élémentaire comme enfant de chœur’. De cette manière, il a
appris les bases de la langue latine. Il est fier qu’il ait tonsuré comme enfant de
chœur. Cela veut dire qu’il fait partie de l’église comme un clerc prébendé59 ou
comme un chanoine. Vers 24 ‘Que je sçay aussi bien chanter’. Vers 388 ‘Ja si bien
chanter ne sçaura.’ Vers 402 ‘Ja si bien chanter ne sauront,’ Pathelin n’a pas de
diplôme, mais il est avocat de son métier. De ce fait, il se présente comme avocat.
La manque des clients et la comparaison au maire, toutes des remarques faites par
Guillemette, expliquent que Pathelin a échoué en tant qu’avocat. Guillemette lui
reproche de ne pas finir ses études. Peut-être, c’est la raison pour laquelle il usurpe
le titre de ‘Maître’. Pathelin attache de l’importance au prestige social. C’est
pourquoi, il s’est fait passer pour un homme qui a plus de pouvoir et qui se trouve
pour ainsi dire au sommet de la société médiévale. Aussi ne faut-il pas oublier que
Pathelin est très intelligent, il s’est servi du titre car il aimerait se présenter comme un
homme qui a réussi dans la vie.
Nous sommes d’avis que la question de l’éducation de Pathelin, renonce à la
position sociale du couple et renforce les craintes de Guillemette de rester en bas de
l’échelle sociale.
2.2.
La parole de Guillemette.
58
Smith, Darwin. ‘Maistre Pierre Pathelin, le Miroir d’orgueil : texte d’un recueil inédit du XVe siècle (mss
Paris, B.N.F. fr. 1707 & 15080)’ , Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, 2002, p 136, note 109.
59
Une prébende est un revenue fixe accordé à un ecclésiastique. ( Dictionnaire Petit Larousse et le Nouveau Petit
Le Robert).
26
2.2.1. Les lamentations de Guillemette.
Passons maintenant à la parole de Guillemette. Au début de la pièce, Pathelin
et Guillemette se trouvent en scène. Nous nous trouvons dans une espace, qui
représente, pour le public, la maison de Pathelin. Le premier vers nous livre tout de
suite le nom de Guillemette. Vers 1 ‘Saincte Marie ! Guillemette,‘ . Il se plaint,
Pathelin et Guillemette n’ont plus rien. Elle déteste la situation dans laquelle elle se
trouve. Dans les vers 8-9 ‘ Dont on chante, en advocassaige, Mais on ne vous tient
pas si saige’ , elle se moque de son mari. Guillemette va encore plus loin en disant
que : ‘maintenant chascun vous appelle Partout advocat dessoubz l’orme60.’ Vers
12-13. Nous interprétons cette notion comme un avocat sans clients et par
conséquence sans argent ou est-ce nous l’interprétons comme une parole qui
exprime une moquerie ? A notre avis, il est question d’une dispute conjugale. Cette
dispute fonctionne comme un thème que nous constatons souvent dans la farce. Il
s’agit d’une tension relationnelle, dans ce cas-ci une tension entre un homme et une
femme. Dans les vers 28-29 ‘Que nous vault cecy ? Pas empaingne ! Nous
mourrons de fine famine,. Elle déteste le fait que Pathelin n’a pas de travail et
s’inquiète de sa situation familiale. Comment est-ce qu’elle peut tenir le ménage ?
Dans les vers 44-45, ’Par saint Jaques, non de tromper : Vous en estes ung
fin droit maistre’. Nous constatons un changement d’une manière positive et en
même temps ironique. Normalement, dans les farces, nous avons affaire à une
dispute conjugale ce qui mène à une courte rupture entre la femme et le mari.
Souvent, la femme dans la farce est déchirée par des sentiments contradictoires. Par
conséquent, elle veut se débarrasser de son mari. Par contre, dans ce cas-ci,
Guillemette soutient son mari, elle se met d’accord avec la ruse de son mari. Ainsi,
elle devient complice en tromperie. Guillemette est d’avis que Pathelin fait de son
mieux de tromper un niais, tandis que Pathelin lui-même croit qu’il connaît son
métier. ‘Par celuy Dieu qui me fist naitre, Mais de droicte advocasserie’. Vers 46-47.
‘Et sans sens naturel, vous estes Tenu l’une des saiges testes Qui soit en toute la
paroisse’. Vers 51-53. ‘M’aist Dieu, mais en trompation, au mains en vés vous le los’.
Vers 56-57. Pathelin veut aller à la foire afin de se procurer de l’étoffe, puisque son
métier ne lui rapporte plus rien. Il sait bien où en trouver des vêtements mais
Guillemette se demande pourquoi il doit aller à la foire, ils n’ont plus d’argent !
Guillemette l’affirme dans les vers 70-71 , ‘Vous n’avés ne dernier ne maille61 :’ ‘Qu’i
ferés vous ?’. Son mari trouve qu’ils ont besoin du drap pour faire leur ménage et
demande même à Guillemette quelle couleur lui paraît la plus belle. D’après nous,
ceci prouve que Pathelin attache de l’importance à l’opinion de sa femme. Nous
pouvons encore aller plus loin en stipulant que Pathelin aime sa femme. ‘Quel
couleur vous emble plus belle ?’ Vers 75. ‘Ou d’aultre ? Il le me fault sçavoir.’ Vers
77. Il y a encore d’autres preuves qui nous montrent que Pathelin aime Guillemette.
Prenons par exemple les vers suivants : ‘Gentil marchande… ‘ Vers 65, ‘Belle
dame ?’ Vers 72. Par contre, la réplique de Guillemette peut être interprétée d’une
façon ironique ou sceptique. Pour elle, la couleur n’est pas du tout importante. Elle
dit : ‘Tel que vous le pourés avoir.’ ‘Qui emprunte ne choisist mie.’ Vers 78-79. Elle
s’inquiète du paiement. Elle est d’avis que Pathelin ne réussira pas à obtenir son
60
Cela se réfère à une coutume au Moyen Âge ´qui faisait rendre la justice dans les villages de façon simple en
recourant à des juges et des avocats pris sur place et sans véritable qualification.´ Voir note 1, p. 49 dans La
Farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse, Paris, Gallimard – Folio, 1999.
61
‘Le dernier et la maille sont les plus petites pièces de monnaie de l’époque’. Note 2, p. 55. La Farce de Maître
Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse, Paris, Gallimard – Folio, 1999.
27
drap. Les questions que Guillemette se pose sont les suivantes : ’Comment Pathelin
va-t-il payer son étoffe et est-ce qu’il y a une personne qui n’exige pas un paiement
immédiat ? ‘Qui diable les vous prestera ?’ Vers 83. À son tour Pathelin, il ne se
préoccupe pas du tout, il est convaincu que quelqu’un lui fait crédit. ‘On les me
prestera vrayement, A rendre au jour du jugement, Car plus tost ne sera point ! ‘ Vers
85-87. Finalement, elle se met d’accord avec son mari et elle s’arrête de se
préoccuper. Il faut également noter que Guillemette montre qu’elle soutient son mari
et elle aime Pathelin. Elle fait en sorte qu’elle accepte, ainsi, le vol de Pathelin et en
même temps la ruse de Pathelin. Elle agisse de connivence avec Pathelin. ‘Avant,
mon amy ! en ce point’, ‘Qui que soit en sera couvert’ Vers 88-89. N’oublions pas
que tous les rusés n’ont pour but que de tromper les badins. On a recours à la
tromperie justement pour arriver à ses propres fins. Or, le monde de la farce est régi
par la loi du plus fort. C’est un monde où survivent les personnages les plus aptes à
tromper l’autre.
2.2.2. Les évocations religieuses de Guillemette.
Les premiers mots de Guillemette sont les suivants : ‘Par Notre Dame, j’y
pensoye,’ (Vers 6). Dans la Farce de Maître Pathelin, nous rencontrons beaucoup
d’expressions qui évoquent Dieu, la Vierge ou les Saints62. Nous passons en revue
tous les mots exprimés par Guillemette qui mettent en cause le divin. C’est qui est
sûr c’est que nous y constatons une diversité énorme. Les cas suivants illustrent bien
des formules introduites par les prépositions ou d’autres expressions plus détaillées.
‘Par saint Jaques, non de tromper’ (Vers 44). ‘M’aist Dieu, mais en trompation,’ (vers
56). ‘Se m’aist Dieu, voire !‘ (Vers 94). ‘Hé Dieu, quel marchant ! ’(Vers 96). ‘Saincte
Dame !’ (Vers 359). ‘Dieux ! dont nous vient ceste aventure’ (Vers 360). ‘Pour
Dieu… ‘ (Vers 486). ‘Hélas, sire, Pour Dieu, se vous voulés rien dire’ (Vers 508). ‘…
Dieu par sa grace’ (Vers 513). ‘Le mal sainct Maturin,’ (Vers 546). ‘A Dieu me puisse
commander’ (Vers 550). ‘Dieu nostre pere !’ (Vers 582). ‘Maugré en ait saint Pere !’
(Vers 584). ‘Par les angoisses Dieu, moy laisse !’ (Vers 570 et 881). ‘… Et, Par Dieu,
c’est trop remué !’ (Vers 623). ‘Puis que de par Dieu ne peust estre !’ (Vers 653). ‘Par
Nostre Dame, mon doulx maistre,’ (Vers 686). ‘Par mon serment, il m’a ouye !’ (Vers
778). ‘Saincte Marie !’ (Vers 784). ‘Helas, penses a Dieu le pere,’ (Vers 809). ‘Dieu
vous ayst !’ (Vers 921). ‘Et , non fait, que bon gré saint George !’ (Vers 1069).
Dufournet a considéré ces formules de jurement comme un enrichissement de
la langue renforçant le comique verbal, ensemble avec d’autres procédés comme par
exemple, la répétition du même mot et la négation63. Par contre, Smith soutient que
dans la Farce de Maître Pathelin, les personnages évoquent souvent la Vierge, les
saints et Dieu lui-même, dans le but est de complexifier le message de la pièce64. En
ce qui concerne Pathelin, plus il s’adresse à Dieu, plus l’oublie et s’en éloigne. À la
fin de la pièce, il ne maîtrise plus la parole, il en perd le contrôle et également le
pouvoir. De nouveau, il n’a plus d’argent. Nous nous demandons si cette
constatation est aussi valable pour Guillemette ?
Dufournet, Jean. ‘Sur la farce de Maître Pathelin’ Genève, Editions Slatkine, 1986, p.25-34.
Ibid, p. 34.
64
Hüe, Denis & Smith, Darwin. ‘Maistre Pierre Pathelin, Lectures et contextes, textes réunis par Denis Hüe &
Darwin Smith’, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2000, p 44-47.
62
63
28
Il nous semble que l’emploi de ces expressions se rapproche aussi à la culture
et société médiévale. Or, il ne faut pas oublier qu’à cette époque, la culture est
essentiellement religieuse. Tous les hommes de la société médiévale dépendent de
l’autorité religieuse. Ils écrivent et parlent en latin. Il faut souligner que la langue
latine est la langue de la religion. En effet, le texte même nous donne des preuves.
Guillemette commence parfois la parole en s’adressant au Dieu ou à la Vierge au
moyen de mots en latin. ‘Benedicite, Maria’ ! Que ung denier ? Il ne se peult faire !’
(Vers 384-385). ‘Ha quelle niceté ! Siagnés vous Benedicite !’ (Vers 829-830). ‘Veés
vous pas comment il estime Haultement la divinité ? (Vers 971). Le mot ‘Benedicite ’
qui vient de la langue latine et que nous traduisissions par ‘bénissez’, est considéré
comme le premier mot d’une prière. D’après nous, Guillemette voudrait que Dieu lui
aide, elle demande assistance à Dieu afin de renforcer sa parole et d’avoir plus de
pouvoir.
2.2.3. La fable du corbeau.
Dans les vers 438-453, Guillemette rapproche l’apologue65 du renard qui vole
un fromage au corbeau à force de flatterie. Cette fable du corbeau et du renard était
bien connue au Moyen Âge, comme beaucoup de fables de Phèdre, sans cesse
remaniées au cours des années. Il s’agit d’une fable qui date du 1 er siècle de notre
ère et elle est écrite en latin66.
Il m’est souvenu de la fable
Du corbeau qui estoit assis
Sur un croix de cincq a six
Toises de hault, lequel tenoit
Ung fromage au bec. La venoit
Ung renart qui vit le fromage,
Pença a luy : « Comment l’auray je ? »
Lors se mist desoubz le corbeau,
« Ha, fist il, tant as le corps beau,
Et ton chant plain de melodie ! »
Le corbeau par sa cornardie,
Oyant son chant ainsi vanter,
Si ouvrit le bec pour chanter
Et son fromage chet a terre.
Et maistre Renart le vous serre.
A bonnes dens, si l’emporte. Vers 438-453.
Est-ce que nous interprétons ce passage comme une simple récapitulation
autrement dit, comme une résumé de l’action précédente à savoir les vers 406-435,
la scène où Pathelin reprend d’une façon sommaire le dialogue qu’il avait eu avec le
drapier ? Pathelin n’arrête pas à faire l’éloge du drapier tout dans le but de se
procurer du drap. C’est pourquoi il exploite la bonté du père, sa sagesse, la
ressemblance quant au physique entre le drapier et son père.
Selon le dictionnaire “Le Robert”, nous pouvons décrire cette notion comme « une petite fable visant
essentiellement à illustrer une leçon de morale ».
66
Bennett, Philip E. ‘Le goupil, le corbeau et les structures de Maistre Pierre Pathelin’, Le Moyen Âge, 89,
1983, p. 415.
65
29
Il nous faut attacher beaucoup d’importance à cette parole de Guillemette.
Nous devons considérer ce passage comme un avertissement de la déconvenue de
l‘avocat. Guillemette prédit, en quelque sorte, la suite de la farce. Elle tient à justifier
les actions de son mari. Les vers suivants illustrent bien cette thèse.
Ainsi est il, je m’en fais forte.
De ce drap : vous l’avés forte,
Par blasonner, et atrapé
En luy usant de beau langaige,
Comme fist Renart du formage.
Vous l’en avés prins par la moe. Vers 454-459.
Elle rapproche les personnages le ‘maistre Renard’ et Pathelin en comparant
le fromage de la fable au drap obtenu par ruse. Pathelin est assimilé à l’astucieux
Renart. Ainsi, nous pouvons constater que Guillemette accepte le comportement de
Pathelin, elle soutient son mari pour qu’elle puisse, de cette manière, échapper sa
triste situation sociale et économique.
Passons maintenant à la question du renard. Comme nous l’avons déjà
stipulé, au Moyen Âge, la fable du corbeau est très connue. ‘Marie de France, au
XIIe siècle, la reprit dans un de ses Ysopets, et elle fournit un épisode fameux de la
branche II du Roman de Renart.67’. Dans un premier temps, nous pouvons rattacher
le ‘Roman de Renart’ aux fables du Moyen Âge, inspirées de celles du Grec Ésope68.
Cependant, les aventures des animaux du roman se différencient très nettement de
ces fables par le fait qu’elles ne visent ni à instruire ni à moraliser, mais simplement à
distraire. On admettra qu’il s’agit toujours de tromper. Ce que nous appelons,
aujourd’hui, le ‘Roman de Renart’ se présente comme une suite de poèmes
indépendants les uns des autres, de longueur variée, appelés « branches ». Ces
branches ont un point commun, le récit de la lutte du goupil69 contre le loup.
Composées à des époques différentes, depuis la fin du XIIe siècle jusqu’à celle du
XIIIe siècle, elles posent au lecteur moderne le problème de l’origine du texte et, par
la même, de sa destination.
Tant la Farce de Maître Pathelin que le Roman de Renart, nous voyons à peu
près les mêmes thèmes, le manque de la nourriture et de l’argent, l’importance de la
ruse et de la parole, la critique de la société. D’après nous, Pathelin peut être
considéré comme un nouveau Renart, il a trompé le marchand comme un corbeau. Il
paraît que, quand Guillemette compare son époux au personnage du ‘Renart’, elle
suscite donc, en se basant sur la scène à la foire, une composition d’histoires
voisines. Nous admettons que la plupart des ruses de Pathelin jouent déjà un rôle
important dans les différentes branches de Renart. En gros, nous pouvons constaté
qu’il est question de certaines ressemblances entre le personnage de ‘Renart’ et
celui du ‘Pathelin’. Tout d’abord, les deux personnages peuvent être expliqués à
partir du recours à la ruse par la nécessité de satisfaire leurs besoins élémentaires et
Voir note 1, p. 105, dans La Farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse, Paris, Gallimard –
Folio, 1999.
67
‘Ésope (VIIe-VIe s. av. J.-C.) est un personnage semi légendaire : ce grec, auteur de fables, aurait été esclave
puis affranchi à cause de son talent. Nous connaissons les fables qu’on lui attribue grâce au recueil qu’en publie,
toujours en grec, un moine français du XIVe siècle.’ Dans ‘Itinéraires littéraires, Moyen Âge, XVIe siècle, p. 67.
68
“Goupil” est le nom commun employé au Moyen Âge pour désigner le renard, et le terme « renard » a
précisément pour origine le nom propre du Roman de Renart.
69
30
par la complexité de la tâche quand les produits sont difficiles à acquérir et leurs
adversaires sont puissants. De plus, il n’est pas étonnant non plus que l’intelligence
de Renart et Pathelin coïncide avec leur faiblesse. Nous pouvons encore aller plus
loin en disant que cela annonce déjà leur déclin/échec. En effet, ce n’est pas tout,
tous les deux, ils affrontent les autres par la tromperie et par la parole, mais
n’oublions pas que, finalement, le langage leur fait des mauvais tours. Par exemple,
Pathelin rencontre un adversaire (Thibault Angelet) qui est plus fort que lui. En outre,
dans les deux œuvres, il y a la scène dans laquelle le personnage principal
commence par faire l’éloge du père. Enfin, pour échapper à la mort, Renart choisit
souvent de la feindre. La ‘prétendue’ maladie de Pathelin, le délire dans plusieurs
langages approchent de cette tendance. Pathelin fait semblant d’être malade et
impose au drapier le rôle du médecin impuissant devant la mort.
2.2.4. La scène « parler bas ».
Dans les vers 464-477, Pathelin songe à une idée comment il peut jouer un
tour au drapier. Il instruit d’une façon nette Guillemette ce qu’elle doit faire pour qu’ils
puissent tromper le drapier. L’avocat a vraiment besoin du drap, car cela implique de
l’emploi et de l’argent. Donc, c’est pourquoi il invente la ruse suivante : la feinte d’une
maladie. Il explique exactement, c’est-à-dire mot à mot, à sa femme ce qu’elle faut
dire au drapier.
J’ay pensé bon appointement :
Il convient que je me couche
Comme malade sur ma couche,
Et quant il viendra, vous dirés :
« Ha, parlés bas ! », et gemirés
En faisant une chere fade.
« Las, ferés vous, il est malade,
Passé deux mois ou six sepmaines. »
Et s’i vous dit : « Ce sont trudaines,
Il vient d’avec moy tout venant ! »
« Hélas ! ce n’est pas maintenant,
Ferés vous, qu’il fault rigoller ! »
Et me laisses flageoller,
Car il n’en aura aultre chose. Vers 464-477
D’un côté, nous voyons le drapier qui insiste pour obtenir son argent. Vers
587-588 ‘je vous demande Pour six aulnes, bon gré sainct George, de drap, dame.’
De l’autre, la scène nous présente le drapier qui se voit berner par Guillemette et
Pathelin. Tout d’abord, Guillemette voudrait bien troubler l’esprit du drapier. Ensuite,
il ne faut pas oublier qu’elle joue aussi la comédie. Enfin, elle obéit à son mari, non
parce qu’elle doit le faire, mais elle décide de comploter contre le drapier dans le but
d’en bénéficier personnellement voire socialement. Elle a l’intention de bien jouer son
rôle. Vers 479 ‘Je feray tresbien la maniere’. Si elle n’accepte pas à tromper le
drapier, si elle ne se plie pas à la ruse inventée par Pathelin, Guillemette n’aura
aucune possibilité de surmonter leurs problèmes d’argent, des vêtements.
Guillemette incarne vraiment le rôle de la femme éplorée. Elle essaie de convaincre
le drapier que Pathelin n’est pas allé à la foire pour se procurer du drap. Elle feint la
maladie de Pathelin, elle feint de ne pas oser parler haut, car Pathelin repose. Elle va
31
encore plus loin en annonçant la mort prochaine de Pathelin70. Vers 593-595 ‘Jamais
robe ne vestira’ ‘Que de blanc, ne ne partira’ ’Dont il est que les piés devant’. En
réalité, elle a besoin de ce drap. Ce drap permet à Guillemette et à Pathelin de
recommencer son métier d’avocat, d’attirer des clients et par conséquent plus
d’argent. L’étoffe est estimée comme un moyen d’existence. Au cas où, Pathelin se
meurt, elle n’aura pas d’argent, ne jouira pas d’un grand prestige.
Au début, lorsque Pathelin revient de la foire, Guillemette n’arrête pas de se
plaindre sur les effets dangereux qu’elle peut attendre de son tromperie. La parole de
Guillemette est une parole de l’identité sociale. Elle se lamente sur le constat du
manque, manque de l’argent et manque de pouvoir. Vers 379-381 ‘Et quant le terme
passera’, ‘On viendra, on nous gaigera,’ ‘Quanceque avons nous sera osté.’
Guillemette déroule une parole apprise qui voue l’individu au fatalisme. Vers 480-483
‘Mais se vous renchéez ariere,’ ‘Que justice vous en repreinge,’ ‘Je me doubte qu’il
ne vous preigne’
En fin de compte, Guillemette finit par soutenir son mari parce qu’elle voudrait
bien gravir les échelons sociaux. Elle a vraiment besoin des explications de son mari
pour que son inquiétude disparaisse. Cette incertitude cède bientôt pour faire place à
une admiration sans réserve.
2.3.
La parole des femmes.
Dans nos farces, il est question d’un tout un autre caractère de la parole.
Notamment, si nous prenons en considération les farces qui traitent du thème de
disputes conjugales. En ce qui concerne, les rapports quotidiens des couples de ces
farces, la lutte est directe, franche voire violente. Nous constatons des grossièretés
de langage, des insultes et même des coups. Ce qui est sûr c’est que cette
technique est très souvent organisée en accumulation d’injures visant toujours à
susciter le rire. Dans ce paragraphe, nous voudrions comparer la parole utilisée dans
la Farce de Maître Pathelin, notamment la parole de Guillemette, à celle exprimée
par des femmes mises en scène dans les autres farces. Nous passerons en revue la
différence entre l’allusion littéraire et la référence au divin par rapport à la
grossièreté. Enfin, nous étudierons la sexualité dans la Farce de Maître Pathelin
opposé à celle dans notre corpus de farces.
2.3.1. La grossièreté.
La première différence que nous avons constatée, c’est la grossièreté.
Comme nous l’avons déjà remarqué dans le paragraphe 2.2.2. et 2.2.3., Guillemette
fait beaucoup de références au divin et elle compare Pathelin à Renart. Elle se sert
d’une langue qui n’est pas remplie de mots crus. Il paraît qu’elle provient d’une
couche sociale plus élevée, elle fait partie à la civilisation urbaine, montée en
puissance de la bourgeoisie.
Par contre, les femmes provenant du corpus de farces se servent d’une parole
très cruelle même obscène ou vulgaire. Souvent, elle est caractérisée par une ton
négative face au mari. Toujours est-il que les femmes se moquent de leurs maris. Il
ne fait pas assez dans la maison (L’obstination des femmes, le Cuvier), elle ne l’aime
plus (George le Veau), ou le mari est trop vieux (Frère Guillebert)’. Si nous prenons
comme exemple la farce ‘L’obstination des femmes’, Rifflart craint d’être battu par sa
70
Voir note 1, p. 155, dans La Farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse, Paris, Gallimard –
Folio, 1999.
32
femme si elle le surprend à ne rien faire. Finette se plaint du travail de son mari. Le
travail qu’entreprend Rifflart ne rapportera au ménage aucun profit, aucun argent.
Vers 19-22 ‘Est-ce tout ? Que la male rage,’ ‘Te doint Dieu, vilain malotru !’ ‘Or dis,
comment gagneras –tu’ ‘Ta vie ? Tu ne veux rien faire !’
À cette époque, c’est l’homme qui est considéré comme le maître de la maison, mais
de fait, en usage, c’est la femme. Comme Tissier nous apprend : ‘Le mari se fit le
maître, mais c’est la femme qui agit en maîtresse’71. Rifflart est d’avis qu’il est tenu
pour un imbécile, s’il n’est pas capable de faire obéir sa femme. Vers 171-174 ‘Les
gens me tiendront pour bête’ ‘Si n’étais maître à ma maison.’ ‘Aussi est-ce droit et
raison.’ ‘Autrement ne serais pas sage.’
La parole de Finette nous fait croire qu’elle n’aime pas son mari. Elle le déteste
vraiment. La femme s’adresse de telle manière à son mari dans le but d’arriver à ses
fins. Vers 73-74 ‘Je vous baillerai sur le groin.’ ’Entendez-vous, vilain jaloux ?’
Vers 127-128 ‘Me tueras-tu, traître larron ?’ ‘Méseau pourri, que veux-tu faire ?’
Ensuite, dans le Cuvier, cette farce joue sur l’inversion de rapport de forces.
Jacquinot a accepté les devoirs qui lui imposait sa femme pour faciliter la vie du
ménage. C’est la raison principale pourquoi, il regrette de s’être marié. Sa femme et
la mère de sa femme le traitent comme un idiot. Elles s’adressent à Jacquinot d’une
façon très négative. Vers 132 ‘Je vous battrai plus que plâtre.’ Vers 151-152 ‘Qu’on
ait du vilain male joie ! Rien ne vaut ce lâche paillard.’ Vers 194 ‘Or sentez, maître
coquard !’ Vers 234 ‘Vous êtes pis que chien mâtin.’
Au contraire, la parole de Guillemette est beaucoup plus distinguée. Elle nous
montre qu’elle est au courant de la littérature contemporaine à savoir la fable du
corbeau, très populaire à cette époque. Elle se sert de cette parole afin de comparer
le personnage de Pathelin à celui du ‘maistre Renard’. Nous devons considérer ce
passage comme un avertissement de la déconvenue du drapier. Guillemette prédit,
en quelque sorte, la suite de la farce. En fin de compte, Guillemette finit par soutenir
son mari et par justifier ses actions parce qu’elle voudrait coûte que coûte gravir les
échelons sociales. Cette incertitude cède bientôt pour faire place à une admiration
sans réserve.
2.3.2. La sexualité.
Apres avoir analysé la scène de « parler bas », il n’y pas beaucoup de
références à la sexualité dans la Farce de Maître Pathelin. En fait, l’auteur de la
Farce de Maître Pathelin joue sur le mot « bas », ‘parler à vois basse’, ou ‘dans un
lieu bas’ et laisse attendre une équivoque obscène. À l’époque, dans la langue
populaire, la notion ‘bas’ est fréquemment utilisée pour indiquer le sexe féminin.
Rousse croit qu’il peut être question ‘d’une équivoque voulue, que le jeu de
Guillaume peut rendre plus explicite72’. À notre avis, cette technique n’influence pas
du tout le jeu de Guillemette car elle n’y répond guère. Elle passe très vite à la feinte
maladie de Pathelin. Pourtant, il faut mentionner que les obscénités enrichissent les
farces. Il s’agit des mots crus pour désigner la sexualité et les autres fonctions
naturelles ayant pour but de libérer le rire. Les spectateurs sont plutôt tentés de rire à
cause de la censure qui réprime l’évocation du bas.
71
Tissier, André. ‘La Farce en France de 1450 à 1550, Recueil de textes établis sur les originaux, présentés et
annotés’, Tome I, SEDES, Paris 1981, p. 17.
72
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p. 119, note 1.
33
Dans la farce de ‘Frère Guillebert’, il s’agit encore des rapports du couple :
l’homme est ‘vieil’ et la femme est ‘jeune’. Sans cesse, la femme se plaint à la
commère d’avoir épousé un homme vieil. Vers 82-87 ‘D’être ès lacs’ ’D’un vieillard,
et ainsi sujette.’ ‘De jour, et nuit : « Je vous souhaite », ‘Mais de poindre, c’est peu
ou point.’ ‘Quel plaisir à une fillette’ ‘À qui le gentil tétin point !’ Vers 81 ‘Que cent fois
morte me souhaite !’ En ce qui concerne l’acte sexuel, la femme jeune parle
ouvertement à la commère du caractère faible de l’homme. À ses yeux, il ne peut
pas la satisfaire. Vers 89- 91 ‘Hélas, m’amie, il s’est cassé !’ ‘S’en un mois un coup
est à point, ‘ ‘Il en est ainsi tôt lassé.’ La commère lui indique la solution : il lui faut
un partenaire plus consistant. La femme jeune l’accepte. Elle est prête à
s’abandonner à un autre homme. Vers 110-111 ‘Vienne, fût-il moine ou convers,’ ’Je
lui prêterai man armoire.’ Voilà, elle rencontre Frère Guillebert. Tout au long de cette
farce, Frère Guillebert ne parle que de l’acte sexuel. Nous pouvons affirmer qu’il est
obsédé par les parties naturelles de jeunes filles. Nous y voyons beaucoup de
références à la sexualité et à l’acte sexuel. Vers 16-17 ‘S’on s’encroue sur vos
mamelettes’, Et qu’on vous chatouille le bas,’. Vers 31-35 ‘Tétins moussus, douces
fillettes’, ‘Qui aimez bien faire cela’, ‘Et en branlant vos mamelettes’, ‘Jamais ne
direz : Holà !’. Vers 126-127 ‘M’amie, je vous prie qu’il vous plaise’, ‘Endirer trois
coups de la lance.’ Vers 134-135 ‘S’une fois je suis sur mes œufs,’ ‘Je baumerai sur
le tétin .
Par contre, la référence à la sexualité dans le Gentilhomme et Naudet peut
être désignée comme beaucoup plus neutre et indirecte. Vers 58-60 ‘J’ai le cœur
comblé de liesse’ ‘Quand je te vois, Lison m’amie. ‘Baise moi !’ Le ton de cette
parole est beaucoup plus romantique et agréable à entendre. Les spectateur
comprend exactement ce que le gentilhomme implique quand il dit : ‘Quand sera-ce
que je tiendrai’, ‘Ce beau gentil corps nu à nu ?’. Vers 94-95. Lison répond :
‘Monsieur, il nous sera besoin’, ‘L’envoyer en quelque lieu bien loin ;’ ‘Car autrement
n’aurions loisirs’, ‘D’accomplir notre désir’. Vers 97-100. Nous comprenons tout de
suite ce que les deux amants voudraient faire, mais le ton est moins obscène et
indirecte.
2.3.3. Les mots doux.
On se souvient qu’au début Guillemette se montre désagréable ou méchante
au sujet de son mari. De plus, elle ne parle jamais de Pathelin comme son mari,
tandis que Pathelin parle de ‘sa femme’ au drapier. Elle tient son mari pour maître.
En fin de compte, Guillemette est fière de son mari même s’il n’a pas fini ses études.
Puisqu’ils poursuivent la même but (la nécessité des clients, le désir de gagner plus
d‘argent et l’envie de gravir les échelons sociales), ils finissent par vivre dans
l’harmonie. Il semble que Guillemette et Pathelin s’aiment. Pathelin s’adresse à sa
femme d’une manière affectueuse. Il lui traite de la tendresse. Vers 65 ‘Belle
marchande’, vers 73 ‘Belle dame’. Il lui fait un compliment en ce qui concerne la
tromperie du drapier. Vers 1003-1004 ‘Par le corps bieu, a dire veoir,’ ‘Vous y avés
tresbien ouvré’. La parole de Pathelin est une parole aimable.
Il faut ajouter à cela qu’il n’est pas du tout question de mots doux par rapport
aux femmes mises en scène dans les farces que nous avons analysées. Elles
parlent d’une façon cruelle. Les couples se querellent de manière violente. Vers 127
‘Sotte bête’ Vers 234 ‘Vous êtes pis que chien mâtin‘ Vers 264 ’Faux meurtrier,
qu’est-ce que tu dis’ (Le Cuvier) Vers 151-152 ’Vous faut-il un suppositoire’ ‘Ou
clystère barbarin ?’ Vers 154 ‘Avec vous, je vis en langueur !’ (Frère Guillebert) Vers
8 ‘Et que savez-vous méchant homme ?’. Vers 135 Et verse du vin, gros veau !’ Vers
34
143 ‘Male joie ait-on du folâtre…’ (Le Gentilhomme et Naudet). Vers 74 ‘Qui da ?
Cette fausse vilaine !’ Vers 76 ‘Ma femme qui me martyre’ Vers 330 ‘Ôtez-moi ce
diable maudit (George le Veau). Vers 152-153 ‘Le meurtre ! Me veux-tu meurtrie,’
‘Coquin, truand, sot rassoté !’ Vers 158 ‘Assassin ! Tu veux me tuer ?’ (Le pâté et la
tarte).
L’homme et la femme à l’intérieur du mariage ne se respectent pas, parlent
toujours de manière très directe et cru, ils luttent pour la domination dans le mariage.
Ceci fait ressortir que la dispute conjugale traduit la rivalité du mari et de son épouse.
La plupart du temps, la dispute naît du refus de l’un d’obéir à l’autre. Si la femme est
accusée d’être mauvaise, ménagère, dépensière, coquette, infidèle, le mari, lui, se
voit reprocher son avarice, son indolence ou son impuissance sexuelle. Donc, pour
chacun des deux rivaux, il est important d’assurer son pouvoir sur l’autre. Nous
avons l’intention d’aborder cette question de farces représentant la dispute conjugale
dans le chapitre suivant.
2.4.
Conclusion.
Nous sommes maintenant en mesure d’affirmer que la parole occupe une
place très importante dans la Farce de Maître Pathelin. Elle est à la fois liée au
pouvoir et à l’argent. Venons-en à la parole de Guillemette. Nous pouvons considérer
les évocations religieuses de Guillemette comme une manière d’enrichir de la langue
et de renforcer le comique verbal. Guillemette voudrait que Dieu lui vienne en aide,
elle demande assistance à Dieu afin de renforcer sa parole et d’avoir plus de
pouvoir.
En outre, la parole de Guillemette est une parole de l’identité sociale. Elle n’arrête
pas de se lamenter sur le constat du manque, manque de l’argent et manque de
pouvoir. La question de l’éducation de Pathelin appuie sur les soucis de Guillemette.
Cela ne lui permet pas de gravir les échelons de la société. Quant à la fable du
corbeau et les évocations religieuses, Guillemette nous montre qu’elle est une
femme exceptionnelle car elle n’est pas aussi grossière que les autres femmes des
farces et elle est présentée de manière plus positive.
Dans les farces ayant pour thème la lutte conjugale, nous sommes d’avis que
la parole entre les époux est beaucoup plus agressive et négative. D’un côté, nous
constatons des grossièretés de langage, des insultes et même des coups. De l’autre,
les obscénités enrichissent les farces visant à libérer le rire.
Dans le chapitre suivant, nous aimerions analyser la relation entre Guillemette et
Pathelin, le couple, la mal marié comparé à celle de l’homme et femme dans le
corpus des farces.
35
CHAPITRE 3
-
LA RELATION DE GUILLEMETTE ET PATHELIN
3.0.
Introduction.
Les protestations des maris sur leurs femmes bornées, légères et très
gaspilleuses, les lamentations des épouses sur leurs conjointes brutaux, mal élevés,
grossiers, indélicats ou indifférents… Tout le monde sait que ce sont là des thèmes
aussi vieux que l’histoire d’Adam et Ève. Cependant, on admettra qu’ ils sont encore
très courants dans le théâtre et la littérature contemporaine.
Comme nous l’avons déjà constaté, la farce est un des représentants le plus
importants du théâtre comique. Elle se concentre notamment sur des affrontements
conjugaux. Il est vrai que la plupart des farces reposent sur la lutte dans le ménage
pour acquérir ou pour sauvegarder la domination à l’intérieur du couple.
Dans ce chapitre, nous parlerons de la relation homme-femme dans la Farce
de Maître Pathelin et celle dans les autres farces que nous avons analysées.
Tout d’abord, nous analyserons l’article de Bernard Faivre qui parle de disputes
conjugales dans le monde des farces. Nous passerons en revue trois types de
personnages qui touchent sur la relation entre homme et femme à savoir : la femme,
l’amant et le mari. Ensuite, nous nous pencherons sur une analyse textuelle de la
relation entre Guillemette et Pathelin. Dans ce paragraphe, il s’agit d’aborder d’une
façon détaillée plusieurs scènes entre Guillemette et Pathelin à partir desquelles
nous serons capable de présenter leur relation. Il est dans nos intentions d’analyser
toutes les scènes ayant lieu chez Pathelin. Enfin, le dernier paragraphe ciblera sur la
relation entre homme femme dans les farces suivantes : ’L’obstination des femmes’,
‘Le galant qui fait le coup’ et ‘George le Veau’. Nous aimerions présenter les
différents types de relation entre un homme et une femme.
3.1.
La guerre des sexes.
3.1.1. La femme.
Faivre soutient qu’on peut distinguer dans les farces deux types féminins
abondamment mis en scène, avec des caractères opposés. Il parle de l’honnêteté
gueularde et de l’hypocrisie doucereuse73. Ce sont des comportements qui se
rapportent uniquement à la vision de l’épouse. D’un côté, pour ce qui est de
l’honnêteté gueularde, elle porte sur la femme qui est ‘la bonne ménagère, sérieuse
et fidèle, obligée d’aller chercher son ivrogne de mari à la taverne, et qui n’hésite pas
à rudoyer ce paresseux soûlard en paroles et bien souvent en torgnoles74.’.
Considérons le cas de la mère de Mahuet (Mahuet qui donne ses œufs au prix du
marcher), la femme dans le Pâté et la Tarte, la femme de Jacquinot. Ce sont des
femmes qui prennent soin d’une manière à autre de leurs hommes. En ce qui
concerne l’hypocrisie doucereuse, il est question de ‘la femme-fleur, gourmande
d’amour, et contrainte d’aller trouver auprès d’un amant les satisfactions qu’un mari
cacochyme ne peut lui donner75.’. Quelques exemples suffissent à montrer : Lison
(Le Gentilhomme et Naudet), Alison (George le Veau), la femme jeune (Frère
Guillebert). Ce sont toutes des femmes qui n’aiment plus leurs maris, elles ne sont
pas contentes de leur vie et détestent d’avoir épousé tel homme. Nous les
Faivre, Bernard. ‘‘L es Farces : Moyen Age et Renaissance, la guerre des sexes’, t. 1. Paris : Imprimerie
Nationale, 1997, p 19-27.
74
Ibid. p. 19.
75
Ibid. p. 19.
73
36
analyserons plus profondément dans le paragraphe suivant. La farce représente
donc une certaine conception de la femme. Dans la culture médiévale, le sexe
féminin est plus ou moins comparable à un animal affamé76. C’est-à-dire qu’ on ne
reproche pas à la femme de commettre l’adultère à condition que son mari ne
satisfasse pas ses besoins. La farce se conforme entièrement à cette conception de
la femme. Faivre avance que : si l’homme ne fournit pas ou ne fournit pas assez,
comment reprocher à la femme de trouver ailleurs le complément indispensable à sa
santé ?77’ La farce se déroule dans un monde où l’homme est obligé de satisfaire la
femme dans le domaine du sexe, de la nourriture et de l’argent. Il a des difficultés à
répondre à toutes les demandes de sa femme. Elle n’est guère contente, souvent
elle finit par obtenir ce qu’elle veut. Elle impose donc en quelque sorte sa volonté.
L’harmonie qui règne dans la relation homme-femme n’est garantie que si l’homme
se soumet aux demandes de sa femme. Si l’homme manque à ses obligations, la
femme a recours à l’adultère, à la tromperie. Il paraît donc que certaines femmes
vont s’en prendre directement au mari.
Mais si la femme ne respecte pas les règles imposées par son époux, il est d’humeur
bougonne et commence à battre sa femme. Faivre affirme: ’telle est la « juste »
répartition des rôles, qui est censée permettre l’équilibre du couple’78. Par contre,
dans la farce, l’harmonie entre homme-femme est un cas exceptionnel, car la
structure dramatique et le jeu théâtral exigent et reposent sur l’absence d’égalités et
sur les conflits. La Farce de Maître Pathelin peut être considérée comme une
exception : les époux vivent dans l’harmonie ! Dans ce cas-ci, il faut se rendre
compte qu’il est question d’une tromperie sous-jacente.
3.1.2. L’amant.
Nous sommes d’accord avec Faivre quand il dit que ‘la femme farcesque est
plutôt mécontente de son mari et toujours pour la même raison : il n’en fait pas
assez, en tout cas au gré de son épouse’79. De plus, elle n’attache pas d’importance
à son mariage et va chercher un amant. L’amant occupe une place essentiel dans le
triangle mari-femme-amant. Il est subordonné à la femme. Si le mari ne répond pas
aux désirs de sa femme, elle va chercher un substitut à savoir un amant. Ils ont un
caractère prudent et suffisant. Les amants farcesques ne sont presque jamais fiers,
contents ou satisfaits. Ce sont des personnages qui se soumettent au pouvoir de la
femme. Faivre stipule des amants : ‘ils n’ont rien de princes charmants, d’autant que,
toujours dérangés par le retour du mari, ils ont bien rarement l’occasion de faire des
prouesses sexuelles’80.
Dans ‘le Galant qui fait le coup’, l’amant est un personnage féminin, à savoir la
chambrière. Elle ne voudrait pas commettre l’adultère avec le badin Oudin, mais elle
se laisse influencer par lui. Elle est tout à fait au courant qu’il lui est interdit de
s’abandonner. Si elle passe à l’adultère, elle risque d’être la brebis galeuse de la
société médiévale. Vers 32-32 ‘Ce n’est pas le droit naturel’ ‘À fille de
s’abandonner…’ Vers 95-96 ‘Mon Dieu, je puis bien soutenir’ ‘Que fille suis
Ibid, p. 27, note 3 ; ‘Natalie Z. Davis, Les cultures du peuple, Pari, Aubier 1979, p. 210.’
Ibid, p. 21.
78
Ibid. p. 22.
79
Ibid. p. 22.
76
77
80
Ibid. p. 23.
37
déshonorée. Vers 37-38 ‘Vous connaissez qu’en ma vieillesse,’ ‘À jamais serais
diffamée.’ Finalement, elle cède aux demandes, au pouvoir même du badin. Vers 7476 ‘Enda ! Bien folle j’etois’ ‘De faire de votre conseil.’ ‘Vous êtes homme nonpareil :’
‘On ne s’en pourrait escombattre !’
Lison, la femme de Naudet, a recours à un amant ; le gentilhomme. Les deux
amants traitent Naudet d’imbécile. Tous les deux, ils conspirent contre Naudet. Vers
97-100 ‘Monsieur, il nous sera besoin’ ‘L’envoyer en quelque lieu bien loin ;’ ‘Car
autrement n’aurions loisir’ ‘D’accomplir notre désir :’ Vers 103 ‘Tantôt je l’empêcherai
bien.’ Lison n’aime plus son mari. Elle lui dit d’aller chercher du bois. Quand Naudet
quitte la maison, Lison a la possibilité de prendre rendez-vous avec le gentilhomme.
Lison peut être considérée comme l’amant s’appliquant parfaitement à la description
établie par Faivre. Il en va de même pour le curé mis en scène dans la farce ‘George
le Veau’. Par contre, Naudet fait semblant d’accepter l’adultère de sa femme Lison.
Vers 91-93 ‘Qu’il est fin !’ ‘Toujours il me trompe en effet’ ‘Au fort, fâché je suis du
fait.’ Mais il se venge à sa femme par l’adultère avec la demoiselle de son seigneur.
La demoiselle prend Naudet pour son mari, puis qu’il a sa robe. Elle flatte
Naudet en disant qu’avec la robe du gentilhomme, il est très élégant. La demoiselle
se demande pourquoi Lison et son mari n’ont pas découvert que sa robe était
disparu. Naudet lui répond qu’ils étaient très occupés. Vers 241 ‘Toute plate à
l’envers couchée’ Vers 242 ’En notre chambre de derrière.‘ La demoiselle feint de ne
pas savoir ce que son mari et Lison commettent l’adultère. Naudet joue son rôle et
refuse de dévoiler ce qu’ il a vu. Il aimerait amener la demoiselle à se coucher
ensemble. Vers 257-260 ‘Ma foi, point ne le vous dirai !’ ‘ Je gâterais tout le mystère.’
‘J’aime beaucoup mieux vous le faire’ ‘Trois fois, que vous en dire un mot.’ Pas de
mots, des actes ! Naudet quitte la scène avec la demoiselle dans les bras.
Lison est infidèle à cause du mépris qu’elle éprouve pour son mari. Naudet
commet l’adultère visant à se venger de sa femme. Il en va de même pour la
demoiselle. La demoiselle reproche son mari d’être infidèle mais le gentilhomme fait
comme s’il était innocent. Vers 351-354 ‘J’aperçois bien à votre ouvrage’ ‘Qu’avez
autre tâche entreprise.’ ‘Moi, morbieu, je suis sans reprise !’ ‘De tout cela, je me sens
net.’
Le curé dans George le Veau représente ici le type du ‘prêtre paillard’. Il est
amoureux de la femme de George. Tant le curé que sa femme sont d’avis que
George est un sot. Il parle à son clerc et dit ‘Car Voyla George. Ce badault Doibt
à Dieu faire sa prière,..’ Vers 114-115.
George quitte sa femme, et parle au curé de sa dispute. Le curé, bien sûr, prend
parti pour Alison, il l’aime. Vers 76- 77, le clerc lui dit ‘Villain, il ne fault (pas) ainsi
dire. La chose à vous n’ est pas honneste’. Le curé va encore plus loin, il ordonne
au clerc de dire à George qu’il faut obéir sa femme. Le curé ne le fait pas lui-même, il
a besoin de son clerc. Les deux hommes religieux et même Alison conspirent à le
rendre malheureux . En quelque sorte, ils lui conseillent de se soumettre au pouvoir
de sa femme. ‘Qu’il fault obeyr à la teste de sa femme bonne et honneste’ Vers 117118. Il invente une ruse qui fixe George à l’église dans le but d’aller voir Alison, la
femme qu’il aime.
3.1.3. Le mari.
Et quel est le rôle des maris ? Souvent, ils ont l’air l’ignorant, ferment les yeux.
Le mari est un personnage qui agit sans discernement. Même le plus soupçonneux
se fait tromper par sa femme. Tout de suite, une question se pose : les maris
souhaitent-ils vraiment savoir ce qu’il en est ? Quand cela est nécessaire, la femme
38
adultère sait renverser les soupçons du mari. Elle efface toutes les traces de son
adultère et essaie de rassurer son mari en convoquant les créatures divines (George
le Veau). Une fois que le mari découvre l’adultère de sa femme, il abat des coups de
bâtons sur elle et parfois sur son amant. Il y a aussi des types de maris qui sont
condamnés à la passivité.
George le Veau (le mari dans la farce de ‘George le Veau’) est à la recherche
de son identité. Il lui faut aller à l’église pour demander conseil au curé. Alison, sa
femme est d’avis il est devenu fou. Vers 58 ‘Sot’ Son mari, déteste sa femme parce
qu’elle ne le soutient pas. Vers 74 ‘Qui da ? Cette fausse vilaine !’ Vers 76 ’Ma
femme qui me martyre.’ À cause de la conduite d’ Alison, il est à la recherche de son
identité. Pour George, le problème de son existence n’était, au début, pas du tout
une question. Tout commence, d’après nous, par le vers 10 ‘Disant que (je) suis ung
estranger’, et ensuite les vers suivants 51,52, 54 et 56 ‘Qui es-tu ?’ et ‘D’où es-tu?’
Va, sotte memoyre,’ Qui est tu?’ ‘ Sot’. Alison ridiculise George, elle sait très bien
qu’elle parle à son mari, mais elle désire qu’elle ne se soit pas mariée avec George.
3.2.
La relation homme-femme dans la Farce de Maître Pathelin.
Dans ce paragraphe, nous nous concentrons sur la relation de Guillemette et
Pathelin. Nous aimerions analyser la scène entre Guillemette et Pathelin dans
laquelle ils se sont mis d’accord pour tromper le drapier. Cette intrigue/histoire est
mise en marche dans les vers 464-470 dont nous avons parlé dans le chapitre 2, le
paragraphe 2.2.4. Il est dans nos intentions d’examiner la façon dont Guillemette
‘joue’ son rôle visant à tromper le drapier. Tout d’abord, nous rappelons la scène
dont il s’agit.
À son arrivée, le drapier est accueilli par Guillemette. Elle fait semblant d’être
d’un humeur triste à cause de son mari. Pathelin se trouve au lit et fait comme s’il
était malade depuis des semaines. Guillemette feint de ne rien comprendre aux
paroles du drapier. Le drapier est furieux, veut coûte que coûte obtenir son argent. Il
est d’avis que Pathelin s’est procuré du drap sans payer.
Les vers 605-609 : ‘Guillemette, ung peu d’eau rose !’ Haussés moy, serrés moy
derriere.’,’Trut !’a qui parlé je ? l’esquire !’ ‘A boire ! Frottés moy la plante !’ Pathelin
appelle Guillemette, il a besoin de son aide. Mais comment interpréter ses paroles ?
Est-ce qu’il exige de Guillemette de l’aider ? Ou est-ce qu’il le fait de cette manière
dans le but de convaincre les spectateurs de son tromperie ? Ensuite, il s’adresse à
elle de façon suivante : ‘Ha mechante, Viens ça ! T’avois je fait ouvrir Ces
fenestres ? Vien moy couvrir.’ Vers 611-612. Selon nous, Pathelin s’exprime de
façon négative vers sa femme afin de duper le drapier et de faire rire les spectateurs.
De plus, il se montre impatient et nous pouvons l’interpréter comme des sautes
d´humeurs d’un malade. Guillemette n’hésite pas non plus à tromper le drapier. Vers
650-653 ’Par my le col souient pendues ‘ Telz gens qui sont si empeschables ! Alés
vous en , de par les deables,’ Elle sait maintenant comment elle lui doit tendre un
piège grâce aux instructions de Pathelin. Vers 660-661 : ‘Allés vous en ! et n’est ce
pas’, ‘ Mal fait de luy tuer la teste ?’ Guillemette n’arrête pas de troubler l’esprit du
drapier. Vers 672-673 : ‘Helas, tant tormentés cest homme !’Et comment estes vous
si rude ?’ Elle joue sur la confusion dans son état de raisonnement. Vers 686-687 :
‘Par Nostre Dame, mon doulx maistre,’ ‘Vous n’estes pas en bonne mémoire.’
Ensuite, Guillemette prend parti pour son mari. Vers 676-679 : ’Helas, le povre
chrestïen’ ‘ A assés de male meschance.’, ‘Unze sepmaines, sans lachance, A esté
illec, le povre homme !’ Enfin, Guillemette a réussi à dérouter et à jeter le désordre
39
dans l’esprit du drapier. Le drapier, seul, décide de se retirer et de contrôler son
étoffe. Il ne sait plus où il en est. Il mélange tout.
Dieu.. Dea ! or je vois savoir.
Je sçay bien que j’en doy avoir
Six aulnes, tout en une piece.
Mais ceste femme me depiece
De tous poins mon entendement.
Il les a eues vraiement ! Vers 707-712.
Dans la scène qui suit, Pathelin et Guillemette s’attendent à ce que le drapier
revienne. Guillemette dit qu’il doit être très silencieux. Vers 732-733 ‘Paix, j’escoute’
’Ne sçay quoy qu’il va flageolant.’ Pour elle, il est importante que son mari reste
couché sans bouger. Sinon, leur tromperie échoue. Vers 738-741 ‘Je ne sçay s’il
reviendra point.’ ‘Nenni dea ! ne bougés encore.’ ‘Nostre fait seroit tout frelore’ ‘Se il
vous trouvoit levé’. Dans cette scène, c’est Guillemette qui prend l’initiative. Elle dit à
Pathelin comment il doit se comporter. Et Pathelin, à son tour, reprend les mots de
sa femme. Vers 749-751 ‘Pour Dieu, sans rire !’ ‘Se venoit, il pourroit trop nuyre.’ ‘Je
m’en tiens fort qu’ il reviendra.’ De ce fait, il montre qu’il est d’accord avec elle. Dans
cette partie de la scène, c’est Guillemette qui domine Pathelin.
Guillemette trouve que le drapier est un canaille (vers 746 ‘vilain brustier’) et
Pathelin affirme que le drapier est un filou (vers 743 ‘si tresmescreant’). Ils sont du
même avis en ce qui concerne le drapier. D’après nous, cela prouve qu’ils voudraient
coûte que coûte surmonter leur situation économique et sociale.
Ensuite, Guillemette perd un peu son rôle, elle se moque du drapier et ne peut
pas s’empêcher de rire de lui. Vers 762-765 ‘Quant me souvient de la grimace’ ‘Qu’il
faisoit en vous regardant ! je ry !’ Pathelin est fâché, il traite Guillemette d’étourdie.
C’est-à-dire une personne qui agit sans réflexion, ne porte pas attention à ce qu’elle
fait. Cette notion peut être considérée comme la première vraie insulte de la part de
Pathelin vers sa femme. Vers 766-767 ‘Or paix, riace !’ ‘Je regnie bieu (que ja ne
face !)’ ‘S’il advenoit qu’on voit ouyst’ ‘Autant vauldroit qu’on s’en fouyst.’ Pathelin se
montre supérieur à sa femme.
En accueillant le drapier, Guillemette lui indique que Pathelin se meurt. Le
drapier est d’avis que Guillemette se moque de lui et insiste auprès d’elle pour être
payé. Vers 782-783 ‘Bon gré en ait Dieu, vous riés !’ ‘Sa, mon argent !’ Vers 811812 ’Or tost ! que je soye’ ’Payé, en or ou en monnoye,’ Vers 828-829 ‘Helas,
j’enrage que je n’ay’ ‘Mon argent.’ Vers 880-881 ‘Au mains qu’il me baillast ung
gage’ ’Ou mon argent, je m’en allasse.’ En fin de compte, Pathelin et Guillemette
réussissent à tromper le drapier, il se retire. Il commence à croire que Pathelin est
fou et il tombe dans la piège de deux complices. Par conséquent, ils ont une
influence décisive sur leur adversaire.
Dans la scène qui suit (vers 995-1016) Pathelin et Guillemette s’amusent , ils
ont réussi à obtenir le drap sans payer. Ils ont bien trompé le drapier. Pathelin est fier
de son tromperie. Il est très content que le drapier soit tombé dans son piège et qu’il
ait réussi à le convaincre de son ‘histoire’. Puis, il dit à sa femme : Vous ai-je donné
une belle leçon ? Vers 995 ‘Avant ! Vous ay je bien aprins ?’ D’après nous, il
voudrait apprendre une leçon de tromperie à sa femme. En quelque sorte, il
40
fonctionne comme un professeur. Dans ce cas-ci, il est question d’un certain pouvoir
dans la relation de Pathelin et Guillemette. Il fait comme si Pathelin est la seule
personne qui puisse accomplir cette action. Par contre, Guillemette réplique : ‘N’ai-je
pas bien joué mon rôle ?’. Vers 1002 ‘N’ay je pas bien fait mon devoir’ Elle rappelle
à Pathelin qu’elle l’a aidé à tromper le drapier. Ensemble, ils ont dupé le drapier. À
notre avis, le texte en ancien français (vers 1002) fait très bien la preuve de la
question du pouvoir. Cela nous montre que, dans la relation entre Guillemette et
Pathelin, il s’agit d’une relation plus ou moins équilibre.
D’un côté, Guillemette est dépendante de son mari. Pathelin a décrit d’une
façon détaillée comment Guillemette doit se comporter dans le but de tromper le
drapier81. Au début, elle ne voulait pas que Pathelin se mette à tromper le drapier.
Mais le désir de gravir les échelons sociales est plus grand de sorte qu’elle rejette
toutes ses objections. À partir de ce moment-là, elle décide de soutenir son mari82.
De l’autre, il faut souligner que Guillemette et Pathelin se sont mis d’accord
sur la tromperie du drapier. Ceci fait ressortir qu’ils sont bien des complices. Même s’
il arrive que l’un domine l’autre dans le raisonnement, ils peuvent être tenu pour deux
compères qui savent tous les deux quel rôle ils doivent jouer.
Grâce à son orgueil et son pouvoir sur sa femme83, il peut être considéré
comme un maître de tromperie. Pathelin donne raison à sa femme. Il ne peut que se
mettre d’accord avec elle. Vers 1003 -1004 ‘Par le corps bieu, a dire veoir,’ ‘Vous y
avés tresbien ouvré. ’ Enfin, il accepte le fait que Guillemette l’a aidé afin d’arriver à
son/leur but. Vers 1005 -1006 ‘Au moins avons nous recouvré’ ‘Assés drap pour
faire des robbes.’
3.3.
La relation homme-femme dans le corpus des farces étudiées.
3.3.1. L’obstination des femmes.
Rifflart finit de réparer une cage où il veut placer une pie. Sa femme refuse
carrément et elle décide d’y mettre un coucou. L’homme et sa femme se disputent
d’une manière agressive. Il est question d’insultes, de menaces et même de coups.
À un moment donné, Rifflart se met d’accord avec sa femme et il finit par accepter sa
perte.
Pourquoi est-il est question d’oiseaux : la pie contre le coucou ? D’un côté, la
pie est le symbole du bavardage féminin. De l’autre, un même mot désigne au XVIe
siècle le « coucou » et le « cocu », c’est-à-dire une personne infidèle. Il est clair que
Rifflart veut encager sa femme trop bavarde et Finette veut mettre derrière les
barreaux son benêt de cocu. Mais il faut se demander pourquoi ? Qu’est-ce que se
trouve à la base de cette lutte ? Le conflit symbolise le décalage ou la différence
entre un homme et une femme. À notre avis, tout y repose sur la domination dans le
couple et l’autorité dans la maison. Pour être plus concret, qui aura le dernier mot ?
En outre, il s’agit d’une scène de ménage qui s’appuie sur l’impossibilité pour le mari
de faire taire sa femme.
Le début de la farce se caractérise par les plaintes de Rifflart. Il se plaint qu’il
doit travailler tout le temps pour sa femme. Il doit le faire, sinon il reçoit une vive
réprimande. Vers 10-14 ‘Car, si ma femme survenait, Certainement el me battrait.
81
Voir: Vers 464 -472, chapitre 2, paragraphe 2.2.4.
Voir Vers 64 – 95, chapitre 2, paragraphe 2.2.1.
83
Et n’oublions pas le pouvoir qu’il a sur le drapier et le juge. Le seul personnage sur lequel Pathelin n’a pas de
pouvoir, c’est le berger. Le berger trompe Pathelin au moyen d’une ruse inventée par Pathelin lui-même ( la
question autour « bée » ). Vers 1541-1600.
82
41
Nuit et jour n’y fait que hogner. Pour éviter son haut langage’. Rifflart fait ce qu’il doit
faire mais malheureusement, sa femme lui adresse des injures de façon grossière.
Vers 20-23 ‘Te doint Dieu , vilain malotru !’ Or dis, comment gagneras-tu, Ta vie ? Tu
ne veux rien faire!’. Rifflart n’est pas du tout d’accord avec elle. Il se moque de sa
femme. Il se demande pourquoi elle est si méchante ? Vers 28-32 ‘Da , Finette,
quand je me mis’ ‘En ménage, tu me promis’ ‘Que ferais mon commandement’, ‘Et tu
me maudis maintenant !’ ‘Faut-il qu’endure ?’ ‘Qu’est-ce ci !’
Pourtant, Rifflart s’adresse à son femme d’une façon positive. Vers 18 ‘Quoi ?
Da, m’amie’ Nous nous demandons pourquoi, est-ce qu’il a peur de son femme ou
est-ce que cela indique qu’il se soumet à son pouvoir ? Durant toute la farce, il reste
quand même poli. Il lui adresse toujours en disant : ‘Belle dame’ Vers 75, 169.
Rifflart finit par mettre un coucou dans la cage pour amadouer sa femme.
Vers 20-24 ‘te doint Dieu, vilain malotru ! Or dis, comment gagneras-tu Ta
vie ? Tu ne veux rien faire ! Du mal monsieur saint Acaire Puisses-tu être tourmenté,
..’ Finette lui répond d’une manière très négative. Elle est méchante et veut que son
mari soit frappé. Elle veut avoir le coucou à tout prix. Finette impose vraiment sa
volonté. Vers 93/99/100/113 ‘Et qu’y mettra l’en ?’ ‘Mais qu’y mettra l’en ?’ ‘Mais qu’y
mettra l’en’ Mais un cocu’, ‘Saint Jean, mais un cocu joli !’ Vers 147/ 154 ‘Jamais ce
propos ne lairrai ! ‘
Rifflart ne change pas d’avis. Il veut y mettre une pie. Rifflart à son tour,
essaie, à plusieurs reprises, de faire taire sa femme, mais il n’y arrive pas. Vers 75
‘Et belle dame taisez-vous !’ Paix, ‘Taisez-vous meshui’ Vers 139-140 ‘Taisez-vous
donc et ne disons, Meshui mot, et je vous en prie’. Sa femme lui répond en disant :
‘Que je me taise ?’ ‘Ah je te jure’ ‘Que c’est contre mon gré, ma foi !’ Vers 141- 42
‘Que me taise ?’ ‘Je vous affie’ ‘Que c’est bien envis, par ma foi !’ Et en plus, elle dit
même : qu’on ne clôt pas le bec aux femmes’, ‘Ça ne date pas d’aujourd’hui’. Vers
177-178 ‘Femmes n’ont jamais le bec clos,’ ‘Et ce n’est pas de maintenant !’
Rifflart est fâché. Sa femme persiste dans son opinion et ne fait qu’à arriver à ses
propres fins. Il est aussi conscient du monde autour de lui. C'est-à-dire qu’il attache
de l’importance aux opinions d’autres personnes. Vers 171-174 ‘Les gens me
tiendront pour bête’ ‘Si n’étais maître à ma maison’. ‘Aussi est-ce droit et raison.’
‘Autrement ne serais pas sage.’ Finalement, pour avoir la paix, Rifflart se résigne à
céder. Vers 183-184 ‘J’aime mieux le vous apporter,’ , ‘Car j’en trouverai mieux que
vous.’ Il semble que Rifflart est physiquement plus fort, mais il ne peut pas
bouleverser la ténacité féminine. Même si l’on sait depuis longtemps que la seule
manière de faire taire une femme, c’est apparemment de lui dire oui. Finette est la
plus obstinée84, c’est pourquoi elle arrive à dominer son mari. Dès que Rifflart se
met d’accord avec sa femme, elle est heureux, et commence à flatter ou séduire son
mari.
3.3.2. Le galant qui fait le coup.
Il apparaît que la norme dans le domaine de la farce, c’est l’adultère féminin.
Or, dans cette farce, c’est tout le contraire : l’homme est coupable d’adultère.
Dans cette farce-ci, il est aussi question du triangle mari-femme-amant dont nous
avons parlé dans le paragraphe 3.1.2. Par contre, la chambrière fonctionne ici
comme l’amant du mari. La répartition des rôles est bouleversée. De plus, elle est
caractérisée par le thème du ‘mari enceint’. ? La ruse est construite sur ce thème.
84
Le titre de la farce l’indique déjà.
42
Nous l’interprétons comme une tromperie du mari afin de faire admettre qu’une autre
femme que la sienne ait un enfant de lui.
Tout d’abord, comment faut-il interpréter la relation entre Oudin et sa femme ?
Le mari a plus de pouvoir sur sa femme à cause de sa bêtise. Elle croit que son mari
est enceinte et l’accepte ! Ensuite, la relation homme et femme est fondé sur la
relation entre le mari et sa servante. Tout au début, le mari demande plus ou moins
directement de faire l’amour avec elle. C’est la première parole du mari ! Vers13-14
‘Me donras-tu point réconfort’ ‘De ce que j’ai nécessité ? ‘ Puis, ils se parlent l’un
d’une façon aimable, tendre. Vers 20-22 (Le mari) ‘Quand je contemple ta personne,
‘ ‘Je n’ai membre qui ne frissonne.’ ‘Ton cœur vient le mien inspirer’. Vers 23-25 (La
chambrière en chantant) ’Franc cœur, qu’as-tu à soupirer ?’ ‘Es-tu point bien en ta
plaisance ?’ ‘Prends en moi ton éjouissance,’ ‘Ainsi qu’un amoureux doit avoir.’ La
chambrière hésite un peu, elle se rend compte qu’il est dangereux pour les filles à
cette époque de commettre l’adultère. Vers 31-32 ‘Ce n’est pas le droit naturel’ ‘À
fille de s’abandonner…’ Vers 37-38 ‘Vous connaissez qu’en ma vieilesse,’ ‘À jamais
serais diffamée. ’ Vers 95-96 ‘Mon Dieu, je puis bien soutenir’ ‘Que fille suis
déshonorée.
Le mari l’assure qu’il ne faut pas s’inquiéter. Il va résoudre ce problème.
N’oublions pas qu’il a besoin d’elle ; car pour obtenir ce qu’il n’a pas (l’amour), pour
réparer le erreurs de la nature, il faut ruser! Vers 50-51 ‘Par subtilité ou finesse’ ‘Ton
honneur te sera gardé.’ La réaction du mari à la retour du pèlerinage de sa femme
nous montre qu’il ne l’aime plus. Vers 105-106 ‘Ah ! La voici, par Notre-Dame. ‘Le
diable l’a bien ramenée’. Il nous semble qu’il a peur que sa femme découvre qu’il a
commis l’adultère. Et c’est pourquoi, il demande conseil au médecin. Grâce aux
instructions du médecin, le mari ne se fait plus de soucis. Vers 115-116 ‘Tout beau,
M’en vais, sans bavoler’ ‘Chez mon compère , le surgien’. Vers 119-120 ‘Vu le cas
que lui conterai,’ ‘Nully n’en sera abusé’ Le mari est fier de son tromperie. En fait, il
nous montre qu’il a plus de pouvoir. Il a du pouvoir sur sa femme et sur sa
chambrière. Vers 197-199 ‘Tais-toi, ne pleure jamais jour.’ ‘Car tu verras le plus fin
tour’ ‘Jouer qu’oncques jamais vit femme.’ Vers 264-265 ‘Ah ! Je m’en vante’ ‘Que
nous rirons plusieurs fois !’ La servante lui donne raison, elle affirme qu’il est le
maître de tromperie. Vers 266-267 ‘Vous êtes des rusés le choix,’ ‘Tant en finesse
qu’en malice.’
En fin de compte, nous voudrions attirer l’attention du lecteur sur une
remarque du médecin. D’après nous, cette parole peut être considérer comme une
certaine morale, un conseil général destiné aux spectateurs de cette farce. Vers
166-167 ‘Un homme me semble étourdi’ ‘D’aller briser son mariage.’ Le monde de la
farce nous présente souvent une image trompeuse qui ne correspond pas à la
réalité. Nous touchons ici à l’essentiel car le médecin s’adresse à la fois d’une
manière directe à Oudin et aux spectateurs. Sa parole doit être interprétée comme
un avertissement. Pourquoi faut-il commettre l’adultère, si on a une belle femme à la
maison ? Ainsi, le médecin nous dit que l’homme doit respecter sa femme et son
mariage. Également, il nous apprend que nous ne devons pas prendre très
littéralement cette farce.
3.3.3. George le Veau.
Au début de la farce, Alison et George se lamentent sur leur mariage. Le
paysan Georges le veau regrette d’avoir épousé une « une fille de maison ». Vers
1-3 ‘Ha ! se j’eusse sceu, j’eusse sceu… ‘. ‘Et si j’eusse bien aperçu’ . Il déteste
qu’elle surveille constamment ce qu’il fait. Et en même temps elle lui traite
43
d’étranger. Sa femme Alison affirme qu’elle est fille de bonne famille et elle a été
obligée de se marier avec George. Il est question d’un mariage qui est conclu par
accord de la famille. Elle regrette aussi d’avoir accepté cet homme par le mariage.
Vers 17-19 ‘Qu’a une fille de maison’, ‘À qui on donne sans raison’ ‘Un badaud sans
nulle sience.’ Nous en parlerons d’une façon détaillée dans le chapitre 4. Cela
implique déjà l’opposition sociale entre George et Alison. Cette différence entre
l’homme et la femme est à la base de leur dispute conjugale. Alison n’arrête à lui
demander qui il est et d’où il vient. George n’arrive pas à répondre aux questions de
sa femme, il va à l’église pour qu’il puisse connaître ses origines.
À cause de la conduite d’ Alison, il est à la recherche de son identité. Pour
George, le problème de son existence n’était, au début, pas du tout une question.
Alison ridiculise George parce qu’elle voudrait bien passer son temps avec son
amant, le curé. De ce fait, elle feint de ne pas connaître son mari.
Il semble donc qu’Alison déteste la situation dans laquelle elle se trouve.
D’une part, elle se moque de son mari et de son mariage et de l’autre elle est
amoureuse du curé. Elle est déchirée par des sentiments contradictoires. Par
conséquent, elle se défoule sur George. Elle veut se débarrasser de lui. Mais
comment doit-elle procéder ? Elle va encore plus loin que la simple dispute, elle
pousse jusqu’à en souhaiter sa mort…
Encore une fois, grâce à la bêtise de George, Alison arrive à dominer son
mari. Elle se joue de lui et cherche à le déséquilibrer. Elle y réussit. George se prête
avec une certaine obéissance à cette ruse méchante. Il se laisse influencer par sa
femme et croit qu’il est devenu veau. . Il croit les paroles et commence à se
comporter comme un veau... Vers 361 ‘Alyson, je suis filz de beuf’. Vers 380 ‘Qui je
suis : je suis filz de vache ‘. George commence à marcher à quatre pas à cause de
sa ‘ robe du paradis’, sa peau de veau ! Vers 369 ´Beueu’ Il s’exprime même par le
beuglement du veau. Il perd le contrôle et se voit promis, comme veau de dîme, à
l’abattoir et il accepte son (m)sort.
3.4.
Conclusion.
Il en résulte de cette analyse que le thème le plus caractéristique dans la
plupart des farces, c’est le conflit conjugal, la dispute entre l’homme et la femme pour
la domination dans le couple et l’autorité. Qui aura le pouvoir ? Un aspect de la vie
conjugale où vont surgir des conflits et tromperies est l’autorité (dans le ménage). De
fait, pour la majorité des couples farcesques, la vie se passe en conflits, en disputes,
en querelle au cours desquelles les coups suivent les insultes.
Au contraire, pour ce qui est de la Farce de Maître Pathelin, c’est tout à fait un
autre histoire ! En toute certitude, nous pouvons stipuler que Guillemette et Pathelin
vivent dans l’harmonie par rapport aux farces étudiées. Ils ne se querellent pas du
tout. Ce qu’il y a de remarquable est que tous les deux se mettent d’accord sur la
tromperie du drapier.
Dans le chapitre 4, nous aimerions présenter la scène de ménage dans la vie
de Guillemette et Pathelin. C’est-à-dire que nous nous concentrerons sur la façon
dont les personnages tiennent le ménage aussi bien que dans la société au Moyen
Âge que dans les farces étudiées.
44
CHAPITRE 4
-
GUILLEMETTE ET LA FAÇON DE TENIR LE MÉNAGE.
4.0.
Introduction
Avant de passer à la question du mariage au Moyen Âge, il faut se rappeler
que le mari peut être considéré comme la figure centrale dans le mariage. Dans le
mariage, c’est l’homme qui se conduit d’une façon rationnelle. Cela veut dire qu’il fait
preuve d’un amour avec jugement et non avec passion.
Il semble donc que la femme est inférieure par rapport au mari. La femme
mariée est placée sous surveillance du mari et par conséquent, il lui faut un respect
et l’obligation totale. Nous relevons que cette obéissance se traduit par une
soumission absolue de la femme au vouloir de son mari.
Dans ce chapitre, nous analyserons d’une façon détaillée la mariage au
Moyen Âge. Ensuite, nous parlerons du statut de la femme mariée. De plus, nous
passerons en revue les devoirs des époux. En outre, au point de vue féminin, il est
important que nous traiterons de l’opposition entre le dogme ecclésiastique et la
réalité. De plus, nous passerons en revue le décalage entre la réalité des relations
homme- femmes et l’inversion carnavalesque dans les farces. Le paragraphe 4.4
porte sur le mariage entre Maître Pathelin et Guillemette.
Finalement, le dernier paragraphe se base sur la scène de ménage représentée
dans notre corpus de farces.
4.1.
Le mariage au Moyen Âge.
4.1.1. Le statut de la femme mariée.
L’idée que nous avons aujourd’hui du mariage diffère complètement de la
conception du mariage au Moyen Âge. A cette époque, la famille occupe une place
centrale. En élevant le mariage au rang du sacrement, l’église médiévale y impose
beaucoup de règles et par cela elle y exerce une assez grande influence. D’un côté,
elle considère le mariage comme une relation monogame établie par Dieu et
indissoluble. Au point de vue religieux, ‘un bon mariage est une communauté entre
un homme et une femme, mais il n’était bon selon les préceptes de la morale
ecclésiastique que si le mari ‘gouvernait’ et si la femme obéissait sans condition85’.
D’une part, l’église médiévale essaie d’imposer l’indissolubilité de la
communauté conjugale mais elle s’efforce aussi de présenter l’amour conjugal
comme le fondement du mariage chrétien. La procréation et la fidélité conjugale
accomplissent le sacrement du mariage. D’autre part, le mariage médiéval est avant
tout considéré comme une moyen de créer ou de maintenir des structures de pouvoir
et de propriété. En effet, au début du Moyen Âge, le mariage est souvent conclu par
accord de la ‘famille’, surtout dans les couches sociales supérieures comme par
exemple la noblesse. L’exemple suivant confirme bien l’importance de la famille. Les
époux mariés sans consentement familial peuvent être déshérités par leur parents ou
par leur famille. La jeune fille n’a pas le droit de se s’opposer au mariage arrangé. Il
n’est pas question d’un consentement des époux. La femme est, pour ainsi dire,
victime de la doctrine de la famille et de l’église médiévale. Elle ne se trouve pas au
même niveau de son mari. Cette inégalité réside dans le fait qu’elle est réduite à
passer son existence à côté d’un homme· Elle doit se soumettre au pouvoir de son
mari, elle se met au service de ses besoins et de ses intérêts.
Duby, George (dir). ‘Histoire des femmes en Occident’ t. 2, le Moyen Age sous la direction de C. KlapischZuber, Paris : Plon, 1991, p. 287.
85
45
À vrai dire, une question nous vient à l’esprit : à quoi ressemble la vie
conjugale médiévale caractérisée par le pouvoir de l’homme et la soumission de la
femme ? Le pouvoir de l’homme est omniprésent et il est renforcé et soutenu par les
autorités ecclésiastiques. Même si la doctrine de l’Église prescrit que le mariage est
l’unique cadre où peut s’exercer une sexualité légitime, le devoir de fidélité conjugale
est en premier lieu une tâche pour la femme. La société médiévale permet aux
hommes de commettre l’adultère sans conséquence pour eux. Par contre, pour la
femme un ‘amour libre’ pourrait s’aboutir à une grossesse extraconjugale non
désirée. Par conséquent, elle risque la peine de mort.
4.1.2. Les devoirs des époux.
Pour ce qui est des devoirs des conjoints, il est question de trois aspects qui
fondent la base d’un amour réciproque à savoir : la fidélité, l’amour et la sexualité,
Précisons qu’ils sont signalés comme le devoir mutuel des époux. En réalité, ceci a
beau être vrai, nous avons affaire aux forces contradictoires d’égalité et de
subordination à l’intérieur du couple.
Pour résumer, les devoirs de la femme consistent dans les tâches suivantes :
diriger la famille, à savoir prendre soin des enfants et serviteurs, gouverner la
maison, se montrer irréprochable et honorer ses beaux-parents, ce qui veut dire leur
manifester un certaine respect et éviter toute forme d’agressivité. Nous parlons de
révérence, douceur et entretien. Tout d’abord, elle s’occupe de l’enseignement des
enfants. Elle veille à ce qu’ils apprennent à servir Dieu. La mère fait en sorte qu’ils
apprennent à lire et écrire en latin et qu’ils étudient la morale et la culture médiévale.
En ce qui concerne les serviteurs, elle fait tout pour sauvegarder l’image de la
famille. Cela veut dire que la femme fait attention à la conduite des serviteurs et s’il
est nécessaire elle les punit.
Quant au gouvernement de la maison, la femme est une bonne épouse quand
elle se tient à la maison et quand elle tient la maison. Pour ainsi dire, la maison
représente l’espace typiquement féminin. D’une part, la maison est un cadre de
travail. Elle règle l’administration des biens et s’occupe de la réglementation du
travail domestique. Cela n’implique pas qu’elle est complètement libre dans la
gestion de la maison. Le mari reste le maître de sa maison. Il est responsable des
serviteurs et propriétaire des biens. D’autre part, la maison s’est manifestée d’une
manière métaphorique. Avec ses murs et ses fenêtres, elle peut être tenue pour un
espace à garder, un espace moral. La maison représente la sécurité de la bonne
conduite féminine. Quand l’épouse reste à la maison, à l’intérieur de la maison, elle
ne s’expose pas aux dangers de l’extérieur.
De plus, le fait de se montrer irréprochable se rapporte à la religion, pour être
plus précis, au jugement religieux. Gilbert de Tournai affirme que : ‘la femme qui a
accompli tous ses devoirs d’épouse, de mère, de maîtresse de maison, est
certainement irréprochable, même aux yeux de Dieu86. Si l’épouse est capable de
bien accomplir toutes ses tâches, elle est bonne chrétienne et par conséquent elle
finira par recevoir la grâce de Dieu.
En fin de compte, l’épouse doit bien honorer ses beaux-parents. Cette idée se
rattache au quatrième commandement du Décalogue87. Il lui faut respecter ses
(beaux)-parents. Ainsi, elle est obligée de maintenir de bons rapports avec eux et
avec la parenté du mari. Nous noterons que le mariage est en effet un lien qui n’unit
pas seulement les époux, mais aussi deux familles différentes. Le mariage se
86
87
Ibid. p. 138, Voir note 61.
« Honore ton père et ta mère ».
46
caractérise par une valeur politique et sociale. ‘….le mariage garantit la paix, apaise
les discordes, dicte les alliances ; point de rencontre de groupes familiaux souvent
rivaux, le mariage peut être le levier d’une stratégie qui tend à dilater l’amitié, à
étendre peu à peu les mailles d’un filet de liens internes à la cité, pour y produire
l’effet bénéfique de la concorde sociale88.’
Par contre, les devoirs du mari renforcent la tension d’une relation inégale et
subordonnée. Ils sont étroitement liés les uns aux autres et établissent les bases de
la ‘naturelle89’ infériorité de l’épouse. Le premier devoir du mari est d’entretenir son
épouse. C’est-à-dire que la femme reçoit du mari ce dont elle a besoin. En fonction
du prestige sociale, le mari fait en sorte que son épouse soit vêtue et parée selon sa
condition. Le deuxième devoir est celui de l’instruction. Le mari apprend tout à sa
femme. Cette tâche s’étend à la morale, aux devoirs conjugaux, au soin du ménage,
à la cuisine et au jardinage. ‘A son épouse, il doit enseigner l’économie domestique,
la mettre en condition d’administrer la maison et les biens, pour qu’elle les multiplie
avec habileté, les conserve avec prudence, les dépense avec mesure. Mais il doit
surtout veiller à l’instruction morale et religieuse de son épouse et en contrôler la
conduite90’. Enfin, le troisième devoir est la correction. La correction de la femme est
au Moyen Âge une signe d’amour véritable. L’épouse n’a pas le droit de contester ou
contredire son mari. Elle doit accepter la correction du mari. Cette correction se
rattache à la fausse conduite par rapport aux mœurs de cette époque. Il ne faut pas
oublier que le mari a la possibilité de punir physiquement son épouse. Selon nous, il
est question d’une expression qui confirme et aggrave une fois de plus l’inégalité et
la subordination au sein du couple marié.
Le décalage entre le discours théorique de l’Église sur les femmes et la
réalité féminine.
Nous touchons ici à l’essentiel car il faut partir des hommes qui dominent le
monopole du savoir et de l’écriture, surtout au début du Moyen Âge. Et par
conséquent, ils influencent énormément la vision de la femme. Des hommes
ecclésiastiques se trouvent dans un univers mâle, tout les éloigne de la femme.
Souvent, ils ne rencontrent guère de femmes parce qu’ ils vivent dans un monde où
on ne parle que de Dieu. L’exemple suivant illustre bien cette thèse. ’Guibert de
Nogent (mort en 1124) oblat, c’est-à-dire offert encore à un monastère bénédictin.
Que connaissent-ils de l’autre sexe, sinon le souvenir lancinant d’une mère mariée à
douze ans, qu’il recompose pour la protéger de toute ‘souillure’ ; le reste est voué en
bloc à l’anathème91. Nous nous demandons comment ils entrent en contact avec la
femme, à part de la première et seule figure féminine : la mère ? Souvent, ils sont
coupés des femmes par un célibat étendu, et c’est pourquoi les clercs ne savent rien
d’elles ! Prenons pour exemple : ‘Geoffroy de Vendôme est de haut parage, issu
d’une lignée de barons alliés aux comtes d’Anjou. Il entre enfant au monastère
bénédictin de la Trinité de Vendôme, en devient abbé à vingt ans en 1093 et
conserve cette charge jusqu’à sa mort en 1132. Ils se représentent la femme dans la
4.2.
88
Ibid. p. 120.
Dans la réalité, on parle d’une égalité potentielle entre homme et femme, mais dans le texte biblique cette idée
est bouleversée par la référence à la faute originelle. On se réfère à l’histoire d’Adam et Ève.
90
Duby, George (dir). ‘Histoire des femmes en Occident’ t. 2, le Moyen Age sous la direction de C. KlapischZuber, Paris : Plon, 1991, p.131.
91
Ibid. p. 33.
89
47
distance, l’étrangeté et la crainte comme une essence spécifique bien que
profondément contradictoire92’.
Venons-en à présent à la question de la femme dans la réalité médiévale.
Comme nous l’avons déjà stipulé dans le premier chapitre, paragraphe 1.2., à partir
du XIIe siècle, la bourgeoisie devient de plus en plus importante grâce à l’essor du
commerce et des villes. Leur conception de la femme révèle une meilleure
compréhension de sa position réelle dans la vie médiévale que celle de l’ Église et
de la noblesse. La bourgeoisie change lentement l’idée médiévale de la femme.
Il arrive que les femmes travaillent dans les entreprises familiales rurales. Plus
encore urbaines et artisanales, elles jouent un rôle économique bien plus important
que les dames de la noblesse. On a estimé qu’une grande partie des maîtresartisans travaillent sans compagnons. De ce fait, les membres de la famille, la
plupart du temps, les femmes sont obligées d’y assister. Les femmes appartenant à
la bourgeoisie urbaine ont contribué à une économie très forte et au changement
positive vis-à-vis le travail féminin. Peu à peu, il va de soi, outre les tâches
ménagères consistant comme la nourriture et la sollicitude maternelle, qu’une série
d’autres devoirs est maintenant destinée à assurer le revenu familial indispensable.
Elles travaillent par exemple dans le domaine de services de consommation
courante en tant que boulangers, bouchers ou cordonniers. ‘C’est ainsi qu’elles
filaient et tissaient pour le marché ou pour des « marchands-fabricants », ….qu’elles
brassaient la bière ou préparaient des aliments destinés à la vente, qu’elles se
livraient au commerce de détail et ainsi de suite.93’
De plus, en ce qui concerne le travail féminin au Moyen Âge, le phénomène
que nous ressentons souvent, c’est l’assistance à l’époux dans son métier et la
reprise de ses affaires à sa mort. Or, il faut ajouter à cela que nombreuses femmes
célibataires gagnent leur vie, comme par exemple, tisseuses de soie, ferronnières, et
des femmes mariées mènent des activités parfaitement distinctes de celles de leurs
époux.
En vérité, ces femmes étaient indépendantes sur le plan juridique et
économique, mais sa situation sociale reste encore faible. Sans aide extérieure, elles
se heurtent aux problèmes comme par exemple le manque d’argent et de nourriture.
Pour elles, il est presque impossible de se remarier, et tombent toute de suite sous
l’autorité de ses parents. Par conséquent, les femmes seules sont condamnées à
vivre dans la pauvreté. Afin d’éviter de perdre leur position économique, elles sont
souvent plus pressées de se remarier. En revanche, les veuves de la Noblesse de la
fin du Moyen Âge ont une plus grande liberté de se remarier. Il en va de même pour
les veuves qui disposent de biens et de considération sociale.
Prenons le cas de Élisabeth de Thuringe, ‘à vingt ans, déjà veuve et mère de
trois enfants, Elisabeth décida de quitter les intrigues de la cour et de sa famille pour
s’adonner à une vie de pauvreté, de chasteté et de charité active. Sept années avant
Élisabeth, quittant le cercle familial, sa belle-mère s’était fait remettre son douaire en
argent et en usufruit, avant de se retirer dans le couvent de Sainte-Catherine. Mais
Elisabeth ne pensait pas du tout à se retirer dans un couvent bien établi pour mener
une vie tranquille et contemplative ; elle voulait plutôt fonder elle-même un hôpital,
dans lequel elle pût s’occuper des pauvres et soigner les malades - en dont
l’existence fût assurée après sa mort. Pour ce faire, elle avait besoin de terres. En
un mot, elle transforma les droit de jouissance dont elle pouvait disposer grâce à sa
92
93
Ibid. p. 32.
Ibid. p. 295.
48
« liberté de veuve » en droit de propriété avec le droit d’aliénation qui s’y rattache :
dans son testament, elle légua à l’hôpital qu’elle avait fondé au Marbourg les
bâtiments et le sol sur lequel elle l’avait érigé, et cela contre la volonté clairement
manifestée de sa parenté.94’
Le décalage entre la réalité des relations homme- femmes et l’inversion
carnavalesque dans les farces.
Quelle est la vision du monde que la farce reflète ? À notre avis, la farce nous
montre un monde immoral, un monde renversé aux personnages grossiers. Pourtant,
il ne faut pas oublier que le but primordiale est de faire rire le spectateur. ‘Dans un
monde simplifié, caricatural, volontairement schématique, l’homme est saisi au
niveau le plus bas, celui de ses besoins, de ses désirs primaires, sans échappée 95’.
Cela veut dire que les personnages de la farce sont souvent réduits à l’instinct et à
sa satisfaction, ils sont descendu au degré du bas.
Pour ce qui est de la farce qui traite de la lutte conjugale, elle s’oriente vers la
possession du pouvoir. Il est rare que la femme ou l’homme accepte de céder. Cette
relation est marquée par de rapports de force, et comme ni l’affirmation de l’autorité
ni la persuasion ne font en sorte que le couple se rapproche, la violence succède
bientôt à la grossièreté. ‘Si l’on peut se venger, on le fait, surtout si l’on est en
situation de force ; et l’on applique volontiers la loi du talion96’.
De plus, le monde farcesque est aussi un univers où les marques de la
civilisation chrétienne sont omniprésentes. Nous avons découvert beaucoup
d’allusions et de références à Dieu, à la Vierge et à l’Église. Des prêtres sont y mis
en scène, on demande de l’assistance religieuse (George le Veau) et on part en
pèlerinage (Le galant qui fait le coup). Il semble donc que la farce ridiculise ou
s’oppose à la religion chrétienne imposée par la l’Église médiévale.
À cette époque, le public aime et rit de ce renversement de l’ordre. Il sait bien
que tout y est exagéré, il jouit du monde renversé97. L’esprit carnavalesque se
dégage de la doctrine imposée par l’Église. Dans le monde de la farce, on peut se
moquer de Dieu, on peut faire semblant d’ignorer la morale imposée par la religion
chrétienne. Il est clair que le monde de la farce s’abandonne aux affaires que l’Église
interdit et dénonce comme méprisable. Bref, la farce se libère de la doctrine
chrétienne.
Nous avons déjà parlé du bas corporel, il est étroitement lié à la culture
comique populaire. L’accentuation sur le bas se rattache évidemment, par volonté de
renversement, au mépris de la chair proposé par la religion chrétienne. Comme elle
n’attache d’importance qu’au spirituel, la culture populaire respecte ce qui est
matériel. Cette tendance explique maintenant le manque du spirituel. La négation du
spirituel remplace l’omniprésente grossièreté et l’omniprésente sexualité.
Comme nous l’avons déjà remarqué, la farce conjugale, donnant une image
négative du mariage, présente très souvent la situation exactement inverse. Ce sont
les femmes qui veulent se débarrasser de leur mari (le Cuvier, George le Veau).
Elles ont recours au plaisir au risque de détruire le mariage. Les femmes farcesques
sont vues par le regard des hommes, lui-même modelé par l’antiféminisme
4.3.
94
Ibid. p. 326.
Rousse, Michel. ‘La scène et les tréteaux, le théâtre de la farce au Moyen Âge’, Orléans : Paradigme, 2004, p.
337-338.
96
Ibid. p. 345.
97
Ibid. p. 356.
95
49
ecclésiastique98. Elles sont tenus pour responsables des maux du mariage, elles ne
cessent pas de bavarder, de se disputer et d’être infidèle. Pour ce qui est de nos
farces, la question la plus importante se résume ainsi: qui aura le pouvoir dans le
mariage ? En réalité, la femme est dominé par son mari. Dans la farce, c’est la
femme qui a plus de pouvoir. C’est-à-dire que la farce donne l’image de la femme qui
est plus fort que son mari, mais elle représente en même temps les effets néfastes
de ce renversement des rôles. Donc, il faut reconnaître que la farce condamne le
pouvoir des femmes en le ridiculisant. Morale : il faut que la femme se soumette à
son mari sinon le chaos s’ensuivra…
4.4.
Le mariage entre Pathelin et Guillemette.
Dans ce paragraphe, nous aimerions étudier le rapport entre
Guillemette et Pathelin dans leur mariage. Tout se résume à la question suivante :
qui a le pouvoir dans leur relation ?
4.4.1. Le grimoire de Guillemette.
Avec orgueil, Pathelin se considère au même niveau du maire. Au contraire,
Guillemette n’est pas d’accord avec lui et elle lui répond :
‘Aussi a il lue le grimaire’
‘Et aprins a clerc longue piece.’
Comment interpréter les vers 18 et 19 exprimés par Guillemette ? À travers
des différents manuscrits, il y a des variations sur l’explication et l’interprétation de
ces vers. Cette confusion se concentre sur plusieurs interprétations possibles de la
notion de « grimaire ». Premièrement, elle peut être interprétée comme ‘la
grammaire’, un des sept arts libéraux. Deuxièmement, elle pourrait renvoyer à la
notion de ‘le grimoire’, un livre de nécromancie99. Donc, il apparaît que nous
pourrions confondre d’une façon naïve la grammaire latine et le grimoire, un livre de
sorcellerie. En outre, Rousse est d’avis qu’elle désigne aussi ‘livre d’instruction’100.
Comme nous l’avons déjà remarqué, à cette époque, la culture est essentiellement
religieuse. Tous les hommes de l’église médiévale écrivent et parlent en latin. Donc,
pour la plupart des gens la langue latine est incompréhensible. Ainsi, cette notion
signifie aussi « un livre incompréhensible ». Enfin, Smith commente que ‘lire le
grimoire’ doit être interprété comme ‘enseigner quelque chose de difficile’.
Guillemette veut sans doute mettre en cause le manque de diplôme de
Pathelin et ses capacités d’avocat et ses tromperies ultérieures. Elle se trouve
ironique quant aux études de Pathelin. En fait, elle nous dit que le maire a fini
ses études. Il a sans doute lu des livres difficile à comprendre. Par conséquent, cet
homme est supérieur à Pathelin. De plus, elle se moque de la situation dans laquelle
elle se retrouve : le manque d’argent et le manque de vêtements. Guillemette
attaque personnellement Pathelin qui renonce sa responsabilité et qui, ainsi, accepte
la pauvreté. Elle aime bien avoir plus de pouvoir et augmenter les échelons sociaux.
C’est pourquoi, elle admire le maire ou bien le métier du maire. Guillemette se sent
98
Schoell, Konrad, M. ‘La Farce du quinzième siècle’, Gunter Narr Verlag : Tübbingen, 1992, ‘Des farces
féministes ?’ p. 82-92.
99
Ibid, p. 72.
Rousse, Michel. ‘La farce de Maître Pathelin, édition bilingue de Michel Rousse’, Paris, Gallimard – Folio,
1999, p. 49, note 2.
100
50
petite à côté du maire car il a fréquenté ses études tandis que Pathelin les a
échouées. Elle provoque Pathelin en lui rappelant qu’il n’est qu’un homme sans
éducation. En outre, Smith nous apprend que ‘le maire n’a donc pas effectué la
lecture privée d’un livre de grammaire, mais il a enseigné la grammaire, un des arts
libéraux. Statutairement, il est un maître (magister in artibus, ayant auparavant
obentu la licencia docendi sans laquelle il n’aurait pu faire cours)101.’ Guillemette va
encore plus loin en disant que Pathelin est toujours une personne qui a raté sa
carrière. Pathelin réplique qu’il ne se doute pas de ses capacités, même s’il n’a pas
fini ses études. Il soutient qu’il pourrait bien remplir une tâche difficile.
A qui véez vous que ne despeche
Sa cause, se je m’y veuil mettre ?
Et si, n’aprins oncques a lettre
Que ung peu ; mais je me ose vanter
Que je sçay aussi bien chanter
Ou livre avec nostre prestre
Que se j’esusse esté a maistre
Autant que Charles en Espaigne. Vers 20-27
Smith affirme qu la notion de ‘chanter au livre102’ connaît aussi deux
interprétations possibles. ‘Chanter au livre’ ne signifie pas ‘chanter ce qui est écrit au
sens de reproduire par la voix un chant noté dans un livre’, mais improviser sur un
chant noté103’ L’auteur déclare que la référence à l’instruction et sa connaissance du
‘chant au livre’ supposent que Pathelin a dû être enfant de chœur. À cette époque, il
était habituel que les enfants de chœur les plus doués peuvent fréquenter les écoles
de grammaire. Dans ce cas-là, il reçoit une bourse pour son entretien104. Ensuite,
Smith se demande si cette expression révèle déjà le caractère de Pathelin . ‘Peutêtre, derrière cette allusion, est déjà présente le topos des enfants de chœur qui ne
sont pas précisément de ‘petits saints105’. Il s’agit d’un avocat qui ne appartient pas à
l’église, qui reçoit un petit salaire mais qui assistait quand même à des services
liturgiques. Le fait que Pathelin était un enfant de chœur indique qu’il deviendra un
avocat sans diplôme, mal payé, et sans clients ? Grâce à son talent de tromper
l’autrui, il tourne la situation et y profite.
En revanche, Guillemette lui rappelle la réalité. Elle lui répond que cela ne
rapporte pas de l’argent, de la nourriture et de vêtements. Elle demande à Pathelin
s’il a encore des idées pour surmonter leur situation faible. Vers 28 ‘Que nous vault
cecy ? Pas empainge !’ N’oublions pas que Guillemette dépend de son mari pour lui
rapporter du drap avec lequel elle fera des vêtements. Elle est une femme qui reste à
la maison, elle ne travaille pas à l’extérieur. Pathelin est sûr qu’il réussit à tourner
leur situation de manière positive. Malgré le manque de diplôme, Guillemette est
d’avis que Pathelin est un maître dans le domaine de la tromperie. Elle laisse de côté
son opinion sur l’éducation de Pathelin, et accepte que son mari passe à la tromperie
tout dans le but de gravir de la société.
Smith, Darwin. ‘Maistre Pierre Pathelin, le Miroir d’orgueil : texte d’un recueil inédit du XVe siècle (mss
Paris, B.N.F. fr. 1707 & 15080)’ , Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, 2002, p. 72.
102
À travers des différents manuscrits, il y a plusieurs variations de cette expression à savoir : chanter sur le livre
(La Vallière), chanter au livre (Bigot, Malaunoy ) chanter ou livre ( LeRoy, Levet).
103
Ibid, p. 73.
104
Ibid, p. 139, note 116.
105
Ibid, p. 74.
101
51
4.5.
La scène de tenir le ménage dans le corpus des farces.
4.5.1. Le pâté et la tarte.
Gautier estime qu’il doit attendre trop long à son pâté, et retourne à la maison.
Il découvre que Marion l’a donné à une autre personne. Il est fâché ! Vers 127-128
‘Quoi « éperdu » ?’ ‘Tout entendu,’ ‘L’avez-vous baillé à quelqu’un ?’. Vers 142144/148 ‘Et voici rage !’’Faut-il que je prenne un bâton ?’ Vers 155 ‘Vous en aurez le
dos frotté.’ Gautier commence à la battre à cause du manque de nourriture et peutêtre aussi de la bêtise de sa femme. Il s’efforce d’excuser de son comportement.
Vers 162-164 ’Voici assez pour enrager.’ ‘J’ai faim, et si n’ai que manger.‘ ‘J’en
enrage !’.
Cette analyse montre que la violence par l’emploi obsédante du bâton est
omniprésente dans cette farce. Et d’après nous, cette scène présente le mari comme
la personne la plus importante dans le mariage. La femme doit se soumettre au
pouvoir de son mari. Sinon, elle sera battue. Comme nous l’avons déjà remarqué, le
recours à la violence de la part du mari était estimé comme tout à fait normale à cette
époque.
4.5.2. Mahuet qui donne ses œufs au prix de marché.
Dans la ferme de la mère de Mahuet, à Bagnolet, près de Paris, elle envoie
son fils à vendre crème et oeufs à Paris. Sa mère lui dit de les vendre au prix du
marché. Au marché, à Paris, une femme106 se rend vers Mahuet. Elle demande le
prix de son fromage. Vers 63 ‘Combien me coustera ce fromage?’ Mahuet lui répond
qu’il ne le vend pas car son mère lui a dit de vendre ses produits au prix du marché.
Vers 64 ‘Jehan! Non feray’. Vers 65- 67 ‘Pource que ma mere ne l’a pas dit. ‘ ‘Elle
m’a dit Que au pris du marché je les donne.’ Il croit que ‘le prix du marché’ est une
personne.
Cette pièce ne représente pas le père de Mahuet. Il faut donc supposer que le
mère de Mahuet est veuve. Il apparaît que la mère se repose entièrement sur son fils
pour gagner de l’argent. D’après nous, la scène de ménage présente la vie à la
campagne et à la ferme. Comment est-ce qu’on gagne de l’argent à cette époque ?
Les produits que les animaux de la ferme fournissent, doivent être vendues au
marché. La mère est à la recherche de son fils. En faisant son entrée, il demande si
elle a tout préparé pour le dîner. Cette parole relève que la préparation du dîner est
considérée comme une tâche de la femme. Sa mère lui rappelle qu’il lui doit se
conduire comme il faut. Vers 23-24 ’Viens ça ! Doit-on entrer’ ‘Sans saluer, est-ce la
guise ?’ Vers 28-29 ‘Et d’avoir bon gouvernement,’ ‘Si peux vivre’. Elle se donne pour
tâche de prendre soin de son enfant. Elle rassure son fils qui a peur de ne pas
trouver le chemin. Elle s’occupe du déjeuner car Mahuet ne quitte pas la maison
sans avoir mangé. Vers 46-47 ‘M’en irai-je sans déjeuner ?’ ‘Voilà du pain, pense
d’aller’ Elle montre qu’ elle aime son fils. Sa mère espère que Mahuet va se marier
avec une belle fille. Et elle lui promets de faire un costume. Vers 55-57 ‘Si tu fais bien
et sagement,’ ‘Que je te marierai richement’ ‘À la plus belle de la ville.’
4.5.3. Le cuvier.
Dans toute la première moitié de cette farce, Jacquinot n’a cessé d’être
dominé et humilié par sa femme et sa belle-mère. Vers 28-31 ‘Il faut obéir à sa
femme,’ ‘Ainsi que doit un bon mari.’ ‘S’elle vous bat aucunes fois’ ‘Quand vous
106
Dans le recueil du British Museum,la femme est aussi indiqué comme la bourgeoise.
52
faudrez…’. Vers 35-37 ‘Et corrige en temps et en lieu’ ‘Que ce soit par mal ? Non,
par bieu,’ ‘Ce n’est qu signe d’amourette.’ Comme nous l’avons déjà constaté, la
violence est généralement acceptée dans le mariage. À l’intérieur du couple, le mari
est permis de se servir du droit de la correction. Ensuite, elles lui ont contrait
d’établir une liste d’obligations domestiques. Encore une fois, la Cuvier repose sur
l’inversion de rapports des forces. Vers 62 ‘Il vous convient faire un rollet’. Vers 64
‘Ce qu’elle vous commendera.’. Cette liste est très longue et contient beaucoup de
devoirs comme par exemple : prendre soin de l’enfant, pétrir, enfourner, lessiver,
tamiser, décrasser du linge, faire le pain, chauffer le four, faire le lit, mettre le pot au
feu et laver les pots et les plats. Elle nous fournit une bonne image des travaux
domestiques. Vers 81-83 ‘Me dites-vous que c’est la guise ?’ ‘C’est la guise, aussi la
façon !’ Apprendre vous faut la leçon.’
Jacquinot n’a qu’à obéir sa femme, sinon elle le frappera. Le mari se plie sous
la menace. Vers 95 ‘Mettez, ou vous serez frotté !’ Vers 175 ‘Jouée te baillerai si
grande !’ Vers 179 ‘Non est ? si est, s’il te plaît’ !’ Elle le gifle. Il est un homme faible
qu’un gifle suffit à faire taire. Pour punir sa femme de lui avoir jeté au visage un linge
merdeux, il laisse « maladroitement » glisser le drap de sa main. L’épouse part en
arrière et tombe dans le cuvier. Immédiatement, Jacquinot comprend qu’elle ne peut
pas en ressortir. Plus elle perd le souffle, plus le mari se réjouit vivement. Il tient enfin
sa revanche.
Jacquinot n’a pas du tout l’intention d’aider sa femme. Il lui répond : ‘Cela n’est pas
de mon rollet.’ Vers 177. Le rollet ne parle pas de tirer sa femme du cuvier ? Donc, il
ne le fait pas ! Vers 253-254 ‘Ami ?’ ‘Mais ton grand ennemi !’ Je te voudrais avoir
baisée morte !’ Maintenant la femme est gentille avec son mari, car elle a besoin de
lui. Par contre, Jacquinot refuse carrément de l’aider. Il la considère comme son
ennemi, car elle ne lui permet pas d’être maître de la maison. D’après Faivre, nous
pouvons encore aller plus loin. Il est d’avis que Jacquinot lui condamne à la mort. Il
stipule qu’il s’agit du baiser qu’on donne au cadavre avant de l’ensevelir.’ ‘« Désirer
avoir baisé quelqu’un mort » est une expression courante à l’époque pour dire qu’on
souhaite sa mort.107’ Par conséquent, il se met à l’écart de la lutte avec sa femme en
ignorant son existence. Et au retour de la belle-mère, il lui dit avec un grand sourire
que sa fille s’est noyée dans la lessive. Vers 259-261 ‘Très bien, puisqu ma femme
est morte.’ ‘Tout mon souhait est advenu ;’ ‘J’en suis plus riche devenu.’ Pour ainsi
dire, la femme méchante meurt bien dans le cuvier. Tout à coup, nous avons affaire
à une femme qui promet son mari d’être sage désormais ! Vers 314-315 ‘Tout le
ménage je ferai ;’ ‘Comme par droit il appartient.’ Vers 320-322 ‘Je vous le promets,
c’est raison.’ ‘Maître serez en la maison,’ ‘Maintenant bien considéré.’ Il est clair
qu’elle reste aimable et soumise. Jacquinot y a réussi : le ménage était à l’envers et
désormais dans le bon sens. Ce qu il y a de remarquable ce que les époux s’aiment
malgré les disputes tandis qu’auparavant Jacquinot souhaite sa mort ! Cette
heureuse fin nous pose un problème : puisque la farce nous présente constamment
un monde à l’envers, comment faut-il l’interpréter cette scène ? Nous nous heurtons
à une femme méchante qui se change en ‘femme-fleur’ sur scène. Mais il faut se
demander si cela se passe aussi dans la réalité. Une femme gentille et soumise,
c’est typiquement une scène qui ne se manifeste que dans les farces ?
107
Faivre, Bernard. ‘L es Farces : Moyen Age et Renaissance, la guerre des sexes’, t. 1. Paris : Imprimerie
Nationale, 1997, p. 119.
53
4.6.
Conclusion.
Malgré quelques exceptions, la femme reste encore sous l’influence de
l’homme. La vision féminine est influencée de manière positive par une lente
transformation grâce à l’essor économique dans les villes effectué par la bourgeoisie.
Pathelin et Guillemette, en tant que couple marié, vivent dans l’harmonie.
Nous pouvons constater que le manque de diplôme éloigne Pathelin de sa femme.
Elle a plus d’estime pour le maire qui a fait ses études. Par contre, Pathelin lui
rappelle qu’il sait très bien tromper l’autrui. Guillemette partage son opinion et
ensemble, ils se décident de tromper le drapier afin de surmonter leur situation
pauvre et de gagner d’argent.
Les farces analysées nous montrent que la femme reste la servante de la
maison. C’est elle qui s’occupe des tâches domestiques comme par exemple
prendre soin des enfants et serviteurs et gouverner la maison.
54
CONCLUSION
D’après nous, Guillemette est une femme exceptionnelle par rapport à sa
parole. La parole dont elle se sert est tout à fait différente de la parole de femmes
dans notre corpus de farces. Nous sommes d’avis que Guillemette n’est pas aussi
grossière que les femmes représentées dans les farces. Et il faut ajouter à cela
qu’elle est mise en scène de façon positive. Grâce à Pathelin, elle a acquis des
connaissances.
En ce qui concerne les évocations religieuses et l’allusion à la fable du
corbeau, ce sont pour Guillemette un moyen de renforcer la parole et d’exercer plus
de pouvoir. En outre, la parole peut être tenu pour un indice d’une relation
conflictuelle entre Pathelin et Guillemette. Tandis que Pathelin se donne pour tâche
de la résoudre, Guillemette a des difficultés à l’accepter. Elle se lamente
constamment sur le constat du manque : le manque de l’argent et le manque du
pouvoir. C’est pourquoi, sa parole est une de l’identité sociale.
En revanche, la femme mise en scène dans notre corpus est une femme qui
ne font guère allusion à la littérature contemporaine du Moyen Âge. En même temps,
elle n’a pas non plus recours à la langue latine. Cette femme farcesque est
considérée comme une femme qui s’exprime d’une manière cruelle même obscène
ou vulgaire. Cette parole se base sur une attitude négative vers son mari. Elle se
moque toujours de son lui. Finalement, nous avons découvert que cette farce est
caractérisée par la grossièreté et la sexualité visant à libérer le rire du spectateur.
Après avoir examiné la farce, les dissentiments conjugaux et les querelles de
ménage sont des thèmes les plus caractéristiques dans la plupart des farces. Ces
disputes peuvent être accessoires au sujet (le pâté et la tarte) ou le fond même du
sujet (le Cuvier). Dans les farces qui traitent de la dispute conjugale, les
personnages mis en scène sont souvent les types traditionnel du mari et de la
femme. Quant aux motifs de la lutte, ils sont multiples. Plus le motif est futile, moins
la lutte est inquiétante et, par conséquent, plus, il est amusant de voir les époux se
disputer. Quels que soient les origines de la dispute conjugale, la question se
résume ainsi : qui sera le maître de la maison ? Il s’agit toujours de l’autorité dans le
ménage.
Au contraire, pour ce qui est de la Farce de Maître Pathelin, c’est tout à fait un
autre histoire ! En toute certitude, nous pouvons stipuler que Guillemette et Pathelin
vivent dans l’harmonie par rapport aux farces étudiées. Ils ne se querellent pas du
tout. Ce qu’il y a de remarquable est que tous les deux se mettent d’accord sur la
tromperie du drapier. C’est-à-dire qu’ils sont des complices ! Bien que l’un domine
parfois l’autre dans le raisonnement, ils travaillent ensemble comme des compères
qui savent très bien jouer leur rôle. Une raison de plus ce qui nous permet d’affirmer
que Guillemette est une femme exceptionnelle.
Il faut mentionner que la femme dans les farces fonctionne souvent comme le
personnage qui a plus de pouvoir. C’est elle qui porte le culotte ! Dans le mariage,
c’est elle qui sait dominer son mari. Elle prend son plaisir avec l’amant au nez de son
mari qui n’a que le droit d’accepter sa situation.
Mais il arrive aussi que les disputes conjugales finissent en réconciliations du
couple (Le Cuvier, Les obstination des Femmes). Nous sommes d’avis qu’ il faut
l’interpréter comme un retour à la norme sociale à cette époque où l’homme
réaffirme son pouvoir sur sa femme en lui prouvant qu’il n’est pas la personne de
caractère faible qu’elle lui reprochait d’être. Au début Guillemette reproche Pathelin
qu’il n’a plus de travail mais à la fin elle soutient son mari. Guillemette et Pathelin, en
55
tant que couple marié, poursuivent le même but et décident de tromper le drapier
afin de surmonter leur situation économique et sociale. Dans la Farce de Maître
Pathelin, Pathelin peut être tenu pour le maître de la maison et pour le maître de la
tromperie. Dans le couple Pathelin et Guillemette, tous les deux sont aussi
intelligents l’un que l’autre ce qui explique qu’ils sont des complices en tromperie,
tandis que les femmes des farces étudiées sont caractérisée par leur bêtise.
Nous sommes donc en mesure de conclure que les farces donnent une image
de la femme qui est plus forte que son mari. Par contre, elle nous montre en même
temps les effets néfastes de ce renversement des rôles. Tout ceci prouve bien que
les farces ayant pour but les disputes conjugales condamnent le pouvoir des femmes
en le ridiculisant. En fin de compte, il nous semble que la morale peut être : il faut
que la femme se soumette à son mari, sinon le chaos s’ensuivra !
56
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