Un dossier de Laurent SACCO
pour Futura-Sciences
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http://www.futura-sciences.com/fr/doc/t/physique/d/du-corps-noir-aux-trous-
noirs_743/c3/221/p1/
« Pourquoi lorsqu’on chauffe un objet, celui-ci émet-il de la lumière ? Pourquoi la
couleur de la lumière émise change-t-elle avec la température ? ». Ces questions
paraissent simples et insignifiantes si on les compare aux grandes et éternelles questions
comme « Qu’est-ce que la matière, l’espace, le temps ? D’où vient l’Univers et où va-t-il
? » Et pourtant, c’est en découvrant les réponses aux deux premières questions que les
physiciens se sont dotés des outils conceptuels et mathématiques leur ayant permis de
faire des progrès spectaculaires, tout au long du XX ième siècle, dans la résolution des
énigmes que se posent l’esprit humain depuis des millénaires.
Le corps noir le plus parfait de l'Univers, le rayonnement fossile vu par COBE. Les différences de couleurs indiquent d'infimes
différences de température dans ce rayonnement sur la sphère céleste (Crédit : NASA).
Le dossier qui va suivre est un voyage fascinant, mais complexe, à travers presque toute
la physique et la cosmologie de la fin du XIXième siècle au début du XXIième. Bien sûr, il
n’a pas l’ambition de traiter complètement ces sujets, une bibliothèque complète serait
nécessaire pour cela. Il s’agit juste d’une esquisse du paysage de la physique théorique
qui a émergé à partir de ce qu’on appelle, par tradition, le problème du corps noir et qui
consiste précisément à comprendre et décrire mathématiquement ce qui se passe quand
un morceau de fer chauffé passe de la couleur rouge à la couleur blanche, en émettant une
quantité de lumière de plus en plus importante.
A gauche Max Planck et à droite Albert Einstein.
Le problème du corps noir a défié les plus grands esprits, de Kirchhoff à Hawking en
passant par Planck et Einstein, et, par des bien des côtés, il continue aujourd’hui à le faire
avec des théoriciens du calibre de ‘t Hooft et Susskind. Comme le lecteur le découvrira
dans ce dossier, il est profondément à l’origine de la théorie quantique, clé du monde des
particules élémentaires et de l’atome, et on le retrouve à l’échelle de l’Univers entier avec
le rayonnement fossile laissé par la "création" de l’Univers observable. Mais plus
important encore peut-être, il se révèle incontournable lorsque l’on cherche à comprendre
ce qu’il advient de la matière, de l’espace, du temps, et surtout de l’information,
lorsqu’une étoile de plusieurs dizaines de masses solaires explose en supernova et que
son cœur s’effondre gravitationnellement pour donner un trou noir.
Stephen Hawking (Crédit : GrayWizard.net)
Comment lire ce dossier
Ce dossier contient plusieurs niveaux de lectures. Certaines parties sont très
techniques mais elles ne font que donner un aperçu de la machinerie
conceptuelle et mathématique derrière certaines notions. On peut passer
dessus en première lecture et elles ne doivent surtout pas effrayer le lecteur.
En outre, elles ne prétendent pas à la rigueur, par contre, autant que possible,
des liens existent vers la littérature spécialisée. Celle-ci est indispensable et
doit servir de référence à qui voudrait vraiment étudier et maîtriser les
notions abordées dans le dossier. Dans le cas contraire, le lecteur n’aurait
qu’une vue simplifiée, et pouvant être trompeuse, de celles-ci s’il s’en tenait
au pied de la lettre à ce qui n’a juste été qu’esquissé et particularisé pour les
besoins de l’exposition. On espère quand même avoir isolé le fil conducteur,
le système circulatoire de la saga du corps noir et avoir fourni un guide et un
outil de travail pour toute personne curieuse d’explorer une partie de l’image
de l’Univers qu’a fournie la physique théorique du XX ième siècle.
Un résumé du texte principal se trouve en fin de dossier. Il contient les idées
et les formules essentielles à retenir ainsi que le regroupement des liens
importants du dossier.
Remerciements :
L'auteur de l'article tient à remercier vivement Loïc Villain et Richard Taillet pour leurs
lectures de ce dossier. Comme d'habitude, s'il devait rester des erreurs et des obscurités,
elles ne sauraient être que les miennes.
Vers la fin du XIXième siècle, la physique classique semble à beaucoup un monument
presque complètement achevé. Les grands principes de l’Univers ont été décryptés, et il
ne reste plus que quelques coefficients numériques dans les équations à déterminer
expérimentalement. Bien sûr, reste encore le problème mathématique de déduire des
principes et des équations de la physique classique tous les aspects du monde physique.
Mais cela, pour les physiciens de l’époque suivant le programme lancé par Descartes
quelques siècles plus tôt, c’est la tâche des générations futures.
Il reste quand même deux petites anomalies, comme le pape de la physique de l’époque,
Lord Kelvin, le mentionnait dans une de ses conférences. La première est bien connue,
c’est le résultat négatif de l’expérience de Michelson-Morley, et la seconde, les
contradictions et les impasses rencontrées lorsque l’on cherche à déduire des équations de
Maxwell, et des principes de la thermodynamique statistique, les lois du rayonnement
d’un corps chauffé.
L’expérience de la vie de tous les jours nous enseigne que lorsqu’on porte un corps à une
température de plus en plus haute, il se met à rayonner de plus en plus de lumière et
change de couleur. De même, le rayonnement émis par un corps chaud chauffe un corps
plus froid, il suffit de penser à l’action du Soleil.
La thermodynamique étant la science des transformations de l’énergie, elle doit avoir son
mot à dire sur les lois déterminant la quantité de lumière produite par un corps chauffé,
ainsi que sur la composition spectrale de cette lumière.
Si l’on considère un ensemble de corps chauffés à des températures différentes, placés
dans une enceinte avec des parois parfaitement réfléchissantes, l’expérience montre que
les plus froids se réchauffent et les plus chauds se refroidissent jusqu’à atteindre une
température uniforme.
L'ensemble constitue alors un système en équilibre thermique ou encore
thermodynamique : une situation identique advenant au bout d'un certain temps avec un
glaçon plongé dans de l'eau par exemple.
Comme on va le voir, le but des physiciens de l'époque était de comprendre et de décrire
le rayonnement précédent à l'équilibre thermique. L'une des étapes les plus importantes
pour cela fut la découverte des lois de Kirchhoff
A) Les lois de Kirchhoff
Gustave Kirchhoff 1824-1887
Les lois du rayonnement de Kirchhoff sont parmi les plus belles illustrations de la
puissance et de la généralité des raisonnements et des principes de la thermodynamique
classique. On comparera utilement leurs dérivations avec celles de l’entropie, du
rendement des machines réversibles, et de la notion de température thermodynamique
même telles que Feynman et Fermi les ont exposées dans leurs cours sur la chaleur.
Considérons donc à nouveau l'enceinte précédente, parfaitement réfléchissante et
isolante, contenant une série de corps quelconques à différentes températures. Au bout
d’un moment, un équilibre thermique se produit et aussi bien les parois de l’enceinte que
les corps se retrouvent à une même température. Le rayonnement lui-même dans
l’enceinte se trouve avoir la même température que les corps à ce moment là, et l’on peut
définir la densité d’énergie spectrale de ce rayonnement par unité de volume et bande de
fréquence.
Ce qu’on pourrait appeler la première loi de Kirchhoff est que la fonction définissant
la densité d’énergie spectrale du rayonnement dans l’enceinte ne peut être qu’une
fonction dépendant uniquement de la température.
Si ce n’était pas le cas, la fonction définissant cette densité devrait dépendre des
caractéristiques des corps dans l’enceinte ainsi que des parois de celle-ci. Mais alors, en
mettant en contact deux telles enceintes à la même température et avec des corps
différents, un transfert d’énergie se produirait de l’une à l’autre permettant d’extraire du
travail avec une source monotherme : une contradiction flagrante avec le second principe
de la thermodynamique.
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