La complainte du changement climatique

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COP 10 ECO 7 , le 16.12.04
-----------------------------------Lettre ouverte aux ministres
Chers ministres,
Avant vos tables rondes du jour, nous aimerions partager avec vous quelques
analyses sur les thèmes centraux de cette COP, ou au moins sur les thèmes qui
devraient être les thèmes centraux, ici à Buenos-Aires. Si ECO était "ministre d’un
jour", voici ce que nous dirions :
« Gardons toujours en tête l’objectif principal de ce processus : remplir les obligations
de tous les pays signataires de la Convention, et en particulier éviter toute
perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Pour cela, la
température mondiale ne doit pas dépasser de plus de 2°C le niveau préindustriel.
Tous nos efforts doivent être mesurés à l’aune de leur capacité à nous aider à
réaliser cet objectif.
Nous devrions tous travailler ensemble à un cadre pour l’après-2012, basé sur trois
voies :
 Pour les pays industrialisés : le maintien de la voie de Kyoto, avec des objectifs
absolus et obligatoires plus ambitieux.
 Pour les pays en cours d’industrialisation : une voie de décarbonisation qui
concilie les besoins de développement avec des techniques et des
comportements sobres en carbone.
 Pour les pays en développement, en particulier les PMA et les petits Etats
insulaires : une voie d’adaptation, qui les aidera à créer les conditions d’un
développement durable malgré le changement climatique. »
Table ronde 2 : adaptation :
« L’adaptation a été inscrite comme priorité à cette COP parce que les impacts du
changement climatique sont déjà ressentis par les peuples les plus vulnérables,
particulièrement ceux des petits Etats insulaires et des PMA. Les pays industrialisés
ont une obligation morale et politique d’aider ces pays à vivre avec l’augmentation
des inondations, des sécheresses, des évènements météorologiques extremes et
des autres manifestations du changement climatique d’origine humaine. Nous
devons mettre en place un Plan d’action sur l’adaptation, qui recevrait des
ressources adéquates. »
Table ronde 3 : technologie :
« En complément des politiques de réduction des émissions, le développement et la
diffusion des technologies sont essentiels pour nous permettre de remplir nos
objectifs. Notre première priorité doit être de déployer les techniques d’efficacité
énergétique tout en maximisant la diffusion des modes de production d’énergie
renouvelables viables et d’ores et déjà commercialisables.
Nous devons nous engager à réorienter les massives subventions aujourd’hui reçues
par les industries fossiles et nucléaires vers les systèmes durables de production
d’énergie, et à faire des efforts majeurs pour transformer les infrastructures et les
techniques de transport afin de satisfaire nos besoins dans un monde
nécessairement sobre en carbone.
Les pays industrialisés doivent fournir le soutien financier nécessaire pour que les
pays en cours d’industrialisation puissent suivre un chemin de développement moins
intensif en carbone. C’est seulement si les pays industrialisés s’engagent dans ce
sens et contribuent à faire baisser le coût des techniques peu émettrices de carbone
que nous pouvons espérer que les grands pays en cours d’industrialisation
rejoignent le régime climatique. »
Table ronde 4 : atténuation :
« Pour avoir une chance raisonnable de rester sous les 2°C d’augmentation de la
température mondiale, les pays industrialisés doivent tout d’abord remplir leurs
engagements au titre du Protocole, puis s’engager vers des réductions d’émission de
l’ordre de 30 % en 2020 et de 60 à 80 % vers le milieu du siècle. Des politiques
nationales et régionales comprenant des limitations d’émissions ainsi que des
politiques favorisant l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables doivent
être mises en place dès maintenant pour établir un cadre politique de long terme clair
afin d’adresser un signal clair au secteur privé. »
Conclusion
« Nous célébrons l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto et promettons de
continuer sur cette voie, tout en développant de nouvelles solutions pour permettre
l’adaptation des pays les plus vulnérables, en même temps qu’une voie équitable et
efficace qui fournisse le cadre d’un développement durable économe en carbone. »
Une table ronde qui tourne en rond
La première table ronde sur « La Convention après dix ans : accomplissement et
perspectives » est restée assez convenue, les groupes campant sur leurs positions.
L’UE tente poussivement de garder le leadership dans les négociations, en mettant
en avant l’urgence de parler de l’après 2012, rappelant à la fois le principe de
précaution et celui des responsabilités communes mais différenciées. Sur ce point, le
G77/Chine, au-delà de toutes ses divergences, partage les vues de l’UE. Pour ce
groupe en revanche, pas question de parler d’engagements de réductions futurs
pour les PED : que les pays de l’Annexe I nettoient les tonnes de carbone qui sont
dans leurs yeux avant de s’occuper des poussières (de carbone) dans l’œil de leurs
voisins ! Et que dire alors du toujours splendide isolement des Etats-Unis, qui
essaient désespérément de rester dans le jeu en s’accrochant à la Convention et au
bilatéralisme ?
Malgré une impression de déjà vu, Eco retient quelques idées de cette première
table ronde. La principale nouveauté est la reconnaissance par tous les Etats (moins
les Etats-Unis peut-être) que les impacts du changement climatique sont aujourd’hui
une réalité. Dès lors, tous admettent l’urgence d’agir, invoquant la hausse de 0.7ºC
au cours du siècle dernier et une série de catastrophes climatiques.
Le contraste entre l’autosatisfaction des pays de l’Annexe I et les critiques qui leur
sont adressées par les PED n’a pas amené de surprise.
Mais l’essentiel de la discussion a porté sur la voie à suivre pour l’après 2012. Les
intervenants se sont accordés à dire qu’elle s’appuie à la fois sur l’adaptation et
l’atténuation.
Les Pays-Bas, au nom de l’UE, ont réaffirmé le besoin de limiter la hausse de la
température à 2ºC par rapport à la période préindustrielle, ce qui est le strict
minimum que l’on puisse attendre de l’UE.
La reconnaissance de la réalité des impacts des changements climatiques met
l’adaptation au cœur des actions futures. Il est nécessaire de se focaliser sur les
financements et les transferts des technologies. L’Inde, mauvais élève, au fond de la
classe, près du climatiseur, a quand même soulevé la question de la mise dans le
domaine public des brevets pour les technologies propres.
Eco, et la salle, ont tout particulièrement apprécié la déclaration, au nom d’AOSIS, du
Ministre du Kiribati qui a posé le problème de la survie de son pays face aux
menaces climatiques et s’est quand même affirmé désireux de participer à l’effort
d’atténuation… Chapeau bas !
Et puisque Eco distribue des bons points, Jürgen Trittin, ministre allemand, mérite
d’être cité pour son intervention insistant sur les réductions d’émissions que doivent
réaliser les Etats-Unis avec ou sans Kyoto.
Regrettons cependant que sur les séminaires de 2005, l’UE semble vouloir plaire un
peu à tout le monde, et ne prend pas clairement position sur la nécessité d’organiser
ces réunions dans le cadre de la Convention ET du Protocole.
La complainte du changement climatique
C’est une semaine chargée pour le changement climatique dans l’enceinte des
tribunaux. L’annonce faite par les Inuits hier soir sur leur initiatives « droits de
l’homme » amène à 10 le nombre de litiges portant sur le changement climatique
dans 7 pays. Ce vendredi, à Washington DC, une plainte sera déposée contre le
ministère de l’Environnement états-unien pour ne pas avoir réglementé les gaz à
effet de serre en vertu du Clean Air Act (la loi fédérale sur la qualité de l’air).
La parution du récent article dans Nature (Stott, et al.), montrant que l’influence
humaine a au moins doublé le risque d’occurrence de la canicule de 2003 touchant
le continent européen, a donné une nouvelle raison d’aller aux contentieux. 14 000
morts en France, ce n’est pas une bagatelle. Quand des gens sont tués à cause de
comportements humains, il est raisonnable d’attendre de la loi qu’elle intervienne.
Il est intéressant de constater l’éventail croissant des théories juridiques déployées
par les différentes organisations - 14 Etats états-uniens, 5 villes états-uniennes, la
partie américaine de Saoma, 29 ONG et individus. La pertinence légale du
changement climatique est maintenant acceptée par les juges états-uniens et
australiens, lorsque des décisions entraînant plus d’exploitation minière et la
transmission d’électricité sont qualifiées d’illégales. Un juge d’appel californien a
rejeté l’idée selon laquelle « un dommage pour tous n’est dommageable pour
personne » lorsque « l’impact global sur l’environnement est menacé par une loi
fédérale mal faite. »
Il est injuste que les communautés des pays en développement (PED) soient
condamnées à rester les victimes passives des activités préjudiciables de firmes et
des réponses inadéquates des gouvernements. Le mois dernier, l’impact du
changement climatique sur une zone unique du monde a été mis sous les
projecteurs grâce aux pétitions de 3 PED – Belize, Népal et Pérou – auprès du
Comité du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Les pétitions demandent au Comité de
classer de manière urgente les glaciers péruviens et népalais (dont le Mont Everest),
ainsi que les récifs coralliens de Belize, sur la liste du « patrimoine mondial en
danger » du fait du changement climatique. Entre temps, ici, en Argentine, les
citoyens ont utilisé avec succès le mécanisme Acción Informativa, démontrant
l’inaction gouvernementale face aux inondations prévisibles de Santa Fé de 2003,
qui ont entraîné la disparition de centaines de personnes. De même, la première
action civile a été lancée en juillet dernier par 8 Etats états-uniens, New York city et
des ONG contre les 5 grandes compagnies d’électricité américaine afin qu’elles
soient astreintes à réduire leurs émissions de CO2.
Ce type de contentieux peut être perçu par les décideurs comme une immixtion des
juges dans les affaires publiques. Toutefois, et tant que la Convention et Kyoto
échoueront à entraîner les réductions massives nécessaires ainsi qu’à assurer les
justes compensations à ceux qui en subissent les dommages, les juges seront de
plus en plus amenés à résoudre ces questions.
Un pas en avant, pas de nucléaire !
ECO et le « Foro del Buen Ayre », réseau d’ONG argentines, ont accueilli
favorablement le discours du président argentin Nestor Kirchner, au cours duquel il a
défendu vigoureusement le Protocole de Kyoto et mis en avant le besoin de
développer les énergies renouvelables, d’améliorer l’efficacité énergétique et de
protéger les forêts primaires. Il reste maintenant à espérer que ces positions seront
suivies d’actions concrètes par les ministères responsables de ces domaines, car la
coordination sur les questions environnementales a jusqu’ici été assez pauvre.
Et l’on est en droit de s’inquiéter ! En effet, au moment même où Kirchner faisait son
discours, l'accord nucléaire très controversé avec l'Australie est réapparu au
Parlement argentin ! Cette proposition de traité permettrait l'entrée de déchets
nucléaires en Argentine, ce qui est expressément interdit par l'article 41 de la
Constitution nationale. Cet accord, auquel se sont opposées plus de 300 ONG
locales pendant plus de 3 ans, est aujourd’hui remis sur le devant de la scène et
pourrait être voté jeudi lors de la session parlementaire. Bravo M. le président
Kirchner d’avoir dénoncé la "dette écologique" dans votre discours, mais il ne faudrait
pas l’accroître encore un peu plus !
Mafalda
Hier, Mafalda a mis sa plus belle robe pour assister au discours de son président
Nestor Kirchner. Elle allait enfin avoir la possibilité d’approcher l’homme le plus fort
d’Argentine (après Maradona !). Évidemment, elle attendait beaucoup de ce
discours et voulait savoir ce que l’Argentine avait l’intention de faire pour sauver le
climat. Finalement, elle ne fut pas déçue du voyage. Kirchner a replacé son discours
sur l’opposition Nord-Sud / Riches-Pauvres / Créanciers-Débiteurs, en expliquant
que les pays responsables de ce changement climatique doivent être les premiers à
passer à l’action. Mafalda partage tout à fait l’avis de son compatriote, et se dit qu’il
serait merveilleux que la planète Terre soit inversée : les pollueurs deviendraient
alors les victimes de leurs excès !
En rentrant, Mafalda est allée vérifier dans son Atlas les propos tenus par M.
Kirchner, et en effet la carte des pays les plus pauvres se superpose à celle des pays
qui subissent les catastrophes écologiques les plus importantes (et qui subissent en
premier les effets du changement climatique).
Mafalda a-t-elle raison de continuer à penser que vouloir ramener les pays riches à la
raison est illusoire, notamment pour le premier d’entre eux, les Etats-Unis ? L’avenir
(proche) le lui dira peut-être…
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