Texte-B.-Weil-31-jan.. - Ecole Supérieure Montsouris

Bertrand Weil - Relations soignantes et Médecine de la Personne Ecole Supérieure Montsouris - Janvier 2012
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RELATIONS SOIGNANTES ET MEDECINE DE LA PERSONNE
RAPPORT AVEC LES PRINCIPES FONDANT L’ETHIQUE MEDICALE
DE LA NAISSANCE AU GRAND AGE
Introduction
Tous ceux qui participent par des prestations de soins à la prise en charge des personnes
souffrantes, se sentant malades, savent bien, même s’il leur arrive de ne pas le faire, qu’il leur
est essentiel de prendre en compte ceux dont ils doivent « prendre soin » en tant que
personnes autonomes et respectables. Le « prendre soin » comporte une prise en charge
technique indispensable : le patient est objet de soin. Cela n’exonère pas le soignant d’une
relation humaine, affective offrant à celui ou celle qui est l’objet des soins une présence
chaleureuse et moralement réconfortante impliquant une prise en compte de la personne dans
son identité, son histoire, son environnement familial et social. « L’objet de soin » apparaît
alors en tant que sujet, en tant que personne à part entière dont le soignant, par sa solidarité,
respecte l’autonomie.
Frédéric Worms
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à propos du « prendre soin », expression française du « care » anglo-saxon,
développe l’hypothèse pertinente et richement documentée de la proximité fonctionnelle entre
la relation parentale et la relation soignante. Il décrit la relation parentale avec le nouveau né,
puis avec le nourrisson. Il montre l’évolution des relations parentales avec leurs enfants
adolescents puis adultes. Il aborde les relations des adultes avec les personnes âgées de leur
entourage surtout lorsqu’elles deviennent séniles débordées par leurs troubles cognitifs et
leurs dépendances motrices voire sphinctériennes.
En acceptant d’aller plus loin, le « prendre soin » de ses enfants serait de même nature que le
« prendre soin » d’une personne souffrante ou dépendante qui vous est proche, que le
« prendre soin » des collègues ou des gens qui dépendent de vous dans l’entreprise, que la
relation soignante concernant l’autre, personne à part entière, personne souffrante, ayant
perdu la santé, demandant une prise en charge médicale, paramédicale tout autant qu’une
prise en compte et un soutien psychologique.
Qu’il s’agisse de la relation parentale, de la relation sociale, socioprofessionnelle ou de la
relation soignante, il est possible d’identifier au moins trois niveaux, ou qualités, de « prise en
compte » de l’autre, de l’enfant, du parent, de l’ami, du collègue ou du patient en tant que
personne à part entière.
L’expression de ces trois niveaux relationnels est plus ou moins prédominante selon les
circonstances ou les époques de la vie des personnes concernées. Elles se calquent assez bien
sur la nature des relations parentales du début de la vie, puis de l’enfance, de l’adolescence et
de l’âge adulte. Qualités et perversions de ces relations rendent assez bien compte de ce qui se
passe dans la vie sociale, médico-sociale ou médicale de chacun d’entre nous. La relation
peut être génératrice de satisfaction, de bonheur partagé, de paix, d’équilibre. Elle peut aussi
être porteuse ou cause de souffrances pouvant aller jusqu’à contribuer à altérer la santé de
l’autre.
L’éthique médicale rejoint bien le troisième niveau relationnel ainsi identifié.
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Frédéric Worms, Le moment du soin, A quoi tenons nous ? Ethique et philosophie Morale PUF Paris Mai 2010
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I) La relation technique : le « cure » par opposition au « care » anglosaxon
Par essence, le premier niveau de relation parentale est d’ordre technique : à la naissance, la
mère, les parents ou leurs substituts « soignants » (sages femmes, puéricultrices, nounous,…),
doivent « prendre soin » du nouveau né, assurer sa propreté, sa protection contre la chaleur ou
le froid, son alimentation, son sommeil, son confort, C’est une relation indispensable à sa
survie physique. Elle n’est, toutefois, en rien suffisante pour permettre le développement
psychogénétique sain de la personnalité de ce nouveau né.
Dans la vie sociale, ce premier niveau de relation correspondrait à la situation d’un individu
fournissant à la demande de son employeur une prestation purement technique : vendre des
objets, ou un titre de transport, coiffer, confectionner un vêtement, …, sans prendre en
considération l’autre en tant que personne. Il s’agirait d’une bien mauvaise relation
commerciale. De son côté, l’employeur pourrait fort bien considérer son employé seulement
en tant qu’individu acteur subordonné et papour son travail : l’attitude irrespectueuse de
l’employeur pourrait fort bien être à l’origine de celle de son employé.
Ce niveau de relation purement technique n’est pas susceptible de créer du lien social ; elle est
négativement frustrante pour celui qui subi, pour ne pas perdre son emploi, ce type de relation
« impersonnelle ». L’autre, subalterne, employé, n’est vu que comme l’exécutant d’une tâche
lui incombant contractuellement et dont les sentiments ou l’existence en tant que personne
n’ont rien à faire dans la relation de travail. Le mal être ressenti par le subordonné, surtout
dans des entreprises en voie de restructuration, peut le conduire à une souffrance morale telle
qu’elle peut le mener jusqu’à la suicidance. On a pu le constater récemment dans de grandes
firmes la gestion des ressources humaines, par trop inhumaine et impersonnelle, avait
contribué à diluer le sentiment d’appartenance, de compétences reconnues, de raison d’être ; à
faire perdre son sens au travail.
Dans l’exercice soignant médical, non médical, paramédical ou psychologique, une relation
purement technique mais conforme au consensus de procédure, conforme à « l’Evidence
Based Medicine » (EBM) très à la mode aujourd’hui, relèverait du « cure » anglo-saxon.
Le praticien se satisfait d’examiner, de prescrire, d’intervenir, chirurgicalement au besoin,
certes, de façon parfaitement pertinente, en rapport avec l’état de l’art et peut ainsi permettre
de rétablir l’état de santé de celui qui lui a été référé.
Il s’agit d’une prestation diagnostique, thérapeutique voire chirurgicale fournie sans
concernement affectif, sans prise en compte de l’autre en tant que personne en état de détresse
morale. C’est une attitude correspondant à « l’obligation de moyens » prescrite par la Loi. Ce
qui ne peut manquer de provoquer une frustration négative de celui, ou celle, soigné de la
sorte. Cette attitude ignore la demande implicite, voire explicite, par le patient d’un autre type
de relation plus personnelle et moins réfrigérante.
II) La relation fusionnelle et sa conséquence infantilisante
A l’opposé, et c’est le deuxième niveau de relation parentale, du fait d’un amour maternel
naturel, la mère et le nouveau né tissent une relation assez exclusive, s’associant à, et
complétant, la relation technique.
La mère et son bébé, dès les premiers jours de sa vie, développent une riche relation
sensorielle conduisant à de la satisfaction partagée. Particulièrement lors de l’allaitement au
sein ou de la tétée du biberon, lorsque la complétude de la relation fusionnelle avec sa mère
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fait atteindre chez le nouveau le total apaisement de ce qui lui faisait tourment et
provoquait ses pleurs. L’enfant « sait » qu’il en a assez pris (qu’il en a « fait assez », qu’il est
satisfait) du fait du plaisir partagé avec sa mère, radieuse de le voir apaisé par la bonne
nourriture et par les soins qu’elle lui prodigue et satisfaite de son pouvoir bienfaisant.
L’effet de la satisfaction partagée est amplifié par le fait que le nouveau reconnaît la mère
qui l’a porté chez cette personne qui prend aussi bien soin de lui. Il reconnaît cette mère par sa
prosodie, par le bruit familier de ses battements cardiaques, que, encore fœtus, il a perçu par
son ouïe déjà développée durant la fin de la vie intra utérine. La prosodie maternelle et les
bruits du cœur le ramènent à la vie foetale quand il repose sur la poitrine de sa mère.
C’est, par ailleurs, cette reconnaissance maternelle auditive qui permet le développement
approprié des autres sens, que sont l’odorat, le tact, la vue. C’est grâce à cette relation
fusionnelle particulière que le nouveau né va pouvoir développer sa sensorialité visuelle (le
visage et, surtout, le regard de sa mère chaleureuse sortent du flou initial), tactile (le doux
contact de cette peau associée au bien être), olfactive (parce que seule sa mère a cette odeur
là) gustative (le lait reçu comme l’intériorisation de la partie d’un bon « objet partiel »
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).
Tous ces sens étaient restés en latence, puisque sans stimulation, durant les derniers temps de
la vie intra-utérine. Ils vont devoir et pouvoir se développer progressivement et
harmonieusement dès la naissance au travers de la relation fusionnelle positive et
indispensable avec la mère.
Dans une unité de néonatologie cette relation fusionnelle est substituée par des puéricultrices
plus indispensables à sa survie grâce aux soins spécialisés que ne peut lui prodiguer sa mère.
Pourtant la constance de la présence de la mère, offrant cette relation quasiment amoureuse,
est essentielle à la santé mentale du nourrisson, à son développement psychogénétique
harmonieux. C’est la raison pour laquelle dans les centres de puériculture et de néonatologie
on demande habituellement à la mère, chaque fois que c’est possible, plusieurs fois par jour,
de prendre le nouveau sur sa poitrine et de lui parler. Soins techniques et relation
fusionnelle sont ici complémentaires et indiscociables.
Le nouveau né, puis le nourrisson, est ici bien pris en compte en tant que personne, en tant
que sujet (et non objet) de l’affection maternelle. La complétude de cette relation induit une
confiance du nouveau né d’abord limitée à la mère puis qui s’étend progressivement à
l’entourage et aux personnes substituant la mère lors de ses brèves absences.
En l’absence de la mère et de cette relation particulière, même si le personnel soignant est
parfaitement attentif et concerné, on reste dans le « cure ». L’absence de la mère provoque
une perception d’abandon qui peut entraîner des troubles psychopathologiques
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.
En la présence de la mère et du fait de cette relation privilégiée la prestation soignante est à la
fois technique et fusionnelle : il est pris soin du nouveau : on entre dans le « care ». Le
nouveau est totalement dépendant ; il ne peut survivre et se développer sans ces deux
niveaux de relation.
Plus tard il pourrait se trouver confiné dans cette dépendance si la re ne parvenait pas à se
détacher de la relation fusionnelle qui lui est, par essence, gratifiante.
L’amour parental « fusionnel » peut être très rapidement partagé entre les parents, le père
pouvant substituer pour partie la maman s’il a été perçu par le nouveau né comme fortement
lié à sa mère, en particulier par le souvenir de sa propre prosodie familière (déjà perçue durant
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Mélanie Klein in psychanalyse de l’enfant
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Myriam David « l’enfant de 0 à 2 ans : vie affective, problèmes familiaux » Privat 1956
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la vie intra utérine) et par l’expression de sa bienveillance bienfaisante lors de toilettes ou de
propositions de biberon en substitut voire en présence de sa mère.
La mère peut encore, temporairement introduire d’autres mères de substitution. Elles n’auront
toutefois pas le même effet que la mère naturelle et ne pourront fournir le même degré de
satisfaction.
Si l’absence de la re n’est pas trop longue cet abandon n’est en général pas source de
troubles majeurs.
Cette deuxième relation est consubstantielle de la psychogenèse harmonieuse du nouveau
et du nourrisson. Elle complète naturellement la relation technique du premier niveau à
laquelle elle s’ajoute mais qu’elle ne saurait simplement, sans de graves conséquences,
substituer !.
Ce deuxième niveau, fusionnel, de relation parentale joue un rôle fondamental dans
l’apparition de la confiance et de la sérénité. Confiance et sérénité vont se poursuivre aussi
longtemps que le nourrisson, devenant enfant, ne peut conquérir une forme d’autonomie
d’abord physique (motrice) puis plus tard, mentale. Plus tard dans le premier âge, la relation
fusionnelle ne peut être ni constante ni totalement satisfaisante ou suffisante au fur et à
mesure que la personnalité du nourrisson se développe et qu’il aspire à se mouvoir par lui
même, à faire les choses par lui même. Il a besoin que sa mère, ses parents lui permettent de
se détacher progressivement de sa dépendance totale.
L’absence de la mère juste après la naissance (quelle qu’en soit le motif), la rupture ou la
suspension de cette relation fusionnelle, sont de nature à provoquer une souffrance mentale
sévère du nourrisson en rapport avec la sensation d’abandon provoquée par la disparition des
bruits familiers (prosodie maternelle, bruits du cœur, odeur). Cette souffrance, éventuellement
majorée par l’absence de construction de la relation de confiance qui lui est attachée, peut être
génératrice de troubles mentaux plus ou moins sévères et pathologiques immédiats ou
retardés
4
.
A un moindre degré, le désir du nourrisson mal compris par sa mère ou son père, toujours
dans le cadre de cette relation si particulière, peut entraîner des frustrations inappropriées
(négatives) altérant sa confiance et sa sérénité. Des manifestations de mécontentement du
nourrisson peuvent apparaître et perturber la relation et le lien parental. A l’inverse les
manifestations d’insatisfaction de leurs enfants peuvent indisposer les parents et les rendre
distants voire agacés. Le lien parental peut devenir double (« double bind » anglo saxon) :
amoureux et rejetant, sans que le jeune enfant puisse identifier ce qui provoque l’un ou
l’autre. Une telle situation peut devenir durablement perturbante et conduire, aussi, à de la
psychopathologie.
Le désir « inassouvi » du tout petit, par opposition à l’amour fusionnel qui procurait la
« satisfaction », peut engendrer des relations agressives se traduisant par des pleurs et de
l’agitation chez ce nourrisson. Ces pleurs, cette agitation induisent de l’exaspération voire de
l’indisponibilité chez la mère et/ou le père conduisant à de véritables relations
sadomasochistes : inadéquations des besoins ou moments de sommeil de l’enfant et des
parents, refus ou demande d’alimentation décalées dans le temps, troubles digestifs divers,
4
Myriam David (ibidem)
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…., insatisfactions et souffrances de l’enfant conduisant à de véritables souffrances parentales
qui pourraient les inciter, parfois même les conduire, à la maltraitance
5
.
Lorsque la relation fusionnelle de confiance est « satisfaisante », c’est un type de relation
interpersonnelle relevant du « prendre soin » affectif ; c’est une partie, mais une partie
seulement, du « care » anglo-saxon. Elle comporte une relation affective assez exclusive,
mais dans le même temps, et c’est à terme un ritable inconvénient, porteuse ou génératrice
de dépendance, compromettant ainsi parfois le nécessaire développement harmonieux de
l’autonomie qui caractérise la nature même de la personne.
De telles relations interpersonnelles reproduisant une prise en compte apparemment affective
et possessive de l’autre, peuvent être observées dans l’entreprise, prenant la forme d’un
paternalisme débonnaire, peu valorisant, de la part de l’encadrement l’autre, le subalterne,
n’est pas pris en compte en tant que personne à proprement parler. La relation affective
apparente « impersonnelle » ne laisse pas de place à l’autonomie de l’emplo et dénie son
caractère « respectable » et autonome. Le cadre est « gentil » pour obtenir un meilleur
rendement… L’employé est gentil pour obtenir la paix… La relation est proche de celle des
insatisfactions partagées parents/enfants décrites ci-dessus. La confiance ne règne pas dans ce
type de relations !. L’autre n’est pas réellement pris en compte.
Dans la relation soignant soigné, la relation fusionnelle s’exprime dans la façon, pour le
soignant, d’être concerné ou d’exprimer sa compassion mais pas cessairement son respect
de l’autre en situation de dépendance ; pour le soigné elle s’exprime par le fait de dire qu’il
« fait confiance » pour se décharger de sa responsabilité. Le patient délègue sa responsabilité,
il s’en remet passivement à, mais sans le dire n’accorde pas véritablement sa pleine
confiance. Une telle relation favorise les inadéquations affectives temporelles et la possible
maltraitance latente ou manifeste (et parfois réciproque) par l’expression, explicite ou non,
d’un processus d’insatisfaction partagée. Il est possible particulièrement dans les
établissements accueillant des personnes âgées dépendantes de voir se développer des
processus de maltraitances réciproques impliquant souvent la parentèle de la personne âgée.
L’absence complète, ou perçue comme telle, de cette relation fusionnelle entre le cadre et
l’employé, entre le soignant et le soigné est de nature à provoquer des frustrations pouvant
aller jusqu’à de véritables souffrances, pour celui en situation de dépendance sociale ou
médicale, assez comparables à ce qui se produit entre le nourrisson et ses parents, avec de
semblables conséquences.
Chez des personnes handicapées permanentes, comme les malades mentaux, ou encore
comme les personnes âgées à déficiences cognitives, voire seulement motrices, un tel déficit
relationnel peut les faire entrer en « crise » ou, encore, les mener à des états dépressifs. Ces
états dépressifs réactionnels aux frustrations ressenties sont parfois difficiles à reconnaître
mais néanmoins sévères. De telles dépressions demandent une approche thérapeutique
spécifique, relevant d’une psychiatrie adaptée à la personne âgée
6
, prenant en compte
prioritairement la personne en tant que telle dans le but de renverser le processus causal.
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Serge Leibovici disait : il est normal de trouver son enfant insupportable lorsqu’il vous réveille plusieurs fois la
nuit ; on peut avoir envie de le jeter par la fenêtre et c’est encore normal ; ce qui est anormal c’est de le faire !
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P. Giannakopoulos, F. Quartier « Un avenir pour la vieillesse ». Thématiques en santé mentale. Doin 2007
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