Les précieuses ridicules Molière, 1659
Oral EAF
Texte 1 : scènes 1 et 2, l’exposition
Eléments pour l’intro :
Molière, XVII°s, homme de théâtre complet : dramaturge, comédien, metteur en scène, directeur de troupe. Il est l’auteur
de comédies diverses, allant de la farce à la comédie de mœurs en passant par la comédie ballet ; de la comédie classique en
cinq actes et en vers à la comédie en un acte et en prose.
Castigat ridendo mores, cette devise latine met en perspective la visée des comédies de Molière. Mais c’est surtout son
génie comique qui met en scène le spectacle de la représentation de soi à travers ses personnages.
Les Précieuses ridicules, premier grand succès, joue sur toutes les modalités du registre comique. L’exposition, scènes 1 et
2, installe le spectateur au cœur d’un dispositif de théâtre dans le théâtre pour mettre en scène le jeu des conventions
sociales, des masques et du quiproquo : du mépris à la méprise…
(Reprise de la question et annonce du plan de l’exposé.)
Questions possibles :
- quelle est la dimension comique de cette exposition ?
- comment ces deux scènes remplissent-elles leur fonction d’exposition ?
- comment la mise en scène de la représentation de soi est-elle mise en œuvre dans cette exposition ?
- en quoi ces deux scènes éclairent-elles le titre de la pièce ?
Proposition d’éléments de lecture analytique :
Une exposition
Présentation des personnages, du lieu, de l’action, des thèmes et registres : installe le spectateur dans la pièce.
Personnages :
La didascalie initiale (liste des personnages) montre les appartenances sociales, des valets aux aristocrates (particule à La
Grange et Du Croisy) en passant par le « bon bourgeois ».
Jeu sur le sens des noms donnés à certains personnages :
- Gorgibus est nouveau au théâtre, la terminaison en « bus » rappelle des noms de farces du Moyen- âge et il existait
un particulier qui portait ce nom au XVII°s.
- Almanzor évoque les héros hispano-mauresques que l’on retrouve dans des pièces du XVII°s et dans des romans
précieux à la mode.
- Mascarille enfin vient de l’italien et désigne le masque porté par les femmes (loup), le suffixe « ille » (illo ou illa en
espagnol), fréquemment usité pour les noms hispaniques, évoque le personnage du gracioso.
- Jodelet est le nom d’acteur d’un célèbre comédien du XVII°s spécialisé dans les rôles comiques de farce, il a
interprété le personnage portant son nom dans la pièce.
- Marotte désigne une petite poupée montée sur un bâton, et au sens figuré une manie. On verra dans la scène 6
comment cette servante traite la marotte du beau langage des précieuses et refuse d’être leur poupée…
Lieu et action :
La scène se situe chez Gorgibus : les deux prétendants éconduits viennent de terminer leur visite aux précieuses et vont
croiser en partant (« sortons d’ici auparavant », fin sc1) le maître de cette maison bourgeoise, Gorgibus (sc2)
Du Croisy et La Grange sont mis en scène dans un dialogue privé qui révèle leur personnalité et nous résume l’action qui vient
de se dérouler avant le lever du rideau : effet comique de ce récit, effet d’attente de l’arrivée de ces précieuses d’emblée
ridiculisées par ce récit.
Deuxième temps de cette exposition : le projet de vengeance clairement exprimé par La Grange : « je veux me venger de
cette impertinence »
La scène 2 vient compléter l’exposition de cette situation conflictuelle. L’expression « les affaires » situe la question du
mariage arrangé (la liberté de la femme était l’une des questions portés par le mouvement précieux). Le rythme est lancé par
un effet d’attente : le spectateur attend le résultat de l’enquête de Gorgibus « il faut savoir un peu ce que c’est ».
Registre et thèmes :
Registre comique dominant dans les deux scènes. Les thèmes de la pièce sont déjà là : le mariage, le conflit, l’image de soi, le
théâtre dans le théâtre, le sens du titre.
Efficacité de cette exposition qui prépare la scène 4 avec l’entrée en scène des précieuses.
Effet comique du jeu des questions rhétoriques dans la première partie de la scène, où les deux personnages semblent
tellement interloqués qu’ils n’osent pas exprimer leur sentiment. Ambigüité : amusement distancié et/ou colère et
humiliation.
Comique de la description des précieuses par leurs prétendants rebutés : effet de caricature.
Le spectacle de la représentation de soi : du mépris à la méprise
La pièce s’ouvre sur une situation de conflit qui joue sur l’image de soi et de son monde : rivalité de personnes (LG-DB / C-M),
d’ordre social (aristocratie-bourgeoisie/ valets-maîtres), de sexes (hommes/femmes), de culture (classicisme/préciosité ;
Paris/province)
Se dessine un projet cruel d’humiliation des jeunes femmes, mais aussi des valets, vers une mascarade baroque et farcesque
qui par le théâtre dans le théâtre montre une vision du moi fatalement théâtralisée.
Ces deux scènes proposent une multiplication des masques : les prétendants sont sincères dans leur dialogue privé, ce qui
dévoile le caractère orgueilleux et l’absence d’humour de La Grange : « j’en suis tout scandalisé », « deux hommes traités
avec plus de mépris que nous », « sans doute je l’y prends ». La noblesse de La Grange est une aristocratie de pouvoir et de
supériorité. Son ton hypocrite et hyperbolique ment courtois avec Gorgibus dans la scène 2 (« nous vous rendons grâce de la
faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très humbles serviteurs. ») montre qu’il sait jouer le rôle du seigneur
honnête homme.
En écho, Gorgibus maîtrise aussi le code de la politesse : c’est en aparté qu’il retrouve une interjection familière (« ouais ! »)
et ne se montre pas dupe des formules de La Grange : « il semble qu’ils sortent mal satisfaits d’ici », le vb « sembler »
soulignant le jeu du paraître.
L’attitude de La Grange dans la scène 1 dévoile la personnalité sous le vernis social : il méprise ce qui sort de son rang.
Le personnage de Du Croisy est plus nuancé : silencieux dans la scène 2, il suit le projet de vengeance en spectateur curieux
(effet de mise en abyme) qui pose des questions sur la suite de l’action ! Il est aussi celui qui fait preuve d’humour et de
distance, donc plus proche du gentilhomme que son ami. « Regardez-moi un peu sans rire », « il me semble que vous prenez la
chose fort à cœur. »
On peut imaginer (travail du metteur en scène et des comédiens) plusieurs couleurs différentes à donner aux répliques du
début de la scène : colère, ironie, amusement, ton excédé.
Le comique repose davantage dans la présentation péjorative qui est faite des précieuses et des valets, à travers une
critique du narcissisme personnel et social. Le jeu théâtral est ici porté par le mime parodique. L’importance de la mise en
scène des absentes permet une variation sur le motif du portrait : mise en relief de la représentation du moi.
Expressions péjoratives : « deux pecques provinciales », « faire les renchéries », « donzelles ridicules », « un ambigu de
précieuse et de coquette », « leur sottise »
Comique de l’attitude des précieuses racontée par leur « victime » : jeu sur la reprise anaphorique de l’adverbe d’intensité
« tant » qui rythme l’accumulation de leur jeu de mépris je n’ai jamais vu tant parler à l’oreille (…) pu leur dire »). Les
précieuses ont joué à ignorer les règles élémentaires de la conversation, ce qui est d’autant plus drôle qu’il s’agit d’un des
plaisirs favoris des salons précieux ! Elles sont en représentation et ont parfaitement joué leur rôle de précieuses…sans
avoir conscience de leur ridicule. Double effet comique pour le spectateur.
Comique satirique qui vise la mode précieuse au-delà des personnes de Cathos et Magdelon, comme le montre la phrase « L’air
précieux n’a pas seulement infecté Paris (…) leur bonne part. », avec jeu sur la polysémie du mot « air » : qu’on respire
(métaphore filée), qu’on se donne, qui est à la mode. Cette satire vise aussi l’ensemble de la société qui accepte ces jeux de
dupes avec cette phrase qui sonne comme une sentence de moraliste « il n’y a rien à meilleur marché que le bel esprit
maintenant. » (cf valeurs de l’honnête homme dans le classicisme, être versus paraître). On voit aussi la violence de ces jeux
sociaux à travers le mépris de Mascarille pour les autres valets (« jusqu’à les appeler brutaux »), sorte d’emboîtement à
l’infini du mépris et du sentiment de supériorité dans la représentation de soi.
Le procédé de mise en abyme (théâtre dans le théâtre) annonce la suite de la pièce : « nous leur jouerons tous deux une
pièce qui leur fera voir leur sottise ». Le verbe jouer est à prendre au sens figuré et au sens propre, car La Grange va se
faire le metteur en scène de cette « pièce » en choisissant dès cette scène d’exposition le personnage principal, présenté
comme un comédien du jeu social : « vouloir faire l’homme de condition ». D’où l’efficacité de l’enchaînement avec la scène 2
qui nous propose une mascarade de politesse tout en enchaînant sur l’action avec l’apostrophe « Holà » de Gorgibus à
l’approche de Marotte. (scène3)
Eléments de conclusion :
Exposition rapide et efficace car farce en un acte. Dynamique de l’enchaînement de ces deux premières scènes par des
questions. Une entrée en matière qui installe le comique.
Tous les protagonistes sont présentés comme des acteurs, des êtres qui se donnent en spectacle, des masques !
Un effet d’écho est évident avec la réplique de Magdelon, scène 16 « c’est une pièce sanglante qu’ils nous ont faite ». Jeu de
mise en abyme tout au long de la pièce où chacun est en représentation plus ou moins consciente. En définitive, cette « pièce
sanglante » désigne aussi la pièce de Molière à laquelle assiste le spectateur. Au metteur en scène de montrer la dimension
« sanglante » de cette farce.
NB : attention à la lecture, qui doit éclairer le sens de la scène !
Relire la préface de Molière, qui insiste sur l’importance de la représentation théâtrale.
Texte 2 : étude du dénouement : scènes 15, 16 ,17
Eléments pour l’introduction :
-reprise de l’intro du texte 1
- situation du passage : la scène 12 a montré le spectacle de l’esprit de cour sur le mode de la parodie ; la scène 13 est celle
du coup de théâtre où les masques tombent, avec le jeu farcesque des coups de bâton ; la scène 14 crée un effet de
suspense pour révéler la lâcheté du personnage avant l’explication finale.
Les scènes 15-16-17 mettent en scène le crescendo du spectacle de la fin de partie.
Questions possibles :
- Comment ces scènes remplissent-elles leur fonction de dénouement ?
- Ce dénouement est-il comique ?
- Ce dénouement est-il cruel ?
- En quoi ce dénouement est-il celui d’une « pièce sanglante » ?
- Comment interprétez-vous ce dénouement ?
Proposition d’éléments de lecture analytique :
1. un spectacle de fin de partie
- La Grange, metteur en scène de cette « pièce sanglante », dévoile le jeu des masques aux précieuses. Echo de la
scène 1 avec le projet de vengeance « je veux me venger de cette impertinence ». Du Croisy complice du procédé
tient également son rôle et assiste la Grange dans la révélation de la vérité aux précieuses. Théâtralisation de
cette révélation : présence des spadassins, entrée brutale (« venir nous troubler de la sorte »), dévoilement abrupt
des identités, effet de choc : « nous endurerons que nos laquais »/ « vos laquais, » / « oui, nos laquais » = jeu
comique des stichomythies.
- La surprise et le trouble des précieuses s’exprime par le jeu des comédiennes car économie de répliques : Magdelon
« O Ciel ! quelle insolence ! » et Cathos « Ah ! quelle confusion ! », ces deux exclamations symétriques mettent en
valeur la stupéfaction des deux jeunes femmes.
- Constante mise en jeu de la binarité, jeu de miroirs
- Variante de parodie tragique de la scène 11 : un déshabillage ! jeu sur les accessoires et les figurants, champ lexical
de la déchéance (la nudité), chant-contre chant comique du lyrisme des filles et de celui des valets
- Le crescendo du moteur du spectacle est l’humiliation : dramatisation physique et psychologique de la mise à nu ;
redondance de l’explicitation réitérée de la comédie « sanglante » par Gorgibus et Magdelon (sc 16)
2. le spectacle d’une « éducation » morale : la correction
- la thématisation de la vengeance : récit en boucle ! « Il faut que je boive l’affront » Gorgibus, « je jure que nous en
serons vengées » Magdelon (scène 16)
- dans le parallèle de Mascarille et Gorgibus scènes 16-17, critique de l’apparence qui s’oppose à la vertu (thème
classique être /paraître)
- les coups : la monnaie pour les serviteurs (effets comiques du parallélisme « demandez à M. le Vicomte/M ; le
Marquis » sc 15 puis Gorgibus « voici la monnaie dont je veux vous payer »sc 16), la menace pour les filles (reprise
de la menace du couvent)
- les insultes du père, écho des dénominations péjoratives de la scène 1, mais ici directement assénées : « coquines »,
« infâmes », « pendardes », « vilaines ». Contraste avec la distance ironique « mesdames » des prétendants.
- Présence de tous les personnages dans les cènes 15 et 16, puis resserrement scène 17 jusqu’au trio familial.
- Ultime effet de théâtre dans le théâtre avec la dernière réplique de Gorgibus « nous allons servir de fable et de
risée à tout le monde ». Jeu d’hyperboles et de dramatisation, à la fois comique et tragique : « allez vous cacher
pour jamais »
- Critique directe de la préciosité dans ses dérives ridicules, « cause de (la) folie » de Cathos et Magdelon : jeu
d’énumération et d’adjectifs péjoratifs moralisateurs « sottes », « pernicieux », « oisifs », accumulation comique
de termes littéraires avec l’effet de chute « sonnets et sonnettes »
Eléments de conclusion :
Le dénouement focalise sur la question du malheur et du narcissisme.
Il explicite la fonction cathartique du théâtre.
Il oscille entre la farce et la tragédie à travers la violence : physique, sexuelle, morale, culturelle, sociale. Les fondements
d’une identité, mais ici processus raté.
Intérêt du jeu sur les genres : la comédie est conjuguée à la farce, la tragédie, voire l’opéra, vers un spectacle total ! c’est le
rôle de Molière dans sa fonction de grand ordonnateur des divertissements royaux.
Ouvertures possibles : la question du mariage au théâtre, écho avec les Femmes savantes (1672) ; le spectacle de la
représentation de soi à travers les lectures cursives
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