LA VIE RELIGIEUSE EN AMÉRIQUE LATINE:
opportunités et défis dans la culture médiatique
Joana T. Puntel, fsp *
INTRODUCTION
Je voudrais tout d'abord vous remercier d’avoir inséré le thème de la
«communication» dans cette Assemblée sur la vie religieuse en Amérique latine
et aux Caraïbes. Je vous remercie également de m’avoir donné l’opportunité de
contribuer à cette réflexion sur la réalité nouvelle et pleine de défis à laquelle
est confrontée la vie religieuse en ces temps de changements continus,
puisque la vie religieuse n'est pas une réalité isolée et marginale, mais elle
intéresse toute l'Église.
1
En supposant que la suite de Jésus et sa mission inculturée sont les éléments
fondateurs de la vie religieuse, je présenterai d'abord brièvement deux
REGARDS importants sur lesquels la vie religieuse est appelée à fixer son
attention, aujourd'hui, dans le monde de la communication: le regard de Jésus
(l'attitude de Jésus) et le regard sur notre culture actuelle (notre flexion sur
une culture médiatique).
Dans un deuxième temps, je me pencherai sur la mission de la vie
religieuse dans un contexte spécifique : l’Amérique latine et le milieu médiatique
(on peut y percevoir trois catégories de religieux). Et, enfin, je présenterai les
défis de la culture numérique et des pistes pour « être », « témoigner » et
« réaliser la mission » dans celle-ci.
1. DEUX GRANDS REGARDS
1.1 Le regard de Jésus, le grand communicateur
1
Vita Consecrata, n. 3.
2
Du point de vue de la communication, suivre sus, c’est tourner le
regard vers ses attitudes communicatives.
Il ne s’agit pas d’un répertoire composé des relations simples entre Dieu
et l'humanité à travers des mots et des gestes. Il y a quelque chose de bien
plus profond: Il a assumé la nature humaine en devenant Parole vivante et
efficace. Il personnalise la relation, car ce n’est pas quelqu'un qui dit des mots
sublimes sur Dieu, ni celui qui porte simplement le message de Dieu, Il est lui-
même, dans la plénitude de son être, la Parole éternelle de Dieu qui s’est fait
l'un d'entre nous. Il est le message incarné. Il ne révèle pas, ne communique
pas seulement Dieu, Il est lui-même communication
2
. En effet, lorsqu’on
considère le processus de communication, on se rend compte que sus en
résume tous les éléments, parce qu'Il est à la fois l'émetteur, le code, le
contenu, le moyen, le message, le récepteur. Bien que ce processus évoque
l’unilinéarité (Lasswell), la communication de Jésus était interpersonnelle,
informative mais aussi provocatrice. En termes de communication, ce qui est
important ici, c’est la question du dialogue.
Tout le flux de communication de Jésus consistait à ‘révéler’, à ÊTRE, et
surtout c’était celui d’un Jésus qui n’est pas seulement un point de rencontre
entre le divin et l'humain, mais qui est le Dieu avec nous, qui rend possible une
communication authentique, inscrite dans un contexte, et qui vient à la
rencontre de la réalité humaine, aujourd'hui comme Il l'a fait en son temps,
s’exprimant avec le langage de l’«habitat» pour que son interlocuteur puisse le
comprendre.
N’oublions pas que l'annonce du message de Jésus, tout en utilisant des
images qui parlaient de valeurs et des paraboles qui touchaient des questions
essentielles pour les chrétiens de tous les temps, était une annonce cohérente
avec le témoignage et la pratique de celui qui l’annonçait.
2
Vera Maria Bombonatto/Fernando Altemeyer Junior: “Trindade, mistério de comunhão e comunicação”,
in Teologia e Comunicação. São Paulo: Paulinas, 2011, pages 113-127.
3
L'emploi savant des langages
3
Jésus de Nazareth est l’homme de la parole et du silence, de la
méditation jour et nuit (cf. Ps 1, 2). Les nuits passées dans la prière sont le
signe, selon le témoignage évangélique, d'une relation unique avec la source
d’amour, le re. Dans sa prédication, Jésus agit, annonce, dialogue, discute,
se tait. Il fait attention aux divers contextes, niveaux et outils de communication.
Quand Il agit et parle, Jésus exprime une profonde cohérence: la parole enlève
toute ambiguïté au geste, surtout celle du prodige, en l'interprétant comme un
signe du Royaume. Jésus communique lui-même au moyen de langages et de
genres différents: il parle à la foule en paraboles mais, en homme plein de
sagesse, devant les docteurs de la loi, il débat et discute selon les règles
argumentatives de l’époque.
C’est surtout dans l’Instruction pastorale Communio et progressio que
nous trouvons la vraie description de JÉSUS COMMUNICATEUR, vers qui
notre regard se tourne, en le suivant. C’est précisément au n. 11 que nous
trouvons ces attitudes authentiques de communication:
Durant son séjour sur cette terre, le Christ s'est révélé lui-même le parfait
"Communicateur". Devenu, par l'Incarnation, semblable à ceux qui devaient
recevoir son message, il a proclamé celui-ci avec puissance et sans
compromission, par ses paroles et par toute sa conduite, vivant au milieu de
son peuple, adoptant la façon de s'exprimer et de penser conforme à
son pays et à sa condition
4
. D'ailleurs communiquer, c'est plus
qu'exprimer des idées ou des sentiments, c'est faire le don de soi par
amour, selon la réalité profonde de son être: la communication du Christ
était "esprit et vie". CP. 11
Les gestes et les mots pour annoncer à tous le salut
Le récit et le discours argumentatif ou législatif étaient des modes d’exprimer la
volonté de Dieu, et Jésus les fait siens. Tantôt il s'adresse à la grande foule et
aux disciples, privilégiant le mode narratif, en particulier les paraboles ; tantôt il
recourt à la controverse et à la polémique, avec des interlocuteurs comme les
Pharisiens, les Sadducéens ou les docteurs de la loi. La communication de
Jésus est profondément dynamique et fait preuve d’une extrême nouveauté,
3
Estudos da CNBB (n. 101) A Comunicação na vida e missão da Igreja no Brasil (CNBB/Paulus), 2010,
p.29.
4
C’est moi qui souligne
4
même dans les rencontres avec les pauvres, les pécheurs et les femmes, des
catégories qui étaient toutes en marge de la société. En rompant les schémas
consolidés du récit en paraboles, ou la dispute rabbinique, sa communication
vise directement la vie de l’interlocuteur, dont la supplique est parvenue à
l'oreille de Dieu, ce Dieu qui, dans les temps anciens, avait accueilli les cris de
deuil de son peuple (cf. Ex 2, 23-25).
1. 2. Le regard sur la culture actuelle
Il est désormais courant de constater que les technologies numériques
jouent un rôle central dans les changements profonds que nous vivons dans
toutes les sphères de la vie sociale. En fait, comme l’affirme le document
d'Aparecida, la communication est l'élément qui met en lien tous les
changements sociaux (484).
Toutefois, ce simple constat tient surtout à un «marché» des nouvelles
technologies, qui est en effervescence et qui suscite la fascination pour la
machine, et, par conséquent, aux facilités que la «nouveauté» présente. Or, ce
qui s’avère nécessaire, c’est une réflexion plus approfondie sur la grande
révolution que nous vivons, sur ce scénario caractérisé par l'accélération
technologique, et sur comment un être humain évolue sur la scène de la société
contemporaine.
Toutes les technologies dont nous disposons, en particulier celles de la
communication numérique, révèlent nos propres intentions : le but, la raison
pour laquelle nous les utilisons. Elles finissent, d’ailleurs, par réinventer
constamment leurs caractéristiques, comme la communication par ordinateur.
C’est pour cela que, quand on parle de numérique, par exemple, il ne suffit pas
de parler des réseaux sociaux sur Internet du point de vue strictement
technologique, en oubliant les personnes qui interagissent les unes avec les
autres. Il s'agit d'un phénomène de sociabilité médiatisée qui se place entre les
aspects humains et technologiques « de telle sorte que nous pouvons les
discerner et les comprendre seulement si nous sommes capables de
5
reconnaître et prendre en compte l’ensemble des facteurs multiples et
complexes qui sont en jeu ».
5
Comprendre la complexité
Aujourd'hui, la communication est le «thème central» pour un grand
nombre de courants intellectuels qui en font un objet de réflexion, et leurs
approches profondes forment un ensemble consistant de points de vue
opposés sur la matière, même s’il faut admettre «que le domaine d'étude de la
communication sociale est [se présente] sarticulé, conflictuel et vit dans une
crise théorique permanente ».
Actuellement, le concept de communication est «détérioré» par
l’affirmation que «tout est communication». En effet, le risque est que «lorsque
tout est communication, rien ne l’est». Cette extension conceptuelle exige que
le chercheur ou quiconque traite le thème définisse sa perspective: d’où et sous
quel angle parle-t-on de communication? En effet, les points de vue peuvent
varier : d'un processus plus culturaliste jusqu’à un déterminisme technologique,
on peut mettre l'accent soit sur le producteur de la communication, soit sur le
moyen technologique, soit sur le récepteur du message, sans percevoir les
nouveaux processus qui se profilent dans la «construction» de nouveaux
savoirs de la connaissance. Et, en analysant la pensée qui se réfère à une
terminologie plus latino-américaine
6
, l'analyse privilégie tantôt l'émetteur, tantôt
le récepteur, tantôt la médiation. Les analyses sont toutes correctes, mais elles
n’offrent pas une vision claire de la complexité du processus médiatique.
Si l'approche de l’ère technologique et de l’information se fait à travers
l'industrie, la gestion et la communication organisationnelle, ses
préoccupations, ses problématiques et ses intérêts sont différents par rapport à
ceux d’une perspective orientée vers l’étude des médias et commençant par
une analyse socioculturelle. Chaque approche examine des phénomènes ou
5
Suely FRAGOSO. Apresentação do livro Redes Sociais na Internet, de Raquel Recuero. Porto Alegre: ,
Editora Sulina, 2011, p. 13.
6
En accord avec Jesús Martin Barbero (Dos meios às mediações) et Guillermo Orozco Gómez (ses
diverses études sur la relation entre communication et éducation).
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