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Aurélie GUSTAVE
Master 2 philosophie politique et éthique
M. Serge Audier
TD classique
Fiche de lecture
Jean Jacques ROUSSEAU, Profession de foi du vicaire savoyard
GF-Flammarion
Université Paris IV Sorbonne
2007-2008
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La Profession de foi du vicaire savoyard, insérée au cœur du livre IV d’Emile ou De
l’éducation sert à l’éducation morale et religieuse du jeune Emile, parvenu à « l’âge de raison
et des passions ». Elle constitue également une œuvre à part entière que Rousseau a souhaité
publier indépendamment. La profession de foi a reçu de nombreuses critiques tant de la part
des religieux que des philosophes et a valu a Rousseau quelques années d’exil. C’est dans
cette œuvre qu’il développe sa pensée sur la religion, à l’occasion de la profession de foi que
fait le vicaire savoyard au narrateur. Il y remet non seulement en cause les religions révélées
mais aussi la recherche à tout prix de la rationalité par les philosophes de son époque. On aura
donc beaucoup reproché à Rousseau de rompre à travers cette œuvre avec sa philosophie, au
profit d’une conversion pour la religion naturelle.
La Profession de foi prise comme une œuvre à part entière est pourtant bien une œuvre
de philosophie religieuse, pour Rousseau qui a été croyant « par sentiment » dans sa jeunesse.
Loin de critiquer toute religion, il y critique les religions révélées, au profit d’une religion
naturelle qui naît tant du cœur que de la raison. Si Rousseau pouvait donc en apparence
chercher à discuter, comme tous les penseurs des Lumières, l’opposition entre la religion et la
raison, il aborde avant tout un thème fondamental, celui de la morale, de ses visées pratiques
qui dirigent la conduite, en établissant par là même un lien entre religion et raison.
Si le vicaire fait ici sa profession de foi c’est qu’il tente de montrer le droit chemin au
narrateur en faisant une introspection sur lui même ; et c’est en cherchant à lui montrer la voie
dans laquelle conduire sa vie qu’ils en arrivent à traiter de Dieu. En effet pour Rousseau ce
qui importe de la religion c’est le chemin qu’elle nous indique pour réaliser des actions justes.
Autrement dit, il considère la religion comme une morale qui guide notre conduite. Il s’agit
donc ici avant tout de philosophie morale puisque comme le disait Rousseau : « le dogme
n’est rien, la morale est tout ».
En quoi cette réflexion sur la conduite de la vie amène t-elle Rousseau à parler de
religion naturelle et à récuser les religions révélées ? Comment cela construit-il une
philosophie morale de l’action, et que nous permet-elle de comprendre de la pensée
rousseauiste ou de sa philosophie comme système ? Quels sont alors les fondements de la
philosophie morale que construit ici Rousseau et quels sont ses liens avec la religion ?
La profession de foi du vicaire est l’occasion de remettre en cause ce qu’il a tenu pour
vrai afin de pouvoir avancer plus sûrement dans la vie et faire des choix justes ; c’est ce qui le
conduit à remettre en cause ses connaissances et à découvrir une foi naturelle. En agissant
ainsi, Rousseau dévoile sa philosophie morale, fondée sur le cœur et la conscience de chacun
montrant ainsi que chaque homme est capable d’agir moralement. La religion naturelle est
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alors pour lui la façon de faire le choix d’une vie morale tout en résolvant le problème du
dualisme puisque c’est l’attente du jugement de l’âme par Dieu qui incite à se bien conduire
durant sa vie.
Rousseau, avant la Profession de foi a déjà souvent cherché à comprendre d’où venait
le mal. Dans les fondements de l’inégalité il a voulu démontrer que l’homme était
naturellement bon et que c’est la vie en société qui le rendait mauvais. Dans la profession de
foi il cherche davantage à répondre à ces interrogations en s’intéressant à l’homme comme
individu qui est maître de ses actions et doit faire des choix. Il passe pour cela par une
réflexion sur la religion qui est l’aboutissement d’une remise en cause de toutes ses
connaissances qui ne sont pas assurées. Le vicaire qui se donne comme seule qualité le bon
sens ne veut plus admettre en bloc ce que lui dicte l’Eglise et parce qu’il doute d’une chose
finit par douter de tout.
C’est en suivant une méthode très proche de celle de Descartes, le doute méthodique,
qu’il en vient à s’interroger sur la religion dans le but de bien conduire son existence. Mais il
poursuit cependant un but différent : celui de bien conduire sa vie et non d’accéder au savoir.
L’intérêt de la personne du vicaire dans cette réflexion vient de ce qu’il est un homme tout
simplement, il ne prétend à aucune autre qualité : ni savant, ni saint, ni puissant, comme
l’explique Bruno Bernardi dans son introduction. Rousseau veut montrer par là que tout
homme peut prétendre à une connaissance sure par un questionnement de lui-même. En
cherchant à savoir ce qu’il peut connaître, il parvient à la connaissance de son existence, de
celle de l’univers ainsi que d’autres idées et il admet ce qu’il lui sera à jamais impossible de
déterminer certaines autres choses comme les causes premières ou l’immortalité. Comme il le
dit page 60, pour accéder à la vérité, « ma règle de me livrer au sentiment plus qu’à la raison
est confirmée par la raison même1 ». C’est par l’étude de ses sensations qu’il peut remonter
aux causes des mouvements et son premier article de foi vient de ce qu’il ne peut concevoir
d’action, un mouvement, sans une volonté première. C’est donc de ses sensations propres que
lui vient sa croyance en un Dieu qui donne le mouvement premier. Comme Kant il admet que
Son entendement lui dit qu’il finira par échouer à tout connaître et qu’il peut être trompé en écoutant les
philosophes ou les scientifiques ; c’est pour cette raison que son entendement conseille à Rousseau de s’appuyer
sur ses sentiments, seules sources de connaissance assurée.
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la raison connaît ses limites, que nous ne pouvons prétendre tout expliquer. Mais parce qu’audelà de cela il faut bien vivre, choisir, agir, il lui faut savoir sur quoi se baser pour agir
droitement, or les questions métaphysiques se révèlent inutiles à sa conduite2 et « supérieures
à sa raison3 ».
Pour Rousseau il ne s’agit pas là néanmoins de s’écarter de la raison mais bien d’agir
en corrélation avec elle. Si la raison ne nous permet plus de connaître, que seuls nos
sentiments peuvent nous guider, que nous permet d’espérer la raison ? Nous ne pouvons
guère connaître l’immortalité de l’âme sinon la concevoir et l’espérer puisque la raison
échoue. Rousseau ne cherche donc plus à avoir un savoir véritable sur la religion mais à
mesurer ce qu’elle peut lui permettre d’espérer maintenant qu’il est assuré de sa foi grâce à
ses sentiments. Que peut-il en attendre en tant qu’homme pour conduire sa vie vers le bien et
vivre heureux ?
Le vicaire marque une deuxième grande étape dans sa réflexion suite à la découverte
de ses sentiments de l’existence d’une volonté divine : celle de ses sensations du désordre
parmi les hommes. C’est à partir de là qu’il se demande pourquoi si Dieu créé le bien et
l’harmonie, les hommes peuvent choisir le mal. C’est selon lui parce que Dieu a créé l’homme
libre de choisir ses actions. Ainsi avant d’en arriver à parler réellement de la religion, il
discute de la conduite des hommes. Rousseau développe donc ici sa conception du fondement
de la morale avant de développer ses implications pour la religion.
Pour Rousseau, Dieu nous a fait naturellement bons et libres avec la faculté de faire
« le bien par choix », et c’est « l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux et
méchants. » La morale, l’incitation à se bien conduire vient de chacun de nous : « Plus je
rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon âme : sois juste, et tu
seras heureux. (p77) » Pourtant si cela ne se vérifie pas dans l’ordre des choses puisque selon
Rousseau les justes restent opprimés par les méchants, c’est que le bonheur ne vient qu’après
avoir bien conduit sa vie : « Soyons bons premièrement puis nous serons heureux » ; « on
dirait que Dieu leur doit la récompense avant le mérite. » (p77) C’est pourquoi Rousseau est
La raison, qui peut se tromper, ne peut l’aider à choisir dans l’ordre des actions de manière morale, il lui faut
donc confier cette tâche à une autre instance : pour Rousseau ce sera le cœur.
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Alors que Kant, ayant montré les limites de la raison pour répondre aux questions métaphysiques, la réintroduit
en pratique, Rousseau préfère quant à lui s’en éloigner également en pratique.
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forcé alors d’admettre le dualisme, puisque c’est avec l’immortalité de l’âme que les « choses
rentrent dans l’ordre » et que le bon est récompensé. Pour lui l’homme ne vit qu’à moitié
durant sa vie tant il répond plus aux vices du corps qu’aux bontés de l’âme. Par contre il ne
peut rien connaître de l’immortalité de l’âme par ses sens et son entendement borné ne lui
permet pas de connaître l’infini : « je sais qu’elle est sans savoir quelle est son essence » (p
79). Un homme juste ne peut prétendre à d’autre bonheur que celui d’avoir vécu selon sa
nature ; cependant il sera heureux d’avoir vécu sans abuser de sa liberté et sera dédommagé
de ce qu’il aura souffert durant sa vie, et l’âme libérée des besoins, des vices et des passions
du corps ne sera plus susceptible d’aucune perversité dans l’au delà.
Ainsi il a étendu sa connaissance de Dieu par la seule observation de ses sensations
intérieures puis du monde sensible et par leur jugement grâce à ses lumières naturelles ; mais
l’idée qu’il s’en fait est de plus en plus éloignée de ce que peut concevoir sa raison. C’est
arrivé à ce point de son raisonnement que le vicaire s’interroge sur ce qu’il peut tirer de sa
connaissance de Dieu pour trouver les maximes qui doivent conduire son action. Là encore il
rejète l’usage de la philosophie au profit d’un questionnement intérieur et trouve ses maximes
« au fond de [son] cœur, écrites par la nature en caractères ineffaçables. » car « le meilleur de
tous les casuistes est la conscience ; et ce n’est que quand on marchande avec elle qu’on a
recours aux subtilités du raisonnement » (p 83). Ainsi la « conscience est la voix de l’âme
[comme] les passions sont la voix du corps » Rousseau rejète ici la raison qui trop souvent
nous trompe, la conscience est selon lui un meilleur guide puisque « elle est à l’âme ce que
l’instinct est au corps », ainsi les philosophes la rejètent parce qu’ils ne peuvent l’expliquer
alors que Rousseau la loue pour sa droiture en admettant qu’il ne peut prétendre à tout
connaître.
Il utilise pour définir sa conception de la morale un autre concept : celui du jugement.
En effet le vicaire fait une pause dans son récit pour approfondir sa pensée. « Toute la
moralité de nos actions est dans le jugement que nous en portons nous-mêmes ». La moralité
nous vient du bien-être que nous procure une action bonne que nous réalisons et c’est pour
cela qu’en rentrant en nous-mêmes il nous est possible de savoir ce qui est bien parce qu’il
nous procurera la fierté d’en être l’instigateur et parce que notre conscience nous l’aura
indiqué comme un bien. C’est pour cette même raison que nous admirons les hommes qui ont
produit le bien et non ceux qui ont apporté le malheur, parce que le sentiment du bien est dans
notre cœur. L’amour du bien est un sentiment inné. Loin d’être issu de la raison, c’est la
conscience, le cœur qui nous donne à connaître le bien, à l’aimer et à juger de nos actes pour
l’accomplir.
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C’est par cet exposé que Rousseau montre que notre humanité, notre conscience et
notre amour du bien sont indépendants de la raison et de l’intelligence, et donc, accessibles à
tous. Tous les hommes, même bêtes et ignares, peuvent prétendre à connaître et réaliser le
bien. Pourtant beaucoup ne le choisissent pas, parce qu’ils n’entendent pas leur conscience.
Cette conscience parle selon Rousseau la langue de la nature que la vie en société nous a fait
oublier. Ainsi le goût des plaisirs de l’âme peut facilement être méconnu.
Le fondement de la morale rousseauiste est naturel et en chacun de nous, en notre
conscience intime qui fait que nous savons ce qui est bien et ce qui ne l’est pas et c’est ensuite
notre jugement qui nous fait agir selon notre conscience ou non.
Non content de fonder la morale comme un sentiment intérieur, personnel et écarté de
la raison, il montre qu’il s’agit là d’une religion naturelle car sa conscience seule lui indique
l’existence d’un être divin qui décide de ce qui arrive à chacun après la mort en fonction de
ses actions pendant sa vie. Sa pensée de la morale et de la façon de conduire sa vie l’ont donc
mené à développer le concept de religion naturelle. Celle-ci lui est également nécessaire pour
clore son système philosophique. C’est dans une foi rationnelle qu’il parvient à résoudre le
dualisme entre bien-être charnel et spirituel. C’est dans la sensation que j’ai de moi-même
comme un être avec une unité que se résout le dualisme : dans cette foi rationnelle que j’ai en
mes sensations.
Si cette partie semble se détacher de la conception de la morale, elle en est néanmoins
une conséquence importante puisque Rousseau marque en note au début de la discussion sur
la religion : « Voilà je crois ce que le bon vicaire pourrait dire à présent au public « (p 97). En
continuité avec sa conception de la morale issue de la conscience et de l’intériorité de
l’homme, le vicaire montre que si l’idée du bien nous vient à chacun de Dieu lui-même alors
« il n’y aurait jamais eu qu’une religion sur la terre. » (p 98) C’est pourquoi toute religion est
finalement inutile puisque aucun dogme ne peut me donner à voir davantage la morale que ma
propre conscience. Son observation des effets des révélations des hommes lui donne à penser
que les religions et les hommes ne font que dégrader Dieu quand celui-ci ne demande que le
culte du cœur. Rousseau critique ici toutes les règles imposées par les religions (le célibat des
prêtres…) et privilégie une religion naturelle et intérieure : il n’est guère besoin de tant
d’hommes entre Dieu et soi-même. De toutes les façons, Rousseau pense que puisque Dieu
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est présent au cœur de chaque homme il ne se serait jamais donné la peine de passer par une si
longue chaîne de témoignages et de miracles pour se révéler aux hommes, prenant alors le
risque de les faire tous douter par ces choses aussi peu probables. De plus, Dieu ayant luimême doté l’homme de raison, pourquoi lui demanderait-il de l’abdiquer pour croire en ses
mystères ? Au contraire Rousseau affirme que « la meilleure des religions est infailliblement
la plus claire » (p 105) c’est pourquoi au lieu de défier ma raison, Dieu ne peut que l’éclairer.
Rousseau fait passer le raisonnement du vicaire par la discussion entre un savant et un
croyant. Le premier cherchant à faire bon usage de sa raison, le second à convaincre de la
révélation comme un mystère que la raison ne peut connaître. Or c’est en observant la nature
que l’on apprend à connaître son divin auteur. Si toutes les choses incroyables de la religion
font douter le vicaire, le rendent sceptique, cela lui importe peu car « il ne s’étend pas aux
points essentiels à la pratique » (p 120), puisqu’il ne cherche à savoir que ce qui importe à sa
conduite. Le vicaire conclut ainsi sa profession de foi concernant sa conception de la morale :
« un cœur juste est le vrai temple de la Divinité ; il n’y a point de religion qui dispense des
devoirs de la morale ; il n’y a de vraiment essentiels que ceux-là ; le culte intérieur est le
premier de ces devoirs, et sans la foi nulle véritable vertu n’existe ». (p125)
Les fondements de la morale rousseauiste sont inscrits dans la nature et en chacun de
nous en tant qu’il est doté de conscience. Par une démonstration logique Rousseau montre que
nous ne sommes assurés d’aucune connaissance mais que nous pouvons repartir de zéro et
nous assurer des connaissances qui nous sont accessibles. C’est ainsi qu’il détermine sa foi en
un être divin qui dirige le monde. Il cherche donc à savoir ce qu’il peut espérer de ces
connaissances pour bien conduire sa vie. C’est ainsi qu’il trouve les sources de la morale en
lui-même car Dieu s’adresse directement au cœur de chaque homme.
Le fait que le vicaire fasse toute une profession de foi pour chercher comment bien se
conduire dans sa vie révèle que sa conscience lui a préalablement donnée cet intérêt.
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