LCR Formation 72
Cycle de discussion sur l'actualité du marxisme : Introduction au débat (LCR 33 Année 2004)
Bourgeoisie et prolétariat aujourd'hui
Depuis l'effondrement du bloc de l'Est, les tenants du libéralisme se sont déchaînés de la façon la plus
caricaturale contre le marxisme, n'hésitant pas à proclamer la fin de la lutte des classes, des classes
sociales, voire la fin du travail, à travers des idéologies libérales qui avaient pour fonction de justifier le
chômage massif et permanent.
Le meilleur démenti à ces thèses est la réalité sociale. L'accroissement des inégalités et de l'exclusion a
obligé quelques politiciens comme Chirac a tenir compte de la " fracture sociale ", à prétendre que leur
priorité serait l'emploi… tout en annonçant de nouveaux cadeaux aux entreprises, c'est-à-dire à la
bourgeoisie...
Face à ces discours hypocrites et aux caricatures, les salariés, par leur retour dans l'arène des luttes et de
la politique depuis 1995, ont rappelé à tout le monde qu'ils existaient bien en tant que classe, que la lutte
des classes n'est pas finie, bien au contraire.
Sur cette question, beaucoup d'analystes projettent sur la réalité sociale leurs propres préjugés. Cette
confusion amène certains à penser que la montée de l'individualisme provoquerait la dilution des classes
sociales, ou que le recul des vieux appareils de la classe ouvrière, PC, PS, syndicats, marquerait la fin de
cette classe.
Nous voulons discuter des faits, des rapports sociaux, de la réalité de la division de la société en classes,
de l'exploitation. Le capitalisme a évolué depuis que Marx en a expliqué le fonctionnement. Il nous faut
intégrer ces évolutions pour le critiquer, c'est-à-dire militer pour sa transformation révolutionnaire.
Peut-on encore parler de bourgeoisie comme d'une classe à part quand on voit le flot grossissant des petits
actionnaires qui détiennent une petite part de propriété des entreprises ?
Peut-on encore parler de prolétariat, quand la majorité des salariés ne travaillent plus dans des usines, et
quand la dégradation de la situation sociale, le chômage permanent, la grande pauvreté, plongent dans
l'exclusion une fraction toujours plus nombreuse de la population ?
La " tertiarisation ", l'augmentation du nombre de salariés dans les services par rapport à l'industrie,
oblige-t-elle à reconsidérer le fonctionnement du capitalisme, de l'exploitation salariée ?
Nous allons discuter des faits pour répondre à ces problèmes, car c'est de cette réalité de la lutte des
classes entre bourgeoisie et prolétariat que découle notre perspective révolutionnaire. Comme le disait
Marx : " la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les
hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires " (Manifeste du parti
communiste).
Définition des classes et rapports de classes
Il convient de souligner que les idées de Marx sur les classes sociales ne relèvent pas de la sociologie,
d'une science neutre qui se bornerait à un constat des faits sociaux. L'objectivité sur les questions sociales
ne peut pas être un regard au-dessus de la mêlée, qui ne prendrait pas partie. L'objectivité est de choisir
radicalement le point de vue des opprimés : " Etre radical, c'est prendre les choses par la racine. Or, pour
l'homme, la racine, c'est l'homme lui-même. … [Ce qui] aboutit à cette doctrine, que l'homme est, pour
l'homme, l'être suprême. Elle aboutit donc à l'impératif catégorique de renverser toutes les conditions
sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable. " (Contribution à la critique du
droit de Hegel)
La description des faits est la meilleure critique de la société pour la transformer. C'est dans cette
perspective que Marx reprend l'analyse des classes sociales qu'il n'a pas inventée : " Ce n'est pas à moi
que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société moderne, pas plus que la
lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de
cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique ". (Marx,
Lettres sur le capital)
Pour ces historiens des lendemains de la Révolution française, les classes s'étaient manifestées et
construites dans la lutte. L'histoire des siècles passés était celle des luttes de la bourgeoisie pour son
émancipation économique et sociale et pour de nouveaux droits politiques, luttes contre la noblesse et la
monarchie, dont l'étape ultime fut leur renversement.
Marx se situe dans la continuité de ces historiens nourris de la Révolution française. Il écrit : " Toute
l'histoire de la société a été jusqu'à présent l'histoire de la lutte des classes " . Il montre que la bourgeoisie
n'est pas une classe figée, mais une classe menant un combat permanent pour sa domination. Arrivée au
pouvoir, elle poursuit ce combat contre la classe qui la menace, le prolétariat, négation de la propriété
privée.
Les classes ne sont donc pas simplement une notion sociologique, pour laquelle il s'agirait d'étudier
revenus, culture, habitudes, lieux d'habitation, éducation, goûts vestimentaires… Mais une question
politique qui se comprend comme un rapport de forces entre des puissances économiques, sociales,
idéologiques, politiques. Marx définit la classe comme un " ensemble de personnes jouant un rôle
analogue dans la production, ayant dans le processus de production des rapports identiques avec d'autres
personnes " (Le Capital). On ne peut pas définir une classe de façon isolée, ce qui la définit ce sont ses
rapports avec les autres classes dans le mode de production, et plus précisément comment une classe
s'approprie le surtravail produit par une autre classe.
Dans le système esclavagiste, l'esclave est dépossédé de lui-même, il est nié en tant qu'être humain. Ce
n'est pas seulement le produit du travail qui est approprié par le maître d'esclave, mais le travailleur lui-
même, acheté sur le marché aux esclaves, et qui devient sa propriété privée, sans droit ni liberté.
Dans le système du servage, le serf travaille quelques jours sur un lopin qui est à sa disposition, et il doit
effectuer des jours de travail sur des terres seigneuriales ou du clergé, c'est le produit de ce travail qui est
approprié directement par les classes dominantes.
Le mode de production capitaliste a révolutionné les rapports de classes précédents. Dans ce mode de
production, ce qui définit le prolétariat, c'est qu'il ne possède rien d'autre que sa force de travail qu'il est
obligé de vendre contre un salaire, pour une certaine durée, au patron, membre de la bourgeoisie qui, elle,
possède le capital dont les moyens de production pour l'exploiter.
Cette dernière forme d'exploitation plus masquée que les précédentes, peut paraître moins brutale que ne
l'était par exemple l'esclavage. Mais en réalité la brutalité du capitalisme ne connaît comme limite que
celle que les salariés lui imposent par leur résistance et leur lutte.
Le caractère révolutionnaire du capitalisme réside dans le bouleversement permanent des rapports sociaux
qu'il entraîne. Les modes de production précédents se reproduisaient et progressaient lentement. Les
découvertes, les progrès de la science et de la technique poussent la bourgeoisie à révolutionner sans
cesse les moyens de production et à élargir à tous les continents les marchés pour écouler sa production.
Poussée en avant par la boulimie de profit et la concurrence, bousculée par la succession des crises et de
reprises économiques, la bourgeoisie élimine toute stabilité de la société. Mais au cœur de ces
transformations permanentes, l'exploitation, elle, demeure.
Pour bien des économistes ou des sociologues, l'exploitation réside dans la brutalité du travail en usine,
dans les mines etc. Elle serait la caractéristique d'un capitalisme du 19ème siècle. Pour le reste, il n'y
aurait qu'un contrat librement passé entre un salarié et un employeur.
Ce qui est masqué, c'est que c'est dans le processus même de la production que réside l'exploitation, dans
le fait que la force de travail achetée par le patron pour une certaine durée produit bien plus de valeur que
le patron n'en rend au salarié sous forme de salaire. C'est de cette valeur supplémentaire produite par le
travail, la plus-value, que le patron tire son profit.
A l'échelle de l'ensemble de la société, le prolétariat industriel produit l'immense majorité des biens. Une
part lui revient sous forme de salaire. L'ensemble de la plus-value dégagée dans la production est ensuite
répartie entre le profit des actionnaires ou des propriétaires d'usines, les dettes des entreprises auprès des
groupes financiers, des banques, des propriétaires terriens. Une part revient aussi aux capitalistes du
commerce qui sont les intermédiaires entre les industriels et les consommateurs. Une part enfin constitue
les impôts pour l'Etat.
Le prolétariat des services, s'il ne crée pas directement de plus-value, est exploité par la bourgeoisie pour
réaliser la plus-value, comme les salariés de la distribution, de plus en plus nombreux, qui en assurant les
tâches commerciales permettent au produit d'être vendu à son consommateur, et enfin d'être converti en
argent sonnant et trébuchant ou circulant électroniquement pour augmenter le capital investi d'une part de
la plus-value. Au-delà de la propriété privée directe des moyens de production, c'est le fait d'avoir les
moyens de s'approprier la plus-value qui définit la bourgeoisie.
Les progrès techniques, l'urbanisation, le développement du prolétariat, l'extension à l'échelle du monde
du règne de la marchandise font que la production industrielle s'est extrêmement diversifiée depuis
l'époque de Marx (limitée au textile, à la sidérurgie, à l'énergie et aux tout débuts de la chimie). Du coup,
les services se sont eux aussi énormément diversifiés. Mais le fonctionnement mis à jour par Marx reste le
même.
De même sur le chômage. Des défenseurs du capitalisme affirment que le chômage massif actuel serait
une phase particulière, presque un accident, et au moindre signe de reprise économique, ils annoncent le
retour au plein-emploi, comme au tournant des années 2000, juste avant l'effondrement de la Bourse.
Pour fonctionner, l'exploitation salariée a besoin d'un chômage permanent, c'est-à-dire de travailleurs sans
emploi, disponibles à tout moment, que Marx appelait "l'armée industrielle de réserve ".
A l'époque de la 1ère révolution industrielle, la bourgeoisie a créé le prolétariat en ruinant des masses de
paysans dépossédés de leur terre et obligés de vendre leur force de travail pour vivre. En Angleterre, ce
sont des centaines de milliers de mendiants qui ont été raflés pour travailler dans les premières usines, des
centaines de milliers de paysans que l'Etat a ruiné par l'impôt pour les exproprier et les forcer à venir
s'embaucher dans les usines du textile et de la sidérurgie, des centaines de milliers d'artisans qui ont été
ruinés par les bas prix de la production industrielle et qui ont dû mettre la clé sous la porte pour eux aussi
devenir des prolétaires.
Quand il n'y avait pas assez de pauvres, quand l'offre de main d'œuvre devenait trop restreinte menaçant
de faire monter les salaires, les bourgeois anglais faisaient venir des milliers de travailleurs immigrés
d'Irlande.
Quand, après la 2nde Guerre mondiale, la reconstruction exigeait l'emploi de toutes les forces disponibles
et que le chômage atteignait des taux trop bas, la bourgeoisie française a fait venir des travailleurs
immigrés par trains et bateaux entiers.
Le capitalisme contemporain ne fait que poursuivre cette politique.
Pour entretenir la concurrence entre les salariés dans le même temps qu'elle élargit sans cesse tant la
production que le marché, la bourgeoisie étend le rapport d'exploitation, développe la classe ouvrière. Le
chômage massif est indispensable pour la bourgeoisie. Cela ne fait que confirmer que " le caractère
distinctif de notre époque est d'avoir simplifié les antagonismes de classe… en deux vastes camps
ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat " .
Bourgeoisie et prolétariat : deux classes antagoniques
L'antagonisme entre ces deux grandes classes fondamentales que Marx avait décrit lorsque le capitalisme
se développait, s'épanouit pleinement aujourd'hui et se renforce.
Au début de l'ère industrielle, les " capitaines d'industrie ", à l'aide de leur fortune et de leurs relations,
arrivaient à construire des empires. Véritables monarques dans leurs usines, ils transmettaient le flambeau
à leurs fils. Les sociétés portaient leur nom, comme pour les forges de Wendel, par exemple… Ils jouaient
de leur " paternalisme " auprès de leurs ouvriers qui achetaient dans leurs magasins, vivaient dans " leurs
" corons, etc.
A l'époque de l'impérialisme, la bourgeoisie industrielle s'est profondément liée à la bourgeoisie
financière. Toutes deux ont créé de multiples liens avec l'Etat dont le haut personnel était formé dans les
mêmes écoles comme Polytechnique.
La bourgeoisie d'aujourd'hui est devenue plus anonyme, plus internationale. Les dirigeants des grandes
sociétés sont aussi membres de Conseils d'administration d'autres sociétés -et rémunérés grassement par
des jetons de présence-, membres ou proches de l'appareil d'Etat, ce qui augmente d'autant leur fortune
déclarée ou pas. Le patron de LVMH cumulait en 2000 42 postes de direction, 5 mandats
d'administrateur, 10 de représentant permanent. Celui de Pernod Ricard respectivement 5, 35 et 10, celui
d'Adecco 21, 25 et 3, pour ne citer que les premiers.
Cela leur permet d'être parmi les PDG les mieux payés, comme Lindsay Owen Johnes (L'Oréal) qui "
vaut bien " 6,2 millions d'euros ; Messier, ex-PDG de Vivendi, 5,7 millions d'euros malgré ses " déboires
" ; Desmarets (TotalFinaElf) 2,4 millions auxquels il faut ajouter plus 60 000 stocks options ; Riboud
(Danone) 2,4 millions plus 50 000 stocks options… Francis Mer, Ministre des finances, avait perçu en
1999 en tant que membre de la direction d'Usinor 4,3 millions de francs de salaire de base, 53 300 € en
complément variable et 9 900 € sous forme d'avantages en nature, plus 125 000 stock options… Des
représentants des grands groupes financiers siègent avec eux. Les grosses entreprises sont des holdings,
conglomérats de sociétés dirigés par des directoires de PDG comme le célèbre Baron Ernest de Seillière
qui, s'il est de l'ancienne famille des maîtres de forges De Wendel, doit sa promotion à la tête du syndicat
des patrons à ce que l'activité principale de sa société, la Compagnie générale de participations, est de
faire fructifier le capital des 650 héritiers de Wendel et de bien d'autres.
Le capital industriel et financier se sont totalement interpénétrés au point que la capital financier domine
totalement le capital productif. Avec le capitalisme parvenu aujourd'hui au stade de libéralisme
impérialiste, les grands capitalistes à la tête des multinationales font de plus en plus de profits à partir de
la production, servis par des produits financiers, toujours avec l'aide de l'Etat. Ces transactions financières
sont de plus en plus rapides et volatiles et, avec l'aide des communications modernes (Internet…),
immédiatement à l'échelle internationale. Cela amplifie l'effet des crises, par l'accélération des faillites et
fusions. Le noyau dur capitalistique qui se constitue alors avec ceux qui ne coulent pas, ceux autour
desquels s'agrègent les autres, n'en devient que plus puissant.
Le résultat est que, en l'espace de 40 ans, la bourgeoisie s'est considérablement restreinte : on parlait de
200 grandes familles en 1936 ; en 1999, on ne parle plus de familles mais de quelques conglomérats
industriels et financiers qui ne sont plus spécialisés dans un produit, la voiture ou le pneu, mais comme
Vivendi, touchent à tout, depuis l'eau jusqu'à la télé… La propriété capitaliste n'est pas supprimée, au
contraire, elle est concentrée en des mains de plus en plus puissantes.
Et ce n'est pas l'actionnariat " populaire " qui y changera quelque chose ! Propulsé à partir de 1986 en
France avec les privatisations, il ne concerne que 10 % de la capitalisation en Bourse avec ses 7 millions
d'investisseurs individuels. Les " petits porteurs " n'ont ni le temps ni la possibilité de diriger leurs affaires
comme les gros actionnaires ; ce sont des gogos qui, comme on l'a vu pour Eurotunnel, sont les premières
victimes en cas de crise !
Toutes ces conditions font de la bourgeoisie une classe consciente de ses intérêts, qui a des réflexes, sait
transmettre son expérience, ses idées, ses valeurs, se concerte, discute, forme ses membres à la diffusion
de son idéologie, construit consciemment des alliances. Elle participe activement à la défense de ses
intérêts. Ainsi, les chefs d'entreprise qui ne sont que 0,5 % dans la population active représentent 9,9 % de
l'Assemblée Nationale (20 fois plus). Par contre, les ouvriers (27 % de la population active), constituent
0,7 % de l'Assemblée (33 fois moins !)
Loin de cette grande bourgeoisie, il y a encore en France bien des propriétaires de moyens de production,
comme les agriculteurs sur grande exploitation (de plus de 100 hectares). Si leur nombre a augmenté (20
000 en 1955, 78 000 en 2000), ils ne représentent que 1,4 % de la population active en 2002 (les petits
exploitants 0,4 % et les moyens 0,6 %). Surtout, ces paysans sont à la merci des grandes sociétés de
l'agroalimentaire, de la distribution et des banques. Ils sont entièrement dépendants du capital qui leur
dicte leurs rendements, production, voire non production, qui les subventionne par l'intermédiaire des
Etats ou de l'Union européenne, parfois pour mettre leurs terrains en friche.
A côté des agriculteurs, il y a aussi les patrons de commerces, artisans… qui emploient 13 % de la
population active. Mais les disparités entre les entreprises sont énormes : en 2002, il y avait plus d'un
million d'entreprises qui n'avaient aucun salarié, presque autant comptaient de 1 à 9 salariés, 150 000
entre 10 et 49 salariés et seulement 2150 avec plus de 500 salariés.
En réalité, la petite propriété est en pleine chute. Les boulangeries pâtisseries sont passées de 40 000 en
1966 à 22 000 en 1998, les boucheries de 50 000 à 14 000 et les épiceries de 87 000 à 13 000. Dans le
même temps, les supermarchés sont passés de 200 à plus de 5 000 et les hypers de 1 à plus de 1 200
(employant 700 000 salariés) ! Ces grands magasins, regroupés autour de 5 centrales d'achat (une pour
Carrefour, Leclerc, Casino-Leader Price, Intermarché et Auchan), sont en position de monopole, pouvant
exiger des marges qui peuvent aller jusqu'à plus de la moitié du prix du moindre produit ! Pas étonnant
qu'en 2003, deux parmi les milliardaires en francs soient des patrons de la grande distribution : Mulliez
(Auchan) et feu Halley (Promodès-Carrefour) ! Ils étendent leurs antennes en Europe et dans le monde
(Carrefour en Amérique du Sud, etc). Du coup, les petits commerçants et autres fournisseurs paysans sont
pris en étau entre les grandes chaînes de distribution et les banques. Ils ne font pas le poids et leur avenir
est de plus en plus incertain.
Dans le système capitaliste, la propriété de ces couches de petits et moyens propriétaires est non
seulement constamment menacée par la concurrence des grandes entreprises mais elle est de plus en plus
insérée dans leur propre réseau de production ou de distribution. Même les jeunes patrons encouragés par
l'euphorie de la Bourse, les promoteurs de " start up ", s'ils parviennent à impulser parfois certaines
innovations que les grosses multinationales hésitent à anticiper, s'écroulent le plus souvent aussi vite
qu'ils sont nés, victimes des aléas économiques et des banques.
En fait, la classe dominante est, dans l'économie actuelle, une bourgeoisie de plus en plus restreinte et
puissante.
A côté de ces propriétaires, il y a les hauts cadres, techniciens très qualifiés, ingénieurs qui représentent
13,9 % de la population active, en incluant les professions libérales et les commerciaux d'entreprises, qui
vivaient et se sentaient plus proches de la bourgeoisie que des travailleurs. Mais depuis la crise des années
80 et la mondialisation, cela a bien changé. Parmi les premières victimes de l'endettement et de l'épargne
salariale, ils commencent à leur tour à être touchés par les licenciements. Dernièrement, les
multinationales font de plus en plus effectuer leur travail high-tech (études d'ingénierie, analyse
financière, études de marché) par des ingénieurs en Inde ou en Chine, ce qui représenterait entre 15 et 35
% des 2,8 millions d'emplois supprimés depuis 2 ans aux USA…
Si la plupart des hauts cadres fonctionnaires sont encore chos par l'Etat, comme les Trésorier payeur
général qui peuvent gagner jusqu'à 182 000 €, certains comme les directeurs de centre hospitalier (29 000
€ en début de carrière) commencent à être menacés, puisque le plan Hôpital 2007 prévoit que ces
Directeurs ne seront retenus qu'en cas de rentabilité...
Ces hauts cadres du privé ou du public ne sont pas propriétaires de moyens de production, ils sont au
service de patrons ou de l'Etat, mais leur sort est lié à celui des travailleurs. En effet, ils sont dépossédés
par le capitalisme plutôt que confortés, même si certains préjugés peuvent les amener à penser le
contraire.
Seule s'étend la classe de ceux qui ne possèdent rien d'autre que leur force de travail.
En France, les salariés étaient 19 millions en 1990 et 21,37 en 2001 ; aux USA 108 puis 124 millions.
Bien sûr, ce n'est plus la classe ouvrière concentrée dans quelques villes et quartiers industriels, des
bastions du militantisme socialiste puis communiste et syndical d'avant et d'après guerre. 90 % de la
population active en France est salariée. Si elle s'est étendue et que son mode de vie a pu changer, elle
n'en demeure pas moins une classe qui n'a que sa force de travail à vendre.
Les ouvriers, 27 % de la population active en 2002 dans l'industrie, l'artisanat ou l'agriculture, sont
nombreux surtout dans les entreprises de plus de 50 salariés, dans la construction automobile,
l'agroalimentaire et le commerce (où les emplois ont été multipliés par 4,4 en 40 ans). Cependant, dans les
métropoles impérialistes, le nombre d'emplois industriels diminuent sans cesse : - 1,5 millions en 25 ans
en France (5 550 000 en 1978, 4 000 000 en 2002) alors que la population active augmentait de 4 millions
de personnes. Cette baisse est bien sûr due aux licenciements, aux délocalisations accélérées par la
mondialisation. Mais surtout à l'évolution technologique, à l'informatique, à l'automatisation, à
l'utilisation de nouveaux matériaux qui ont développé les services et permis de produire plus avec moins
de personnel (l'heure de travail était 28 fois plus productive en 1995 qu'en 1821 !).
Pour satisfaire sa soif de profits, la bourgeoisie aura toujours besoin du travail industriel mais, pour en
réduire les coûts, elle l'externalise et l'exporte dans ce qu'elle appelle les " pays à bas salaires ", en Asie,
en Amérique du Sud… D'abord, ç'a été des secteurs qui ne nécessitaient pas beaucoup de qualification : le
textile, les jouets, le petit électroménager, la chaussure, l'électronique de loisir. Depuis 15 ou 20 ans, ce
sont aussi des emplois du tertiaire, le traitement des bases de données, la programmation informatique, les
centres d'appel… L'Inde est ainsi devenue le premier exportateur mondial de services informatiques ;
dans de grandes villes comme Bangalore, on travaille comme dans une Silicon Valley pour Alsthom,
Axa, Paribas, le Crédit Lyonnais, France Télécom, Vivendi…
Du coup, la classe des salariés s'élargit au niveau de la planète. Les conditions de vie changent : des
fractions entières de la paysannerie ont perdu leur petite propriété et été plongées dans le salariat
moderne, dans les villes du Tiers monde (dont la population a été multipliée par 6 entre 1975 et 1995),
dans des conditions de misère extrême mais loin des campagnes et des relations qui permettaient de
survivre traditionnellement, hors du tourbillon du capitalisme.
La nouvelle force de travail salariée mondiale, environ 1,9 milliard d'ouvriers et d'employés en 1980, était
de 2,3 milliards en 1990 et de 3 milliards en 1995, autant dire la moitié de l'humanité (Petras, Veltmeyer
La face cachée de la mondialisation). Ces travailleurs sont souvent salariés dans de grands complexes,
avec des méthodes tayloristes modernes, ils manient les dernières trouvailles de la technologie tout en
respirant l'air souillé de produits chimiques, de poussières, 14 heures par jour, en vivant parfois dans des
baraquements appartenant aux patrons… Ces tâches qui exigent des bases techniques et culturelles plus
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