Bourgeoisie et prolétariat aujourd`hui

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LCR Formation 72
Cycle de discussion sur l'actualité du marxisme : Introduction au débat (LCR 33 Année 2004)
Bourgeoisie et prolétariat aujourd'hui
Depuis l'effondrement du bloc de l'Est, les tenants du libéralisme se sont déchaînés de la façon la plus
caricaturale contre le marxisme, n'hésitant pas à proclamer la fin de la lutte des classes, des classes
sociales, voire la fin du travail, à travers des idéologies libérales qui avaient pour fonction de justifier le
chômage massif et permanent.
Le meilleur démenti à ces thèses est la réalité sociale. L'accroissement des inégalités et de l'exclusion a
obligé quelques politiciens comme Chirac a tenir compte de la " fracture sociale ", à prétendre que leur
priorité serait l'emploi… tout en annonçant de nouveaux cadeaux aux entreprises, c'est-à-dire à la
bourgeoisie...
Face à ces discours hypocrites et aux caricatures, les salariés, par leur retour dans l'arène des luttes et de
la politique depuis 1995, ont rappelé à tout le monde qu'ils existaient bien en tant que classe, que la lutte
des classes n'est pas finie, bien au contraire.
Sur cette question, beaucoup d'analystes projettent sur la réalité sociale leurs propres préjugés. Cette
confusion amène certains à penser que la montée de l'individualisme provoquerait la dilution des classes
sociales, ou que le recul des vieux appareils de la classe ouvrière, PC, PS, syndicats, marquerait la fin de
cette classe.
Nous voulons discuter des faits, des rapports sociaux, de la réalité de la division de la société en classes,
de l'exploitation. Le capitalisme a évolué depuis que Marx en a expliqué le fonctionnement. Il nous faut
intégrer ces évolutions pour le critiquer, c'est-à-dire militer pour sa transformation révolutionnaire.
Peut-on encore parler de bourgeoisie comme d'une classe à part quand on voit le flot grossissant des petits
actionnaires qui détiennent une petite part de propriété des entreprises ?
Peut-on encore parler de prolétariat, quand la majorité des salariés ne travaillent plus dans des usines, et
quand la dégradation de la situation sociale, le chômage permanent, la grande pauvreté, plongent dans
l'exclusion une fraction toujours plus nombreuse de la population ?
La " tertiarisation ", l'augmentation du nombre de salariés dans les services par rapport à l'industrie,
oblige-t-elle à reconsidérer le fonctionnement du capitalisme, de l'exploitation salariée ?
Nous allons discuter des faits pour répondre à ces problèmes, car c'est de cette réalité de la lutte des
classes entre bourgeoisie et prolétariat que découle notre perspective révolutionnaire. Comme le disait
Marx : " la bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les
hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires " (Manifeste du parti
communiste).
Définition des classes et rapports de classes
Il convient de souligner que les idées de Marx sur les classes sociales ne relèvent pas de la sociologie,
d'une science neutre qui se bornerait à un constat des faits sociaux. L'objectivité sur les questions sociales
ne peut pas être un regard au-dessus de la mêlée, qui ne prendrait pas partie. L'objectivité est de choisir
radicalement le point de vue des opprimés : " Etre radical, c'est prendre les choses par la racine. Or, pour
l'homme, la racine, c'est l'homme lui-même. … [Ce qui] aboutit à cette doctrine, que l'homme est, pour
l'homme, l'être suprême. Elle aboutit donc à l'impératif catégorique de renverser toutes les conditions
sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable. " (Contribution à la critique du
droit de Hegel)
La description des faits est la meilleure critique de la société pour la transformer. C'est dans cette
perspective que Marx reprend l'analyse des classes sociales qu'il n'a pas inventée : " Ce n'est pas à moi
que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la société moderne, pas plus que la
lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de
cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique ". (Marx,
Lettres sur le capital)
Pour ces historiens des lendemains de la Révolution française, les classes s'étaient manifestées et
construites dans la lutte. L'histoire des siècles passés était celle des luttes de la bourgeoisie pour son
émancipation économique et sociale et pour de nouveaux droits politiques, luttes contre la noblesse et la
monarchie, dont l'étape ultime fut leur renversement.
Marx se situe dans la continuité de ces historiens nourris de la Révolution française. Il écrit : " Toute
l'histoire de la société a été jusqu'à présent l'histoire de la lutte des classes " . Il montre que la bourgeoisie
n'est pas une classe figée, mais une classe menant un combat permanent pour sa domination. Arrivée au
pouvoir, elle poursuit ce combat contre la classe qui la menace, le prolétariat, négation de la propriété
privée.
Les classes ne sont donc pas simplement une notion sociologique, pour laquelle il s'agirait d'étudier
revenus, culture, habitudes, lieux d'habitation, éducation, goûts vestimentaires… Mais une question
politique qui se comprend comme un rapport de forces entre des puissances économiques, sociales,
idéologiques, politiques. Marx définit la classe comme un " ensemble de personnes jouant un rôle
analogue dans la production, ayant dans le processus de production des rapports identiques avec d'autres
personnes " (Le Capital). On ne peut pas définir une classe de façon isolée, ce qui la définit ce sont ses
rapports avec les autres classes dans le mode de production, et plus précisément comment une classe
s'approprie le surtravail produit par une autre classe.
Dans le système esclavagiste, l'esclave est dépossédé de lui-même, il est nié en tant qu'être humain. Ce
n'est pas seulement le produit du travail qui est approprié par le maître d'esclave, mais le travailleur luimême, acheté sur le marché aux esclaves, et qui devient sa propriété privée, sans droit ni liberté.
Dans le système du servage, le serf travaille quelques jours sur un lopin qui est à sa disposition, et il doit
effectuer des jours de travail sur des terres seigneuriales ou du clergé, c'est le produit de ce travail qui est
approprié directement par les classes dominantes.
Le mode de production capitaliste a révolutionné les rapports de classes précédents. Dans ce mode de
production, ce qui définit le prolétariat, c'est qu'il ne possède rien d'autre que sa force de travail qu'il est
obligé de vendre contre un salaire, pour une certaine durée, au patron, membre de la bourgeoisie qui, elle,
possède le capital dont les moyens de production pour l'exploiter.
Cette dernière forme d'exploitation plus masquée que les précédentes, peut paraître moins brutale que ne
l'était par exemple l'esclavage. Mais en réalité la brutalité du capitalisme ne connaît comme limite que
celle que les salariés lui imposent par leur résistance et leur lutte.
Le caractère révolutionnaire du capitalisme réside dans le bouleversement permanent des rapports sociaux
qu'il entraîne. Les modes de production précédents se reproduisaient et progressaient lentement. Les
découvertes, les progrès de la science et de la technique poussent la bourgeoisie à révolutionner sans
cesse les moyens de production et à élargir à tous les continents les marchés pour écouler sa production.
Poussée en avant par la boulimie de profit et la concurrence, bousculée par la succession des crises et de
reprises économiques, la bourgeoisie élimine toute stabilité de la société. Mais au cœur de ces
transformations permanentes, l'exploitation, elle, demeure.
Pour bien des économistes ou des sociologues, l'exploitation réside dans la brutalité du travail en usine,
dans les mines etc. Elle serait la caractéristique d'un capitalisme du 19ème siècle. Pour le reste, il n'y
aurait qu'un contrat librement passé entre un salarié et un employeur.
Ce qui est masqué, c'est que c'est dans le processus même de la production que réside l'exploitation, dans
le fait que la force de travail achetée par le patron pour une certaine durée produit bien plus de valeur que
le patron n'en rend au salarié sous forme de salaire. C'est de cette valeur supplémentaire produite par le
travail, la plus-value, que le patron tire son profit.
A l'échelle de l'ensemble de la société, le prolétariat industriel produit l'immense majorité des biens. Une
part lui revient sous forme de salaire. L'ensemble de la plus-value dégagée dans la production est ensuite
répartie entre le profit des actionnaires ou des propriétaires d'usines, les dettes des entreprises auprès des
groupes financiers, des banques, des propriétaires terriens. Une part revient aussi aux capitalistes du
commerce qui sont les intermédiaires entre les industriels et les consommateurs. Une part enfin constitue
les impôts pour l'Etat.
Le prolétariat des services, s'il ne crée pas directement de plus-value, est exploité par la bourgeoisie pour
réaliser la plus-value, comme les salariés de la distribution, de plus en plus nombreux, qui en assurant les
tâches commerciales permettent au produit d'être vendu à son consommateur, et enfin d'être converti en
argent sonnant et trébuchant ou circulant électroniquement pour augmenter le capital investi d'une part de
la plus-value. Au-delà de la propriété privée directe des moyens de production, c'est le fait d'avoir les
moyens de s'approprier la plus-value qui définit la bourgeoisie.
Les progrès techniques, l'urbanisation, le développement du prolétariat, l'extension à l'échelle du monde
du règne de la marchandise font que la production industrielle s'est extrêmement diversifiée depuis
l'époque de Marx (limitée au textile, à la sidérurgie, à l'énergie et aux tout débuts de la chimie). Du coup,
les services se sont eux aussi énormément diversifiés. Mais le fonctionnement mis à jour par Marx reste le
même.
De même sur le chômage. Des défenseurs du capitalisme affirment que le chômage massif actuel serait
une phase particulière, presque un accident, et au moindre signe de reprise économique, ils annoncent le
retour au plein-emploi, comme au tournant des années 2000, juste avant l'effondrement de la Bourse.
Pour fonctionner, l'exploitation salariée a besoin d'un chômage permanent, c'est-à-dire de travailleurs sans
emploi, disponibles à tout moment, que Marx appelait "l'armée industrielle de réserve ".
A l'époque de la 1ère révolution industrielle, la bourgeoisie a créé le prolétariat en ruinant des masses de
paysans dépossédés de leur terre et obligés de vendre leur force de travail pour vivre. En Angleterre, ce
sont des centaines de milliers de mendiants qui ont été raflés pour travailler dans les premières usines, des
centaines de milliers de paysans que l'Etat a ruiné par l'impôt pour les exproprier et les forcer à venir
s'embaucher dans les usines du textile et de la sidérurgie, des centaines de milliers d'artisans qui ont été
ruinés par les bas prix de la production industrielle et qui ont dû mettre la clé sous la porte pour eux aussi
devenir des prolétaires.
Quand il n'y avait pas assez de pauvres, quand l'offre de main d'œuvre devenait trop restreinte menaçant
de faire monter les salaires, les bourgeois anglais faisaient venir des milliers de travailleurs immigrés
d'Irlande.
Quand, après la 2nde Guerre mondiale, la reconstruction exigeait l'emploi de toutes les forces disponibles
et que le chômage atteignait des taux trop bas, la bourgeoisie française a fait venir des travailleurs
immigrés par trains et bateaux entiers.
Le capitalisme contemporain ne fait que poursuivre cette politique.
Pour entretenir la concurrence entre les salariés dans le même temps qu'elle élargit sans cesse tant la
production que le marché, la bourgeoisie étend le rapport d'exploitation, développe la classe ouvrière. Le
chômage massif est indispensable pour la bourgeoisie. Cela ne fait que confirmer que " le caractère
distinctif de notre époque est d'avoir simplifié les antagonismes de classe… en deux vastes camps
ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat " .
Bourgeoisie et prolétariat : deux classes antagoniques
L'antagonisme entre ces deux grandes classes fondamentales que Marx avait décrit lorsque le capitalisme
se développait, s'épanouit pleinement aujourd'hui et se renforce.
Au début de l'ère industrielle, les " capitaines d'industrie ", à l'aide de leur fortune et de leurs relations,
arrivaient à construire des empires. Véritables monarques dans leurs usines, ils transmettaient le flambeau
à leurs fils. Les sociétés portaient leur nom, comme pour les forges de Wendel, par exemple… Ils jouaient
de leur " paternalisme " auprès de leurs ouvriers qui achetaient dans leurs magasins, vivaient dans " leurs
" corons, etc.
A l'époque de l'impérialisme, la bourgeoisie industrielle s'est profondément liée à la bourgeoisie
financière. Toutes deux ont créé de multiples liens avec l'Etat dont le haut personnel était formé dans les
mêmes écoles comme Polytechnique.
La bourgeoisie d'aujourd'hui est devenue plus anonyme, plus internationale. Les dirigeants des grandes
sociétés sont aussi membres de Conseils d'administration d'autres sociétés -et rémunérés grassement par
des jetons de présence-, membres ou proches de l'appareil d'Etat, ce qui augmente d'autant leur fortune
déclarée ou pas. Le patron de LVMH cumulait en 2000 42 postes de direction, 5 mandats
d'administrateur, 10 de représentant permanent. Celui de Pernod Ricard respectivement 5, 35 et 10, celui
d'Adecco 21, 25 et 3, pour ne citer que les premiers.
Cela leur permet d'être parmi les PDG les mieux payés, comme Lindsay Owen Johnes (L'Oréal) qui "
vaut bien " 6,2 millions d'euros ; Messier, ex-PDG de Vivendi, 5,7 millions d'euros malgré ses " déboires
" ; Desmarets (TotalFinaElf) 2,4 millions auxquels il faut ajouter plus 60 000 stocks options ; Riboud
(Danone) 2,4 millions plus 50 000 stocks options… Francis Mer, Ministre des finances, avait perçu en
1999 en tant que membre de la direction d'Usinor 4,3 millions de francs de salaire de base, 53 300 € en
complément variable et 9 900 € sous forme d'avantages en nature, plus 125 000 stock options… Des
représentants des grands groupes financiers siègent avec eux. Les grosses entreprises sont des holdings,
conglomérats de sociétés dirigés par des directoires de PDG comme le célèbre Baron Ernest de Seillière
qui, s'il est de l'ancienne famille des maîtres de forges De Wendel, doit sa promotion à la tête du syndicat
des patrons à ce que l'activité principale de sa société, la Compagnie générale de participations, est de
faire fructifier le capital des 650 héritiers de Wendel et de bien d'autres.
Le capital industriel et financier se sont totalement interpénétrés au point que la capital financier domine
totalement le capital productif. Avec le capitalisme parvenu aujourd'hui au stade de libéralisme
impérialiste, les grands capitalistes à la tête des multinationales font de plus en plus de profits à partir de
la production, servis par des produits financiers, toujours avec l'aide de l'Etat. Ces transactions financières
sont de plus en plus rapides et volatiles et, avec l'aide des communications modernes (Internet…),
immédiatement à l'échelle internationale. Cela amplifie l'effet des crises, par l'accélération des faillites et
fusions. Le noyau dur capitalistique qui se constitue alors avec ceux qui ne coulent pas, ceux autour
desquels s'agrègent les autres, n'en devient que plus puissant.
Le résultat est que, en l'espace de 40 ans, la bourgeoisie s'est considérablement restreinte : on parlait de
200 grandes familles en 1936 ; en 1999, on ne parle plus de familles mais de quelques conglomérats
industriels et financiers qui ne sont plus spécialisés dans un produit, la voiture ou le pneu, mais comme
Vivendi, touchent à tout, depuis l'eau jusqu'à la télé… La propriété capitaliste n'est pas supprimée, au
contraire, elle est concentrée en des mains de plus en plus puissantes.
Et ce n'est pas l'actionnariat " populaire " qui y changera quelque chose ! Propulsé à partir de 1986 en
France avec les privatisations, il ne concerne que 10 % de la capitalisation en Bourse avec ses 7 millions
d'investisseurs individuels. Les " petits porteurs " n'ont ni le temps ni la possibilité de diriger leurs affaires
comme les gros actionnaires ; ce sont des gogos qui, comme on l'a vu pour Eurotunnel, sont les premières
victimes en cas de crise !
Toutes ces conditions font de la bourgeoisie une classe consciente de ses intérêts, qui a des réflexes, sait
transmettre son expérience, ses idées, ses valeurs, se concerte, discute, forme ses membres à la diffusion
de son idéologie, construit consciemment des alliances. Elle participe activement à la défense de ses
intérêts. Ainsi, les chefs d'entreprise qui ne sont que 0,5 % dans la population active représentent 9,9 % de
l'Assemblée Nationale (20 fois plus). Par contre, les ouvriers (27 % de la population active), constituent
0,7 % de l'Assemblée (33 fois moins !)
Loin de cette grande bourgeoisie, il y a encore en France bien des propriétaires de moyens de production,
comme les agriculteurs sur grande exploitation (de plus de 100 hectares). Si leur nombre a augmenté (20
000 en 1955, 78 000 en 2000), ils ne représentent que 1,4 % de la population active en 2002 (les petits
exploitants 0,4 % et les moyens 0,6 %). Surtout, ces paysans sont à la merci des grandes sociétés de
l'agroalimentaire, de la distribution et des banques. Ils sont entièrement dépendants du capital qui leur
dicte leurs rendements, production, voire non production, qui les subventionne par l'intermédiaire des
Etats ou de l'Union européenne, parfois pour mettre leurs terrains en friche.
A côté des agriculteurs, il y a aussi les patrons de commerces, artisans… qui emploient 13 % de la
population active. Mais les disparités entre les entreprises sont énormes : en 2002, il y avait plus d'un
million d'entreprises qui n'avaient aucun salarié, presque autant comptaient de 1 à 9 salariés, 150 000
entre 10 et 49 salariés et seulement 2150 avec plus de 500 salariés.
En réalité, la petite propriété est en pleine chute. Les boulangeries pâtisseries sont passées de 40 000 en
1966 à 22 000 en 1998, les boucheries de 50 000 à 14 000 et les épiceries de 87 000 à 13 000. Dans le
même temps, les supermarchés sont passés de 200 à plus de 5 000 et les hypers de 1 à plus de 1 200
(employant 700 000 salariés) ! Ces grands magasins, regroupés autour de 5 centrales d'achat (une pour
Carrefour, Leclerc, Casino-Leader Price, Intermarché et Auchan), sont en position de monopole, pouvant
exiger des marges qui peuvent aller jusqu'à plus de la moitié du prix du moindre produit ! Pas étonnant
qu'en 2003, deux parmi les milliardaires en francs soient des patrons de la grande distribution : Mulliez
(Auchan) et feu Halley (Promodès-Carrefour) ! Ils étendent leurs antennes en Europe et dans le monde
(Carrefour en Amérique du Sud, etc). Du coup, les petits commerçants et autres fournisseurs paysans sont
pris en étau entre les grandes chaînes de distribution et les banques. Ils ne font pas le poids et leur avenir
est de plus en plus incertain.
Dans le système capitaliste, la propriété de ces couches de petits et moyens propriétaires est non
seulement constamment menacée par la concurrence des grandes entreprises mais elle est de plus en plus
insérée dans leur propre réseau de production ou de distribution. Même les jeunes patrons encouragés par
l'euphorie de la Bourse, les promoteurs de " start up ", s'ils parviennent à impulser parfois certaines
innovations que les grosses multinationales hésitent à anticiper, s'écroulent le plus souvent aussi vite
qu'ils sont nés, victimes des aléas économiques et des banques.
En fait, la classe dominante est, dans l'économie actuelle, une bourgeoisie de plus en plus restreinte et
puissante.
A côté de ces propriétaires, il y a les hauts cadres, techniciens très qualifiés, ingénieurs qui représentent
13,9 % de la population active, en incluant les professions libérales et les commerciaux d'entreprises, qui
vivaient et se sentaient plus proches de la bourgeoisie que des travailleurs. Mais depuis la crise des années
80 et la mondialisation, cela a bien changé. Parmi les premières victimes de l'endettement et de l'épargne
salariale, ils commencent à leur tour à être touchés par les licenciements. Dernièrement, les
multinationales font de plus en plus effectuer leur travail high-tech (études d'ingénierie, analyse
financière, études de marché) par des ingénieurs en Inde ou en Chine, ce qui représenterait entre 15 et 35
% des 2,8 millions d'emplois supprimés depuis 2 ans aux USA…
Si la plupart des hauts cadres fonctionnaires sont encore choyés par l'Etat, comme les Trésorier payeur
général qui peuvent gagner jusqu'à 182 000 €, certains comme les directeurs de centre hospitalier (29 000
€ en début de carrière) commencent à être menacés, puisque le plan Hôpital 2007 prévoit que ces
Directeurs ne seront retenus qu'en cas de rentabilité...
Ces hauts cadres du privé ou du public ne sont pas propriétaires de moyens de production, ils sont au
service de patrons ou de l'Etat, mais leur sort est lié à celui des travailleurs. En effet, ils sont dépossédés
par le capitalisme plutôt que confortés, même si certains préjugés peuvent les amener à penser le
contraire.
Seule s'étend la classe de ceux qui ne possèdent rien d'autre que leur force de travail.
En France, les salariés étaient 19 millions en 1990 et 21,37 en 2001 ; aux USA 108 puis 124 millions.
Bien sûr, ce n'est plus la classe ouvrière concentrée dans quelques villes et quartiers industriels, des
bastions du militantisme socialiste puis communiste et syndical d'avant et d'après guerre. 90 % de la
population active en France est salariée. Si elle s'est étendue et que son mode de vie a pu changer, elle
n'en demeure pas moins une classe qui n'a que sa force de travail à vendre.
Les ouvriers, 27 % de la population active en 2002 dans l'industrie, l'artisanat ou l'agriculture, sont
nombreux surtout dans les entreprises de plus de 50 salariés, dans la construction automobile,
l'agroalimentaire et le commerce (où les emplois ont été multipliés par 4,4 en 40 ans). Cependant, dans les
métropoles impérialistes, le nombre d'emplois industriels diminuent sans cesse : - 1,5 millions en 25 ans
en France (5 550 000 en 1978, 4 000 000 en 2002) alors que la population active augmentait de 4 millions
de personnes. Cette baisse est bien sûr due aux licenciements, aux délocalisations accélérées par la
mondialisation. Mais surtout à l'évolution technologique, à l'informatique, à l'automatisation, à
l'utilisation de nouveaux matériaux qui ont développé les services et permis de produire plus avec moins
de personnel (l'heure de travail était 28 fois plus productive en 1995 qu'en 1821 !).
Pour satisfaire sa soif de profits, la bourgeoisie aura toujours besoin du travail industriel mais, pour en
réduire les coûts, elle l'externalise et l'exporte dans ce qu'elle appelle les " pays à bas salaires ", en Asie,
en Amérique du Sud… D'abord, ç'a été des secteurs qui ne nécessitaient pas beaucoup de qualification : le
textile, les jouets, le petit électroménager, la chaussure, l'électronique de loisir. Depuis 15 ou 20 ans, ce
sont aussi des emplois du tertiaire, le traitement des bases de données, la programmation informatique, les
centres d'appel… L'Inde est ainsi devenue le premier exportateur mondial de services informatiques ;
dans de grandes villes comme Bangalore, on travaille comme dans une Silicon Valley pour Alsthom,
Axa, Paribas, le Crédit Lyonnais, France Télécom, Vivendi…
Du coup, la classe des salariés s'élargit au niveau de la planète. Les conditions de vie changent : des
fractions entières de la paysannerie ont perdu leur petite propriété et été plongées dans le salariat
moderne, dans les villes du Tiers monde (dont la population a été multipliée par 6 entre 1975 et 1995),
dans des conditions de misère extrême mais loin des campagnes et des relations qui permettaient de
survivre traditionnellement, hors du tourbillon du capitalisme.
La nouvelle force de travail salariée mondiale, environ 1,9 milliard d'ouvriers et d'employés en 1980, était
de 2,3 milliards en 1990 et de 3 milliards en 1995, autant dire la moitié de l'humanité (Petras, Veltmeyer
La face cachée de la mondialisation). Ces travailleurs sont souvent salariés dans de grands complexes,
avec des méthodes tayloristes modernes, ils manient les dernières trouvailles de la technologie tout en
respirant l'air souillé de produits chimiques, de poussières, 14 heures par jour, en vivant parfois dans des
baraquements appartenant aux patrons… Ces tâches qui exigent des bases techniques et culturelles plus
importantes qu'autrefois, même si ces tâches, autant dans l'industrie que dans le tertiaire, sont taylorisées,
les plongent définitivement dans le monde salarié moderne.
Les conditions de travail des salariés, si elles ne sont plus celles des mines et forges du XIXème siècle, ne
se sont pas toujours améliorées avec les nouvelles technologies. Elles se sont seulement élargies à un
nombre plus important d'ouvriers et de salariés du tertiaire. Dans une enquête INSEE de 2002, 38 % des
salariés disaient porter ou déplacer des charges lourdes contre 22 % en 1984. 54 % souffraient de rester
longtemps debout contre 49 % en 1984. Si le travail était surtout physiquement pénible pour les ouvriers
qui étaient par exemple 62 % à craindre d'être blessés par des outils ou matériaux, les salariés des
bureaux, employés, professions intermédiaires sont deux fois plus à déclarer souffrir aussi de postures ou
déplacements pénibles en 1998 qu'en 1984. De même, avec le travail en flux tendu, la course à la
rentabilité, 47 % des salariés travaillent le samedi, 25 % le dimanche contre moins de 1 sur 5 en 1984. Le
travail de nuit a progressé et touche désormais 14 % des travailleurs.
Les rythmes de travail s'accélèrent : la proportion de salariés dont la rapidité du travail dépend de normes
de production ou de délais à respecter en moins d'une journée est passée de 19 % en 1984 à 43 % en
1998. Les travaux pénibles le sont encore plus. Ainsi, le travail à la chaîne concerne un nombre
grandissant de salariés : en 1984, 7,5 % des ouvriers qualifiés, 16 % en 2002 ! Parmi les non qualifiés, 30
% des travailleurs font du travail posté contre 20 % quinze ans auparavant. Du coup, pour les ouvriers,
souvent jeunes ou intérimaires et immigrés, ce sont des tâches encore plus parcellisées, stressantes, la
perte totale d'autonomie, à terme des maladies professionnelles comme des tendinites, des troubles
musculo-squelettiques ou des accidents du travail à répétition.
Et une tension plus grande au travail : 30 % des salariés disent vivre des tensions avec leurs chefs et en
souffrir dans leur vie quotidienne contre 23 % en 1991. Il en est de même dans ces véritables usines que
sont les centres d'appels où les employés sont chronométrés, mis sous pression pour faire du chiffre en
peu de temps (jusqu'à 7 secondes en moyenne avec un client !). L'informatique sert alors à mieux fliquer
les salariés… Les directions profitent du statut précaire ou à temps partiel, du turn over important, pour
imposer ces conditions de travail. En 20 ans, en France, les emplois précaires (CDD, CES, intérim…) ont
été multipliés par 3 !
On en arrive à des situations d'exploitation dignes du Tiers monde dans les milieux du travail domestique,
du gardiennage, du nettoyage, ce qui a fait dire aux grévistes, des femmes pour la plupart immigrées,
salariées d'Arcade-Accor que leur travail, c'était de la " délocalisation sur place ".
Les employés des services, dont beaucoup de femmes, en augmentation constante depuis les années 50
(20,7 % de la population active en France aujourd'hui), ont émergé après la guerre puis durant les 30
Glorieuses, suite au développement de nouvelles technologies comme l'informatique et au besoin de
démocratiser un peu la santé, l'éducation, sous la pression du salariat. Aujourd'hui, les salariés des
services publics ou privés sont directement attaqués au même titre que les ouvriers, victimes des coupes
sombres dans leurs effectifs, de l'introduction de critères de rentabilité au travail, etc.
C'est pour toutes ces raisons que de plus en plus de cadres, professions intermédiaires disaient dans un
sondage en 1998 se retrouver plus proches des ouvriers que des hauts cadres et de la direction, et même
prêts à faire grève. Il n'y a pas eu de " moyennisation " avec le développement du tertiaire mais plutôt une
prolétarisation. Ce qui explique aussi l'implication des profs et instituteurs, des personnels de santé,
d'agents publics dans les grèves en 95 et au printemps dernier, l'envie de revendiquer par les méthodes de
la lutte de classe, d'unité des travailleurs, celles qui étaient avant celles des luttes des ouvriers
d'industrie…
La classe des salariés a bien sûr changé par rapport aux années d'après guerre et même depuis 1973, mais
elle demeure une classe qui n'a que ses bras à vendre à l'ensemble de la classe capitaliste quand celle-ci en
a besoin, guettée par le chômage. La classe des salariés, 23 millions sur 26 millions d'actifs, comprend 3
millions de chômeurs " officiels " et de stagiaires, surtout des jeunes, des femmes, des immigrés. Cette "
armée de réserve " n'est même pas sûre de pouvoir travailler un jour… Ce chômage qui s'aggrave pèse sur
l'ensemble de la classe salariée. C'est la même classe qui s'étend et s'appauvrit à un pôle, celui des
travailleurs pauvres (2 400 000 gagnent moins de 6 500 € par an en travaillant) et chômeurs, sans
s'enrichir de l'autre : ses couches les plus jeunes, les plus diplômées sont de plus en plus longtemps au
chômage ou en précarité (entre 1971 et 1987, le chômage des diplômés de l'enseignement supérieur est
passé de 0 à 15 % pour les garçons et de 2,9 à 10,3 % pour les filles, entre 15 et 24 ans).
En ce qui concerne les conditions de vie de la classe salariée, si elles ont évolué avec la démocratisation
de l'enseignement, de l'accès aux soins, du logement dans l'après-guerre, on retrouve les inégalités
aujourd'hui, mais à un autre niveau. Par exemple, seulement 4,9 % des fils d'ouvriers accèdent au 3ème
cycle de la fac contre 36 % des fils de professions libérales et hauts cadres. Les étudiants les plus démunis
doivent souvent travailler pour payer leurs études et deviennent de plus en plus des salariés précaires dans
la restauration rapide ou la vente (Fnac, Pizza Hut, Mac Do, Go Sport…).
La classe ouvrière, comme le capitalisme, est devenue d'emblée internationale. Les salariés des
multinationales dans les pays " à bas salaires " sont aujourd'hui plus nombreux et peuvent voir qu'ils ont
partie liée avec les ouvriers des métropoles qui travaillent pour les mêmes marques : General Motors
emploie par exemple 355 000 personnes dans le monde, plus des sous-traitants, dans des domaines aussi
variés que les moteurs électriques, le transport, l'aéronautique, le matériel médical, les plastiques,
l'électroménager, l'éclairage, les services financiers, la télévision... Les crises et les attaques qui affectent
les exploités du Tiers monde ont des répercussions immédiates sur les travailleurs des grandes puissances.
Les maquiladoras du Mexique sont en quelque sorte coupées en deux par la frontière, les sièges et les
cadres aux USA, la production et sa main d'œuvre au Mexique…
Il se produit pour cette classe ouvrière souvent jeune et féminisée le même phénomène que pour la classe
ouvrière des pays où se trouvent les sièges de ces sociétés. Elle est amenée à résister, trouve les moyens
de se faire entendre et de s'organiser comme on l'a vu en Corée ou en Argentine.
La population des pays pauvres a fini par avoir quelques retombées du progrès suite à ses luttes contre la
colonisation et parce que la bourgeoisie avait besoin qu'elle ait un minimum de structures pour exister
dans les villes. Mais, avec la crise actuelle, tout cela part en fumée. Des coupes sombres sont faites dans
les budgets publics par le FMI. Les multinationales qui avaient licencié dans les métropoles pour
délocaliser dans les pays plus pauvres, y licencient massivement aussi. C'est la chute dans l'économie "
informelle " voire la misère la plus totale pour une grande partie de la classe ouvrière des anciens pays
coloniaux. En Afrique, il est prévu qu'en 2015, 345 millions de personnes vivront avec moins d'un dollar
par jour contre 300 millions en 1999… 50 % de la force de travail mondiale est, soit au chômage, soit
sous-employée, vivant du travail au noir en pleine expansion dans les grandes villes du Tiers monde. La
classe ouvrière n'a pas d'avenir dans ce système.
***
L'opposition entre la classe des salariés et le patronat, loin d'avoir disparu, s'est renforcée avec
l'accroissement de celle-ci, enrichie par l'émergence du tertiaire. Du coup, l'ensemble de la classe des
salariés s'est renforcée en se diversifiant et en accédant à un nouveau niveau de culture et de technicité à
travers le monde
Cette évolution, que Trotsky avait entrevue dans les années 30 aux Etats-Unis, confirme l'analyse
marxiste des classes. Si le capitalisme a pu avoir un nouveau souffle lors des Trente Glorieuses, cela a été
sur la base des destructions de la Seconde guerre mondiale et de l'exploitation accrue des peuples
coloniaux. Ce nouveau souffle a entraîné un développement puissant du secteur tertiaire aux dépens du
secteur agricole et du petit commerce. Du coup, aujourd'hui, les deux classes fondamentales de la société,
l'immense classe des salariés et la minorité des capitalistes sont toujours en conflit, mais sur une arène
bien plus vaste que l'Europe et les Etats-Unis. Le conflit entre le monde du travail et la bourgeoisie s'est
étendu à la planète entière, sur la base de moyens de production gigantesques, de communications et
transports rapides, reliant le monde entier en quelques secondes.
Ensemble, travailleurs de l'industrie et du tertiaire sont de plus en plus exploités en même temps que
reliés dans le travail, amenés à apprendre des techniques et à manier les produits les plus avancés sans en
avoir le contrôle, à travailler pour un marché de plus en plus mondial sans en bénéficier vraiment.
Aujourd'hui, l'opposition classe ouvrière - bourgeoisie est plus profonde ; des couches toujours plus
nombreuses d'opprimés sont dépossédées, exploitées par le capitalisme, exclues de toute démocratie sous
le règne de quelques multinationales.
Et ce conflit entre les classes va en s'approfondissant.
La contradiction fondamentale entre production socialisée et appropriation privée se renforce
En effet, la contradiction essentielle qui mine le système capitaliste est celle entre l'appropriation privée
des moyens de production et la production socialisée. C'est elle qui est à l'origine des deux principales
classes, la classe ouvrière et le patronat. C'est aussi la cause des crises économiques au cours desquelles
des forces productives devenues trop grandes pour les rapports sociaux bourgeois se rebellent contre lui,
et comme il n'y a pas d'autre moyen de réguler une production massive et complètement anarchique que
le marché, à cette occasion, des hommes, des travailleurs, et des marchandises sont rejetés en nombre, ne
trouvant pas de travail, ne trouvant pas preneur. Au cours de chacune de ces crises qui si, elles ne sont
plus aussi régulières qu'au XIXème siècle, sont impossibles à éviter dans ce système malgré toutes les
régulations étatiques et internationales, le capital se concentre davantage en quelques mains au niveau
national et mondial.
Cette concentration du capital se fait au profit des branches les plus rentables à travers le monde ; dès
qu'un secteur offre de meilleurs profits, les capitaux s'y précipitent puis le saturent ; du coup, il est
abandonné pour un autre. Les progrès scientifiques et technologiques sont utilisés dans ce but. Une
fraction de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie est ruinée à chaque fois. Les capitalistes peuvent
ainsi sacrifier des zones entières de la planète, comme ce fut le cas de l'Asie en 1998 ou de l'Argentine en
2001 : ils ont simplement coupé les crédits publics et privés sachant qu'ils précipitaient ainsi des milliers
de personnes dans la misère et la ruine.
Ce mouvement aboutit au fait qu'en 2000, quelques 200 multinationales à travers le monde contrôlent
tous les secteurs de l'économie mondiale, dont les 54 premières par la capitalisation boursière sont
américaines : General Electric, Microsoft, Exxon Mobil, Pfizer, Intel… Employant des millions de
salariés (40 millions en 1975, 73 en 1992) avec en plus des filiales et sous-traitances diverses, elles
contribuent à lier tous les travailleurs entre eux. Mais c'est au prix d'une dictature y compris sur les Etats
les plus puissants et du rejet dans la misère de toutes les branches non rentables, donc, de milliers de
salariés, au gré des crises.
Le principal indicateur de cette internationalisation des multinationales est la hausse rapide de ce qu'on
appelle les investissements directs à l'étranger (IDE) de 6 % du PIB mondial en 1980 à 9 % en 1990. Ce
niveau a bondi de 20 % en 2000, plus qu'un doublement en 10 ans (un gonflement dû aussi à la bulle
boursière). Si avant les années 80, beaucoup de ces investissements sont allés au Tiers monde sous forme
de prêts bancaires, ils n'ont servi qu'à dépecer les services publics et à de nombreuses fusions-acquisitions
qui ont rapporté aux multinationales intéressées par ces " marchés émergents ", jusqu'à leur épuisement.
Un exemple : Danone, 72ème multinationale au niveau mondial avec 86 000 salariés. En 2000, 58% de
ses activités se font hors de France, avec 61 % de ses ventes et 75 % de ses emplois, soit 58 000 contre 22
000 en 1989 ! Ses investissements financiers : 61 %, ses investissements industriels : seulement 39 % !
Lorsqu'il a décidé de recentrer ses nombreuses activités sur les produits laitiers frais, les boissons et les
biscuits, il a massivement licencié dans ses secteurs en Europe (Lu, Heudebert, Belin…) pour racheter des
sociétés étrangères et employer de plus en plus de monde en Asie et Amérique du Sud…
Aujourd'hui, l'Union européenne, le Japon et les USA se partagent ensemble presque 80 % du stock
global d'IDE.
***
L'évolution économique fait que la bourgeoisie ne peut accroître ses profits dans le système actuel,
aiguillonnée non par les besoins humains mais par la concurrence sur le marché, sans développer dans le
même temps la classe des salariés à l'échelle internationale, et sans de ce fait la pousser à la révolte Les
progrès technologiques accélèrent la circulation des biens, des personnes mais aussi des facteurs de crise
et de bouleversement (financiarisation de l'économie).
Il y a un décalage de plus en plus important entre cette prolétarisation de la planète, cette entrée dans la
vie moderne et internationale d'une masse croissante d'exploités et l'appropriation de leur travail par une
poignée d'industriels et actionnaires de moins en moins nombreux et contrôlables.
La contradiction entre la production de plus en plus socialisée et son appropriation privée de plus en plus
concentrée se manifeste dans le développement du prolétariat et la constitution d'une aristocratie
financière de plus en plus restreinte.
Paupérisation relative et absolue
Marx avait montré que le développement capitaliste s'accompagne d'une paupérisation relative du monde
du travail. Les travailleurs dans leur ensemble produisent un volume grandissant de richesses et ne
peuvent jouir que d'une part proportionnellement toujours moindre de celles-ci.
Cette paupérisation relative se mesure avec, par exemple, les indicateurs de répartition de la valeur
ajoutée qui montrent quelle proportion de la valeur nouvellement créée dans une année revient aux
salariés sous forme de salaires, et quelle proportion revient aux propriétaires du capital.
Sur l'ensemble du 20ème siècle, la part revenant aux salariés a oscillé en France entre 72 % et 60 % de la
valeur créée, tandis que celle revenant au capital allait de 28 à 40 %. Mais l'évolution dans le temps
montre clairement l'évolution du rapport de forces entre les classes.
La part des salariés a augmenté de façon presque continue pendant les 30 Glorieuses et dans les années
qui ont suivi, jusqu'au taux maximum de 72 % en 1981. Depuis 81, pendant les 20 années de
gouvernements de gauche et de cohabitation avec la droite, la part des salariés a baissé sans discontinuer
pour atteindre aujourd'hui son taux le plus bas, le plus bas depuis le début du 20ème siècle, avec 60%. Ce
déplacement de 12% des richesses créées en faveur de la bourgeoisie en 20 ans est énorme. Pour donner
un ordre de comparaison, l'Impôt sur les grandes fortunes instauré par la gauche en 1981 n'a représenté à
l'époque qu'un déplacement de 0,3% du revenu de l'époque (40 fois moins !) (les données de ce passage
viennent de Piketty, L'économie des inégalités).
On voit aussi cette paupérisation des salariés par l'évolution du pouvoir d'achat.
S'il fallait croire l'INSEE, les salaires ne cesseraient de progresser, alors que pour l'immense majorité des
salariés les fins de mois sont de plus en plus difficiles.
Jusqu'en 1977, les salaires ont effectivement augmenté. Mais depuis 1982, avec le blocage instauré par la
gauche dans le cadre de l'offensive libérale de la bourgeoisie, le revenu des salariés plonge.
Les chiffres de l'indice des prix de l'INSEE ne reflètent pas la consommation réelle des classes populaires,
par exemple le poids des loyers est très minoré dans cet indice, et des produits qui sont sortis de la
consommation courante comme le charbon y figurent toujours. Du coup, les calculs du pouvoir d'achat
selon l'INSEE sont faussés. La CGT de son côté a mis au point un autre indice qui aboutit à des
conclusions radicalement opposées.
Ainsi, sur la période 1984-1996, d'après l'INSEE, le salaire moyen net mensuel en francs constants aurait,
gagné 706 F (+7,2 %), atteignant 10 500 F en 1996. Mais pour la même période, selon la CGT, il y aurait
en fait une perte de 1487 F (-12,4 %).
Pour les ouvriers, selon l'INSEE, l'augmentation serait de 280 F (+4%) pour atteindre 7970 F en 1996.
Pour les employés, 163 F (+2%), atteignant 8230 F en 1996. Pour la CGT, il y a perte de 1440 F, soit -15
% pour les ouvriers, et pour les employés de 1640 F, soit -17 %. Pour les professions intermédiaires, la
baisse du pouvoir d'achat est encore plus marquée : les données officielles admettent une perte de pouvoir
d'achat de 524 F (-4 %). Avec l'indice CGT, c'est une chute de plus de 3 300 F (-22%) !
Sans compter que l'INSEE ne comptabilise pas les millions de travailleurs à temps partiel ou qui ne
travaillent que quelques mois dans l'année. Du coup, on peut estimer que le salaire moyen réel est sans
doute 10 % inférieur à celui annoncé par l'INSEE, ce qui donnerait une baisse moyenne du pouvoir
d'achat plutôt de l'ordre de 1750 à 2000 F que des 1500 F annoncés par la CGT.
50% des salariés (10 millions) touchent moins de 1160 € (7600 F) (salaire médian).
2,2 millions de salariés ne touchent que le Smic. Et 3,4 millions, 1 salarié sur 6, perçoivent moins que le
Smic. Avec les temps partiels imposés et les contrats de type CES, CEC, CIE, ce sont essentiellement des
femmes qui sont victimes de ce sous-emploi que certains qualifient cyniquement de " temps choisi " ou de
" chance pour concilier vie familiale et vie professionnelle " (1,5 millions de temps partiels en 1980, 4
millions aujourd'hui, essentiellement des employées, vendeuses, caissières, femmes de ménage, etc).
Cette progression des bas salaires a été très rapide dans les années 80, à l'origine de l'augmentation de la
pauvreté et des inégalités.
33% des ménages (7 700 000) ne possèdent aucun patrimoine. Les 17% suivants (3 800 000) possèdent
6% du patrimoine national. 10 millions et demi de ménages, la moitié de la population du pays, se
partagent donc 6% du patrimoine national. Quand le 1% de ménages les plus riches (230 000) en
possèdent 21%.
Entres les 10% de ménages les plus pauvres et les 10% les plus riches, il y a un écart de revenu de 1 à 4,
et un écart de patrimoine de 1 à 80.
4,2 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé en France à 581 € (la moitié du
salaire médian). Parmi elles, 520 000 retraités, 1 million d'enfants de moins de 17 ans, 420 000 étudiants
de plus de 17 ans, 580 000 sans emplois. Mais aussi 520 000 chômeurs de longue durée. Et 1,2 millions
de travailleurs.
Quant au nombre de RMIste, il est passé en France de 407 000 en 1989 à plus d'1,1 millions en 2001.
Cette paupérisation est à mettre en relation avec l'extraordinaire progression de la productivité du travail.
Entre 1945 et 1995, la production industrielle a été multipliée par 6 en France, alors que le nombre
d'ouvrier diminuait. La richesse créée a augmenté, et bien plus vite que la population, puisque le PIB par
habitant a lui été multiplié par plus de 4, passant de 11 000 euros en 1950 à 45 000 euros en 1990. Jamais
les richesses disponibles n'ont été aussi importantes. Cela met en lumière de la façon la plus criante, la
contradiction entre ce qui serait possible, une répartition qui permettrait des conditions de vie décentes
pour tous, et ce qui est, les injustices les plus accentuées depuis des décennies.
A l'échelle du monde, la situation est encore plus dramatique.
Des économistes, des journalistes, des patrons cherchent à présenter l'évolution économique comme un
progrès régulier qui assurerait une amélioration des conditions d'existence, et de citer les " 30 Glorieuses "
ou les quelques rares " pays émergents " qui ont connu des périodes de croissance ces dernières années.
Leur propagande ne résiste pas devant l'examen des conditions terribles que le capitalisme impose à la
majeure partie de l'humanité.
En 1998, 1,2 milliards de personnes (1/5ème de l'humanité) vivent avec moins de 1$ par jour. 1 personne
sur 6 (1 milliard) vit dans un bidonville.
Dans les pays de l'Afrique subsaharienne, le nombre moyen de calories disponibles par habitant a reculé
pendant ces 40 dernières années. Dans cette zone, le nombre de sous-alimentés est passé de 100 millions
en 1970 à 200 millions en 2000. Dans la zone Amérique latine - Caraïbes, de 40 millions à 55 millions.
Dans l'Asie du sud, de 225 millions à 240 millions.
Ces pays sont appelés par les organismes officiels " pays en développement ", en réalité, les conditions de
vie s'y dégradent de façon dramatique. Il y a réellement paupérisation absolue.
Et il ne s'agit pas d'un problème de pénurie. Si la nourriture déjà disponible uniquement dans les
prétendus " pays en développement " était répartie équitablement, 4,5 milliards d'humains auraient 2500
calories par jour. Au lieu de cela, 800 millions de femmes et d'hommes sont sous-alimentés, dont les ¾
sont des ruraux auxquels les lois du marché empêchent de produire leur alimentation. 24 000 personnes
meurent de faim chaque jour.
Cette situation actuelle est le produit de la généralisation de l'économie de marché, la marchandisation du
monde. La famine endémique est une invention du capitalisme, elle n'existait pas avant qu'il impose le
règne de la marchandise à l'échelle du monde. Elle est la conséquence ultime du transfert de la majeure
partie des richesses dans les coffres des multinationales et des groupes financiers.
L'accentuation des inégalités révèle l'accentuation de l'exploitation salariée et son extension. Ne pas
réussir à vendre sa force de travail est pour le prolétaire le début du monde des abîmes. La bourgeoisie,
aiguillonnée par la concurrence et par la boulimie de profits, accentue et étend toujours plus cette
exploitation.
***
La classe salariée a évolué, s'est élargie, diversifiée à l'échelle de la planète. Parallèlement à son poids
numérique, son poids économique s'est accru dans une bien plus grande mesure du fait de l'augmentation
de la productivité. Internationale, elle l'est dès sa naissance, et les migrations économiques renforcent les
liens entre les classes ouvrières du monde, victimes partout des mêmes frontières et des mêmes préjugés
sociaux.
Les conditions de vie et de travail se sont aggravées du fait de la concurrence exacerbée et du recul
politique du mouvement ouvrier. Ainsi s'amenuise l'espoir d'obtenir des avancées dans le cadre de cette
société, de façon réformiste, par la politique des syndicats et partis " de gauche ". Le discrédit du PC qui a
géré loyalement le système avec le PS se traduit par des ruptures profondes avec les appareils, des
politiques qui ne sont même plus réformistes, la routine des bureaucrates… Le manque d'intérêt pour la
politique, " l'apolitisme " dans les milieux populaires, le vote dit " contestataire " à l'extrême droite, les
difficultés à s'organiser sur les lieux de travail, les quartiers, la montée de certains intégrismes, en sont des
marques aussi.
Les conditions de travail et de vie engendrent -ce qui est souvent ignoré par les sociologues de tous bordsune nouvelle conscience, de nouvelles luttes de précaires -même de managers de chez Mac Do-, des luttes
parfois désespérées comme à la Cellatex, mais aussi des grèves avec des collectifs interprofessionnels
comme au printemps 2003, de travailleurs sans papiers (récemment dans les vignobles du bordelais) ou
étrangers travaillant pour des sous-traitants avec des salariés français comme aux chantiers de SaintNazaire… Cela s'est traduit par les progrès du vote extrême-gauche dans les milieux populaires et la
jeunesse révoltée à la dernière Présidentielle. C'est ce qui apparaît aussi, au niveau mondial, à travers
l'émergence de résistances à l'ordre impérialiste mondial, dont les manifestations altermondialistes sont
un reflet.
En réalité, le développement des forces productives s'est poursuivi bien au-delà de ce que Marx avait
prévu (et pas prédit selon bien des caricatures, car Marx était un acteur de son temps et un savant, pas un
prophète !)
Cependant, les contradictions qu'il a décrites au cœur du développement du capitalisme demeurent et
s'aiguisent comme on peut le voir avec la prolétarisation croissante des exploités, voire leur paupérisation,
et la concentration du capital dans le monde.
Les contradictions entre la classe des possédants et la classe des prolétaires sont toujours plus aiguës et ne
trouveront de solution que dans l'appropriation collective du produit du travail socialisé par un
renversement révolutionnaire, la prise du pouvoir politique et économique par les exploités. La véritable
démocratie réside dans la reconnaissance du caractère collectif des forces productives devenues trop
larges pour le cadre étroit des rapports sociaux bourgeois, de la propriété privée.
Une telle issue suppose que le développement social de la classe ouvrière moderne, dans toute sa
diversité, s'accompagne du développement de sa conscience. " Classe en soi ", selon l'expression de
Marx, c'est-à-dire qui n'a pas encore conscience d'elle-même, elle se transforme en " classe pour soi ",
c'est-à-dire organisée et luttant consciemment pour ses droits sociaux et démocratiques, pour la
révolution.
Cette transformation s'opère au cours du développement même de la classe salariée qui suscite conflits,
luttes, espoirs et révolte à travers lesquels se forgent ses aspirations propres, ses idéaux sociaux, une
nouvelle conscience.
Cette dernière se construit à travers un processus fait de crises, de reculs, d'avancées. Elle est le produit
d'évolutions économiques, de rapports de force sociaux, de luttes politiques et sociales qui façonnent une
expérience humaine collective, celle de l'appartenance à un classe porteuse d'un autre monde possible.
La bourgeoisie, classe rompue à l'exercice du pouvoir, dispose d'un Etat major, d'un appareil d'Etat, de
syndicats, de partis pour défendre son intérêt particulier opposé à l'intérêt collectif. Elle est dépassée par
l'évolution actuelle des forces productives. Ces dernières sont à la mesure de la classe salariée qui les
manie, celle qui travaille, qui étudie, qui lutte pour ne pas être une marchandise, machine manuelle ou
intellectuelle à faire du profit.
Classe exploitée, en s'emparant de l'économie, en s'appropriant les moyens de production, en contrôlant la
société, la classe des salariés ferait par là même disparaître toutes les classes et avec elle l'oppression de
l'homme par l'homme.
Etre révolutionnaire, c'est participer à ces évolutions, en prendre conscience soi-même pour les rendre
conscientes à leurs autres acteurs. Qui dit contradiction dit mouvement : décrire ce mouvement de
l'histoire, ces contradictions, les comprendre pour que la classe des exploités y inscrive sa propre action
pour renverser le vieux monde, voilà le contenu de notre travail politique.
Sophie Candela et Franck Coleman
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