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Influence de la marque étrangère sur le comportement
des consommateurs vietnamiens
Hoang Minh DOAN
Doctorante au DMSP, Université Paris IX Dauphine
Professeur de Marketing au Centre Franco-Vietnamien de Formation à la Gestion de Hanoi
et à l’Ecole Supérieure d’Economie Nationale (Vietnam)
Résumé : Le problème des marques étrangères est une des caractéristiques intéressantes dans le
comportement des consommateurs vietnamiens dans cette période de transition. La réalité des
marques étrangères au Vietnam est complexe avec des « fausses » et des « vraies » marques
étrangères. Une étude qualitative a découvert que pour des raisons d’ordre socio-économique, les
produits de marque étrangère sont, dans de nombreux cas, considérés comme plus prestigieux, de
meilleure qualité, et en général préférés aux dépens des produits nationaux. Par ailleurs, la
préférence parfois « exagérée » des marques étrangères des consommateurs vietnamiens s’est avérée
liée avec des caractéristiques socio-culturelles du pays, telles que le collectivisme, le souci de la
face...
Mot clés : Vietnam, marque étrangère, étude qualitative, perception de la marque, influence
interpersonnelle
Abstract: The perception of foreign brand represents one of the most interesting caracteristics of
Vietnamese consumers in the transitional period. The reality shows that in the market, there are
« real » and « unreal » foreign brands. Qualitative survey found that in many cases, Vietnamese
consumers prefer foreign brands to national brands, because they are perceived as more
prestigeous and with better quality. In addition, the exorbitant preference of foreign brand seems
related to some of Vietnamese social-cultural caracteristics such as collectivism, concern for
face...
Keywords : Vietnam, foreign brand, qualitative survey, brand perception, interpersonnal influences
Introduction
Depuis l’ouverture économique à la fin des années 80, on constate d’importants
changements sur le marché vietnamien. Un des faits marquant cette période de transition est
le phénomène des marques étrangères. En effet, d’une époque caractérisée par l’économie de
pénurie des années difficiles d’après-guerre, aggravée par l’embargo américain, les
consommateurs vietnamiens sont passés dans une nouvelle ère marquée par l’afflux des
marchandises importées de l’étranger. Longtemps habitués aux produits basiques et de
qualité très médiocre, qui étaient fabriqués dans des conditions de productions obsolètes en
respectant strictement des règles de parcimonie, ils accueillent ces produits d’origine
étrangère avec un enthousiasme qui peut s’expliquer par différentes raisons : une meilleure
qualité, une plus grande diversité de choix, des formes, des apparences plus attrayantes, un
sentiment de libération, de nouveauté etc. Nous avons connu une époque tout ce qui
portait un nom étranger devait naturellement être de bonne qualité, coûter cher, et tous ceux
qui consommaient ces produits étaient considérés comme riches, raffinés. Une marque
étrangère conférait au produit qui la portait une double valeur d’assurance de qualité et de
prestige. Cette confiance totale pour les marques étrangères semble diminuer quelque peu ces
derniers temps, en raison de l’amélioration de la qualité des produits nationaux, d’une plus
grande maturité des consommateurs vietnamiens, car de nombreux abus ont été constaté, des
produits vietnamiens de faible qualité étant commercialisés sous une marque étrangère. La
notion de la marque étrangère au Vietnam représente en fait un phénomène plus complexe
qu’il n’y paraît, car trois catégories de produit peuvent exister sous une marque étrangère, et
chacune présente un aspect différent du comportement des Vietnamiens vis-à-vis de la
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marque. Un nom de marque étrangère peut, en réalité, revêtir à la fois un produit importé, un
produit « joint-venture » fabriqué sur place, ou un produit « 100% vietnamien ». En effet,
conséquence de la dévaluation des produits domestiques au profit des produits étrangers, les
producteurs nationaux doivent chercher un moyen pour pouvoir vendre, et un moyen efficace
c’est de coller un nom étranger sur le produit. A cela s’ajoute le phénomène de la
contrefaçon, bien connu dans la région, dont beaucoup de marque internationale réputée ont
été victimes. Cependant, de nombreux consommateurs continuent à choisir un produit
pourvu qu’il soit marqué étranger !
Le succès des marques étrangères auprès des Vietnamiens n’est ainsi pas le même d’un cas
à un autre. Est-ce une apparence plus originale, un concept produit plus audacieux, ou encore
une influence plus importante de la mondialisation qui peuvent expliquer le mieux leur
motivation, la question reste ouverte. Tous ces aspects de la relation avec les marques
étrangères des consommateurs vietnamiens se manifestent de façon plus ou moins forte en
fonction de différents milieux sociaux, différentes catégories de gens. Des éléments comme
l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, le niveau de vie… semblent exercer une certaine
influence sur la perception des marques étrangères.
Le sujet de la marque étrangère constitue ainsi un sujet de recherche intéressant et les
résultats de celle-ci pourrait apporter une contribution importante à la compréhension de
l’évolution du comportement des consommateurs vietnamiens pendant cette période de
transition, alors que le Vietnam s’engage activement sur la voie de la mondialisation et donc,
de l’internationalisation des marchés et des marques. Dans le cadre de cet article, nous
souhaitons explorer ce sujet en donnant un aperçu de la situation de la marque étrangère dans
le contexte de la marque générale sur le marché vietnamien, complétée d’analyses
qualitatives de la perception des marques étrangères par les consommateurs vietnamiens.
1 Bref rappel de l’histoire de la marque au Vietnam
La marque n’a pas encore une très longue histoire au Vietnam, ou pour être précis,
l’histoire de la marque au Vietnam a eu une rupture de plus d’un demi-siècle. En effet, on
peut considérer que l’apparition de la marque au Vietnam date de l’époque colonialiste
française au début des années 1900, avec des marques comme Gauloises, Peugeot, Renault,
Parker. Elle a fait sa réapparition au Vietnam depuis seulement une quinzaine d’années,
après la réorientation politique et économique de l’Etat à la fin des années 80. Avant, le pays
a connu une période de guerre et d’après-guerre, durant laquelle l’économie était caractérisée
par la pénurie, à cause d’une production nationale insuffisante, aggravée par l’embargo
américain (Geib 1999, [9]). Les consommateurs vietnamiens étaient habitués à un système de
distribution rationalisé avec des produits locaux basiques. Ces produits étaient conçus et
fabriqués en respectant strictement le principe d’économie de parcimonie, dépourvus
quasiment de tout élément extérieur comme marque et conditionnement, publicité,
promotion... Ces éléments étaient considérés en réalité comme dérisoires ou superflus, non
seulement par les consommateurs mais aussi par les producteurs, pour qui les concepts de
concurrence ou de marché restaient étrangers.
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L’année 1987 constitue un tournant important dans l’histoire économique vietnamienne,
avec la politique de réorientation du pays. L’ouverture vers l’économie de marché a
transformé le paysage économique vietnamien, qui commence à évoluer vers une société de
consommation (Shultz II & Ardrey IV, 1997 [30], Le & Jolibert 2001 [16]). En effet,
l’arrivée des investisseurs étrangers, l’invasion des marchandises importées, ont confronté
les Vietnamiens à une nouvelle réalité, qui ne fut pas simple à intégrer. Les vestiges d’un
passé difficile restent profondément ancrés dans la mentalité de la population. Ils coexistent
avec les nouvelles tendances de vie, de consommation, en provenance des pays développés.
Avec l’évolution économique surprenante du pays, la société vietnamienne actuelle se trouve
dans une étape changeante la mentalité des consommateurs semble partagée entre les
principes rigides acquis lors d’une époque de privations, et les aspirations à la nouveauté
inspirées des modèles occidentaux (Shultz II & Ardrey IV 1997 [30]). Parallèlement à un
côté pratique qui fait que les Vietnamiens considèrent toujours les produits sous un angle
rationnel et fonctionnel, ils laissent percevoir également un côté émotionnel, qui les fait
s’intéresser aux valeurs symboliques, imaginaires, de la consommation, à l’apparence du
produit. L’élément marque du produit commence à avoir un statut dans la perception des
consommateurs vietnamiens et son importance est de plus en plus prise en compte par les
entreprises, sous la pression de la concurrence des compagnies étrangères et du
développement des médias.
Cependant, le développement de la marque au Vietnam n’est pas simple. En effet, les
changements s’opèrent à un rythme très rapide. Si les consommateurs occidentaux ont eu
plus de cinquante ans pour s’habituer à la marque et aux techniques de promotion de celle-ci,
les activités de marketing, comme elles existent dans le monde occidental, ne commencent à
être présentes sur le marché vietnamien que depuis une dizaine d’années (James, 2002 [12])
et restent encore à un niveau très basique (Miller 1994 [21]). Ceci peut créer des différences
importantes entre des catégories de gens plus ou moins exposées aux effets de l’ouverture du
pays, par exemple entre les villes et les campagnes, entre les générations… Des étrangers
peuvent éprouver au Vietnam en quelque sorte une impression de désordre, de chantier en
construction. On peut constater par exemple la présence paradoxale d’une société moderne et
d’une société arriérée. Des boissons de marques internationales comme Coca Cola ou Pepsi
Cola se vendent dans des « Quan Giai Khat » (petites échoppes proposant
des rafraîchissements) à côté des bouteilles de jus de fruit locales sans marque. De grands
centres commerciaux luxueux cohabitent avec des petits marchés populaires « mouvants ».
Des banderoles publicitaires de Coca Cola ou d’Unilever peuvent se trouver chez des
commerçants minuscules de type bazar au coin d’un quartier... Par ailleurs, le développement
des infrastructures économiques du pays, loin d’être suffisant et équilibré, présente encore
des lacunes, par exemple dans les circuits de distribution, les réglementations commerciales,
les médias, les systèmes de statistiques et d’échange d’information, les agences
publicitaires… ce qui ne rend pas facile le développement de la marque et son management.
La situation actuelle de développement économique du pays fait que la gestion de la marque
ne rencontre pas les mêmes problématiques que dans d’autres pays. Par exemple, le
problème des marques de distributeur ne se pose pas encore, car la distribution moderne n’est
pas encore vraiment installée dans le pays. Par contre le manque d’efficacité des
réglementations de protection des droits d’auteur aggrave les phénomènes d’imitation (Geib
1999 [9], Icongroupedition.com 2000 [11]). Dans ce panorama général de la marque au
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Vietnam, les marques étrangères se détachent comme un phénomène complexe qu’il serait
intéressant d’examiner.
2 Trois types de marques étrangères au Vietnam
Tout d’abord, il y a de vrais produits étrangers qui portent un nom de marque étranger et
sont importés au Vietnam de façon légale, par des sociétés d’import-export vietnamiennes et
étrangères, ou illégale, par la voie de la contrebande à travers des pays voisins comme le
Laos, le Cambodge, la Thaïlande et la Chine (Venard 1996 [31]). Les types de produits sont
très diversifiés, ainsi que leur origine. Par exemple sur le marché de consommation, on peut
trouver des produits électroniques japonais, des produits cosmétiques thaïlandais et coréens,
des produits de consommation courante chinois A la fin des années 80, l’arrivée de ces
marchandises constituait une source d’approvisionnement importante pour subvenir aux
besoins de la population, à cause de la pénurie. Sur un marché proposant alors uniquement
des produits domestiques, souvent basiques et de qualité médiocre, la présence de
marchandises plus diversifiées, de meilleure qualité, était très vite accueillie avec
enthousiasme. Les consommateurs attribuaient à tous les produits d’origine étrangère la
même évaluation de prestige, de luxe, et de qualité, et étaient prêts à accepter un prix
supérieur (Shultz II & Ardrey IV, 1997 [30]). Cette tendance quelque peu naïve conduit à des
conséquences fâcheuses, des produits sont faussement marqués de noms étrangers connus
pour attirer les clients. Aujourd’hui, avec le développement de la production domestique, la
confrontation avec la réalité parfois décevante des produits étrangers, l’appréciation des
Vietnamiens devient de plus en plus sélective. Par exemple, les produits chinois sont
désormais considérés comme populaires et de basse qualité.
Il y a un deuxième type de produits de marque étrangère, mais qui sont en réalité tout à fait
vietnamiens. Il s’agit d’un phénomène assez répandu sur le marché du pays. En effet,
conséquence de la dévaluation des produits domestiques au profit des produits étrangers
(Venard 1996 [31], Shultz II CJ & Ardrey IV, 1997 [30]), les producteurs nationaux doivent
chercher un moyen pour pouvoir vendre, et un moyen efficace est de coller un nom étranger
sur le produit. N’oublions pas que la langue vietnamienne est caractérisée par le
monosyllabisme et que les Vietnamiens sont habitués à prononcer séparément chaque
syllabe, laquelle ayant en général une signification propre, ce qui n’est pas le cas avec des
langues occidentales. Il est fréquent d’observer sur le marché des produits vendus au
Vietnam, pour les Vietnamiens, comme des sachets de nouilles instantanées, des biscuits…,
mais qui ont une marque et un emballage couverts de lettres étrangères. La langue utilisée est
notamment l’anglais, depuis les indications d’utilisation jusqu’à la date d’expiration, même
si ces produits ne sont pas destinés à l’exportation. Ce sont surtout des produits de faible
valeur, comme des produits alimentaires, cosmétiques et d’entretien. La situation persiste
toujours, car la législation n’intervient pas dans ce domaine. Pourtant, ceci peut amener à des
conséquences dangereuses, car tous les consommateurs ne connaissent pas forcément
l’anglais, et il s’agit parfois des produits liés à la santé du consommateur. Jusqu’ici, cette
pratique trompeuse semble satisfaire à la fois les producteurs et les consommateurs. Pour les
uns, il s’agit de mieux vendre, pour les autres, d’avoir le sentiment de consommer un produit
supérieur.
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Une troisième catégorie de produits de marques étrangères est constituée des produits
fabriqués au Vietnam, mais qui portent de vraies marques étrangères, de sociétés
internationales parfois bien connues. Ce sont des produits d’entreprises de type « joint-
venture », une catégorie à mi-chemin entre produits étrangers importés et produits
vietnamiens fabriqués sur place, ou des entreprises à 100% capitaux étrangers. En réalité,
cette catégorie de produit représente une part importante sur le marché des biens de
consommation du pays, et rivalise à égalité avec les produits 100% domestiques, à cause du
retard des investissements nationaux. En général, ce type de produits est mieux apprécié que
les produits domestiques. Par exemple en matière de chaussures, parallèlement à une marque
souvent inconnue, les chaussures dites « joint-venture » bénéficient d’une image de prestige
supérieur, quelles que soient les usines vietnamiennes et étrangères qui participent à cette
joint-venture. Quant aux produits de grandes marques, il arrive souvent que les
consommateurs aient le choix entre les produits d’une même marque mais d’origines
différentes. Ils commencent alors à faire un classement par le « made-in ». Par exemple,
entre les télévisions Sony, la meilleure reste la Sony japonaise, ensuite, c’est la Sony
vietnamienne, et après, ce sont les Sony malaisiennes ou thaïlandaises. Dans ce cas, la
marque est souvent accompagnée du pays d’origine, et c’est ce nom complet qui est pris en
considération par les consommateurs.
Un autre phénomène lié aux marques étrangères est celui de la contrefaçon. La situation de
la contrefaçon est alarmante dans les pays d’Asie du Sud-Est en général, et au Vietnam en
particulier. Elle a fait subir des conséquences graves aux grandes marques internationales
bien appréciées au Vietnam comme Ajinomoto
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, Levi’s, Nike… et à certaines marques
nationales qui ont obtenu une grande réputation comme Biti’s
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, Kinhdo
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Ce fléau est
d’autant plus désastreux que le système de distribution reste encore obsolète et rend souvent
inopérable le contrôle d’origine des produits. En même temps, les marques réputées doivent
aussi faire face à l’imitation, à la copie, phénomène rendu fréquent par l’insuffisance des
réglementations législatives. Ce sont ces phénomènes mêmes qui ont contribué en quelque
sorte à réduire l’enthousiasme des Vietnamiens pour les marques étrangères, car ce sont
surtout elles qui sont contrefaites. La peur d’acheter un produit de contrefaçon ramène
parfois les consommateurs vers les produits nationaux, qui présentent moins de risque.
Nous venons d’examiner la situation actuelle de la marque étrangère sur le marché
vietnamien, qui manifeste sans doute des caractéristiques propres à un marché émergeant
après avoir connu une économie de planification étatique comme au Vietnam. Dans la partie
suivante, nous allons faire une revue de la littérature ayant pour sujet la problématique de la
marque étrangère. Cette revue nous aidera à mieux discerner les particularités de la réalité
des marques étrangères au Vietnam.
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Marque japonaise de glutamate
2
Marque vietnamienne de chaussures légères et sandales
3
Marque vietnamienne de viennoiserie et biscuits, bonbons…
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