1 L’essentiel de la foi. (Extraits de Joie de croire, joie de vivre, François Varillon, Bayard)
1a La vie a-t-elle un sens ?
Question : pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? Au plan pratique : pourquoi faut-il qu’il y ait un
accroissement, une puissance, un plus-être ? A quoi cela mène-t-il ? C’est toute la question du sens et du non-sens
de la vie. Le christianisme se présente comme une réponse à cette interrogation qui nous définit comme homme.
Être chrétien c’est croire à la réponse que Dieu donne en Jésus-Christ à cette interrogation humaine… Être
chrétien, c’est pouvoir donner un deuxième sens, beaucoup plus profond, à ce qui a déjà un sens (comme l’amitié,
l’amour, la culture, la musique, même la toute simple camaraderie) et c’est pouvoir donner un sens à ce qui n’en a
pas. (p 12-14)
Le sens ultime de l’existence humaine est que nous sommes appelés à devenir Dieu. Comment ? Telle est la
question qu’il faut approfondir. (p. 20)
1b L’essentiel de l’essentiel
» Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu » (Irénée, évêque de Lyon, + 200). Explication : Les
deux vérités sont rigoureusement corrélatives, l’incarnation de Dieu et la divinisation de l’homme. Cela est
absolument traditionnel, c’est le noyau de la foi, le permanent, l’immuable, ce qu’aucun contexte culturel nouveau
ne peut modifier, ce que l’Église ne mettra jamais en question, même si elle remet en question la manière de la
formuler. (p 16-20)
1c Qu’est-ce qu’un mystère ?
Saint Augustin n’a jamais défini le mystère comme ce que l’on ne peut pas comprendre mais comme ce que l’on a
jamais fini de comprendre. Exemples : comprendre un ami, son mari, son épouse, l’autre quel qu’il soit… En fait,
le sens de la vie est notre relation à Dieu, une relation telle que nous vivrons éternellement de sa vie. Le
christianisme est essentiellement la vérité d’une relation. C’est le Christ, celui qui s’est fait homme pour que
l’homme soit fait Dieu, qui nous révèle qui est l’homme et qui est Dieu. (p 20-22)
1d Qui est l’homme ?
Si vous me demandez ce qu’est l’homme, je vous réponds ceci : l’homme est du divinisable. C’est la réponse la plus
profonde, au-delà de toutes les choses si intéressantes que peuvent nous dire les sciences humaines… Divinisable
? Tout simplement parce qu’il y a un homme qui est Dieu. Un homme pleinement homme : l’Évangile et saint Paul
nous répètent que le Christ est pleinement homme sauf le péché, ajoute-t-on. Mais c’est précisément parce qu’il
n’est pas pécheur que le Christ est pleinement homme. Ce qui nous empêche nous d’être parfaitement hommes,
c’est que nous sommes pécheurs. Si vraiment il y a un membre du genre humain, de l’espèce humaine qui est
Dieu, c’est donc qu’il y a dans tous les hommes une capacité à devenir ce qu’est Dieu. Si un homme est Dieu, c’est
que tous peuvent le devenir. Le mystère de tout homme, le sens de l’homme, la signification de la vie humaine,
c’est l’aptitude essentielle de l’homme à devenir ce qu’est Dieu. (p 22-23)
1e Qui est Dieu ?
Jésus nous révèle qui est Dieu : Dieu est Amour. Nous le savons, oui ; mais prenons-nous cette affirmation au
sérieux ? Il est bien évident que s’il y a un homme qui est Dieu, c’est que Dieu est Amour. On imagine mal
l’incarnation si Dieu n’est pas Amour. En effet, la tendance profonde, le mouvement profond de l’amour est de
devenir l’être aimé, non seulement d’être uni à lui mais d’être un avec lui. C’est un mouvement qui existe déjà dans
l’amour humain mais qui n’est pas réalisable pleinement… Dieu est amour. Toute la Bible développe ce point. (p
24)
1f Qu’est-ce que l’amour ?
Toute l’histoire de la Révélation est la conversion progressive d’un Dieu envisagé comme puissance à un Dieu
adoré comme amour. C’est avec cette perspective-là qu’il nous faudrait relire la Bible et étudier l’histoire des
religions… Il y a moyen d’imaginer un regard d’amour où il n’y aurait que de l’amour car je pense que, dans
l’expérience de l’amour humain (qu’il s’agisse de l’amour conjugal, de la sympathie fraternelle, de l’amour paternel
ou maternel, de la charité et du dévouement aux autres, etc.), il y a suffisamment d’amour même mêlé de
beaucoup d’égoïsme, pour que nous comprenions ce qu’est l’amour quand il est vécu en Dieu, en toute pureté et en
toute plénitude.
Le Dieu en qui nous croyons n’est pas le Dieu des philosophes, d’Aristote ou de Platon, il est le Dieu révélé par
Jésus Christ… Nous sommes loin de Jupiter, du paternalisme et du triomphalisme ! C’est ce Dieu-là (Amour) que
nous révèle Jésus-Christ. (p 24-32)
2 - Transformation de l’homme
2a Croissance humaine
On ne devient pas ce qu’est Dieu en avançant tranquillement le long d’un plan incliné. On ne débouche pas tel que
l’on est dans la vie même de Dieu. Il y faut une transformation radicale (j’entends ce mot en son sens le plus strict,
il vient de radix qui signifie racine). Pour devenir ce qu’est Dieu, il faut que l’homme soit radicalement transformé.
Le P. Varillon propose des exemples : la petite fille qui devient femme, la chenille qui devient papillon, le grain de
blé qui devient épi…
Ainsi, le seul Dieu qui existe est celui qui nous fait croître, passer d’une condition simplement humaine à une
condition d’homme divinisé … Il n’y a pas de croissance sans transformation, il n’y a pas de transformation sans
mort et nouvelle naissance (mourir et ressusciter, mourir et se réveiller dans une autre condition). (p 35-40)
2b La Pâque des Hébreux
Elle nous est racontée au livre de l’Exode dont tout chrétien devrait avoir lu au moins quelques chapitres, d’autant
plus que ce livre se lit comme un roman… Peuple qui cherche à se libérer de l’esclavage et qui est toujours tenté de
revenir en arrière, de retourner à l’esclavage.
On ne peut, sans être transfiguré, devenir un homme libre de la liberté même de Dieu. (p 40-42)
2c La Pâque du Christ
Jésus-Christ revit pour son propre compte ce qu’avait vécu son peuple. Il revit d’abord symboliquement en
passant quarante jours au désert, au seuil de sa vie publique (quarante jours qui rappellent les quarante ans de
l’exode) puis, non plus de façon symbolique mais de façon bien réelle, en montant au Calvaire : il va vers la mort,
en réalité il va vers la vraie vie qui est la vie ressuscitée au cœur de la Trinité, la vie même de Dieu. La première
pâque n’était qu’une image, celle du Christ est la Pâque centrale de l’histoire. (p 42-43)
2d Notre Pâque
La troisième pâque est la nôtre et il n’y en a pas qu’une, je veux dire que chacune de nos décisions est une pâque,
c’est-à-dire est une forme de mort et de résurrection.
Commençons par comprendre que ce qui importe dans notre vie, ce sont nos décisions. Ma vie réelle d’homme ou
de femme ou, si vous préférez, ce qu’il y a d’humain dans ma vie est un tissu de décisions. Ce qui dans ma vie n’est
pas décision n’est rien, ne construit rien. Saint Augustin a une comparaison plus poétique : » Nous sommes
comparables, dit-il, à une harpe et la seule chose importante dans la harpe, ce sont les cordes. Il y a certes un bâti
mais ce sont les cordes qui vibrent « . Dans ma vie, ce qui vibre, ce qui me constitue, ce sont mes décisions petites
ou grandes.
Le Christ est présent dans notre liberté car c’est par la liberté que nous sommes véritablement des hommes, que
nous émergeons de la nature… S’il est présent, il est actif…S’il est actif, il est transfigurant… S’il est transfigurant,
il est divinisant…, en nous faisant devenir ce qu’Il est.
Le Christ donne à nos décisions humaines humanisantes une dimension divine. En d’autres termes, il divinise ce
que nous humanisons… Car l’Homme n’est pas, l’Homme est à faire. Nous sommes des commencements
d’homme, dit saint Jacques… Nous sommes des hommes en devenir, ce sont nos décisions qui contribuent à faire
que nous soyons des hommes. Et nos décisions ne sont vraiment humaines que si elles sont humanisantes… On
devient soi-même un homme libre quand on travaille à libérer ses frères. On devient plus homme en travaillant à
ce que le monde soit plus humain.
Ces décisions humanisantes, il est rare qu’elles ne soient pas des sacrifices, des morts à l’égoïsme, on ne peut pas à
la fois se donner et se garder pour soi. Tout le monde sait par expérience qu’il n’y a pas de vie humaine
humanisante authentique sans sacrifice… Le Christ ressuscité qui est vivant-présent-actif-transfigurant-divinisant
au cœur de nos décisions humaines humanisantes leur donne une dimension de Royaume éternel, proprement
divine. (p 43-49)
3 Relire la Bible sous le regard de l’Amour
3a Donner comme Dieu donne
Du discours sur la montagne se dégage incontestablement une unité (saint Mathieu, chap. 5, 6 7 et saint Luc,
chap. 6, 12-49). Unité de ton et unité de logique. La pensée du Christ est conduite selon une logique intérieure qui
est celle du christianisme. Logique du style de vie, de la qualité d’existence que vient instaurer Jésus. D’un mot, la
logique même de l’amour. Donner, dit le Père Guillet, constitue l’un des grands refrains du Discours sur la
Montagne : » Ne refuse pas… ne réclame pas… prête sans rien attendre… donne et il te sera donné « . Mais il faut
prendre garde : donner, ce peut être encore un moyen de conquérir et de se valoriser (on se valorise beaucoup en
étant généreux). La pure joie de donner, la joie de s’unir à celui qui reçoit, seul le pauvre est en état de la
connaître, c’est-à-dire celui qui a fait l’expérience des Béatitudes et découvert comment Dieu donne. (p 53-105)
3b Appel à la liberté
Ce qui caractérise la Loi nouvelle apportée par Jésus, c’est à la fois le radicalisme de ses exigences et l’appel à la
liberté par rapport à la lettre. Liberté par rapport à la lettre de la Loi, cela ne veut pas dire affranchissement ou
émancipation : Jésus précise qu’il n’est pas venu pour » abolir » la loi mais pour l’accomplir « … C’est parce que
l’amour est un absolu que ses exigences sont radicales, en même temps que la liberté seule peut déterminer
comment, en pratique et selon les circonstances, l’amour doit être vécu… C’est pourquoi Il marque
vigoureusement l’opposition entre : » On vous a dit… » et » Moi je vous dis… « . (p 53-105)
3c Mourir à soi-même
Le fond des choses, c’est qu’en Dieu la mort est au cœur de la vie. Dieu est Amour. Or aimer, c’est mourir à soi-
même, non seulement en préférant les autres à soi, mais (quand on est Dieu et qu’on aime en plénitude, qu’on
réalise éternellement la perfection de l’amour), en renonçant à exister pour soi et par soi afin d’exister uniquement
par les autres et pour les autres. Dieu est Trinité : le Père n’est que mouvement vers le Fils et l’Esprit ; le Fils n’est
que mouvement vers le Père et l’Esprit ; l’Esprit n’est que mouvement vers le Père et le Fils. Ce « ne que » sur
lequel j’insiste, car c’est ce « ne que » qui exprime le mystère de Dieu, veut dire que le fond de Dieu est la mort
identique à la vie. Sortir de soi, c’est bien mourir à soi. Vivre, c’est aimer, mais aimer, c’est mourir, car c’est n’être
que par les autres et pour les autres… Aimer l’autre, c’est vouloir qu’il soit, et non pas vouloir lui passer devant
pour qu’il soit moins : telle est la puissance de l’amour. (p 53-105)
3d Le pardon
Le pardon n’est pas l’indulgence mais une re-création. C’est la re-création de la liberté de celui qui a laissé dépérir
sa liberté par le péché. Il faut plus de puissance à Dieu pour pardonner que pour créer. Car recréer, c’est plus que
créer. La puissance de re-création est au cœur de la puissance créatrice, comme une sur-puissance. En créant des
libertés, Dieu s’engage dans un redoublement d’amour à leur restituer ce pouvoir qu’il leur donne de se créer elle-
mêmes… C’est donc en mourant que le Christ participe à la Puissance suprême, re-créatrice, pardonnante de
Dieu… Le sang versé est le signe d’un amour qui va jusqu’au bout. Jusqu’au bout, c’est-à-dire au par-don ou don
parfait. (p 53-105)
3e Notre immortalité
Parce que dire à quelqu’un : « Je t’aime », c’est équivalemment lui dire : « Tu ne mourras pas ». Dans le « Je
t’aime » authentique (et certes il faut souligner « authentique », car nous savons assez que « je t’aime » est bien
souvent prononcé à la légère, au niveau des fibres les plus superficielles de l’être), est inscrit d’une écriture
énigmatique un « Tu ne mourras pas » qui résiste mystérieusement au désespoir de la perte et à l’évidence
sensible de la mort.
Notre corps, dit le Père de Lubac, n’est pas destiné, par l’effet de la résurrection qui nous est promise, à un
recommencement sans fin de son existence terrestre et charnelle, plus ou moins sublimée seulement par des
propriétés miraculeuses ; notre corps est promis, non à une quelconque réanimation, mais à une totale
métamorphose, qui doit faire de lui, comme dit saint Paul, un « corps spirituel ». Or ce qui est vrai de notre corps
individuel n’est pas moins vrai de ce vaste corps collectif que l’humanité construit à travers les générations. Sa
forme actuelle (sa « figure » actuelle) est provisoire… L’Univers est promis, lui aussi, dans l’Esprit Saint, à la
grande Métamorphose (le Père Teilhard écrivait « Métamorphose » avec une majuscule, tant le mot avait pour lui
d’importance). (p 53-105)
3f La vraie présence
Ce que les chrétiens appellent « ciel », ce n’est pas un lieu éternel, supra-terrestre, un domaine métaphysique. Ce
n’est pas Dieu seul. Le ciel est le contact de l’être de l’homme avec l’être de Dieu, la rencontre intime de Dieu et de
l’homme… Le départ du Christ est un nouveau mode de présence, non plus extérieure et localisée, mais intérieure
et universelle. La vraie présence, sur le mode de l’absence. Si Jésus n’était pas « monté » au ciel, il serait encore
parmi nous, au milieu de nous, mais à côté de nous, extérieur à nous, comme je vous suis extérieur et comme vous
m’êtes extérieur. Mais, dit saint Paul, il est monté au ciel « afin de tout remplir » (Ep. 4, 10). (p 53-105)
4 Vivre en chrétien…
4a L’Église
Pour pénétrer le mystère de l’Église jusqu’à sa réalité profonde qui est donc le Christ ressuscité nous donnant son
Esprit d’amour, nous devons nous rendre compte qu’il n’y a pas de différence entre la phrase fondamentale de
Jésus : « A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres »
(Jn 13, 35) et ce que nous disons dans le Credo : « Je crois à l’Église une, sainte, catholique et apostolique ». Car
l’amour est un mot très vague, facilement superficiel, sentimental. On peut toujours se tromper sur ce qu’est le
véritable amour. Ce sont les quatre notes ou caractéristiques de l’Église qui nous disent comment elle doit être
animée par l’amour et comment elle doit travailler à rassembler les hommes dans l’amour. Dire que l’Église est
une, sainte, catholique et apostolique, c’est dire qu’elle est un mystère d’amour. (p 115-125)
4b Dieu Trinité
Dans les manifestations de l’amour on voit des signes, on ne voit pas l’amour comme le dit saint Augustin : « Elle
le voit, il la voit, personne ne voit l’amour »… Dans la Trinité, où la réciprocité est parfaite, l’Amour lui-même est
une personne, le Saint-Esprit : Amour du Père pour le Fils, Amour du Fils pour le Père. Baiser commun, si l’on
veut. La réciprocité de l’amour faite personne… L’amour est vécu en plénitude ; il y a l’Aimant, l’Aimé et l’Amour.
L’Aimant est aimé, l’Aimé est aimant et l’Amour est le dynamisme de cet élan par lequel les deux ne sont qu’un,
tout en étant distincts. (p 132-142)
4c La Vierge Marie
L’Église a prié Marie, elle a formulé dogmatiquement la grandeur de Marie, mais toujours uniquement comme un
accompagnement de sa prière au Christ et de sa réflexion sur le Christ. Un accompagnement, non arbitraire, mais
nécessaire… Les Pères de l’Église ont toujours vu en Marie la figure de l’Église, la figure de l’homme croyant qui ne
peut arriver à la réalisation plénière de lui-même que par le don de l’amour, ce que la théologie appelle la Grâce.
Le Christ est le Don donné, Marie, le Don accueilli. Elle a accueilli le Don de Dieu. (p 109-113)
4d L’Évangile
L’Évangile n’est pas seulement un message. Certes, il y a un message chrétien mais l’Évangile, avant d’être un
message, est une personne, la personne même de Jésus-Christ. Vous savez que le mot « évangile » signifie
« Bonne Nouvelle ». Cette Bonne Nouvelle n’est pas d’abord ce que le Christ nous dit mais ce qu’Il est. C’est la
Bonne Nouvelle de l’Incarnation : Dieu aime tellement l’homme qu’il devient l’homme. Aimer, c’est vouloir
devenir celui qu’on aime, ne faire qu’un avec lui. La motivation la plus profonde de ma foi est qu’on ne peut pas
dépasser l’Incarnation. Il n’est pas possible à un Dieu d’aimer davantage l’homme qu’en devenant lui-même un
homme…
En bref, l’Évangile est la révélation de la « liberté libérante » de Dieu. C’est la définition même de l’amour. Aimer
les hommes, c’est vouloir qu’ils soient (au sens fort). Vouloir que l’autre soit, c’est la justice, donc le respect qui est
au cœur de la justice. Mais l’autre n’existe que s’il est libre, car c’est par la liberté que l’homme est homme…
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