Les Deux Timides d’Eugène Labiche mise en scène d’Isabelle Desalos Dossier Quel handicap que la timidité ! « Les Deux Timides » est une comédie-vaudeville en un acte, composé de cinq personnages : Thibaudier, le père (timide) ; Cécile, sa fille ; Garadoux, le prétendant importun ; Jules Frémissin, l’amoureux timide ; et Annette, la femme de chambre. L’Histoire Cécile aime Jules, mais M. Thibaudier, son père, timide à l’extrême, n’a osé refuser l’offre d’un autre prétendant. Le drame est que Jules est lui aussi d’une timidité navrante. Cécile parviendra-t-elle à évincer le prétendant gênant ? L’action se déroule le matin, à une heure où M. Thibaudier a normalement déjà pris son petitdéjeuner, mais une suite d’événements l’en empêche. Il choisit donc de faire préparer son thé et son croissant dans le salon de réception, mais là encore il lui sera impossible de le boire avant qu’il ne refroidisse ou qu’on ne le lui vole… Définir M. Thibaudier et Jules comme des timides ne m’intéresse pas. Ce n’est pas un état constant. Seule une situation inattendue, telle que la venue de prétendants inconnus pour sa fille ou une demande en mariage, fait naître chez eux un doute extrême, une confusion grandiose, une véritable incapacité à s’opposer et même à simplement communiquer. Plutôt que de les considérer comme timides, je les qualifierai de rêveurs, d’idéalistes pour qui chaque nouvelle situation est un mont Everest à franchir. Tout à fait conscients de cette aversion pour l’inconnu, l’incertain, cela n’empêche pas M. Thibaudier de donner des ordres à sa femme de chambre ou de réprimander sa fille, et Jules de raconter son aventure avec son premier client. Et lorsque le père de Cécile parle de M. Garadoux, ce prétendant gênant installé dans la chambre d’ami depuis quinze jours, il l’admire, il envie son éloquence et rêve de lui ressembler. On se concentre sur la timidité car c’est elle qui crée la situation dramatique, mais il ne faut pas les définir par leur handicap. D’ailleurs, chaque personnage est atteint, au moins une fois pendant la pièce, d’une gêne, d’un malaise, apparenté à de la timidité : Annette, témoin de l’humiliation de son maître, voudrait disparaître, ne souhaitant pas outrepasser les bienséances que sa position de femme de chambre lui impose ; Cécile, elle-même, dès qu’il s’agit d’évoquer son amour pour Jules ou l’amour éventuel que Jules pourrait éprouver pour elle, est très mal à l’aise ; jusqu’à Garadoux, qui jusqu’à la dernière minute conservait cette figure assurée, à la mention de ses méfaits passés, devient rouge de honte et fuit cette famille qu’il essayait d’embobiner. L’Auteur Moins volontairement moraliste et pédagogique que Molière et moins pessimiste que Feydeau, Labiche est un savant mélange de ces deux grandes figures du théâtre classique. Dans ses pièces en un acte, il traite de situations simples et percutantes : les ravages de la timidité dans la difficile question du mariage de sa fille ; les effets d’un comportement trop vif sur la vie d’un père…et de sa fille ; les problèmes que pose l’incapacité de rédiger un mot sans faute d’orthographe pour un politicien ; l’arrivée dans un foyer du témoin des adultères respectifs d’un mari et de sa femme… On peut cependant remarquer que les sujets choisis ne sont pas toujours légers. La timidité ou l’emportement d’un père peuvent devenir dramatiques pour la destinée d’une fille… On peut également noter que Labiche est très attaché à l’émancipation des femmes : toutes se révoltent contre un comportement injuste et machiste ou une décision arbitraire qui ne leur convient pas. Ainsi, Cécile influe outrageusement sur la décision paternelle dans le choix de son futur époux et tout se passerait à merveille, si la bonne tenue ne lui imposait pas de se retirer pour qu’un prétendant fasse sa demande. Le Décor Il s’agit de recréer l’atmosphère d’un intérieur bourgeois sans pour autant surcharger l’espace. Nous sommes ici dans un salon de réception, sorte d’antichambre. C’est ici que sont tout d’abord reçues les visites, avant que le maître de maison ne les fasse pénétrer dans le salon principal ou le bureau. L’espace est donc constitué d’un voire deux fauteuils pour les longues attentes, d’une pendule au cas où l’heure avancée les ferait songer à repartir, d’un nécessaire pour le thé avec guéridon que M. Thibaudier fait installer dès le début de la pièce par Annette, voyant l’heure de son petit déjeuner s’éloigner à grand pas et les visites ne pas sembler vouloir s’arrêter, ainsi que de deux vases que Cécile et Annette vont remplir de fleurs dès la première scène en vue de la visites de Jules… Il faut savoir que l’horloge n’est pas seulement un élément dissuasif pour les visiteurs ; elle joue aussi, dans la pièce un rôle près important. Entre Jules Frémissin et M. Thibaudier, le dialogue n’est pas facile. Ils ont alors l’idée de s’écrire par pendule interposée. J’entends par là qu’au lieu de parler, Jules décide de rédiger sa demande en mariage et, comme M. Thibaudier a trouvé le moyen de s’éclipser, il lui dépose l’enveloppe sur la pendule. Astuce que le père de Cécile ne manquera pas de réutiliser. Mais, pour un timide, une telle assurance devient grisante et le contact physique d’un Garadoux a toujours plus de poids que l’écrit d’un Frémissin ou que les sentiments d’une Cécile. Enfin, outre son action dramatique et l’élément de décor massif que représente l’horloge, celle-ci émet un tic-tac tragi-comique. En effet, il symbolise le temps qui passe, l’approche grandissante de l’heure fixée par Garadoux pour son mariage avec Cécile, mais il met aussi en valeur le silence qui s’impose entre deux timides, lorsque chacun, dans son coin, attend que quelque chose se passe. Les Costumes Côté costumes, j’opte pour un parti pris contemporains, mais comme toute cette petite société fait partie d’une classe sociale élevée, je tiens à ce que tous soient élégants. Quelques chants À la lecture de la pièce, on découvre plusieurs textes de chansons, écrits par Labiche, qui caractérisent nos rêveurs. En effet, seuls Cécile, son père et Jules chantent, chacun à sa façon. C’est pourquoi il m’a paru important de ne pas les supprimer. Par ailleurs, le chant semble être pour ces trois personnages un moyen plus aisé de communiquer. Car il ne faut pas omettre que, même si elle se reprend afin de ne pas passer le reste de sa vie avec M. Garadoux, Cécile est, elle aussi, une grande timide. Afin d’intégrer ses chansons à la pièce, sans pour autant en faire une opérette, celles-ci sont fredonnées ou chantées par les personnages, comme on pourrait le faire dans la vie. Les airs sont légers et apportent une vraie gaîté dans la pièce. La Mise en scène Isabelle DESALOS – Metteur en scène / « CÉCILE » De 2004 à 2007, tout en suivant des cours de théâtre à Chaillot et dans les conservatoires municipaux de Paris, elle travaille comme assistante mise en scène sur des textes classiques tels que le Soulier de satin de Claudel, Roméo et Juliette de Shakespeare et la Reine morte de Montherlant. En 2006-2007, elle met en scène un montage de textes tirés des Olympiques de Montherlant ; puis une pièce pour enfants, intitulée le Rêve de Prune, de Vivian Semere ; ainsi que Coriolan de Shakespeare. Et en 2008-2009, elle fait deux stages de mise en scène à la Comédie française, sur la Vie du grand Dom Quichotte de la Manche et du gros Sancho Pança d’Antonio José da Silva, mis en scène par Émilie Valantin et Éric Ruf ; puis sur l’Illusion comique de Corneille, mis en scène par Galin Stoev. Ces dernières années, elle a été assistante réalisation sur divers tournages, notamment pour la série les Bougons sur M6. Et depuis l’année dernière, elle travaille sur des spectacles pour enfants mêlant comédiens et marionnettes. Comme comédienne, elle a joué dans les Liaisons dangereuses de Laclos (2006), Port Royal de Montherlant (2007), George Sand dans Musset insolite, créé par Odile Mallet et Geneviève Brunet (2008), et a tourné dans divers courts-métrages. Actuellement, elle interprète le rôle de Tonka dans Scène de chasse en Bavière de Martin Speer, et prochainement celui de Lady Griffin dans une adaptation du roman de William M. Thackeray (auteur de Barry Lindon), Les Mémoires d’un valet de pied. Géraldine AZOUELOS – Assistante mise en scène Formée au conservatoire national d’art dramatique de Nice, puis par Jean-Laurent Cochet et Pierre Trabaud à Paris, elle a joué divers rôles dans le théâtre classique (Marivaux, Molière, Voltaire, Feydeau, Jules Renard…), dans le théâtre contemporain (Ionesco, Woody Allen, le monologue de Madame Marguerite…), ainsi que dans le théâtre chanté (Labiche, Bobby Lapointe…). Géraldine participe aussi à de nombreux spectacles poétiques (La Fontaine, Colette, Marie Noël). Elle est dirigée par Daniel Mesguich lors de la création de son spectacle La Belle et la Bête, et a tourné pour Bertrand Tavernier dans Laissez passer. Elle a également crée des rôles comme celui de Sarah dans la Faute d’Anne Fabien et dernièrement celui de Zaïa dans À mon âge je me cache encore pour fumer de Rayhana. Les Comédiens Alain LENGLET – « MONSIER THIBAUDIER » Sociétaire de la Comédie-Française, il a joué récemment dans Le Mariage de Nokolaï Gogol mis en scène par Lilo Baur, l’Illusion comique de Corneille mise en scène par Galin Stoev et, sous la direction de Dan Jemmett dans La Grande magie d’Edouardo De Filippo, de Jacques Lassalle dans Figaro divorce d’Ödon von Horväth, de Denis Podalydès dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Il interprète Shakespeare, Molière ou Bernard-Marie Koltès, Fabrice Melqiot, et joue dans les mises en scène d’Oskaras Korsünovas, Eric Ruf, Emilie Valantin, Muriel Mayette, Claude Stratz, Marc Paquien. Au cinéma, il travaille régulièrement avec Robert Guédiguian, notamment dans son dernier film l’Armée du crime. Dimitri MICHELSEN – « JULES FREMISSIN » Il est formé à l’E.S.A.D. (École Supérieure d’Art Dramatique de Paris), où il travaille avec Jean-Claude Cotillard, Raphaëlle Minaert, Yves Pignot et Christian Benedetti. Depuis 2001, pour le théâtre, il joue des textes classiques et contemporains (Marivaux, Shakespeare, Molière, Tardieu, Pirandello, Fausto Paravidino, Fernando Arrabal, Oscar Wilde, William M. Thackeray, Dennis Foon, Adélaïde Pralon) avec de nombreux metteurs en scène (Christian Benedetti, Ethery Pagava, Bruno Allain, Philippe Lipchitz, Andrew Wilson). Au cinéma, il est dirigé par Yvan Attal, en 2001, sur le film Ma Femme est une actrice, et par Nicolas Alberny et Jean Mach, en 2007, sur 8th Wonderland. Il tourne aussi de nombreux courts-métrages, films institutionnels, documentaires, téléfilms et publicités, dont récemment le spot Jambon supérieur Wall Street, pour Fleury Michon, réalisé par Sébastien Cirade, et les formes courtes de Canal + adaptées de la B.D. de Riad Sattouf la Vie secrète des jeunes, réalisé par Basile Tronel. Pierre-Antoine CHEVALIER – « ANATOLE GARADOUX » Passionné par l'image et la scène, il étudie aux côtés de Jean François Prévent et d'Elisabeth Tamaris aux conservatoires d'art dramatique du 8e et du 14e arrondissement. Il intègre ensuite l'E.S.A.D. où il travaille avec Jean-Claude Cotillard, Alan Boone, Christophe Patty, avec qui il découvre la pratique du jeu masqué, Nicolas Bouchaud, spécialiste du verbe, Marc Ernotte, et suit des cours de chant avec Amnon Beham et de danse avec Valérie Onnis. Il aborde différentes écritures théâtrales, notamment celle de Copi, de Jacques Rebotier et d'Eugène Duriff. Depuis 2009, il joue dans Léonce et Léna, mis en scène par Céline Champinot et l’Évasion de Kamo, mis en scène par Guillaume Barbot, deux spectacles actuellement en tournée. Gwenda GUTHWASSER – « ANETTE » Comédienne-Chanteuse, elle se forme d'abord à la danse, puis au théâtre pendant ses années collège et lycée. Après des études de langues étrangères, elle passe un an à l'atelier-théâtre de Pierre Spivakoff, à Paris, ou elle étudie auprès d’Emile Feltesse et multiplie les stages pluridisciplinaires (notament au Gitis à Moscou). Depuis, elle sillonne les planches et les routes de France et de Navarre avec les compagnies "Les Amis de Monsieur" sur scène et "Oposito" dans la rue.