La controverse entre keynésiens et monétaristes qui se développe à partir des années 60 porte au fond sur la
compatibilité des objectifs de croissance et de stabilité des prix. La relation de Phillips* avait été réinterprétée
par P. Samuelson et R. Solow comme témoignant de l'arbitrage inflation/chômage, permettant ainsi de fonder
l'efficacité des politiques monétaires contracycliques dans une économie où les prix sont flexibles. Cette thèse a
été soumise successivement à deux critiques de la part de monétaristes.
D'abord M. Friedman, supposant que les agents ont des anticipations adaptatives, observe que les politiques
monétaires de relance rehaussent les anticipations d'inflation des agents, accroissent le NAIRU, c'est à dire le
seuil d'inflation qu'il est nécessaire de dépasser pour réduire le chômage; la politique monétaire ne peut relancer
alors l'activité à court terme qu'en contrepartie d'une hausse durable du taux d'inflation.
R. Lucas radicalise ensuite cette critique en remarquant que dès lors qu'on prête aux agents économiques la
même rationalité qu'aux économistes, leurs anticipations sont rationnelles, l'incorporation des décisions de
politique monétaire aux anticipations d'inflation est immédiate, et l'on retrouve la thèse classique de la neutralité
de la monnaie : la relance monétaire accélère l'inflation sans avoir d'effet sur l'activité économique réelle.
Le paramètre décisif dans cette controverse est donc la rigidité des prix. Si les prix sont rigides, la politique
monétaire est efficace. Les néo-keynésiens montrent alors que la rationalité des agents est compatible avec la
rationalité des agents, dans le cadre d'anticipations adaptatives –c'est le sens de la "parabole des îles" d'E. Phelps-
mais aussi d'anticipations rationnelles : les coûts de menu (G. Mankiw), les imperfections de la concurrence,
celles propres au marché du travail rendent les prix rigides.
Le modèle AS/AD* synthétise les conditions d'efficacité des politiques monétaires, leurs effets à court terme
et à long terme.
La nouvelle économie politique développe le caractère stratégique des politiques conjoncturelles. Le modèle
partisan de Hibbs montre ainsi que l'alternance politique peut inférer sur les cycles macroéconomiques via les
inflexions de politique budgétaire ou monétaire. Le modèle opportuniste de Nordhaus articule les cycles
macroéconomiques avec le calendrier politique : avant une élection, le parti au pouvoir est tenté de mener une
politique de relance afin de présenter des performances économiques avantageuses.
NB : les modèles de la nouvelle économie politique ne peuvent plus être mobilisés pour expliquer la
politique de la BCE, qui est indépendante des gouvernements, comme de la plupart des banques centrales
aujourd'hui .
Le recours aux politiques monétaires contracycliques en a usé l'efficacité : les agents ayant incorporé à leurs
anticipations la conduite de ces politiques, elles se sont soldées par la stagflation des années 70 qui valide
l'analyse monétariste. Sous son influence les politiques monétaires se recentrent sur la stabilité des prix, et
connaissent à partir de la fin des années 70 une "grande modération", pour reprendre l'expression d'O. Blanchard.
II) Les politiques monétaristes, qui ont réduit durablement l'inflation au prix d'une
hausse du chômage, sont-elles devenues aujourd'hui provisoirement ou définitivement
inefficaces ?
A) La "grande modération" a-t-elle rationalisé la politique monétaire ?
Le tournant monétariste est pris en 1979 avec la nomination de P. Volcker à la tête de la FED aux Etats-Unis
et l'arrivée aux pouvoir de M. Thatcher en Grande-Bretagne, et en 1983 en France avec la politique de
désinflation compétitive. La priorité accordée à la stabilité des prix est entérinée en Europe par le traité de
Maastricht qui conditionne l'adhésion à la zone Euro au maintien d'un taux d'inflation modéré, puis
institutionnalisée par les statuts de la BCE, chargée de garantir la stabilité des prix dans la zone €.
Ce tournant est motivé par les coûts de la forte inflation des années 70, qui dépasse 10%. En effet, l'inflation
incite les agents à réduire leurs encaisses monétaires, et donc à convertir plus fréquemment leurs placements
financiers en liquidités, ce qui accroît le coût de conversion que désigne la métaphore du shoe-leather-cost. Elle
crée des distorsions fiscales, car tous les impôts ne sont pas indexés à l'inflation, ainsi que des distorsions liées à
l'illusion monétaire, elle redistribue les richesses des emprunteurs aux prêteurs, et souvent des consommateurs-
salariés aux producteurs. La variabilité de l'inflation crée par ailleurs un climat d'incertitude qui freine l'activité
économique.
Le monétarisme a-t-il été efficace ? Il est indéniable que les politiques monétaristes ont atteint leur objectif
revendiqué, c'est à dire une baisse durable du niveau de l'inflation et de sa variance. Cependant, cette "grande
modération" a été coûteuse en termes de chômage. En effet, la poursuite de la rigueur monétaire est soumise au
problème de l'incohérence temporelle exposé par E. Kydland et F. Prescott en 1977 : lorsque les anticipations des
agents économiques sont rationnelles, la banque centrale a intérêt à prendre un engagement de rigueur monétaire,
mais dès lors que cet engagement se traduit de la part des agents par des anticipations d'inflation faible, la
banque centrale est incitée à les surprendre pour réduire le chômage par l'expansion de la masse monétaire. Ainsi
l'engagement en faveur de la rigueur monétaire n'est pas spontanément crédible, la banque centrale doit