DINANT XI-XIV INTRODUCTION Occupée depuis l’époque romaine, très tôt la région de Dinant se révèle être d’une importance stratégique. Au XIe siècle, la ville est l’objet d’un conflit opposant le comte de Namur à l’évêque de Liège. En effet, cette époque marque un tournant dans l’histoire de Dinant. Suite à une intervention de l’empereur Henri IV1, la ville devient une possession de la principauté de Liège. Dès lors, le château, non plus simple élément du dispositif de défense, mais véritable symbole du pouvoir, constitue une place forte liégeoise. Ce travail a pour objectif de clarifier la situation de Dinant au XIe siècle. Pour ce faire, il sera divisé en trois points. Le premier résumera le contexte historique général et local. Le second décrira l’« espace citadelle » ainsi que les rapports entre le château et la ville. Le troisième point s’intéressera à trois éléments importants autour du château. 1 1 Sarlet, D., dir., 1996, p. 402. CONTEXTE HISTORIQUE Contexte général2 Au XIe siècle, le pays mosan fait partie de la Lotharingie, province de l’Empire germanique. Cette période correspond à une grande émancipation du système féodal et à l’avènement de l’Église impériale. Cela implique que les évêques, en plus de leur fonction spirituelle, ont un rôle politique à jouer, notamment grâce à la nomination par l’empereur de certains d’entre eux à la tête de principautés. Les évêques ne pouvant, au contraire des laïcs, fonder de dynastie, l’empereur espère conserver la mainmise sur ses territoires en opposant seigneurs laïcs et seigneurs ecclésiastiques. Dans ce but, le souverain nomme des prélats entièrement dévoués à sa cause et les garde influents par l’octroi de richesses et l’augmentation considérable du patrimoine des églises diocésaines. C’est ainsi que naît, entre autres, la principauté ecclésiastique de Liège, avec à sa tête l’évêque Notger (972-1008). Contexte local Le sol de Dinant est occupé au moins depuis le IIe siècle de notre ère par une bourgade romaine. Ceci peut s’expliquer par la situation exceptionnelle qu'offre la présence de deux éléments clés : d’un côté, la Meuse, qui transforme Dinant en lieu de commerce important, et de l’autre, des versants abrupts facilitant la défense de la ville contre d'éventuels agresseurs. Cette bourgade évolue, se dotant d'abord de fortifications en bois dès l’apparition des premiers conflits, avant de passer à la pierre, l'évolution militaire rendant les palissades et autres ouvrages de fortification en bois dérisoires face à de nouveau moyens de démolition. Dès la seconde moitié du Xe siècle, l’évêque de Liège et le comte de Namur se disputent la domination de la ville de Dinant. À la fin du Xe siècle, l’évêque, par une faveur de l’empereur Henri IV, obtient que ce dernier « interdise » la ville de Dinant au comte de Namur, qui n’y exercera plus aucun de ses droits féodaux. En effet, depuis 985, le comte de Namur rencontre de nombreuses difficultés dans l’exercice de ses droits à Dinant. L’enchevêtrement des deux pouvoirs, celui de l’évêque de 2 Rousseau, F., 1960, p. 71. Liège et celui du comte de Namur, conduit inévitablement à un conflit dans lequel chacun cherche à évincer l’autre. Cette crise latente éclatera au milieu du XIe siècle.3 Au milieu du XIe siècle, Albert II s'appuyait sur son pouvoir comtal (ban-justice), qu'il affirmait exercer au nom du roi, pour résister à l'emprise grandissante de l'évêque à Dinant. L'avouerie constituait également, pour ces deux princes, un instrument privilégié pour accroître leur autorité. Ils engagèrent une lutte sévère pour obtenir la charge d'avoué 4, ce qui leur permettrait de s'emparer de quelques domaines ou de limiter l'influence de l'adversaire. Ils se disputaient également le tonlieu5. À ce propos, il existait apparemment des bureaux de tonlieu à Dinant dès 743-7476 (diplôme de Childéric III). En outre, dans une charte de 824, on parle de différents droits que les comtes prélevaient au nom du roi. Dans la première moitié du XIe siècle, Dinant fait partie du Lomacensis7, à la tête duquel se trouve un comte établi à Namur et qui usurpe les droits régaliens. Il essaie par là d’établir à son profit un état féodal dont la ville de Dinant devrait faire partie. Les évêques de Liège, soutenus par les empereurs germaniques, s’y opposent.8 Au milieu du XIe siècle, les propriétés royales et épiscopales se regroupent afin de former un nouveau territoire qui s’oppose au domaine du comte de Namur.9 En 1070, l’évêque de Liège obtient de l’empereur Henri IV10 la confirmation de ses droits, régaliens et autres, sur Dinant. En effet, en 1070, malgré un accord de 1056106411entre le comte et l'évêque, la ville de Dinant est reprise au comte de Namur12. Ce changement de propriétaire est confirmé par l'empereur Frédéric Ier en 1155, avec, en outre, pour le Prince-évêque, la possession du château13. L’évêque se voit accorder le comitatus14, en vertu d’un document judiciaire dont on ignore tout. Le castrum15 lui est aussi accordé. Il peut donc le construire, ou plutôt le 3 Rousseau, F., 1960, p. 72. 4 Avoué : laïc appelé auprès d'une communauté ecclésiastique, et bénéficiant de l'immunité, pour exercer des fonctions judiciaires, administratives et militaires. Créée sous les Carolingiens pour limiter le pouvoir des comtes et protéger les terres d'Église, cette charge devient entre les mains des châtelains un moyen efficace d'accroître leurs prérogatives. Avoué, dans Touati, F., 1995, p. 38. 5 Tonlieu : taxe sur marchandises circulant ou arrivant au marché. Tonlieu, dans Touati, F., 1995, p. 301. 6 Suttor, M., 2006, p. 223. 7 Le Lomacensis comprenait l’Entre-Sambre et Meuse depuis Revin. Rousseau, F., 1960, p. 71. 8 Gaier-lhoest, J., 1964, p. 29. 9 Tonglet, B., 2007, p. 172. 10 Sarlet, D., dir., 1996, p. 402. 11 Kupper, J.-L., 1979, p. 1-24. 12 Suttor, M., 2006, p. 239. 13 Kupper, J.-L., 1979, p. 1-24. 14 Désigne pour les évêques et dignitaires de l'Église le droit de devenir des propriétaires terriens. reconstruire. En effet, il est fort probable que les fortifications se trouvaient en très mauvais état à ce moment là, étant donné qu’elles n’avaient pas été restaurées depuis les invasions normandes.16 Le texte parle de pars muri antiquitus fuerit constructum et d’un cens à verser à l’empereur pour une partie encore existante du dispositif défensif. Le terme castrum ne peut désigner le château construit en 1040, car il est impossible que celui-ci se soit autant dégradé en l’espace de 30 ans. Le vicus décrit par Josianne GaierLhoest devait donc être muni d’une enceinte, le castrum en question. Le terme murus est également ambigu. Il ne s’agit pas ici d’un mur comme on l’entend généralement, à savoir un rempart en pierre, mais plutôt d’une « petite fortification, construite à faibles frais et hâtivement, à l’aide de pieux, de terre et de mottes de gazon. Cette fortification était pourtant puissante »17. La toponymie des lieux (rue des Fossés) indique que ce dispositif devait néanmoins être renforcé par un fossé au sud. Ce sont donc les restes de cette fortification que l’empereur cède en 1070 à l’évêque de Liège, avec autorisation de reconstruire celle-ci. Si reconstruction il y a eu, elle fut réalisée avec des matériaux similaires.18 Malgré l’attribution du comitatus, par l’empereur, à l’évêque de Liège, en 1070, le comte de Namur n’est pas définitivement éliminé pour autant. Ce dernier reste un propriétaire foncier important. Cependant, il sait qu’il a perdu la partie à Dinant et, au XIe siècle, il construit un château sur l’autre rive, à Bouvignes.19Dès lors, le conflit entre les deux villes devient inévitable. Comitatus, http://fr.wikipedia.org/wiki/Comitatus (consulté le 30/10/2008). 15 Il faut ici entendre castrum comme étant les fortifications urbaines et non le château sur l’éperon rocheux qui domine la ville. 16 Gaier-lhoest, J., 1964, p. 36-37. 17 Fournier, G., Le château dans la France médiévale, Paris, 1978, p. 271 (cité dans Tonglet, B., 2008, p. 173). 18 Tonglet, B., 2007, p. 173. 19 Tonglet, B., 2007, p. 172. DESCRIPTION DE L’ « ESPACE CITADELLE » Le château et la ville Entre 950 et 1080 la société médiévale est profondément bouleversée par l’apparition du château et sa rapide diffusion. Il ne s’agit plus ici d’une fortification à vocation collective, servant de refuge temporaire à la population et à ses maîtres, mais d’un système défensif plus élaboré, dont le contrôle par l’aristocratie, itinérante jusqu’à l’an 1000, permet petit à petit à cette dernière d’asseoir son pouvoir de façon durable. Désormais, quiconque veut dominer la ville construira un château qui deviendra le symbole et le siège de son autorité. Ce changement intervient dans tout l’Occident entre 950 et 1080, période qui marque l’avènement du pouvoir féodal. Un château naît de l'insécurité. Il est aussi la clé du pouvoir. D'abord monopole impérial et à caractère public, puis accaparé par les principautés, il contrôle dans ce deuxième temps un périmètre plus restreint. La tour devient le symbole de la puissance du seigneur. 20 Les donjons sont symboles du droit régalien et ont une grande importance politique et économique.21 En effet, vu la supériorité des moyens de défense par rapport aux moyens d'attaque, ils constituent un moyen efficace de contrôler le trafic fluvial, le centre urbain et l'activité commerciale, ainsi que de percevoir le tonlieu.22 20 Tonglet, B., 1992, p. 241-242. 21 Suttor, M., 2006, p. 240. 22 Touati, F., 1995, p. 38. Le château Le château, au XIe siècle, est composé d’une turris23 et d’une munitio24.25 En 588, l’évêque Monulphe lègue le château de Dinant à l’église de Tongres. Il sera ensuite détruit par les Normands. Au contraire de la majorité des seigneurs à l’époque féodale, le seigneur de Dinant ne construit pas le château afin d’usurper les droits régaliens. En effet, il les détient de plein droit par délégation du roi. Néanmoins, ce château est nécessaire à l’exercice de ces droits. Suite à la construction de ce château par l’évêque de Liège, le comte sait qu’il a perdu Dinant et les possessions de la ville. Afin de contrecarrer son adversaire, il fait don de deux chapelles dinantaises à des clercs rivaux de celui-ci.26 Pour assurer la surveillance de la ville, il n’y a pas de meilleur endroit que l’éperon rocheux. , Néanmoins, dans les documents d’époque aucune trace n'a été prouvée d’une occupation du site par des guetteurs. Vers 1040, à Dinant, sous l’épiscopat de l’évêque Nithard (1037-1042), est construit, sur l’éperon rocheux, un château avec une chapelle dédiée à Saint Benoît.27 Cependant, cette construction est peut-être due au comte Albert II de Namur. Elle a par ailleurs lieu alors que l'évêque de Liège reçoit de l'Empereur de nombreux châteaux et étend son autorité le long de la Meuse.28 Jusqu'en 1070, le château relève à la fois du comte de Namur et de l'évêque de Liège. Il commande la ville, son rivage et, à partir de 1080, le pont. Il contrôle aussi le vallon de Saint-Jacques au Nord-est, principal accès depuis le Condroz.29 23 La turris est une tour composée de matériaux de base. La turris est donc une construction militaire plutôt qu’un habitat fortifié. Elle appartien en général à une famille comtale. Tonglet, B., 1992, p. 35 et 37. 24 La munitio est une enceinte composée de fossés et de palissades, parfois de murs de pierres de faible hauteur. La munitio est le mur qui protège la turris et le castrum. Elle appartient en général à une famille comtale. Tonglet, B., 1992, p. 37. 25 Tonglet, B., 1992, p. 35. 26 Tonglet, B., 2008, p. 52. 27 Gaier-lhoest, J., 1964, p. 30 28 Suttor, M., 2006, p. 263. 29 Sarlet, D., dir., 1996, p. 410. AUTOUR DU CHÂTEAU Le pont La ville de Dinant pouvait être dépourvue de moyens de grande communication par mauvais temps, et isolée à cause des crues, ce qui la coupait de la région de Sambre et Meuse et de ses faubourgs de Neffe et Saint-Marc. L'intérêt de construire un pont est donc compris dès le XIe siècle, et le projet est encouragé par la construction du Pont des Arches à Liège. 30 Mais le territoire appartient à plusieurs propriétaires terriens, qui y font valoir leurs prérogatives féodales. Cela rend la tâche difficile au chef de l'administration bourgeoise. Après plusieurs tentatives d'accord, Henri de Verdun se pose en conciliateur. Ainsi, le premier septembre 1080, se tient une assemblée des détenteurs de fiefs et arrière-fiefs. Godescale, abbé de Waulsort, abandonne les revenus que lui procurait la traversée de la Meuse en bac, à condition que ses vassaux soient affranchis de tous les droits de pontage. Albert II de Namur, en tant que préfet de province mosane de l'Empire, jouissait de la propriété des eaux de la rivière, dans sa province. Il fait en partie sacrifice de ses privilèges, ce qui amène les seigneurs plus petits à abandonner leurs droits particuliers. On peut ajouter qu'en 1080, les deux princes (de Liège et de Namur) interviennent ensemble pour la décision de lancer ce nouvel édifice sur la rivière (charte du premier septembre 1080, Actes des comtes de Namur)31. L'année suivante, les travaux sont déjà terminés. L'ouvrage comporte six arches en pierre32, et remplace peut-être un autre pont en bois, emporté par les eaux avant 946. Un acte de 824 atteste de la présence d'un pont antérieur à Dinant, mais on en ignore la date de construction et l'aspect33. Les ponts avaient un rôle militaire indéniable. Ils pouvaient notamment servir à barrer le fleuve, et étaient parfois munis de tours, comme à Dinant34 au XVe siècle. 30 Hachez, H., 1932, p. 23-33. 31 Suttor, M., 2006, p. 241. Charte du premier septembre 1080, Actes des comtes de Namur. 32 Il est aussi fait mention d'un pont en pierre dans Sarlet, D., dir., 1996, p. 402. 33 Suttor, M., 2006, p. 189 et 224. 34 Ces tours n'existent plus aujourd'hui, mais étaient apparemment toujours là au XIXe siècle. Suttor, M., 2006, p. 199-200. Les fortifications de la ville35 Il y eut apparemment une première enceinte édifiée suite aux incursions normandes et après, semble-t-il, la destruction de la ville par les Normands. Elle fut, selon Henri Hachez, faite d’une solide palissade en moellons, et beaucoup moins étendue que la suivante. À l’ouest, elle avait pour points extrêmes la Laide-Tour et la tour Chapon, ces dernières encadrant une porte à laquelle donnait accès un pont à tablier mobile. À l’est aurait existé un fossé coupant l’entrée de la ville et arrivant jusqu’à un rocher, sur lequel se trouvait le château de Monfort.36 Une deuxième enceinte (XIIe-XIIIe siècles37) fut rendue nécessaire par la construction du pont de 1080. En effet, ce dernier donnait à Dinant une importance stratégique qu'elle n'avait pas auparavant. Cela constituait un danger pour la ville, puisque les armées pouvaient désormais converger vers ce point qui était le seul passage de la Haute-Meuse. Il était donc important de remanier les remparts. L'entrée du pont du côté ville, fut barrée par une porte fortifiée. Il fallait également mettre le faubourg Saint-Michel à l'abri, en prolongeant les remparts depuis la tour Chapon jusqu'à la tour Héralle. Mais dans un contexte de relative prospérité économique, le faubourg s'étendait, et la chaîne des murailles fut prolongée jusqu'en face de Bouvignes, à la tour de Leffe, qui fut, elle, reliée au château. Quant au faubourg Saint Médard, de l'autre côté de la Meuse, il fut complètement entouré d'eau et défendu par de nombreux bastions, mais pendant les conflits entre Dinant et Bouvignes, la défense, constituée par la milice bourgeoise, était facilement narguée par les hommes de Bouvignes. 35 Hachez, H., 1932, p. 287-289 et 296-297. 36 Selon Henri Hachez, on pouvait en voir, en 1932, des vestiges importants dans les jardins de Monfat. Il surplombait l’église Saint-Michel. Hachez, H., 1932, p. 287. 37 Sarlet, D., dir., 1996, p. 402. Sur l'existence d'un « rivage » L'existence d'un rivage peut-être remis dans un contexte d'expansion, surtout commerciale, des villes38. Cependant, si Dinant, Namur et Liège sont des étapes pour la batellerie, aucune ne constitue un point d'arrêt obligé pour les bateliers39. Deux documents parlent de la possibilité d'un arrêt pour les bateaux40. On parle d'amarrage des bâtiments à Dinant, vers 985 (diplôme d'Otton III, 7 juillet). Mais il est difficile de savoir si l'on peut vraiment parler d'un port. Ensuite, le record du comte de Namur (1046-1064) mentionne un droit sur stationnement des bateaux au rivage de Dinant par délégation du roi. CONCLUSION Pourquoi y avait-il un château au Moyen Âge à Dinant ? La ville de Dinant, au XIe siècle, après avoir été longtemps partagée entre le comte de Namur et l’évêque de Liège, finit par être uniquement sous tutelle liégeoise. Quant au château, qu’il fût sous l’une ou l’autre des deux autorités, il garda son importance non seulement dans la défense de la ville et du fleuve, mais aussi en tant que siège du pouvoir. Le château construit vers 1040 sur l’éperon rocheux assurait le contrôle de la ville et de son activité économique. En effet, c’est par la possession de ce dernier que le maître des lieux s’octroyait certains droits régaliens comme la perception du tonlieu et le droit de frapper monnaie. Cependant, la question de l’importance de Dinant et de son château au Moyen Âge reste largement ouverte, étant donné les carences documentaires et les incertitudes subsistantes. 38 Suttor, M., 2006, p. 181, et 272-274. 39 Suttor, M., 2006, p. 523-527. 40 Suttor, M., 2006, p. 183, et 240. DINANT XV-XVI INTRODUCTION Aujourd’hui, la citadelle de Dinant continue de veiller sur la ville, malgré les débâcles passées. Elle surplombe Dinant, située en contrebas et traversée par la Meuse. Dinant et sa citadelle ont traversé les mêmes épreuves ; retour aux XVe et XVIe siècles, lorsque Dinant appartient à la Principauté de Liège. La ville et ses défenses sont malmenées deux fois, son industrie et son commerce prospères s’éteignent peu à peu. Aux alentours, la France et les duchés de Bourgogne – puis l’Empire – rivalisent de puissance. Ce travail s’efforce de souligner les problématiques suivantes : Comment le commerce dinantais a-t-il atteint une telle célébrité et indirectement causé la perte de la ville ? Quelle sorte de relations les ducs de Bourgogne entretiennent-ils avec la principauté de Liège ? Comment expliquer l’ambiguïté de la politique liégeoise, entre alliances et neutralité ? Et comment, au cours de tous ses évènements, la citadelle a-t-elle évoluée sous ces multiples destructions et reconstructions ? Dans un premier temps, il sera question du contexte de Dinant au XVe et XVIe, d’abord local puis général. Les fortifications de la ville seront ensuite abordées, incluant la description de la citadelle et l’évolution du système défensif de la ville. Enfin, les évènements ayant trait à la ville seront décrits, qu’ils soient locaux ou régionaux. CONTEXTE LOCAL Début du XVe siècle, Dinant est à l’apogée de sa gloire et de sa richesse. Troisième ville de la Principauté de Liège, elle est sous l’autorité de son Prince-Evêque mais dispose d’un conseil politique propre, d’un échevinat et d’un maire. De multiples industries permettent l’explosion du luxe et des arts notamment l’industrie de la draperie, des maîtres de pierre mais surtout la dinanderie, l’industrie du cuivre. Au niveau religieux, Saint-Perpète, ancien évêque de Tongres, est le patron de Dinant. Ses reliques sont conservées dans la collégiale. Dinant est le berceau de l’artisanat du cuivre grâce à ses riches gisements de calamine, de derle. Cette industrie, la seule à avoir pris le nom de la ville où elle est née, est favorisée par la présence de combustibles et de sources d’énergies hydrauliques. La dinanderie détient le monopole de la production de cuivre et de laiton41. De plus les voies de communication fluviales et routières favorisent son expansion et l’importation de cuivre en provenance d’Allemagne. La renommée des batteurs de cuivre et la qualité de leurs produits sont tellement grandes qu’ils entrent dans la ligue hanséatique42. Dinant possède également une halle43 à Londres, preuve d’un commerce de cuivre44 important avec l’Angleterre. De 1429 à 1431 se déroule la guerre namuroise, marquée par des affrontements réguliers qui ont lieu entre Dinant et Bouvignes45. En 1466, Dinant est mise à sac et incendiée par Charles le Téméraire et ses troupes, malgré l’intervention du conseil politique de Dinant (qui prône un accord et la paix). Dinant sera réduite avec acharnement et servira d’exemple : les autres villes liégeoises ne doivent pas sous-estimer les ducs. Après le sac de 1466, Dinant n’est plus que l’ombre d’elle-même et elle n’arrivera jamais à retrouver sa gloire et sa richesse d’antan. Il porte un coup mortel à la dinanderie : les batteurs survivants se réfugient dans d’autres villes belges ou à l’étranger46. Un mois plus tard, Charles le Téméraire autorise les batteurs dinantais à s’installer à Namur suite à une requête de la ville qui juge l’occasion favorable pour y implanter l’industrie dinantaise du cuivre. Les industries de Dinant et Bouvignes, auparavant rivales, se réunissent à présent et constituent une bonne occasion commerciale pour le comté de Namur. Mais en 1467, la ville de Namur veut les astreindre à un serment qui reste inconnu. Les batteurs refusent et quittent Namur. Entre 1471 et 1475, Charles ordonne de reconstruire la Collégiale Notre-Dame de Dinant. Celle-ci est construite en marbre noir qui est d’une grande fragilité47. Les maîtres de pierre et de marbre ont une grande renommée partout en Belgique. C’est, après la dinanderie, une industrie importante pour Dinant. En 1476, les Reliques de Saint-Perpète qui ont été 41 Alliage de cuivre avec d’autres métaux. 42 puissante confédération politico-commerciale des villes rhénanes. 43 Marché couvert où l’on vend en gros. 44 Cette industrie est la plus importante de Dinant au point qu’un habitant sur sept était batteur de cuivre. Les Dinantais sont appelés copères, ce qui signifie cuivre en germanique. 45 A l’époque, Bouvignes appartient au Comté de Namur, dirigé par les ducs de Bourgogne. 46 Cependant, le nom de Dinant restera toujours attaché à leur art. 47 Ainsi la Collégiale devra sans cesse être reconstruite jusqu’au XIXe siècle. volées lors du sac, sont restituées à la ville de Dinant et replacées dans la Collégiale. Le bulbe est installé sur la Collégiale en 156648. A la mort de Charles le Téméraire en 1477, les Dinantais, y compris les batteurs de cuivre, en profitent pour revenir à Dinant et reconstruire la ville puis la citadelle. Après le sac et la mort de Charles, le Prince évêque de Liège gagne plus d’autorité sur Dinant. En juillet 1554, la ville de Dinant est prise et assiégée par les troupes du roi français, Henri II qui tente d’atteindre Bouvignes. Henri II est en lutte contre Charles Quint, duc bourguignon du comté de Namur. De nouveau, Dinant est pillée et détruite et doit être restaurée. L’autorité du Prince évêque s’accroît encore plus sur Dinant suite à la faiblesse grandissante des Dinantais. Les batteurs de cuivre de Bouvignes trouvent refuge parmi les batteurs dinantais et demandent à être admis dans leur compagnie. Le pont, la voie de communication la plus importante de Dinant, se rompt fin de l’année 1573 et entraîne la destruction de l’Hôtel de Ville qui se trouvait sur celui-ci. Pour préserver la vie commerciale très importante en cette période de crise et malgré les finances désastreuses, le pont est reconstruit début 1574. En 1577, la peste frappe la ville ; la moitié de la population est décimée. Dix ans plus tard, la famine touche Dinant. Enfin, Dinant a quelques problèmes avec la dinanderie, de plus en plus déserte et abandonnée. En 1570, une loi est promulguée condamnant à l’amende tout batteur qui travaillerait hors de la ville de Dinant. La batterie dinantaise n’est plus assez productive pour satisfaire les demandes du marché d’Anvers. En 1600, la ville de Dinant alerte le prince : Depuis trois ans, quelques batteurs inquiets de la situation précaire de Dinant partent exercer à l’étranger et y communiquent leur savoir-faire. Des mesures sévères sont prises contre les absents s’ils ne rentrent pas dans les trois mois. Cette alerte montre l’importance de la dinanderie pour la ville et illustre les temps difficiles qui mèneront à la décadence de cette industrie. 48 Au départ, il devait être placé sur l’Hôtel de Ville mais le bâtiment, placé sur le pont, était trop fragile. CONTEXTE GÉNÉRAL De Philippe le Bon à Charles le Téméraire49 La constitution des Etats Bourguignons50 Dans le courant du XVe siècle, les ducs de Bourgogne veulent sans cesse étendre leurs possessions dans les Pays-Bas. Ils s’opposent à la principauté de Liège à de multiples reprises comme lors de la bataille d’Othée en 1408. A partir de 1420, Philippe le Bon caresse le projet de création d’un Etat d’entre-deux comprenant les actuels Belgique et Pays-Bas. Cela se concrétise par l’achat du Comté de Namur en 1421, l’héritage du Duché de Brabant, l’obtention du Luxembourg et de l’avouerie d’Alsace au cours des années suivantes. Installation de l’influence Bourguignonne dans les grands évêchés Cette implantation massive dans nos contrées est renforcée par des manœuvres politiques. Le duc installe ses proches sur les cathèdres des évêchés les plus importants de Tournai à Utrecht et dans ceux de Cambrai, de Cologne, de Trèves et de Thérouanne. Ces manœuvres provoquent un sentiment aigu d’étouffement de la Principauté épiscopale de Liège. Celui-ci culmine en 1456, lorsque Philippe de Bourgogne installe son neveu Louis de Bourbon (1456-1482) à la tête de la principauté. Les liégeois réagissent immédiatement et passent une alliance avec Louis XI de Valois, roi de France (le 17 juin 1465) et ennemi juré de Charles le Téméraire. La même année et forte de cette assurance, Liège décrète la déchéance de Louis de Bourbon qu’elle remplace par un membre de la Cité. S’ensuit la colère de Charles de Bourgogne qui impose une série de concessions, d’amendes et d’humiliations qui culminent avec le sac de Dinant en 1466. 49 HARSIN, P., Etudes critiques sur l’histoire de la principauté de Liège 1477-1795, t. I : La principauté de Liège à la fin du règne de Louis de Bourbon et sous celui de Jean de Hornes (1477-1505), Liège, 1957. HARSIN, P., Etudes critiques sur l’histoire de la principauté de Liège 1477-1795, t. II : Le règne d'Erard de la Marck 1505-1538, Liège, 1955. 50 Stiennon, J., De Charles le Téméraire à Erard de La Marck. Le sang des Liégeois et la pourpre cardinalice, dans Stiennon, J., dir, Histoire de Liège, Toulouse, 1991, p. 139-133. Les Etats bourguignons sous tutelle impériale En 1477, Charles le Téméraire tombe devant la ville de Nancy et oblige Louis de Bourbon à fuir la Cité ardente. La fin du XVe siècle est ponctuée de traités par lesquels les Liégeois tentent de faire accepter un statut de neutralité pour la Principauté, réalisant n’être que des pions aux yeux de la France et de l’Empire. Jean de Hornes (1484-1506) succède à Louis de Bourbon51 et entreprend de remettre sur pied la Principauté. Il signe le traité de Donchéry avec Louis VIII de France en 1488 52. Jean de Hornes renforce ces bonnes bases en négociant deux nouveaux traités avec cette fois l’empereur et le roi de France le 8 août 1492. La neutralité est dès lors assurée pour le pays de Liège. Erard de La Marck et la renaissance de la Principauté53 La politique d’alliance54 Le XVIe siècle voit l’avènement d’un grand prince-évêque à Liège en la personne d’Erard de La Marck (1506-1538). Il maintient les acquis de la décennie précédente tout en les développant et en accroissant parallèlement son prestige familial. Il entretient d’excellents rapports avec les puissances d’Europe occidentale. Cela se constate lorsque François Ier lui accorde l’évêché de Chartres et que Charles Quint lui donne celui de Valence, auquel vient s’ajouter le titre de cardinal. Charles V était à la tête d’un empire immense, une alliance avec lui pouvait donc être très précieuse pour Liège. Elle est signée le 24 aout 1518 et Liège est mise sous protectorat des Pays-Bas habsbourgeois. Ce fait déplaît fortement au roi de France qui tente une offensive contre Liège, sans succès. 51 Guillaume de la Marck assassine Louis de Bourbon en 1482 et récupère le trône. Il meurt à son tour en 1484, et jean de Hornes lui succède après une courte période d’anarchie. 52 Ce texte a pour but de réglementer les échanges entre Liège et la France tout en entretenant de cordiales relations. 53 HARSIN, P., Etudes critiques sur l’histoire de la principauté de Liège 1477-1795, t. II : Le règne d'Erard de la Marck 1505-1538, Liège, 1955. 54 HENAUX, H., Histoire du Pays de Liège, V.2, Bruxelles, 1981, p. 234-245. Au cœur des guerres de religions55 Parallèlement, un courant balayant l’Europe atteint Liège vers 1531 : l’Anabaptisme, branche du protestantisme. Erard de la Marck n’a aucune tolérance à son égard et recourt à l’Inquisition. En position de force et soutenu par Charles Quint, il renforce son pouvoir personnel. L’empereur décide aussi de prendre en main les affaires du Pays de Liège : il nomme lui-même les princes et met en place la Coadjutorerie. Son but est d’élire le successeur du prince régnant du vivant de ce dernier. Malgré cette apparente mainmise, les Etats de Liège56 n’hésitent pas à prendre des décisions sans consulter l’empereur au préalable. C’est le cas lorsqu’ils décident d’imiter les autres évêchés allemands qui pratiquent la tolérance religieuse, suite à la Paix d’Augsbourg57. Lorsqu’en 1565 Gérard de Groesbeek (1563-1580) devient Prince, le protestantisme gagne énormément de terrain aux Pays-Bas. Il réagit en obligeant le retour à une intolérance totale. Il réprime notamment le soulèvement de Maastricht, devenue protestante. En 1576, les Provinces Belges appellent à l’aide la principauté pour une opposition contre l’autorité espagnole. Mais Liège refuse car l’accord de l’Empereur et du Cercle de Westphalie58 sont indispensables. La neutralité mise à mal59 A cours des deux dernières décennies du XVIe siècle, la neutralité de la principauté pose problème. Elle est d’abord tolérée sous le règne d’Ernest de Bavière (1581-1612) alors que le conflit opposant les Provinces Unies à la Couronne d’Espagne fait rage. Elle est ensuite contestée entre 1590 et 1594 lorsque l’armée catholique espagnole reconquiert l’électorat de Cologne appartenant à Ernest et que, parallèlement, le Prince d’Orange pénètre en Brabant à la tête de son armée protestante. Enfin, en 1595, Henri de Navarre s’allie aux hollandais après 55 HENAUX, H., Histoire du Pays de Liège, V.2, Bruxelles, 1981, p. 234-242. 56 Etats : Regroupement des trois grands corps sociaux que sont la Clergé, la Noblesse et le Tiers, ils constituent un contre-pouvoir vis-à-vis de celui du prince-évêque. 57 D’après Encarta 2007 : « Augsbourg, Paix d’: paix de religion proclamée à Augsbourg, le 3 octobre 1555, par la diète du Saint Empire romain germanique, afin de mettre un terme à la lutte entre luthériens et catholiques en Allemagne. » 58 Charles Quint, dans un but de centralisation, divise l’empire en cercles régionaux en 1500. 59HARSIN, P., Etudes critiques sur l’histoire de la principauté de Liège 1477-1795, t. III : Politique extérieure et défense nationale au XVIe siècle (1538-1610), Liège, 1955, p. 322-327. avoir abjuré sa foi catholique. Pour les rejoindre, Henry passe obligatoirement par la Meuse ; il fait escale à Huy et s’en empare60. La neutralité du Pays de Liège est bafouée. EVOLUTION DES FORTIFICATIONS DE DINANT ET DE LA CITADELLE Le fort de Dinant s’est élevé à partir du Moyen-âge sur un éperon calcaire dans les hauteurs de Dinant. La citadelle a été construite sur le type « éperon barré »61 et est limitée sur trois côtés par des falaises et un large plateau s’ouvrant vers l’est. La citadelle fait partie intégrante des organes défensifs62 de la ville de Dinant et a pour but de défendre la place, la plaine et le fleuve. Une enceinte s’élève également autour de la ville haute et de la ville basse, munies de portes et de tours. Les documents précis d’avant 1466 manquent mais la présence de deux enceintes successives a été découverte : la première au 13e siècle et la seconde, renforcée au début du 16e siècle, établie sur les vestiges de la première. Le 15e siècle : période antérieure à 1466 et le sac de Charles le Téméraire. Au 15e siècle, la ville de Dinant est pourvue de fortifications remarquables, incarnées principalement par la citadelle. Elle dispose d’une enceinte flanquée de tours qui se prolonge le long de la Meuse et s’étend sur d’énormes rochers dans le dos de la ville. Le château se trouve au point culminant de la ville et est muni de guetteurs. Le faubourg Saint Médard, situé de l’autre côté de la Meuse, est fortifié et muni d’ouvrages avancés. Un pont relie ce faubourg à Dinant en limitant son accès par un pont-levis et une tour centrale. Le rempart ceignant la ville est entrecoupé de portes telles que la Porte de Leffe, des Malades et de Saint Nicolas, et de tours comme la Tour Saint Jean et la Tour Cornière63. Au nord se dessine la Tour Montorgueil d’où les couleuvrines64 tirent vers Bouvignes. Sur la rive gauche, les fortifications des deux villes se rejoignent presque : elles sont à distance d’un trait d’arc l’une 60 Namur et Maastricht sont aux mains des espagnols, et de ce fait infranchissables. Henri part donc de Sedan vers Liège60 et fait escale à Huy. Il s’en empare vu l’importance stratégique de sa localisation. 61 Promontoire rocheux dont l’isthme a été coupé par un retranchement, comme une palissade, un fossé, … ce type est parmi les premières formes de fortifications. Patrimoine monumental de Belgique, 1996, p. 410. 62 Les autres étant la ville et le quartier Saint Médard qui défendait l’accès au pont. 63 Nommée ainsi de part sa position sur un angle. 64 C’est une bouche à feu, fine et longue qui est apparue au 15e siècle. Elle pouvait être manœuvrée à la main avec des fourches de fer plantées dans le sol. Elle tire son nom de sa forme serpentine. de l’autre65. De cette manière, elles assurent en quelque sorte le siège permanent de l’une et de l’autre. Les tours des fortifications de Dinant sont munies de bombardes, de bâtons à feu et d’armes en tout genre. Elles appartiennent en partie à la ville et en partie aux bourgeois et aux métiers. Les bombardiers s’occupent de l’entretient de l’artillerie et de la fabrication de la poudre66. D’autre part, la ville de Dinant possède dès le 15e siècle une châtellenie67. Celle-ci s’étend considérablement et couvre essentiellement la partie méridionale de la principauté de Liège. Elle est apparentée à une grande avouerie68 qui se tient sous la protection de Dinant mais elle est cependant dépourvue de toute autorité épiscopale. La châtellenie adopte une organisation à caractère défensif dès le début des guerres contre le comté de Namur. Son but est alors de défendre la ville en cas de siège. C’est en 1408, lors de la défaite liégeoise à Othée, que l’ordre de faire abattre les murs de Dinant est donné. Un écrit toutefois stipule que si le dit-ordre est exécuté, la ville se verra dépeuplée de ses habitants les plus riches. En 1429, Dinant est dans une position critique. Suite à l’acquisition de la ville par les ducs de Bourgogne, les murailles prennent de l’importance tout comme elles gagnent en puissance69. En 1430, les oppositions entre Dinant et Bouvignes sont à leur apogée. À la suite d’une paix signée en 1456 entre la principauté de Liège et le comté de Namur (de laquelle Dinant fut exclue), les Dinantais sont condamnés à démolir eux-même la Tour Montorgueil qu’ils avaient bâtie au 14e siècle. Les querelles entre Dinant et Bouvignes se soldent en 1431 par un traité de paix qui inclut la destruction de la tour Montorgueil… Lors du sac de 1466, le sort de Dinant est jeté : le château est rasé, la ville démolie et les habitants torturés70. 65 PIRENNE, 1939, p. 68. 66 Avant le sac de 1466, il est mentionné qu’un soldat fut payé 500 florins pour assurer la garde et rester sur place. PIRENNE, 1939, p. 68. 67Cela signifiait la seigneurie d’un seigneur châtelains, l’étendue de sa seigneurie et de sa justice. Le terme vient de château ou châtelelt et de châtelain car c’étaient eux qui étaient préposés à la garde des villes. Ou châtellerie, PIRENNNE, 1939, p. 88. 68 Provient du droit féodal et de l’avoué qui est le protecteur laïque d’un bien ecclésiastique. Le seigneur met à disposition ses forces pour une communauté religieuse et en retour il reçoit une rémunération perçue sous le forme d’impôts. 69 Essentiellement pour la protection des trésors de la ville et de l’industrie dinantaise. PIRENNE, 1939, p. 67. 70 Selon la visite guidée de la citadelle, les Dinantais furent jetés liés deux par deux dans la Meuse. Après le sac de Charles le Téméraire Après la mort de Charles le Téméraire en 1477, Dinant se relève progressivement de ses ruines71 mais sa prospérité a entièrement disparu. Située hors des routes commerciales, elle n’avait de richesse que par son industrie florissante dans le passé et désormais inexistante72. En 148073, le magistrat de Liège invite les habitants de la principauté à seconder par tous les moyens la ville de Dinant dans la reconstruction de ses murailles, du pont et du château. Entre 1466 et 1554, les progrès en matière d’artillerie vont progressivement mener à l’enfouissement des fortifications dans le sol. Un phénomène qui est surtout visible à la citadelle. Le 16e siècle : avant le siège d’Henri II en 1554 Au 16e siècle, la ville de Dinant est toujours dans une situation précaire et abdique74 lors des grandes guerres. Au début du siècle, Erard de la Marck75 entreprend les réparations des forteresses principautaires dont Dinant fait partie. Entre 1504 et 1514, le fort est constitué de trois corps de logis. Le rez-de-chaussée est muni d’arcades soutenues par des colonnes doriques et à l’étage, les murs sont en briques. Deux boulevards circulaires sont conçus pour entreposer l’artillerie76 et permettre la protection à la fois de la plaine et de la ville. Une tour comprenant une chapelle sert essentiellement à la surveillance de l’escalier qui descend vers la ville. Une fausse-braie à saillie curviligne77 sert également de protection pour la base des murailles. Une description similaire est donnée par Jean de Haynin78. Il ajoute que le château fut reconstruit sur les ruines de l’ancien et qu’au centre du fort, il y avait une cour carrée de 40 pas de longueur. Au nord se dressent deux tours près desquelles se trouve une courtine 71 En effet, une requête est adressée (par le magistrat de Dinant ?) à l’évêque et aux états de Liège, dans le but de reconstruire Dinant et de la création de ressources pour relever les tours. BORMANS, S., Cartulaire de la commune de Dinant, t. II : 1450-1482, Namur,1881, n°171. 72 Aujourd’hui, il est encore dit, comme après le sac de 1466, « ici fut Dinant ». PIRENNE, 1939, p. 113. 73 Bormans, S., i.e., t.III : 1482-1555 n°179. 74 Les Dinantais gardent en mémoire le souvenir douloureux du sac de Charles le Téméraire en 1466. PIRENNE, 1939, p. 116. 75 Prince évêque de Liège. BRAGARD, P., Fort de Dinant, dans Patrimoine monumental de Belgique, 1996, p. 410. 76 Ces boulevards sont conservés actuellement en contrebas du fort. BRAGARD, P., Fort de Dinant, dans Patrimoine monumental de Belgique, 1996, p. 410. 77 Patrimoine monumental de Belgique, 1996, p. 410. 78 Chroniqueur de Philippe le Bon lors du sac de 1466. flanquée de deux grosses tours. C’est en 1547 qu’un ingénieur italien prend en charge les travaux. Il est à l’origine du sur creusage du fossé principal qui ferme définitivement l’accès au plateau. Dans la deuxième moitié du 16e siècle, Dinant doit organiser une défense contre les armées voisines. Le pouvoir du prince augmente avec l’organisation de la défense. La ville est pourvue d’une garnison permanente79 et le château est sujet à de nombreux travaux de fortifications. En 1554, une guerre éclate entre Henri II et Charles Quint. Le château de Dinant se voit alors assiégé et bombardé. Le chroniquer François de Rabutin livre une description précise de l’état des forteresses à cette époque. Le fort a une forme ovale et est inaccessible par deux endroits. Sur le front, deux boulevards en fer à cheval sont tracés : l’un face à la plaine et l’autre semblable au –dessus de la ville et de la rivière. À l’intérieur, la cour est entourée de trois corps composés de colonnes doriques en marbre noir tacheté de blanc et gris. À l’étage du dessous, des galeries spacieuses et un promenoir serpentent avec au-dessus une grande salle comprenant une chambre et une chapelle. Dehors, se dressent deux tours rondes démolies par Henri II. Et en bas, une courtine est flanquée de torions presque entièrement abattue. Après le sac d’Henri II En 1568, Jean de Walzin, nommé80 entre autre garde de la maison et du château de Dinant, donne un état des dépenses du château à l’évêque dans lequel il remarque que la paie des soldats augmentent en temps de guerre, que le château est pourvu d’une petite garnison et enfin, il mentionne le coût des travaux de réparation. C’est aussi l’année où Guillaume d’Orange veut se rallier avec les Huguenots de France. Dinant prend ses précautions et renforce sa garnison. Finalement, la ville est épargnée81. Concernant la citadelle, l’évêque ordonnera sa reconstruction en 1571. Six ans plus tard, un escalier de 408 marches est taillé dans la paroi rocheuse. 79 DE FROICOURT, G., t. 38,1938, p. 40. et PIRENNE, 1939, p. 117. 80 Par Robert de Berghes, évêque de Liège, à la suite de la signature de la paix de Câteau –Cambresis en 1559. DE FROIDCOURT, t. 38, 1938, p. 43. 81 DE FROIDCOURT, t. 39, 1938, p. 14. EVENEMENTS AUTOUR DE LA CITADELLE DE DINANT Début XVe : rivalités voisines et destruction de Montorgueil Au XVe, Bouvignes est la grande rivale de Dinant. Séparées par la Meuse, l’une appartient au Comté de Namur, l’autre à la Principauté de Liège. Leur proximité ainsi qu’une même industrie82 favorisent leur antagonisme. Les deux villes se toisent du haut de leur tour83, points d’attaque d’où elles se lancent des projectiles enflammés. Au début du siècle, Dinant est supérieure à Bouvignes, notamment sur les plans commercial et religieux84. Lorsqu’arrivent les ducs de Bourgogne dans le Comté de Namur85, la situation s’inverse. Des deux côtés, les querelles continuent86 mais Bouvignes prédomine finalement : après l’échec de l’offensive dinantaise contre Crèvecoeur, Philippe le Bon clôt la guerre en imposant à Dinant le traité de Malines87 qui comporte parmi d’autres clauses la destruction de la tour Montorgueil. Les Dinantais vouaient déjà aux Bouvignois une haine mêlée d’orgueil et de patriotisme. Au terme de cet épisode, la Bourgogne – précisément, le Comte de Namur, futur Charles le Téméraire - ayant causé la démolition de la tour, sera aussi l’objet de la hargne dinantaise. Le sac de Dinant (1466) Après l’alliance entre la France et la Principauté de Liège, en 1465, des ambassadeurs français viennent exalter les Dinantais : leur haine –préexistante- s’accroît et les pousse à 82 Il s’agit de l’industrie du cuivre. Les objets finiront même par porter le nom de « dinanderies ». 83 Elles sont situées face à face de chaque côté de la Meuse : Crèvecoeur pour Bouvignes, Montorgueil pour Dinant. 84 La collégiale de Dinant est l’Eglise mère de Bouvignes, à qui celle-ci est redevable. Briquemont, F., Un litige opposant le curé de Bouvignes au chapitre de l’église collégiale de Dinant et à l’abbaye de Leffe en 1402, dans Les échos de Crèvecoeur, 2008. 85 Le Comté de Namur est acquis en 1421 par Philippe le Bon et gouverné par son fils, le comte de Charolais. Pirenne, H., Histoire de Belgique, t.I, Bruxelles, 1930-1932, p. 375. 86 Entre autres agressions : raid des Bouvignois contre Montorgueil, convoi namurois agressé par les Dinantais. Loncin, T., La guerre namuroise (1429-1431) : un épisode de la rivalité Liège-Bourgogne au XVe siècle, dans Bulletin de l’institut d’archéologie liégeois, 1994.P 87 Le traité de Malines est signé le 15 décembre 1431. injurier le Comte de Charolais et son père88. La défaite française et liégeoise à Montenacken se solde par un armistice dont les clauses d’abord excluent Dinant89. Compte tenu de mesures rigoureuses, et après beaucoup de tentatives de pardon et d’apaisement, Dinant est incluse. Cette réticence bourguignonne prouve l’antipathie qu’ils ressentent à l’égard de la ville. Ce traité de paix pousse les Liégeois, opposés à Louis Bourbon, à l’exil. Ils trouvent refuge à Dinant où ils sèment le trouble parmi la population. Ils entrainent Dinant qui refuse le traité de paix ; la situation devient critique90, les injures envers les ducs volent. Cette fois, les ducs ne retiennent plus leur colère. Le Comte de Charolais part avec son armée vers Dinant le 16 août 1465 et Philippe le Bon surveille les opérations de Namur. Dinant est assiégée du 18 au 26 août. L’artillerie est nombreuse, les bombardements vigoureux. Le but des ducs de Bourgogne est la destruction de la ville ; la population est libre de fuir par la Meuse91. Malgré le siège, les insultes continuent et la ville croit encore au secours de ses alliées92. Le 22 août, les tours et de grands pans de remparts sont détruits ; le 25 août, la ville se rend sans condition. La veille de la capitulation, les excitateurs liégeois ont fuit, privant la cité de défense. Le 26 août, le Comte de Charolais fait son entrée en fanfare dans la ville. Dès le lendemain, le sort de Dinant est scellé par Philippe le Bon : la ville est pillée deux jours de suite puis incendiée93. Les Dinantais présents dans la ville connaissent différents sorts : les femmes, enfants et clercs sont exilés à Liège tandis que les hommes sont tenus à disposition du duc, et finissent prisonniers le plus souvent94. Les coupables sont recherchés et punis sans instruction régulière : trois seront pendus, d’autres liés et jetés à plusieurs dans la Meuse95. Le nombre de victime est variable selon les sources 96. De la 88 Le futur Charles le Téméraire est l’objet de moqueries ; entre autres, un mannequin le caricaturant sera suspendu au dessus de la Meuse, face à Bouvignes, et est traité de batârd ; même Philippe le Bon est touché. Pour tout les détails du paragraphe concernant le sac de Dinant : Borgnet, A., dans ASAN, t. III, 1853, p. 1-93. 89 C’est le traité de St Trond, 16/12/1465. Borgnet, A., dans ASAN, t. III, 1853, p. 17. 90 La population modérée est persécutée, les liégeois pillent et sèment la désolation. 91 Lors de l’invasion de la ville, le coté de la Meuse n’est pas surveillé. 92 La France n’interviendra pas ; quant à Liège, les secours arriveront trop tard, retard causé par l’hésitation à combattre leur allié de St Trond. 93 La ville a bel et bien finie en feu, mais pas au moment prévu : un soldat, en conflit pour un pillage, a mis une maison en feu. Le reste de la troupe a pris cette maladresse comme signal et a incendié la ville avant que le pillage soit fini. 94 Selon une ordonnance du 4/9/1466 : « Toutes les personnes lors estans dedens la dite ville fuissent à nous et en notre dispension pour les faire mourir, les mettre à ranchons ou aultrement leur faire grace et miserecorde selon nostre bon plaisir. » Brouwers, D., dans ASAN, t. XLIV, 1943, p. 41. 95 Précision de Jean de Haynin : « certains avaient promis de vivre et de mourir l’un avec l’autre.(…) On les attacha l’un à l’autre, 2, 3, ou 4 à la fois, et ayant pieds et poings liés, on les assoit sur le bord d’une nef, ou au milieu de la rivière Meuse, droit face à la ville de Bouvines, le dos envers les autres et après qu’il a confessé, le bourreau les renverse dans la rivière. (…) » Brouwers, D., Mémoires de Jean, sire de Haynin et de Louvignies, 1465-1477, nouv. éd., t. I, Liège, 1905, p. 181. population en fuite avant la capitulation, certains ont gagné la France ou l’Angleterre. D’autres sont restés dans les environs ou se sont installés à Namur, où les batteurs de cuivre auparavant dinantais recevront l’autorisation d’exercer sur sol bourguignon. La ville est pillée de fond en combles97. Le mobilier des maisons est vendu, voire revendu aux habitants ayant consenti à révéler son emplacement. Du sac de 1466, la ville sortira exsangue, vide de biens et de population. Elle se rétablira progressivement une fois Charles le Téméraire mort ; cependant, l’industrie de cuivre est ruinée définitivement. Dinant pendant les guerres civiles Après la mort de Charles le Téméraire, Dinant retrouve quelque vigueur. De 1478 à 1480, l’évêque désigne un gouvernement provisoire et il invite à reconstruire murailles et maisons. Dinant tente d’obtenir à Liège une aide financière pour la citadelle, mais la démarche n’aboutit pas98. A la même époque, Liège connait la tourmente : Guillaume de la Marck renverse Louis de Bourbon et meurt peu après, laissant la ville à l’anarchie. L’oppression exercée par les Pays-Bas jusque 1477 et l’influence lourde de la France enveniment la politique liégeoise. Ici intervient un personnage fameux de Dinant : Watelet Chaboteau, mayeur de Dinant de 1486 à 1503, qui joue un rôle d’intermédiaire entre Liège et la France. Officier du princeévêque et entretenant d’autre part de très bons rapports avec le roi français, il parvient à conclure le traité de Donchéry-Maastricht en 1488 qui inaugure un rapport de neutralité entre la France et la principauté. Cet acte diplomatique du mayeur de Dinant n’est pas négligeable et prouve le redressement progressif de Dinant et de la principauté. 96 Philippe de Comines parle de 800 victimes. Les chroniqueurs bourguignons citent quant à eux « l’ébahissement du Comte de Charolais devant le petit nombre de victimes ». Borgnet, A., dans ASAN, t. III, 1853, p. 54. 97 Philippe II ordonnera même de fouiller la ville après l’incendie pour récupérer les métaux. 98 Harsin, P., 1957, p. 54. Dinant et la Ve guerre de rivalité (1551-1556) A la moitié du XVIe siècle, Charles Quint entre en querelle avec la France, représentée en 1551 par Henry II, pour certains territoires, dont les villes liégeoises. A l’époque Marie de Bourgogne gouverne la principauté de Liège, passée sous protectorat hollandais. Face à la menace française, le gouvernement des Pays-Bas s’active sur ce territoire qu’il protège : il renforce les places fortes, dont Dinant, et lève des hommes pour garnir ces forteresses. Henry II, lui, chemine : il remonte la vallée mosane et touche les villes liégeoises99. Après une trêve en 1553, il marche sur Dinant en 1554 et l’assiège. L’attaque de Dinant est lancée le 4 juillet 1554. Face aux Français, la défense dinantaise est hétéroclite, regroupant namurois, liégeois et espagnols. La ville garde son panache face au roi et lui promet un « banquet indigestible 100 ». Malgré ces intentions, Dinant est en faiblesse par rapport à la France : celle-ci contrôle la Meuse et Bouvignes, et bientôt la garnison doit se retirer dans la citadelle. Pendant ce temps, les soldats français pillent et brûlent les maisons dinantaises. La lutte continue jusqu’au 11 juillet, date à laquelle la ville capitule. Cette capitulation est pourvue de conditions, entre autres que les soldats assiégés dans la citadelle puissent en sortir sains et saufs ; la clause ne sera pas respectée, les espagnols seront massacrés et les chefs faits prisonniers. D’autres massacres suivront celui de Dinant, jusqu’à ce que le traité de CâteauCambresis soit signé le 3 avril 1559. La paix se rétablit et Henry II renonce aux forteresses mosanes101. Enfin, la frontière française est repoussée au Nord. Dès lors, le gouvernement entreprend de reconstruire les forteresses les plus efficaces ; celle de Dinant disposera d’un subside de 52000 florins. A Dinant, la paix de Câteau-Cambresis sera proclamée sur la place du marché et célébrée par la poudre du château. 99 Face aux forces françaises, Bouillon, par exemple, sera complètement détruite. Harsin, P., t. III, 1959, p. 122. 100 Harsin, P., t. III, 1959, p. 128. 101 Henry II conserve une seule des forteresses, Mariembourg. Harsin, P., t. III, 1959, p. 130. CONCLUSION Au XVe et au XVIe siècle, la ville de Dinant traverse une période tourmentée. En effet, la ville connaît une succession de sièges et de destructions ; son industrie bien que prospère périclite dès 1570. Le sac de Charles le Téméraire prolonge les querelles entretenues depuis le début du XVe avec Bouvignes, la rivale namuroise de Dinant. A peine rétablie, la ville doit faire face à la guerre de rivalité entre Charles Quint et Henry II. Du XV e au XVIe, la ville est malmenée entre France et ducs de Bourgogne, tiraillée entre nécessités d’alliances et besoin de neutralité. Lors des conflits, les principaux touchés sont les habitants, qui se voient contraints à l’exil, et les organes défensifs incarnés principalement par la citadelle qui est démolie et maintes fois reconstruite. L’artillerie et les mesures de fortifications se perfectionneront au cours de cette période. La ville perd cependant sa prospérité et n’est plus que l’ombre d’elle même à l’aube du XVIIe siècle. On parle encore aujourd’hui de la ville en disant « ici fut Dinant ». DINANT AU XVII INTRODUCTION La ville de Dinant, qui se situe dans la vallée de la Meuse, dans la Belgique actuelle, est considérée comme un point stratégique au XVIIème siècle pour les grands royaumes d’Europe. Elle connaît tout au long du siècle une série de guerres et d’invasions, notamment par Louis XIV. Du fait de ces conflits, la ville s’est dotée d’un système de fortifications qui évolue au cours du XVIIéme siècle. Quelles sont les raisons qui font de Dinant un point stratégique et comment évoluent les fortifications, voici les questions à se poser dans le cadre de ce travail. Pour tenter d’y apporter une réponse, la précision de la situation générale, en Europe, est nécessaire, ainsi qu’une étude plus locale, au niveau de la ville, elle-même. Pour terminer, une description des différents travaux de fortifications sera présentée afin de mieux comprendre la raison de ces changements. CONTEXTE GÉNÉRAL Les forces en présence Au XVIIème siècle, nos régions sont le champ de bataille de l’Europe. En effet, elles sont ravagées par les guerres franco-espagnoles, dans lesquelles trois forces sont en présence : la France, l’Espagne et l’Autriche102. Après un siècle de crise religieuse103, la France se relève grâce à l’excellente politique d’Henri IV104 qui s’appuie sur une très grande richesse et une forte population active105. Néanmoins l’efficacité de cette politique dépend surtout du personnage d’Henri IV et donc à sa mort, les pressions préexistantes à son règne ressortent et secouent le royaume. D’un point de vue interne, d’une part l’hérédité de certains offices réduise l’autorité royale, d’autre part 102 L’Autriche fait partie des territoires appartenant aux Habsbourg, et donc au Saint Empire romain germanique. 103 Henri IV promulgue l’édit de Nantes en 1598 qui accorde la liberté de culte mais aussi toute une série de droits politiques et économiques aux protestants. Lebrun, F., 1981, p. 8. 104 Bluche, F., 1990, p. 712-716. 105 La France est le pays le plus peuplé d’Europe au XVIIe. Lebrun, F., 1981, p. 8. les protestants profitent de leurs nouveaux droits pour s’enrichir et renforcer leur position. D’un point de vue externe, le pays n’est pas encore un ensemble entièrement homogène et ceci amène une certaine fragilité et une insécurité aux frontières du royaume. L’Espagne et l’« Autriche », d’un autre côté, sont deux royaumes de la même maison, celle des Habsbourg, et de ce fait, elles se sont alliées contre la France. L’Espagne possède un passé glorieux, résidant dans une grande puissance militaire, politique, économique et culturelle, mais qui subit un certain déclin dès le début du règne de Philippe III106, avec en 1609, la reconnaissance implicite de l’indépendance des Pays-Bas (trêve de douze ans). L’ « Autriche », quant à elle, par sa dignité impériale et ses riches domaines habsbourgeois constitue un énorme ensemble, bien plus important que la France même si elle n’en a ni la cohésion ni la richesse. Affaiblissement de l’Espagne et ascension de la France La guerre de Trente Ans Le XVIIème siècle, période de guerre, commence avec la guerre de Trente Ans en 1618. Celle-ci a pour but l’hégémonie aussi bien des Habsbourg d’Autriche que ceux d’Espagne en Europe, sur fond de guerre religieuse107. Lors de ce conflit, la France, bloquée dans un premier temps par des problèmes internes, tente par la suite d’empêcher la progression de l’Espagne et de l’Empire. Sous l’impulsion de Richelieu, de Louis XIII et de Mazarin, elle combat sans répit l’Espagne, notamment à Rocroi108, et ressort finalement vainqueur de la guerre en signant les traités de Westphalie109 en 1648. La même année, l’Espagne signe la paix avec les Provinces-Unies pour ne plus avoir qu’un seul front à combattre. Une fois la France vaincue, elle aurait pu alors facilement reconquérir les Provinces-Unies. L’hégémonie de Louis XIV en Europe 106 Bluche, F., 1990, p. 1192-1193. 107 Ferdinand II, empereur du Saint Empire, veut imposer la religion catholique à tout l’Empire, ce qui n’est pas du goût des principautés protestantes de l’Empire. Celles-ci font sécession et nomment un autre empereur. Ce conflit « locale » se répand et amène presque toute l’Europe dans la guerre. Lebrun, F., 1981, passim. 108 À Rocroi, le jeune duc d’Enghien inflige la plus lourde défaite que l’Espagne ait jamais connu et met fin à la réputation et aux aspirations de cette dernière. 109 Lebrun, F., 1981, p. 87. Après la signature de la paix des Pyrénées110, en 1659, l’Espagne perd alors tout espoir de regagner son prestige d’antan. En fait, les rivaux évitent de justesse la guerre au profit de la France. Louis XIV, par ses campagnes, conquiert alors des territoires appartenant initialement aux Pays-Bas espagnols et obtient de plus une mince possibilité d’accès au trône d’Espagne111 par son mariage avec Marie-Thérèse, la fille de Philippe IV112. À la mort de ce dernier, malgré le renoncement de Marie-Thérèse à son héritage espagnol, le roi de France tente de faire valoir ses droits sur le territoire ibérique. Par un ancien texte juridique, il prend possession de nombreux territoires dans nos régions. Le traité d’Aix-la-Chapelle, du 2 mai 1668, scelle cet accord pour éviter une guerre totale en Europe113. En 1678, après que les Français eurent une fois de plus prouvé leur puissance, un nouveau traité, dit de Nimègue114, est négocié. Il s’agit en réalité d’un échange selon lequel Louis XIV abandonne certains territoires aux Provinces-Unies et en reçoit de nouveaux qui lui permettent de former une frontière plus régulière. L’influence de la France sur l’Espagne finit par tourner à l’abus de pouvoir lorsque le roi de France, selon les accords de Nimègue, oblige Charles II à lui céder Dinant comme prévu ou à lui livrer Charlemont115, bien avant la date prévue par ces derniers. Profitant du « non-respect » du traité, Louis XIV finit par envahir l’ensemble des Pays-Bas espagnols, ce qui amène à la trêve de Ratisbonne en 1684. Celle-ci promet à la France de garder une partie des conquêtes acquises, dont les villes de Bouvignes et Dinant. Fin des années 1690, Louis XIV recule devant la ligue d’Augsbourg116 et rend une grande partie des territoires obtenus par le traité de Nimègue, ainsi que ceux conquis par la suite. Ainsi, Louis XIV bat en retraite pour la première fois, en 1697, avec le traité de Ryswick117, obligé de constater que malgré sa puissance, il ne peut à lui seul rivaliser avec l’ensemble du continent. Un équilibre des forces est préférable à une guerre généralisée. Ce contexte marque la fin de la période des guerres de Louis XIV et de ses prétentions sur nos régions. 110 Pirenne, H., 1973, p. 219-222. 111 Ce traité est encore négocié sous la forte influence du cardinal Mazarin. 112 Bluche, F., 1990, p. 1193-1195. 113 Ce traité marque encore la grande faiblesse de l’Espagne et la prépondérance de Louis XIV en Europe qui parvient à faire plier l’Europe entière à sa volonté. 114 Pirenne, H., 1973, p. 232-233. 115 Forteresse créé par Charles Quint au XVIe. 116 Bérenger, J., la guerre de la ligue d’Augsbourg, dans Bluche, F., 1990, p. 687-688. 117 Bluche, F., 1990, p. 1369-1370. Le but de ces guerres Après cet aperçu de la situation en Europe, il est important de se demander pourquoi Dinant et plus généralement, la principauté de Liège, sont constamment attaqués ou traversés par les armées françaises ou espagnoles. D’un point de vue économique, l’idée d’avoir une frontière homogène apparaît afin d’avoir un meilleur contrôle sur les entrées et sortie des marchandises118. La politique mercantiliste de Colbert pousse donc à une conquête des différentes places fortes dont Dinant, qui a des avantages en matière d’échanges et de commerce de par sa situation géographique. D’un point de vue militaire, Dinant est ville fortifiée ce qui permet aux armées de se ravitailler, de se reposer ou bien de se défendre en cas d’attaque. De par sa position, le long de la Meuse, elle donne un accès facile aux autres places fortes le long de la Meuse et les monarques de l’époque comprennent rapidement que la posséder est un atout. En plus de Dinant, toute la principauté de Liège était un territoire stratégique, pour la France, car elle permettait de relier Sedan à Liège119. Le contrôle des villes entre les deux était donc capital pour le passage et le ravitaillement des troupes armées. Relier ces deux villes a pour but de se créer un passage, qui donnerait l’occasion à la France d’attaquer les Provinces Unies sans passer par les Pays-Bas Espagnols, dont l’Espagne lui refuse l’accès. Pour se faire, dés 1672, Louis XIV s’assure du monopole de cette route et s’allie avec l’Électeur Maximilien-Henri120. En échange d’un soutien financier, Il peut stationner, de manière exclusive, ses troupes dans la principauté et également les ravitailler dans les différentes villes de la principauté. Cet acte rompt avec la neutralité observée depuis 1640 par les princes-évêques et choque l’esprit de la population qui voulait une impartialité, envers tous les belligérants. Dans cette double optique et économique, le fait, que Dinant soit l’objet de la convoitise française, n’a rien d’étonnant. Elle est dans la grande toile des places fortifiées d’Europe au XVIIème et la contrôler, c’est posséder l’une des clés de voûte de l’Europe, vu la richesse des régions des Pays-Bas. 118 Rorive, J.-P., 1998, p. 33. 119 Hasquin, H., 2005, p. 132. 120 « Maximilien-Henri est prince-évêque de Liège de 1650 à 1688. ». LES FORTIFICATIONS À DINANT La position stratégique de la ville de Dinant lui vaut une attention toute particulière dans le contexte troublé du XVIIème siècle. Ainsi, la cité mosane et ses fortifications subirent bon nombre de modifications durant ce siècle. Pour mesurer l’ampleur de ces travaux défensifs, une analyse de Dinant avant le siège français s’impose. Ensuite, ce chapitre commentera les diverses modifications établies lors de l’occupation française, pour finir par la destruction de ces fortifications. La ville avant 1675 Comme on peut le voir aujourd’hui, l’agglomération de la ville de Dinant est tout à fait spécifique de par sa position géographique. En effet, placée dans la vallée de la Meuse, elle demeure étroite et longue, coincée entre le rocher Baillard au sud et l’abbaye de Leffe au Nord-Est. C’est telle quelle que l’armée française découvre la ville en 1675. La ville est divisée en trois parties bien distinctes. Tout d’abord la citadelle dressée sur les hauteurs, épaulée par les tours de Montfort et de Saint-Jean, ensuite la ville proprementdite et enfin, le quartier Saint-Médard se trouvant sur la rive gauche de la Meuse. A l’époque, la défense principale de la ville réside dans le vieux-château, construit sur un promontoire rocheux. Il assure la défense de la ville, mais également celle du vallon SaintJacques121. Le château est constitué d’une courtine suivant le sommet du contour rocheux, ainsi que de quelques tours rondes héritées du Moyen-âge, mais déjà fortement endommagées lors de l’arrivée des Français. Le château est également défendu à l’est par des courtines plus épaisses ainsi que par des fossés et des ouvrages extérieurs, dont il ne reste actuellement plus rien. Le château est lui-même composé de bastions dont le principal sert de base à une plateforme d’artillerie défendant l’entrée des lieux. Enfin, le château est relié aux tours de Montfort et de Saint-Jean par un chemin-couvert palissadé. La ville-même possède également des éléments de fortification. D’un point de vue général, celle-ci est entourée par une enceinte héritée de l’époque médiévale. On a la présence, au pied du château, d’un canal marquant la limite entre la ville-basse au nord et la ville-haute, plus au sud. Les différents accès à la ville sont aussi fortement protégés. Premièrement, la porte Saint-Jacques, à l’est, est défendue par la citadelle, deuxièmement la porte Saint-André, protégée par des bastions et un fossé alimenté par les eaux de la Meuse au 121 Le vallon Saint-Jacques constitue la principale voie d’accès à Dinant en provenance du plateau condruzien. nord et enfin la porte Saint-Nicolas et le quartier de l’île, isolé par un bief du reste de l’agglomération, protègent l’accès par le sud. Le quartier Saint-Médard, quant à lui, défend l’accès sur la rive gauche de la Meuse et initialement l’unique pont de la région, disparu en 1573. Les différents quartiers ont un rôle défensif particulier. Les Dinantais doivent d’abord résister aux envahisseurs dans le quartier Saint-Médard et dans la Basse-Ville. Ensuite ces secteurs sont abandonnés et la population doit se réfugier dans la ville-haute. Enfin, ce quartier à son tour occupé, les habitants pouvaient encore se réfugier au château où ils ne pouvaient plus qu’espérer une aide extérieure. Il faut dire que cet ensemble fortifié est complètement obsolète au XVIIème siècle, vu les nouvelles conditions de la guerre moderne qui se base sur une artillerie lourde que les murailles ne sont plus à même de supporter. Cependant, par sa position stratégique sur la Meuse, Dinant se voit obligée de s’adapter aux nouveaux systèmes défensifs, ce qui sera entreprit sous le régime français dès leur arrivée en 1675. Dinant sous l’occupation française Les premières actions françaises sont pointées sur les réparations et l’amélioration du système défensif de la ville et principalement sur le coté nord-est du château (c.-à-d. sur l’angle surplombant le vallon Saint-Jacques, considéré comme le point faible de l’ensemble). Un nouveau bastion est donc construit et terminé fin 1675. Pour le reste, la garnison française s’active dans l’aménagement du château en caserne, ainsi que dans l’amélioration du chemin reliant les tours de Montfort et de Saint-Jean et le château par des traverses. En 1676, on demande alors l’intervention de Vauban pour évaluer les différentes opportunités défensives de la ville. Celui-ci, voulant établir un bon système défensif sur la frontière septentrionale française, entreprend la construction de différents ouvrages défensifs à Dinant. Tout d’abord celle, en 1680, d’un autre château, appelé « château-neuf » qui prolonge le vie-château. Il est constitué de deux bastions dont un à orillon vers l’est, de deux demi bastions dont un également à orillon, adossés au vieux-château et devant chaque courtine, une demi-lune est reliée au reste de l’ouvrage par une caponnière. Ensuite, pour assurer une meilleure protection, une contre-garde voit le jour à coté du bastion du nouveau château. Les bastions remplissent également le rôle de caserne, de chapelle, de magasins ou encore de logis pour les officiers. Le château-neuf reste séparé de l’ancien par un fossé dont la traversée s’effectue par un pont-dormant et un pont-levis. L’ensemble de l’ouvrage, ainsi que l’escalier descendant vers la ville, est protégé par un grosse tour circulaire flanquée au fossé. Ces travaux sont les seuls réalisés jusqu’à la formation de la Ligue d’Augsbourg. Suite à cette coalition contre la France, une intensification des travaux de fortification s’impose. Elle résulte notamment d’une collaboration entre Vauban et l’ingénieur Cladech. Cette deuxième phase de travaux commence par la construction de redoutes qui auront un rôle auxiliaire dans les fortifications déjà présentes. On assiste également à un renforcement de l’enceinte du quartier Saint-Médard, sur la rive gauche. Dans une même optique de renforcement, on muni la porte de Saint-André d’une demi-lune. Quant aux protections de la ville au sud, on ajoute un ouvrage à corne à la pointe du quartier de l’île protégeant ainsi la porte Saint-Nicolas. 1690 marque le début de la construction d’un nouvel ensemble fortifié pour le château-neuf, ensemble qui, lors du projet d’origine, se compose d’un front bastionné avec une demi-lune au centre (projet qui mettra du temps à être réalisé). L’année suivante, les Français se lancent dans un nouveau projet, visant à protéger les hauteurs de Malaise122. Le lieu est en effet stratégique, car il pourrait servir de plate-forme d’artillerie pour l’ennemi. Mais ce projet n’étant pas considéré comme prioritaire, l’accent est mis sur les travaux déjà en cours. Dans cette suite d’idée d’intensification des travaux, il faut mentionner les différents ouvrages à cornes, ainsi que la demi-lune de Montfort et les redoutes Saint-Jean et d’Herbuchenne. La cité mosane subit donc énormément de modification. Cependant, Louis XIV et ses ingénieurs sous-estiment la somme de travail requis pour réaliser cette fortification de la ville, sous-estimation visible dans les retards vécus dans les travaux. A la fin de 1691, Vauban arrive pour la première fois à Dinant, à la demande du roi. L’architecte a alors pour tâche d’améliorer au maximum les fortifications de la ville. Ses innovations portent sur la défense du quartier Saint-Médard et sur la grande couronne de Malaise. En ce qui concerne cette dernière, Vauban construit un couronne formée de deux fronts bastionnés, comprenant un bastion à orillons au centre et deux demi-bastions à orillons sur chaque coté. Entre chaque bastion, il réalise des demi-lunes qu’il protège à la gorge par une tenaille. L’ensemble est également entouré d’un chemin couvert, muni de traverses. 122 Vaste plateau limité par le vallon Saint-Jacques au sud et celui de Leffe au nord Vauban prévoit enfin une demi-lune casematée à la gorge de la couronne pour un meilleur repli ou une meilleure contre-attaque, en cas de prise123. Quant au quartier Saint-Médard, Vauban propose deux solutions. Tout d’abord la construction d’une immense demi-lune comprenant l’ensemble du quartier. Néanmoins celleci, située dans le fond de la vallée, risque d’être dominée par les collines avoisinantes en cas d’attaque. Le projet est donc rejeté. Vauban met alors en avant la réalisation d’une grande couronne composée de quatre bastions, deux demi-bastions et trois demi-lunes. Mais cette solution, beaucoup plus ambitieuse coûte cher et fini par être aussi abandonnée. Pour finir, la fortification de ce quartier se limitera à quatre redoutes reliées par un chemin-couvert. En 1692, un autre élément de fortification voit le jour, à savoir la redoute de Coupière, à l’extrémité du plateau d’Herbuchenne. Elle a pour but de défendre l’accès à la ville. Il s’en suit une période d’accalmie à Dinant. Namur prend alors la première place et la cité mosane perd de son intérêt. Les ingénieurs veillent alors juste au bon achèvement des projets de 1691. En 1694, la peur d’une offensive espagnole sur Dinant lance les Français dans de nouveaux travaux. On planifie l’ajout de deux nouvelles redoutes. D’une part celle de Gallot est ajoutée à l’extrémité de la branche droite de la couronne de Malaise. D’autre part, celle de Rapeille est construite à la pointe de l’ouvrage à corne prolongeant le château-neuf. En 1696, la redoute de Gaillarde voit le jour. Elle se situe sur le flanc droit de la grande couronne de Malaise, reliée au reste par un chemin couvert. Cet ouvrage constitue alors le denier projet mené à bien par les Français avant la signature du traité de paix de Ryswick (1697). Dinant après le traité de Ryswick Suite au traité de Ryswick, la ville de Dinant est rétrocédée à la Principauté de Liège avec néanmoins une condition ; celle de retrouver son état de 1675. Les fortifications françaises construites depuis 1675 sont alors progressivement détruites, excepté quelques bâtiments, rachetés par les Dinantais. Néanmoins, les Français occupent de nouveau Dinant en 1702-1703 lors de la guerre de succession d’Espagne. Durant cette période, quelques projets de fortification seront proposées, mais sans aucun suivi. Cette année d’occupation française servira surtout à détruire le reste des fortifications laissées par les Français. Au terme de 1703, tout ce qu’il reste à la 123 Le projet initial prévoyait un prolongement des ailes de la couronne au travers du vallon Saint-Jacques, mais cette partie fut abandonnée cité mosane se résume en un morceau de pont, une citadelle en ruine et des portions de l’enceinte. LES ÉVÉNEMENTS La ville de Dinant fut témoin au 17ième siècle de la venue de personnages illustres. C’est en 1619 par exemple qu’elle reçut la visite des Archiducs Albert et Isabelle, venus visiter la chapelle érigée en l’honneur de la Sainte Vierge, apparue trois ans plus tôt au cœur d’un chêne abattu au lieu dit « de la Cense de Foy »124. De même, en avril 1672, Louis XIV y rend visite à l’armée de France avec sa maîtresse Madame de Maintenon125. L’année suivante, une sorte de cour (dont cette dernière126 fait partie) se constitue à la suite du roi parti à la guerre. Lors de son passage à Dinant, elle n’en fait d’ailleurs guère d’éloges : « L’eau y est mauvaise, le vin rare ; la ville est crottée à ne pouvoir s’en tirer »127. Au cours du XVIIème siècle Dinant n’est pas une ville très sûre. Une vigilance constante est nécessaire pour tenter de maintenir libre et neutre ce territoire. Ce dernier est l’objet de la convoitise tantôt de la France, tantôt de l’Espagne, à laquelle il faut faire face. Pour ce faire, la ville veille continuellement à l’amélioration des fortifications et à la maintenance de la garnison. En 1610, les troupes françaises campent devant la ville (on a d’ailleurs des traces128 de l’autorisation qu’ont reçue les Dinantais pour leur apporter des victuailles). Douze ans plus tard, les troupes d’Ernest de Mansfelt129 menacent la ville. Seulement deux ans après les Allemands, c’est au tour des Espagnols130 de s’intéresser à Dinant et de l’assiéger. Malheureusement pour les Allemands, en 1625 le prince-évêque interdit le passage des troupes de Mansfelt par Dinant. La même année, il ordonne donc au gouverneur de prendre les mesures nécessaires pour la défense de la ville contre ces mêmes troupes. En 1675 après une brève période d’accalmie, la ville de Dinant est occupée par les Impériaux131 et dès avril de l’année suivante, des mesures132 sont prises par ces derniers pour 124 LAHAYE, L. Cartulaire de la Commune de Dinant, 1556-1620, t. 4, Namur, 1891, p. 380. 125 Madame de Maintenon est la seconde et secrète épouse du roi depuis 1683. Née Françoise d’Aubigné, elle est la petite fille du poète Agrippa d’Aubigné. Enfant, elle passe de proche en proche, son père n’étant pas un bon exemple. Elle est mariée à 16 ans, veuve à 24 et est plus tard prise sous l’aile de grandes dames. Enfin, elle deviendra la maîtresse du roi. Elle participera activement à la politique extérieure de son époux et ira jusqu’à influencer ce dernier dans ses décisions diplomatiques. 126 CHANDERNAGOR, F., Maintenon, dans BLUCHE, F., dir., Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, 1990, p. 936-938. 127 BOURDEAUX, M., Citadelle de Dinant. Notice historique et visite, Dinant, 1972, p. 11-12. 128 LAHAYE, L., 1891, p. 354-355. 129 Officier supérieur de l’armée du Saint Empire romain germanique, Ernest de Mansfelt(ou Mansfeld) naît en 1580 et meurt en 1629. 130 BASTIN, N. et DULIERE, J., Dinant et la haute Meuse en gravures, Liège, 1982, p. 14. 131 Allemands, coalisés avec l’Espagne et la Hollande. 132 Le commandant impérial interdit tout rapport avec la France et arrête tout français présent en ville. Il demande également à la cité des subsistances pour les garnisons. éviter l’invasion des Français. Les armées de Louis XIV attaquent malgré tout et prennent Dinant (ainsi que Huy et Liège) dans le but de tenir la Meuse et de couper les Pays-Bas espagnols des troupes impériales alliées133. Le général français Médaillan, voulant entrer en ville, se heurte à l’opposition des habitants et leur fait savoir en avril 1675 qu’il n’a pas osé manifester au maréchal de Créqui134 leur refus de céder la place aux troupes françaises. Il émet donc l’avis que leur attitude ne peut qu’attirer des disgrâces sur leur ville et leur conseille d’envoyer rapidement quelques personnes pour rendre hommage au maréchal. Suite à un second refus des Dinantais, le maréchal se présente le 19 mai avec son armée aux portes de la ville. Le 20, Médaillan incite alors les Dinantais à recevoir comme sauveurs les Français qui assiègent le château : « Je vous exhorte à ouvrir vos cœurs pour témoigner la joie que vous aurez de l’approche des armées du Roi, espérant qu’elles vous délivreront de l’oppression ». La ville n’opposant aucune résistance aux troupes du maréchal, le château tenu jusque là par la garnison allemande se rend le 29 mai 1675. En récompense, le général de Médaillan est nommé gouverneur du château de Dinant. Il s’ensuit l’occupation de la ville par les armées françaises jusqu’en 1680 (évacuation temporaire jusque 1683) et par une garnison dans le château jusqu’au traité de Ryswick135 conclu avec l’Espagne en 1697136. En 1678, est signée à Nimègue137 une paix stipulant que la cité mosane doit être remise à la France. La même année, Dinant est intégrée dans le « Pré carré », une double ligne de forteresses entre la Meuse et la mer du Nord. La prise de Namur en 1692 par Vauban fait perdre à Dinant sa position stratégique. Comme détaillé précédemment, à partir de 1680, l’armée française commence, sous l’impulsion de Vauban, les travaux de rénovation des fortifications et du pont détruit par des intempéries à la fin du XVIe siècle. Louis XIV avancera donc à la ville les 84 000 livres nécessaires à ces travaux. Mais, comme décrété dans le traité de Ryswick, lorsque les Français quittent la ville, ils doivent laisser ses infrastructures dans l’état où ils les ont trouvées en 1675. Les Français prétendent donc détruire le pont mais ne peuvent en détruire que deux arches, et ils démantèlent une partie des fortifications. Enfin, en 1625, 1636 et 1651, se succèdent trois fortes épidémies de peste. Pour essayer d’éliminer ce fléau, le conseil vote un règlement très sévère. Celui-ci comprend entre 133 BRAGARD, P., Les travaux de fortification à Dinant à la fin du XVIIe siècle, dans Le Guetteur wallon, t. LXI, 1985, p. 17-19. 134 BASTIN, N. et DULIERE, J., 1982, p. 18. 135 HASQUIN, H., Communes de Belgique. Dictionnaire d’histoire et de géographie administrative, s.l., 1980, p. 381. 136 DE SEYN, E., Dictionnaire historique et géographique des communes belges, t. 1, Bruxelles, 1933, p. 303. 137 BRAGARD, P., Vauban entre Sambre et Meuse, 1707-2007, Namur, 2007, p. 62. autres la mise en quarantaine de toute personne et de tout lieu souillé par la contagion, l’interdiction absolue de tenir en ville et dans les faubourgs toute espèce d’animal, le marquage à la chaux des maisons contaminées, l’obligation de faire des enterrements après vingt-deux heures et pour les personnes non infectées de se tenir à deux mètres de distance des contagieux138. 138 LAHAYE, L., Cartulaire de la commune de Dinant, 1721-1665, t. 5, Namur, 1899, p. 61-77. CONCLUSION Au cours du siècle étudié, la vie à Dinant est assez mouvementée, notamment à cause des guerres qui s’y sont déroulées et qui sont surtout le fait de Louis XIV. Mais la prise de la ville par les français n’a pas amené que des répercussions négatives puisque ceux-ci ont entreprit des travaux de rénovation et d’amélioration du système défensif de la cité. L’occupation française marque donc une rupture dans l’histoire de Dinant et est un évènement majeur dans le cadre des évènements du XVIIème siècle dans la région mosane, même si celleci durera seulement quelques années. Dinant est un bon exemple du contexte d’agitation dans lequel se trouve l’Europe à cette époque, car elle se trouve au cœur d’évènements qui ont secoué le continent. DINANT AU XIX INTRODUCTION Le XIXe siècle en Belgique est assez hétéroclite. Ce territoire subit en effet de nombreux changements, car son destin est à mettre en parallèle avec celui du pays qui le domine. La ville de Dinant est le témoin de ces mutations. Sa citadelle, en particulier, conserve des traces des différentes occupations. Afin de plaider pour l’entrée de ce site au patrimoine mondial de l’UNESCO, nous nous sommes penchés sur l'apport du 19ème siècle à l'espace citadelle. Pour se faire nous avons décidé de séparer le siècle en trois parties significatives qui correspondent aux différentes périodes d'occupations et d'indépendance du territoire belge. … (Power point Présentation plan trois problématiques) PREMIÈRE PROBLÉMATIQUE : 1800-1815 (PÉRIODE FRANÇAISE) : QUE S’EST-IL PASSÉ SUR L’ESPACE CITADELLE APRÈS SON ABANDON PAR LES FRANÇAIS ? Contexte général Depuis la bataille de Fleurus en 1794, les territoires qui formeront la Belgique en 1830 sont intégrés à l’État français. Suivant les réformes françaises, ils sont organisés en départements et bénéficient d’une nouvelle administration. Ils constitueront en fait les frontières du futur pays. (Commentaire de la carte) L’annexion ouvre aux industries un vaste marché intérieur qui leur assure d’écouler leur marchandise. D’autres éléments, tels que la guerre et le blocus continental vis-à-vis de l’Angleterre, favorisent également cette dynamique économique. Les provinces belges vont dès lors s’épanouir dans différents domaines dont le textile, la métallurgie du fer et de l’acier, le charbon ou encore l’agriculture. Durant cette période, il n’y a pas de réel changement au niveau démographique. Le régime français semble pourtant sensible à la santé et à l'enseignement de ses citoyens, et le principe de bienfaisance publique apparaît. C’est aussi à cette époque que l’état civil et le divorce sont créés. Concernant le domaine culturel, Napoléon signe, en 1801, un concordat dans le but de restaurer les liens entre l’Église et l’État. Cet accord entraîne une réorganisation de l’Église catholique ainsi qu’un remaniement de la géographie ecclésiastique. Contexte local Sous la période française qui réorganise les territoires belges en départements (comme nous l'avons signalé dans le contexte général), Dinant fait partie du département de Sambreet-Meuse dont le chef lieu était Namur. L'arrondissement de Dinant comprend alors les cantons de Beauraing, Ciney, Dinant, Florennes et Walcourt. (Carte) Au point de vue économique, Dinant fait circuler ses marchandises grâce aux mignoles, et ce depuis le XVIIIème siècle. Les mignoles sont des bateaux spécifiques à la Meuse qui se caractérisent par une forme "en banane" tout à fait caractéristique, avec une levée à chacune de ses extrémités. Seules ces dernières pouvaient naviguer sur la Meuse en raison de leur fond plat et du non-aménagement des canaux. Elles seront utilisées tout au long du siècle. Plus tard, des travaux d’aménagement de la Meuse seront effectués, ce qui permettra aux mignoles de plus fort tonnage de circuler sur le fleuve. (photos) Fortifications Comme l’a signalé le groupe précédent, les Français ont voulu rendre le lieu dans l’état dans lequel ils l’avaient trouvé. Les fortifications furent donc entièrement détruites. En effet, au début du XIXème siècle, il ne reste que l’éperon rocheux sur lequel reposait le système défensif de Vauban. A cette époque, l’endroit ne sert plus que de carrière de pierre pour les habitants. (Plan du groupe précédent?) Conclusion Durant le XVIIIème siècle et ce jusqu’à la fin de la période française, il ne se passe donc pas grand-chose à Dinant. Il n’y a plus de citadelle et aucun évènement majeur à noter. Nous allons donc passer à la deuxième problématique. DEUXIÈME PROBLÉMATIQUE 1815-1830 (PÉRIODE HOLLANDAISE) : QUEL EST L’INTÉRÊT DE RECONSTRUIRE UNE CITADELLE À CETTE ÉPOQUE ? Contexte général Lors du congrès de Vienne de 1815, qui a pour but de redéfinir les frontières européennes après la chute de Napoléon, les territoires belges sont confiés à Guillaume Ier, et passe de facto sous domination hollandaise (Commentaire des deux cartes: contexte européens congrès de Vienne + contexte régional). Guillaume Ier installe une monarchie constitutionnelle. Il édite également un certain nombre de réformes, notamment dans le domaine religieux, qui déplaisent à un peuple largement catholique. Après la chute du régime napoléonien, la Belgique subit cinq années de crise économique, de 1815 à 1820. Celle-ci s’explique par la perte de la concurrence et de la garantie d’écoulement des marchandises que lui apportait la domination française. De plus, les outillages étaient peu perfectionnés et le système avait besoin d’être modernisé pour optimiser les performances. Guillaume Ier intervient : il entreprend de renouveler et de promouvoir l’industrie belge. Pour ce faire, il subventionne des inventeurs et des entrepreneurs et crée des « fonds de l’industrie » et des « syndicats d’amortissements ». Il se lance également dans une large politique de travaux publics, comme des canaux pour améliorer les voies navigables, et met en place des formations pour spécialiser le personnel. Il est aussi à l’origine de la Société Générale (créée le 13 décembre 1822) qui subventionne l’organisation économique du pays et dont il est le principal actionnaire. La machine industrielle se met alors véritablement en route, le travail métallurgique augmente, ainsi que l’emploi de la machine à vapeur. L’importance que prend alors le port d’Anvers permet un développement considérable du commerce. De plus, une véritable prospérité agricole subsiste à cette époque. Enfin, la période hollandaise est aussi marquée par une forte augmentation démographique dans nos régions, conséquence directe de la renaissance industrielle et du cycle vertueux de l’économie. Contexte local Le mois de juin 1815 met fin à la période française. Trente mille Français défilent à Dinant. Après les batailles de Waterloo et de Wavre, les troupes du maréchal Grouchy battent en retraite et suivent cette même voie pour retourner en France, et ce sans tirer une seule cartouche. Dinant passe alors sous le régime hollandais et devient une ville importante à cette époque car elle fait partie de la barrière de défense mise en place par les Hollandais contre une éventuelle volonté d’hégémonie française au XIXème siècle. En effet, Dinant se situant sur la Meuse, elle occupe une place de choix dans la ligne défensive. Or, comme le dira un général belge en 1880 « qui est maître de la Meuse est maître de la Belgique ». Cette phrase était déjà valable pour le début du siècle. On comprend alors l’intérêt de faire construire à Dinant une citadelle capable de contrecarrer une éventuelle attaque française. Située au sud de Namur, Huy et Liège, elle devait servir à retarder les menaces pour permettre aux forts de plus grande envergure de prendre la relève. (L'évolution stratégique et historique de la ligne de défense contre la France vous serons expliquée au point fortification). Dès lors, 1818 à 1821, des ingénieurs militaires hollandais construisent la citadelle telle que nous la connaissons aujourd’hui. Durant l’occupation hollandaise, la citadelle renfermait une garnison qui servait à sa défense face à une menace éventuelle venue de la frontière française. (On s’est interrogé sur la manière dont on vivait dans une garnison au 19ème siècle, et par extension sur la vie d’un soldat de cette époque. La troupe avait droit à trois repas par jour, et mangeait contrairement à l’ouvrier ou au paysan, de la viande tout les jours, chose non négligeable pour l’époque. Malheureusement, la nourriture ne compensait pas l’habillement sommaire dont étaient équipés les soldats, même si on leur prélevait pour ça, une partie de leur pauvre solde. Avec une réglementation pour tout, de la nourriture aux couvertures en passant par la longueur de leurs cheveux, on comprend aisément à quel point les soldats étaient à la merci de leur sous-officier, souvent tyrannique. D’autant plus que les officiers leur laissaient volontés tout les pouvoirs à la caserne, se contentant de passer, matraque à la main, devant les soldats pour dicter leur ordre. Les instructeurs ne se contentaient pas de leur apprendre l’art militaire, ils étaient en plus chargés la plupart du temps de les éduquer au sens strict du terme puisque la majorité des soldats venaient des campagnes et étaient toujours bercés par leurs coutumes locales. (Pour l’anecdote, les officiers devaient vérifier que le soldat se lavait bien avec du savon et non avec de l’urine, comme il en avait l’habitude.) Jusqu’au milieu du 19ème siècle, en effet, la carrière de soldat n’attirait pas la noblesse et la haute bourgeoisie, les cadres étaient donc essentiellement démocratiques. Il faudra attendre la deuxième moitié du siècle, pour que la carrière militaire attire les classes nobles et bourgeoises, ce qui eu pour conséquence de relever considérablement le prestige du métier, de mettre en lumière le rôle social de l'officier auprès du soldat et de rompre avec la bêtise administrative qui avait cours jusqu'alors. Cependant, le mauvais traitement du soldat, eux restèrent inchangés. On comprend donc que la médiocrité du métier d'alors, jointe à la monotonie d'une vie sans aventure, n'incitait pas beaucoup de jeune homme à commencer cette carrière autrement que comme pis aller. Il n'en demeure pas moins, que les garnisons devaient vivre l'essentielle de leur vie quotidienne dans l'enceinte de la caserne qui regroupait un véritable petit 'village' avec tout le nécessaire pour subsister.) Il en est de même à Dinant, et c'est à cet effet qu'on été construit sous la période hollandaise, la boulangerie, la cuisine, la forge, ,… qui devait être assez efficace pour subvenir aux besoins de la garnison qui y séjournait. Ou encore la salle de torture, munie de sa propre guillotine pour régler d'éventuels différents au sein de la garnison. Ces différents aménagements sont toujours visibles à l'heure actuelle. (Photos cuisine, …+ commentaires) Fortifications Avant de décrire les fortifications de la citadelle, il est important de dire que l’enceinte de défense qui entourait la ville de Dinant disparait progressivement, en raison de l’essor économique de la ville, au cour du XIXème siècle. (Peinture du XIX qui montre plus d’enceinte et le pont) En 1815 se pose la question d’une nouvelle barrière139 de forteresses pour contenir la France dans ses frontières d’avant 1789. On peut donc se rappeler le premier traité de la Barrière en 1715 où l’Angleterre et les Provinces Unies se sont mises d’accord pour contrer la France en plaçant nos régions sous l’autorité de l’Autriche. Le cabinet de Londres a créé une sorte de révision du traité de la Barrière en 1814. Ils ont décidé d’assembler deux pays faibles, la Belgique et la Hollande pour en faire une force suffisante, capable de résister à une attaque tout en ne représentant pas une menace pour ses pays 139 Cette barrière anti-française est déjà la quatrième, les autres datant de 1680, 1697 et 1715. limitrophes. (Carte des différents traités?). D’une part, Guillaume Ier, roi des Pays-Bas voulait annexer les places fortes du nord de la France. D’autre part, le duc de Wellington, vainqueur de Waterloo, souhaitait éviter d’humilier la France et, de cette manière, l’empêcher de vouloir reprendre un jour les armes. Il valait donc mieux défendre fortement des places sur la lisière sud des Pays-Bas. Le plan de la barrière comportait trois lignes de défenses : la première comprenait les places de Nieuport, Ypres, Tournai, Ath, Mons, Charleroi, Namur, Dinant, Huy et Liège ainsi que deux postes avancés, Mariembourg et Philippeville. La deuxième ligne comprenait les forts d’Ostende, Termonde et Anvers avec Audenarde en poste avancé. La troisième ligne quant à elle était composée des places hollandaises. Il était important qu’en cas d’invasion que les communications avec les différentes nations soient entretenues d’où l’importance des forteresses d’Ostende et Nieuport pour la communication vers l’Angleterre et de la ligne de l’Escaut pour la communication avec les Pays-Bas. (Plan + description PP) Dinant est souvent décrite comme une œuvre du génie hollandais alors qu’en réalité, il s’agit d’un ouvrage d’inspiration entièrement française. En effet, les ingénieurs étaient bien hollandais, mais beaucoup avaient servi en France, et utilisaient des plans influencés par les théories françaises de la fin du XVIIIème siècle et de la période impériale. C’est la stratégie de Marc René de Montalembert (1757-1810) qui est utilisée. Il s’agit de construire des forts où « c’est l’artillerie qui commande la défense et non plus les feux d’infanterie de la fortification bastionnée classique. Le tracé bastionné est abandonné au profit du tracé dit perpendiculaire »140.. La fortification bastionnée XVII-XVIII Dans ce système, le fossé qui ceinture le corps de place est battu par le feu des armes concentré dans les flancs des bastions placés aux angles. Ces batteries sont établies au sommet du rempart ou sur des terrasses légèrement surbaissée. Leur tir dans le fossé est donc nécessairement plongeant, ce qui limite leur efficacité. Ce « flanquement par les crêtes hautes » implique également que la défense rapprochée d’un bastion ne peut être assurée que par l’action combinée de ses deux voisins défavorisés par l’éloignement et le feu de l’adversaire. Ces points forts de la défense attirent systématiquement les feux concentrés de l’artillerie assiégeante et s’avèrent trop exigus pour fournir des abris suffisants au personnel. 140 Bragard, Ph., Vauban et ses successeurs en Hainaut et d’Entre-Sambre et Meuse, dans Les amis de la citadelle de Namur, Namur, 1994. Enfin, les accessoires de la ligne de défense tels que les lunettes et les tenailles, trop exposées aux tir d’enfilade ou dominé de toutes parts, s’avèrent plus gênante qu’utiles, ils masquent les vues et encombrent le champ de tir des défenseurs. La fortification perpendiculaire (Dinant c’est ça) Les recherches entreprises au XVIIIème siècle par Cormontaigne et Montalembert en vue de remédier aux défauts du tracé bastionné débouchent sur un nouveau système rompant résolument avec le précédent : la fortification polygonale ou perpendiculaire. On la nomme ainsi en raison du tracé linéaire des faces du périmètre défensif et de l’angle droit formé par la rencontre des courtines avec la capitale des caponnières. Il concentre les armes flanquant le rempart dans des caponnières à plusieurs étages disposées dans le fossé au centre de chaque face. De la sorte, les armes peuvent battre de leurs feux rasant le fond de la douve sur une distance réduite à la moitié du front défensif. La protection rapprochée de ces ouvrages convenablement défilés aux vues de l’assiégeant par la crête du chemin couvert, est assurée par des casemates flanquantes logées dans la courtine et par des galeries de contrescarpe agissant à revers. Les inconvénients du tracé bastionné sont dès lors surmontés tandis que disparaissent ravelins, lunettes et tenaille devenues inutile. Enfin le dégagement des courtines permet d’y ménager les abris nécessaire à la garnison et d’y loger une artillerie de gros calibre destinée à battre les dehors pour contrarier les travaux d’approche de l’assiégeant. Les forts et citadelles sont adaptés à la manière d’un navire de guerre. Ce sont des forts massifs contenant un grand nombre de canons et une garnison suffisante pouvant effectuer des sorties. Dans le vocabulaire historico-touristique, le terme citadelle est utilisé alors qu’il s’agit en réalité d’un fort. Le projet d’un fort casematé protégeant la Meuse date de 1817. Le duc de Wellington réalisa la conception générale de toute la barrière, le Néerlandais Kraizenhoff obtint la direction générale des travaux et le capitaine-ingénieur hollandais E. Bergsma quant à lui construisit le fort de Dinant. Les expropriations eurent lieu en 1819 et le fort fut entièrement achevé en 1821. Le coût total était de 425 000 florins. Le plan est un pentagone allongé irrégulier tourné vers la vallée de la Meuse. Il la surplombe à une hauteur de 120 mètres. A l’est se trouve l’entrée protégée par un ouvrage en forme de U et par un chemin couvert remparé. Il y avait un fossé, aujourd’hui comblé, qui le précédait. Au sud-est se trouve la caponnière141 qui mène aux trois casemates142 à canons qui défendaient la ville et le pont. La longueur des couloirs est de 150 mètres. A l’entrée du fort se situait un pont mobile avec, de part et d’autre, un réseau de salles casematées. Celles orientées vers le nord (à droite en entrant) servaient notamment de poudrière, de salles de garde et de cachots. Au nord-est, à l’extrémité de l’ouvrage se trouvent trois casemates à canons dirigés vers Ciney. La grande cour pentagonale centrale épouse la forme de l’éperon rocheux. Les murs extérieurs sont en moyenne épais de deux mètres. Au sud se situent six casemates qui commandent la Meuse. En outre, une porte s’ouvre sur un escalier de seize marches qui accède ensuite au grand escalier de 408 marches. Il est probable qu’il y avait à cet endroit un pont mobile. Au sud-ouest s’agencent deux casemates battant la route de Givet. C’est à cet endroit que se situe la terrasse sur laquelle se trouvait une grue à godets143 visible sur l’illustration du général Howen. Au nord se suivent dix salles casematées qui servaient de casernement, de boulangerie et de forge. Celles-ci sont encore visibles aujourd’hui. C’est au nord que se trouvaient les canons dirigés vers Philippeville et Bouvignes. En ce qui concerne le ravitaillement de la citadelle, les hollandais, lors de la reconstruction du fort, ont installé une chaîne d’alimentation d’une hauteur de près de 90 mètres en vue de ravitailler les occupants du fort en eau et nourriture. Ce système fut placé entre 1818-1820. Mais il sera remplacé en 1840 par un puits creusé dans la roche à l’abri des ennemis144. Ce puits, appelé puits de Paienporte est un ancien bure creusé dans le roc pour l'extraction de la houille dès le Moyen Age. Converti au XIX e siècle en puits d'alimentation en eau potable pour la citadelle, il est aujourd’hui un site classé. Conclusion A la question « pourquoi faut-il reconstruire une citadelle à cette époque ? », nous pouvons répondre qu’elle fut construite par les Hollandais pour contrecarrer une éventuelle volonté de nouvelle hégémonie française. La période hollandaise est fondamentale pour l’évolution de la citadelle puisque ce que nous pouvons voir actuellement date de cette époque. (Comparaison gravure 19ème et photo actuelle) 141 Petit ouvrage de fortification qui sert à défendre un passage avec des armes légères. 142 Local partiellement enterré et à l’abri des tirs ennemis. 143 Petits seaux fixés à la chaine de la grue pour recevoir l’eau. 144 BASTIN, N. et DULIERE, J., Namur et sa province dans l’œuvre du général de Howen (1817-1830), Liège, 1983, p. 276. 3. TROISIÈME PROBLÉMATIQUE : RÉVOLUTION DE 1830 JUSQUE LA FIN DU XIXÈME QUEL EST L’INTÉRÊT DE GARDER LA CITADELLE APRÈS 1830 ? Contexte général En 1828, les catholiques flamands et les libéraux bourgeois créent une « union » de l’opposition et réclament un régime parlementaire. Cette union des Belges pour la liberté n’est en fait que l’aboutissement du mécontentement général suscité par la politique de Guillaume Ier. Deux ans plus tard, la révolution de juillet en France met le feu aux poudres, les régions s’enflamment. Le 25 août 1830, lors de l’anniversaire du monarque, la révolte gagne Bruxelles et se répand rapidement. À l’issue de plusieurs jours de combat, dont les Belges sortent vainqueurs, la Belgique se déclare indépendante. Après avoir obtenu la reconnaissance des grandes puissances voisines, lors de la conférence de Londres, elle acquiert le statut de neutralité et établit une constitution propre. Le 4 juin 1831, Léopold de Saxe-Cobourg est choisi pour devenir le premier roi de la monarchie constitutionnelle qu’est la Belgique. (Image de la révolution + analyse?) Au sein du pays, les pouvoirs du roi sont cependant limités par la constitution, qui établit un système représentatif avec un parlement bicaméral contrôlant l’essentiel des pouvoirs législatifs, budgétaires et politiques. La constitution opte également pour une organisation unitaire où les provinces, dépourvues d’autonomie politique, forment des entités administratives. Elle garantit aussi l’ensemble des libertés voulues par les Belges lors de la révolution et règle les relations houleuses entre l’Église et l’État. (Carte de la Belgique dans le jeu européen + autonome) Grâce à une industrialisation précoce lors de la révolution industrielle du XVIIIe siècle, la Belgique connaît une croissance économique, essentiellement en Wallonie, qui représente, dès 1830, la deuxième région industrialisée du monde et apparaît comme un relais entre la France et l’Angleterre. Cette industrialisation est stimulée par l’intervention des grandes banques qui poussent à la centralisation des entreprises (exemple de Cockerill amené d’Écosse par Guillaume Ier). Le pays se dote rapidement du meilleur réseau ferroviaire du continent européen et est le berceau d’avancées technologiques. Les phases d’expansion de la deuxième moitié du XIXe siècle voient encore se diversifier les activités industrielles avec le développement des constructions mécaniques. Mais la prospérité de la Belgique dépend surtout de ses capacités d’exportation. C’est pourquoi l’Association belge pour la liberté commerciale et celle pour le libre échange sont créées respectivement en 1846 et 1861. Toujours déficitaire, le commerce extérieur de la Belgique ne cesse d’augmenter. Vers la fin du siècle, le pays devient un lieu privilégié pour la coopération économique internationale. La Belgique fait ainsi son entrée sur la scène internationale et, avec l’acquisition du Congo par Léopold II, devient un empire colonial dès 1908. Le rayonnement international de la Belgique, et plus particulièrement de Bruxelles, à la fin du XIXe siècle, est donc incontestable. De 1830 à 1879, avant le démantèlement Contexte local En 1830, des mouvements patriotiques apparaissent un peu partout dans le Namurois, y compris à Dinant, où quelques insurgés prennent la citadelle. Avec la neutralité de la Belgique et les nouvelles technologies, Dinant n’a plus la place stratégique qu’elle occupait sous la période hollandaise. En effet, la tactique politique de défense change. Au lieu de devoir se défendre contre un seul ennemi, la France, elle doit pouvoir résister à des attaques venant de la Prusse aussi. En outre, en paix complète depuis 1839, neutre obligatoirement, la Belgique disposait d'une armée qui n’était pas organisée et qu'il fallait donc pour s’occuper de défendre les points stratégiques du pays. Liège pour contrer la Prusse, Namur contre la France et Anvers qui servait lieu de ravitaillement et de camp de retranchement. (Arne expliquera plus tard dans les détails). De 1830 à 1879, la citadelle abrite une garnison d’un autre type, c’est-à-dire des compagnies de discipline et des garnisons de chasseurs. De 1879 à 1900, après la vente de la citadelle Contexte local Au XIXe siècle, Dinant connaît également le développement de l’industrie qui se reflète dans la construction d’usines textiles, de papeteries et de tanneries. La ville voit aussi son industrie extractive croître fortement. Cet essor industriel est favorisé par l’apparition, en 1847, d’un service de bateaux à vapeur reliant Dinant à Namur ainsi que par la création d’un réseau de chemin de fer, plus rapide, en 1863. Celui-ci concurrencera la liaison fluviale, qui sera pourtant maintenue jusqu’en 1912. On peut alors supposer que l’enceinte urbaine a disparu progressivement suite aux développements économique et touristique de la ville. En parallèle, on constate un développement du tourisme dans l’entre-Sambre-etMeuse, c’est à partir de cette époque qu’on commence à faire visiter la citadelle. C’est son principal trait moderne, qu’elle conserve toujours, renforcé par l’existence de salles de jeux (depuis 1843). En 1870, la cité avait également érigé des bâtiments thermaux pour l’hydrothérapie, ce qui avait aussi attiré des gens. Quant aux grottes, elles aussi commencent à attirer les visiteurs. La présence du fleuve accroît l’animation touristique, spécialement par des croisières vers Hastière et Namur. En outre, deux bateaux, le Touriste I (1884) et le Touriste IV (1907) continuent encore de nos jours à sillonner la Meuse. Depuis 1830, Dinant, à la fois chef-lieu de canton et d’arrondissement (avec Namur et Philippeville), a mené une existence tranquille jusqu’en 1914. Quant à sa citadelle, elle est vendue en 1878 pour la somme de 6 100 francs-ors et désaffectée en 1879. Plusieurs projets furent alors proposés pour occuper la place. On pensa d’abord à établir un jardin zoologique, projet qui n’eut pas de suite. Ensuite, la citadelle accueillit pendant plusieurs années divers concerts et autres festivités touristiques avant qu’une autre idée ne soit proposée. En effet, on parla de raser l’entièreté de la citadelle pour y construire une énorme statue en l’honneur de Wiertz. A titre informatif, Joseph Wiertz fut un peintre, sculpteur et littérateur très prolifique né à Dinant en 1806. « Le Triomphe de la Lumière », titre du projet, fut lui aussi abandonné, et la citadelle n’eut plus aucune utilité jusqu'à sa réaffectation pendant la première guerre mondiale. Elle deviendra donc un musée en 1879. Fortifications A l’indépendance de 1830, le fort revint à la Belgique. Il ne servira jamais, du moins pas en tant que fort de défense (comme nous venons de le préciser précédemment). Il a en effet été utilisé par une compagnie de discipline et ensuite par une garnison de chasseurs. Dès 1858, il perd son utilité comme la plupart des forts et citadelles belges. « L’usage de l’artillerie rayée qui accroît la portée des canons à cinq ou six kilomètres, puis l’usage de la poudre sans fumée et du frein hydraulique qui augmente considérablement la cadence de tir »145 rendent obsolète l’usage de forts comme celui de Dinant. Léopold Ier et la commission militaire estimaient qu’il était impossible de garantir les frontières de la Belgique en s’appuyant sur les forts existants et ils proposèrent de fermer les lignes de défense de la Meuse et de l’Escaut et de créer dans le pays un camp retranché où, en cas de conflit, le gouvernement pourrait s’abriter. Le nouveau système de défense comprenait trois places fortes, Namur, Liège et Anvers qui devaient servir de camps retranchés (Carte des forts importants). Chaque ville était entourée d’une ceinture de forts triangulaires ou quadrangulaires: 9 forts autour de Namur et 12 autour de Liège, distant entre eux d'environ 4km, installés à 6 ou 7km de la périphérie de la ville. La tête de pont de Namur est, dans l’esprit des promoteurs, destinés à s’opposer à une éventuelle offensive venant de la France, par la fameuse « Trouée de l’Oise » et le plateau s’étendant entre la Sambre et la Meuse. Liège doit remplir un rôle identique à l’égard de l’Allemagne. De plus grâce à la communication avec la mer, Anvers autorise le ravitaillement de la place en tout temps et l’Escaut et ses berges inondées la rendent difficile à investir. Et enfin un plus petit fort à Diest est destiné à boucher la trouée entre la Meuse et l’Escaut. Ils étaient en outre, équipés de canons protégés par une coupole d’acier, construits par l’ingénieur Henri-Alexis Brialmont (1821-1903) surnommé le Vauban belge. Ceux-ci sont éloignés de la ville pour éviter son bombardement. On note bien la différence avec l’ancien système, tel celui de Dinant, inefficace dans ces nouvelles stratégies de guerre. (Comparaison Dinant vs Fort plus performant) Les nouveaux canons et boulets deviennent beaucoup plus rapides, puissants et précis. La portée des canons va jusqu’à 3200 mètres et la vitesse des projectiles est comprise entre 2000 et 7000 mètre/seconde. Nul matériau, dont le fort de Dinant, n’est capable de résister à un tel projectile (Illustration des armes) 145 Braguard, Ph., et al., Namur une citadelle européenne, Namur, 2001. Les forts devront se trouver à une distance suffisante pour empêcher l’assiégeant de bombarder Namur ou Liège ou Anvers. Ils sont situés à une distance comprise entre 4000m et 9000m de la ville. Ils devront se maintenir hors de portée d’artillerie et lui masquer toute vue directe sur la ville. (Pour Namur et Liège, les observateurs placés sur les plateaux environnants, les villes sont invisibles, défilés à la vue, au creux de la vallée de la Meuse.) Les ouvrages devront se trouver écartés d’une distance n’excédant pas la portée intermédiaire de leur artillerie principale (entre 4000 et 5000m), de telle sorte qu’ils puissent s’entraider par des bombardements mutuels. C’est la raison pour laquelle l’assiégeant doit, en principe, s’attaquer simultanément à trois forts adjacents, dès l’ouverture du siège. Remarquez la similitude par rapport à l’attaque d’un fort bastionné. Les forts devront commander (dominer) la zone d’action de leur artillerie, surtout dans les intervalles les séparant de leurs voisins. Ils devront être en liaison optiques avec eux pour permettre les signaux et le tir direct à vue dont Brialmont connait la supériorité. Il préfèrera toujours le canon à l’obusier dans l’armement de ses ouvrages. L’armement des forts est cuirassé, bétonné et protégé par la coupole, il sera égal à la plus lourde artillerie de siège contemporaine. Les cheminements et les logements de la garnison seront profondément enterrés et protégés par d’épaisse voute de béton de ciment de Portland. Les couches de bétons sont épaisse de 2.5 mètres additionnées de 3 mètres de terre. On voit donc qu’on n’a plus aucun intérêt réel de conserver la citadelle en tant que lieu de défense étant donné l’évolution des stratégies militaires et le statut de neutralité de la Belgique. CONCLUSION . Quel peut être l’intérêt d’étudier la citadelle de Dinant au XIXe siècle, dans le cadre de notre objectif final, qui est d’inscrire ce site au patrimoine mondial de l’UNESCO ? La citadelle de Dinant telle qu’elle est visible à l’heure actuelle est le résultat des différents évènements qui se sont déroulés durant le XIXe siècle, sous des occupations très diverses. C’est pourquoi il nous a semblé primordial de retracer son évolution tant architecturale que fonctionnelle à travers le contexte historique, politique et économique, afin de pouvoir comprendre ce qui a suscité chacune des nombreuses modifications de ce bâtiment. Il reste très peu de citadelles du genre de Dinant. Les théories de Montalembert n’ont été appliquées qu’à l’étranger et la plupart de ces citadelles sont aujourd’hui détruites. Architecturalement, Dinant est un des rares témoins encore existant de toute une stratégie militaire. De plus, inscrire Dinant dans le patrimoine mondial de l’UNESCO avec Namur est Huy est particulièrement intéressant car c’est une partie importante de la barrière érigée contre la France qui se trouve là. C’est la le reflet de toute une époque, pas seulement au plan national mais aussi au niveau européen dont le 19ème est un témoin primordial. Pour ces deux raisons, il nous semble tout à fais justifié d’inscrire le site de Dinant avec Namur et Huy dans le patrimoine mondial de l’UNESCO. DINANT AU XX INTRODUCTION De nos jours, les évènements qui ont marqué l’histoire du XX e siècle ne sont plus à présenter. Les premières et secondes guerres mondiales, les réformes sociales, sont autant d’exemples qui ont marqué notre pays. Dinant, par sa situation géographique, a joué à différents moments un rôle de premier ordre, notamment lors des deux guerres mondiales. Sa position sur la Meuse et sa citadelle surplombant la vallée constituent en effet les atouts majeurs de la ville mosane. Cependant, la citadelle n’a plus de fonctions militaires précises depuis la fin du XIXe siècle. On peut dès lors s’interroger sur le rôle que ce fort a pu avoir au cours du XXe siècle146. Après avoir situé la citadelle dans un contexte historique général, nous en ferons une description plus précise. Enfin, nous présenterons les évènements majeurs qui ont marqué l’histoire du fort au cours du XX e siècle tels que les deux guerres mondiales ou encore son évolution touristique. CONTEXTE GÉNÉRAL Dinant est une ville située en région wallonne et le chef lieu d’un arrondissement en province de Namur. Elle se situe sur la rive droite de la Meuse, à 50 kilomètres de Bruxelles et à 25 kilomètres de Namur environ. Sa situation géographique en a toujours fait un lieu de passage stratégique de la Haute Meuse. La situation politique tendue au début du XXème siècle va mener à la première guerre mondiale en 1914. L’Allemagne et ses alliés de la Triple Alliance (Autriche-Hongrie et Italie) déclarent la guerre aux pays de la Triple Entente (France, Angleterre et Russie). La stratégie allemande pour se rendre en France consiste à traverser la Belgique pourtant protégée par un statut de neutralité. Le 4 août, le plat pays est envahi par les troupes du Kaiser Guillaume II. Dinant se trouve dans l’axe de progression des armées allemandes, ce qui explique que des combats s’y déroulent en 1914. Par après, Dinant et la majeure partie de la Belgique seront 146 En effet, en 1868, la citadelle est démilitarisée et est vendue au public en 1878. occupées jusqu’à la fin de la guerre par les troupes allemandes. La « Grande Guerre » s’achève le 11 novembre 1918 avec la signature de l’Armistice, l’Allemagne perd la guerre et quitte la Belgique. Au sortir de la guerre, les pays européens impliqués dans la guerre connaissent de graves désordres politiques et sociaux. Leur économie étant exsangue, il s’en suit une période de récession. La Belgique ne fait pas exception à la règle et connaît aussi une situation troublée. C’est ainsi que des revendications sociales vont apparaître : La loi sur les congés payés est adoptée le 27 juin 1936. Cette avancée va permettre le développement du tourisme notamment à Dinant. En 1939, la seconde guerre mondiale commence avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne. Voulant conquérir la France, la Wehrmacht passe de nouveau par la Belgique et Dinant se retrouve sur le chemin des troupes allemandes. Des combats s’y déroulent de nouveau. Au début de l’été ’40, la Belgique est sous occupation allemande. Elle n’est libérée qu’en 1945, année de la fin de la guerre. DESCRIPTION DE LA CITADELLE147 La citadelle de Dinant est située sur un éperon calcaire surplombant la collégiale Notre-Dame. Culminant à une moyenne de 120 m d’altitude au dessus de la Meuse, sa situation géographique en a toujours fait un lieu stratégique. Un premier fort, qui n’existe plus aujourd’hui, y fut d’ailleurs construit dès le XIe siècle. La falaise, de type « éperon barré »148, constituée de trois pentes raides, est plus aisément accessible par l’est, principal point faible en cas d’attaque. En raison de sa faible capacité en hommes et en armes, le site ne peut être considéré comme une citadelle à proprement parler mais plutôt comme un fort. Le plan général est un pentagone allongé et irrégulier. L’accès à la citadelle est facilité par un téléphérique inauguré en 1955 et récemment modernisé. Une cafétéria, « Les Canons », a été installée à sa sortie sur la citadelle et propose une plaine de jeux pour enfants. 147 Matthys A. et Sarlet D., dir., Sprimont, 1996, p. 416-419. 148 L'éperon barré est un promontoire rocheux dont l'isthme a été coupé par un retranchement (palissade, fossé...). Autrefois, un fossé précédait l’entrée, protégée par un ouvrage en « fer à cheval ». Aux extrémités du fossé aujourd’hui comblé, des caponnières149 se déploient vers le nord et le sud. Le bâtiment à l’entrée, voûté en berceau et en cul de four, est disposé en U. Les murs de 1,80m. d’épaisseur sont recouverts de petits appareils de calcaire semi réguliers et sont percés de 32 meurtrières pour fusils. La construction se termine par un arc en plein cintre à crossettes en escalier. Enfin, un monument commémoratif appelé le « Poil à l’assaut » a été érigé à la mémoire de la charge légendaire du 1er corps de la 5ème armée française qui a repris la citadelle le 15 août 1914 des mains des Allemands. Il y a également un cimetière où reposent 1200 soldats tombés en août 1914 et en mai 1940. L’escalier venant de la ville est surveillé par un couloir long de 150 mètres transpercé de sept créneaux de tirs menant à trois casemates150 à canons. Dans ces casemates ont été reconstitués trois faits marquants de l’histoire militaire dinantaise : le sac de Dinant par Charles le Téméraire, les travaux de fortification de Dinant sous l’occupation française et les combats d’août 1914. De part et d’autre de l’entrée s’ouvrent des baies en plein cintre conduisant à un réseau de salles casematées. La poudrière, les corps de garde et les cachots se trouvaient dans les locaux de gauche. Dans les cachots, on peut observer une reconstitution touristique ainsi que, dans la « salle de torture », la guillotine de la citadelle. Les murs font un mètre cinquante d’épaisseur et sont percés de fenêtres à linteaux droits tandis que des fenêtres rectangulaires ouvertes sur la vallée éclairent les salles de droite. Derrière la porte d’entrée, deux rampes de maçonnerie témoignent de l’ancien système de levage du pont mobile. La grande cour centrale de forme pentagonale est entourée de locaux dont les murs extérieurs en moellons de calcaire ont une épaisseur de deux mètres. Une chape de terre recouvre l’ensemble. Au nord, dix salles voûtées en plein cintre étaient utilisées pour la vie quotidienne, notamment le casernement, la boulangerie et la forge. Des scènes d’époque ont été reconstituées dans ces trois salles. Quant aux autres, elles accueillent les pieux du premier pont de Dinant, trois dioramas retraçant l’histoire de Dinant, le carrosse de Madame de Maintenon et des armes de toutes les époques. En 1936, la voûte en deux niveaux d’une casemate a été supprimée pour reconstituer une tranchée du front de l’Yser et un abri 149 La caponnière est un petit ouvrage de fortification le plus souvent sur l'escarpe d'un fossé, qui sert à défendre un passage au fond d'un fossé, avec des armes légères ou des petits canons. Elle peut être simple ou double, selon qu'elle est fortifiée sur un ou deux côtés. 150 La casemate désigne un local, souvent partiellement enterré, d'une fortification ou d'un fort, qui est à l'épreuve des tirs ennemis. effondré, première attraction touristique du fort. Plus bas, une terrasse est accessible depuis un niveau inférieur composé de huit casemates. Au sud-ouest, une autre terrasse, bordée d’un garde-corps, offre un magnifique panorama sur la vallée de la Meuse. Au sud, 6 casemates commandent la Meuse. La troisième s’ouvre sur un escalier de 16 marches qui mène à une deuxième volée de 408 marches permettant l’accès à la citadelle depuis la ville. À l’est, de grandes arcades en plein cintre mènent aux casemates à canons de l’entrée et à un escalier montant au parapet. DESCRIPTION DES ÉVÈNEMENTS LIÉS Á LA CITADELLE La citadelle de Dinant durant la première guerre mondiale Avant de développer le rôle joué par la citadelle de Dinant durant la guerre 14-18, il semble adéquat de fournir quelques informations sur la situation générale en Belgique à cette époque. Après avoir déclaré la guerre à la France, l’Allemagne voulant s’y rendre en passant par la Belgique, elle viole le statut de neutralité de celle-ci le 4 août 1914 suite au refus du roi Albert I er de laisser passer les troupes allemandes par son territoire. La Belgique entre donc en guerre au mois d’août 1914. A Dinant, les habitants ayant été informés de l’arrivée imminente des troupes allemandes, se préparent à les recevoir. En effet, la ville mosane se trouve sur le chemin des troupes du Kaiser Guillaume II se rendant en France. Une garde militaire est donc placée sur le pont et ils reçoivent dès le 7 Août l’appui de troupes françaises établies sur la rive droite de la Meuse (la rive de la citadelle). Jusqu’au 15 août, il n’y aura pas de « vrais » combats mais simplement quelques escarmouches, la citadelle étant gardée par des troupes françaises. Le 15 août, un véritable combat va s’engager entre les troupes allemandes et françaises, les allemands établis sur la rive gauche parviennent à traverser la Meuse et à s’emparer de la citadelle, les troupes qui la gardent sont obligées de fuir en abandonnant sur place leurs blessés. Ceux-ci se perdent dans les galeries du fort et seront exécutés par les soldats allemands de façon cruelle. Cependant, au cours de l’après-midi et grâce à une contreoffensive menée par deux bataillons du 73e régiment mené par le capitaine Bataille, l’armée française parvient à reprendre l’ancien fort. Le drapeau français flottant du haut de celui-ci en fin de journée, il y aura de grandes manifestations de joie parmi la population locale.151. Plus aucun événement majeur ne se déroulera jusqu’au 23 août. Une simple division française fait face à trois corps d’armées allemandes sur un front de 30 km sur la Meuse. Signalons cependant que l’infériorité numérique n’est pas un désavantage en soi, le terrain est propice à la défense de la ville mosane par les troupes françaises.152 Le 23 août cependant, est une journée noire pour la population dinantaise. En effet, ce jour-là, les Allemands se rendent coupable de divers crimes aussi sinistres les uns que les autres. Ainsi, presque toute la population est capturée et est détenue pendant plusieurs jours, la ville est pillée et une grande partie en est incendiée, des personnes sont exécutées, d’autres déportées en Allemagne et d’autres encore utilisées comme bouclier. Au total, ce sont 674 civils de tout âge et de tous les sexes qui périssent ce jour-là, ce qui représente environ 10 % des habitants.153. Nous pouvons dès lors nous interroger sur les raisons d’un tel massacre. Celles les plus souvent évoquées sont un sentiment de frustration suite à la défaite du 15 août mais aussi et surtout parce que, selon les soldats allemands, les habitants leur sont fortement hostiles154car ils sont « excités par une presse chauvine, le clergé et le gouvernement, et agissent donc selon des recommandations reçues à l’avance.155 », et aussi que Dinant est un « nid de francstireurs ».156Beaucoup de travaux sont consacrés à ce jour sombre et nombre de chercheurs, allemands notamment, remettent en cause la véracité des faits qui se sont déroulés ce jour-là. Par la suite, Dinant et sa citadelle ne connaîtront plus d’événements majeurs pendant le restant de la guerre. Les habitants de Dinant ainsi que la plus grande partie de la Belgique seront soumis à l’occupation allemande. Nous pouvons donc expliquer brièvement ce qu’est l’occupation en Belgique. Les Allemands vont gouverner la Belgique différemment selon les régions ; le Hainaut occidental, la Flandre occidentale et orientale et également le sud du Luxembourg sont des zones militaires où le régime allemand est très dur. Les autres régions du pays, dont la province de Namur, sont soumises à un gouvernement général, avec à sa tête un gouverneur général. Chaque province, est soumise à un gouverneur militaire. La principale 151 Schmitz, J. et Nieuwland, N.,1921, p.36-38. 152 Horne, J. et Kramer, A., Paris, 2001, p.63. 153 Nieuwland, N. et Tschoffen, M., Gembloux, 1928, p. 86. 154Par exemple, dans l’ouvrage de J.Horne, on apprend qu’une patrouille de cavalerie allemande a rapporté à l’artillerie que le 21 Août 1914, des civils dinantais leur tiraient dessus depuis des maisons et des granges. 155 Horne, J. et Kramer, A., Paris, 2001, p.63. 156 Le terme franc-tireur vient de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et désignait des civils volontaires se battant contre l’ennemi. Par la suite, le terme est resté et est utilisé pour désigner tout combattant n’appartenant pas à une armée régulière. volonté des Allemands est de maintenir « l’ordre et la tranquillité »157. Si, jusqu’en 1916, les allemands vont faire preuve d’une certaine retenue vis-à-vis de la population belge, à partir de 1917, des déportations en masse d’ouvriers et de paysans sont effectuées. L’année 1917 est également l’année de la séparation administrative de la Flandre et de la Wallonie réalisée par les occupants158. Malgré tout, les Belges ne restent pas inactifs pendant les années d’occupation, en effet la résistance s’organise et des personnes telles que le cardinal Mercier, Edith Cavell, la Reine Elisabeth et bien entendu le Roi Albert I er deviennent des figures de la résistance face à l’occupant. Signalons que cette résistance ne prend pas souvent la forme d’une résistance armée (sauf dans le cas du Roi Albert I er). Le plus souvent il s'agit de résistance sous forme de sabotages des lignes de chemin de fer et d’une presse clandestine se moquant de l’occupant et soutenant le moral des troupes159. Sans rentrer dans les détails, la vie quotidienne sera dure pour les Belges durant cette période, les stocks de nourriture manqueront assez rapidement et ils seront soumis à des mesures de ravitaillement imposées par les allemands. Cette période prendra fin en 1918, après la signature de l’armistice le 11 novembre, les troupes allemandes quittent le pays. La « Grande Guerre » se clôture par la victoire des alliés (France, Grande-Bretagne, États-Unis, Belgique notamment) sur l’Allemagne. Au total, elle cause la mort de dix millions de personnes et provoquent des désordres politiques et sociaux dans les pays du vieux continent. La première guerre mondiale rend également exsangue les économies de ces différents pays. La citadelle de Dinant pendant la seconde guerre mondiale Au matin du 10 mai 1940, les troupes allemandes, rassemblées en trois groupes d’armées placés sous le commandement du Feldmarschall von Brauchitsch160, attaquent en direction des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. L’opération Fall Gelb161 qui déterminait le plan d’invasion de la France, commence. Ce dernier prévoyait alors trois axes de progression, dont l’axe central constituait le point de passage des divisions blindées du 157 Dumoulin, M., s.l. [Bruxelles], 2006, p.96. 158 Dumoulin, M., op. cit., p. 95. 159 Dumoulin, M., op. cit., p. 106. 160Walther von Brauchitsch (1881-1948) : commandant en chef de l’armée de terre allemande (Wehrmacht) de 1938 à 1941. 161« Plan jaune ». General von Runstedt162 qui, une fois leur percée réalisée, devaient traverser la Meuse à Sedan, à Monthermé et à Dinant. Ainsi, comme en août 1914, la petite ville mosane et sa citadelle se retrouvent plongées une nouvelle fois en plein cœur de l’offensive allemande. Si, au cours de l’histoire et plus précisément celle du XXe siècle, la ville de Dinant s’est retrouvée ainsi à plusieurs reprises sur l’axe de progression d’une armée d’invasion étrangère, c’est avant tout du fait de son importance stratégique primordiale : en mai 1940, son pont assure en effet un point de passage important sur la Meuse pour permettre aux Allemands de progresser en territoire français. En outre, les hauteurs avoisinantes et la citadelle qui surplombe la ville constituent autant de postes d’observation et de positions défensives privilégiées pour le nouvel occupant. Toutefois, en mai 1940, les Allemands ne traverseront pas la Meuse à Dinant, le pont ayant été détruit le 12, mais ils emprunteront l’écluse de Houx, restée intacte, dans la nuit du 12 au 13 mai. Le 13, le génie allemand met également en place des ponts flottants à hauteur de Bouvignes pour faire traverser le fleuve au matériel lourd. Si la ville de Dinant et sa citadelle sont finalement occupées par les Allemands à partir du 14 mai, les combats qui s’y sont déroulés ont été autrement moins intenses que ceux de la Grande Guerre. Ils le seront beaucoup plus lors de la libération de septembre 1944. Entre mai 1940 et septembre 1944, Dinant se retrouve donc une nouvelle fois sous l’occupation allemande. Divers bâtiments sont réquisitionnés par l’occupant, parmi lesquels l’Hôtel Lebrun, qui deviendra le Soldatenheim (home pour soldats), l’Hôtel des Ardennes qui servira de résidence pour les officiers, l’Hôtel Herman où siégeaient les locaux de l’Ortskommandantur163 ou encore l’Hôtel des Postes qui abritait le quartier général du Hauptamt Sicherheitsdienst.164 Au cours de cette période, la citadelle n’échappe évidemment pas à la tutelle nazie. Elle constitue en effet un poste d’observation idéal sur la vallée tout en permettant de contrôler et de défendre le pont en contrebas. Une garnison allemande y sera entretenue pendant toute la durée de l’occupation. Par ailleurs, la tour de Monfat, érigée en 1909 pour servir de belvédère et située à quelques centaines de mettre au sud de la citadelle servira elle aussi comme observatoire aux Allemands. En outre, un réseau de galeries militaires situées au pied de la tour et datant vraisemblablement du Moyen-âge, reliait la tour à la citadelle. Ces galeries auraient sans doute été utilisées par les troupes allemandes stationnées sur les hauteurs de la ville lors des combats de septembre 1944. 162 Karl Rudolf Gerd von Rundstedt (1875-1953) : Generalfeldmarschall du Heer de 1940 à 1945. Commandant du groupe d’armée centre lors de l’invasion de la France en mai 1940. 163 Administration militaire locale. 164« Bureau central du service de sécurité ». Les combats pour la libération de Dinant débutent le 4 septembre 1944. Dès le 28 août cependant, l’aviation américaine tente de couper la retraite aux Allemands en bombardant le pont. Elle n’atteindra pas son objectif mais causera de nombreux dégâts dans différents quartiers de la ville. Les bombardements américains se poursuivent jusqu’au 3 septembre, date à laquelle les Allemands tentent à leur tour de détruire le pont pour empêcher l’avance des troupes américaines.165 Le 4 septembre, les troupes américaines du 39th Infantry Regiment occupent la rive gauche de la Meuse après avoir traversé l’écluse de Houx.166 Les combats ne cessent pas pour autant. Ainsi, du 4 au 6 septembre, les troupes allemandes retranchées dans les murs de la citadelle repousseront toutes les tentatives américaines de traverser le pont, alors encore franchissable. Au cours de ces furieux combats, l’artillerie américaine endommagera les murs de la citadelle à plusieurs reprises et provoquera la dégringolade de nombreuses pierres dans les escaliers d’accès près de la collégiale. Il faudra attendre le 7 septembre et l’arrivée par la rive droite de la Task Force King pour que Dinant soit définitivement libérée à la suite d’une prise en tenaille des Allemands. Dernier sursaut des Allemands sur le front ouest, l’offensive von Runstedt167 a bien failli coûter à la ville de Dinant une nouvelle occupation. Ainsi, le 23 décembre 1944, l’offensive allemande atteint Celles et Foy-Notre-Dame. Les troupes allemandes se situent alors aux portes de la cité mosane, le général allemand Sepp Dietrich prévoyant l’attaque de la ville le 24 à 9h. Toutefois, cet assaut n’aboutira pas.168 Ainsi s’achevaient toutes velléités allemandes de reconquérir Dinant et sa citadelle. Cette dernière tentative, bien que vouée à l’échec, témoigne ici encore de l’importance stratégique qu’occupait la ville de Dinant et sa citadelle dans le plan de la contre-offensive allemande. L’activité touristique de ses débuts jusqu’en 1940 Le projet de transformer la citadelle en site touristique date de la fin du XIXe siècle. Suite à la démilitarisation du fort en 1865 par les autorités militaires, il est décidé, dans un premier temps, d’y aménager des casernes pour les deux écoles régimentaires de Dinant. 165Faute de ne pas disposer de suffisamment d’explosifs, seule une arche du pont sera détruite. 166L’histoire a ainsi voulu que les fantassins américains empruntent le même point de passage sur la Meuse que les Allemands quatre ans plus tôt. 167 Nom donné à la célèbre contre-offensive allemande des Ardennes qui démarra le 16 décembre 1944. 168 Dans la nuit du 23 au 24 décembre, deux résistants dinantais, Jacques de Villenfagne et Phillipe le Hardy de Beaulieu effectuent en effet une mission de reconnaissance qui permettra aux alliés d’anéantir la pointe de l’offensive allemande le 24 décembre à 8h20 grâce à un puissant barrage d’artillerie et aux bombardements de l’aviation. Toutefois, ce projet sera rapidement abandonné et le domaine mis en vente publique. En 1878, la citadelle est acquise par un particulier qui décide d’exploiter l’emplacement comme site récréatif. Ainsi, il projette d’y installer un belvédère, expose une collection d’armes et d’antiquités et rêve même d’y implanter un jardin zoologique. Au début du XXe siècle, un négociant procède au rachat de la propriété. Il envisage d’y établir un hôtel de luxe avant d’y renoncer pour constituer la société anonyme Le Fort de Dinant qui gère depuis lors la citadelle. Les administrateurs entreprennent alors l’aménagement touristique du site grâce à un important apport financier. Le nombre de visiteurs pour les années 1906-1908 témoigne des résultats positifs de cette entreprise. L’essor touristique de la citadelle est toutefois interrompu par l’invasion allemande de 1914. Le fort devient à cette époque un enjeu pour les belligérants et est le théâtre de combats acharnés. En août, les Allemands pillent le musée et y installent notamment un poste d’observation. À l’Armistice, le musée est remis en état et enrichit par les souvenirs de la Grande Guerre. Au cours de l’entre-deux-guerres, le site, devenu un symbole de l’héroïsme des troupes alliées, va attirer un public de plus en plus large. Le nombre annuel de visiteurs ne cesse d’augmenter169. Ce succès retentissant est dû notamment aux importants travaux de modernisation entrepris dès 1929. Dans un premier temps, les gestionnaires envisagent d’y installer un funiculaire, mais étant donné le coût du projet, l’idée est rapidement abandonnée. Ils investissent alors dans d’autres formules d’animation comme l’éclairage des rochers par des projecteurs ou l’évocation, avec des mannequins, d’activité de la garnison hollandaise. En 1937, le site accueille davantage de nouveautés : un Monument de Souvenir est inauguré dans la grande cour et les autorités présentent pour la première fois l’Abri effondré170 qui constitue désormais le point fort du site. Le nombre de visites pour l’année 1938 témoigne d’ailleurs du succès de cette nouveauté. Ainsi, on dénombre plus de 100.000 entrées au cours de cette année. L’occupation allemande de 1940 va toutefois mettre un terme à l’activité touristique du site. Dès leur arrivée en mai, les Allemands réquisitionnent en effet les bâtiments pour y installer une garnison. Il faudra attendre 1946 pour que le site retrouve sa fonction touristique. 16940.000 en 1920, 70.000 en 1925, 85.000 en 1928, 90.000 en 1930, et le chiffre record de 155.000 en 1933. 170 Cette reconstitution d’un abri anti-aérien défoncé par un projectile sur les bords de l’Yser fût réalisée par l’entrepreneur Remacle, de Dinant. CONCLUSION Alors que la citadelle de Dinant avait été bâtie au XIe siècle dans le but de défendre la ville en cas d’attaque, elle n’a cependant plus assuré de fonction militaire depuis la fin du XIXe siècle. En effet, le fort a été démilitarisé à cette époque et un projet d’aménagement touristique a vu le jour. Suite à l’invasion allemande de 1914, la citadelle se retrouve plongée dans les combats entre soldats français et allemands. Lors de la seconde guerre mondiale, elle est à nouveau le théâtre de combats acharnés et la cible des tirs américains qui voulaient déloger les derniers Allemands qui s’y étaient retranchés. Au sortir de la guerre, elle retrouve sa fonction touristique qui s’était développée de manière importante durant l’entre-deuxguerres. Contrairement aux périodes antérieures, la citadelle ne représente donc plus vraiment une cible privilégiée pour les ennemis mais est plutôt un témoin des différents évènements qui se sont déroulés à Dinant. Ce lieu chargé d’Histoire, même s’il ne connaît plus d’évènements marquant depuis la fin de la seconde guerre mondiale, permet cependant aux belges de connaître l’histoire de leur passé.