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Conseil général de la Haute-Saône
Archives départementales : cote : 9 J 14
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Cet ouvrage est un, parmi les 12 autres que mon grand-père Jules Perret,
maréchal-ferrant, a écrit sur sa famille et aussi sur les évènements pendant la
dernière guerre et les faits du jours les hommes harcelaient les troupes
allemandes dans les environs du village. C’est dommage pour ces braves
maquisards car 39 hommes de 17 à 58 ans payeront de leur vie ou ils furent
fusillés contre le temple de Chenebier le 27 septembre 1944.
Je souhaite que ces écrits restent toujours dans la famille, si triste soit le
souvenir de ces chers disparus, pour leurs mémoires. Conservez-les !!!
Surtout pour l’amour et la patience que j’ai mis pour les relier et les imager
Philippe Perret le 12 février 1977
Qu’il est beau de laisser, en quittant cette terre,
l’empreinte de ses pas sur la route du bien,
d’y avoir fait hisser le rayon de lumière
qui doit servir à tous de guide et de soutien.
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Jeudi le 1er avril 1943
La guerre, l’affreuse guerre continue. La armée anglaise en fait voir de dures au général Rommel
en Tunisie.
La petite armée française du général Leclerc vient de se couvrir de gloire dans ces défilés
montagneux inaccessibles.
Octave et ses pensionnaires
Les Allemands continuent à emmener beaucoup de
Français en captivité, soi disant pour travailler. Mais de
tous les jeunes d’Etobon qui ont été désignés aucun
n’est parti, qu’Octavio Zanou, le domestique de Paul
Remillet. Il a écrit ces jours-ci qu’il voudrait bien avoir
à manger ce qu’il donnait à ses pensionnaires (des
cochons). Et le vin ! Et le tabac, il dit qu’il « viens fü ».
Je devais aller à Coisevaux aujourd’hui conduire la
Margot chez Navion pour avoir un nouveau poulain
dans un an mais il y a fait si mauvais temps que j’ai
remis à plus tard.
Emile Bruot est mort ce matin. Pauvre Bruot il a cru qu’il n’y avait qu’à acheter des vaches et que
tout venait en suivant. Il s’est tué au travail. Sa femme et son vaurien de fils, pas plus que ses filles ne
l’ont pas secondé. Il aurait dû rester au Havre.
Vendredi le 2 avril 1943
Le petit Victor (le poulain) m’a fait des ennuis. Je l’ai laissé courir dehors et il s’en ai tellement donné
qu’il est rentré tout mouillé et le lendemain il toussait. J’ai vu le vétérinaire qui m’a donné des
ampoules pour le vacciner, et on l’a habillé. Il est guéri aujourd’hui, son rhume a avorté. Je n’aurais
pas le sortit avant un mois car un poulain ça court trop… et il fait froid à cette saison certains
jours.
Dimanche le 4 avril 1943
On a enterré Bruot aujourd’hui, sa femme l’a reconduit à Belverne. Georges Darey, de Trémoins, est
venu nous voir. Combien de souvenirs nous avons évoqués « te souviens-tu de ceci, te souviens tu
de cela ». Il a été mon plus proche voisin à Chagey pendant 5 ans, plus mes 2 ans d’apprentissage. On
a reparlé du coup deux dragons de Belfort étaient arrêtés devant ma forge, il a monté sur l’un de
leurs chevaux. Il s’est mis au galop jusque vers la Diachotte (monument aux morts sur la route de Chenebier en
souvenir de la bataille de la Lizaine en 1871). Puis est revenu encore plus vite et il vint buter de travers l’autre
cheval qui a été renversai sur la route et le sabre du dragon a été plié. On l’a redressé à l’étau.
Nous avons parlé de son beau-frère, Henri Bugnon, sous officier au 11è cuirassiers, de Eugène
Lapoule, du vieux Benoît, de tous les vieux, enfin de tout. Nous avons revécu notre jeune âge. Nous
avons reparlé de la funeste nuit du 31 juillet 1916 ; de la permission nous nous sommes trouvés
tous les deux arrivant ensemble à Chagey.
Jean Bataille aussi est venu. La Suzanne ne va toujours pas bien fort.
Nous avons eu aussi mon ami Eugène Mathey de la Bouverie de Champagney, il a diné avec nous.
Mercredi le 7 avril 1943
Nous avons appris par une lettre de Valentigney que la caisse de Jean (son fils prisonnier) est arrivée. Elle
contient la superbe tirelire qui parait-il est un objet d’art.
Montgomery a repris hier matin à 4 heures, en pleine nuit, une terrible offensive sur Rommel et il
parait que ça gaze, ils ont fait beaucoup de prisonniers et détruit beaucoup d’avions.
Les Russes aussi repartent bien. Les Américains ont redétruit les usines Renault à Billancourt
dimanche après midi et ils ont tapé pas mal à té. Il y avait 2 pièces de D.C.A. sur un terrain de
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football se disputait un grand match. Les américains ont tapé dessus et massacré pas mal de
matcheurs (footballeurs) et spectateurs. On ignore un peu trop que c’est la guerre.
Aujourd’hui est jour de deuil national, mais il n’y a pas eu de deuil national quant on a enterré les 50
et même 100 otages fusillés par les boches à Nantes, à Bordeaux, Paris et ailleurs.
De Jean du 28-03-1943
« Pas de lettre de vous cette semaine-mauvais temps- le parrain est venu ces jours-ci et aussi le
pasteur du stalag (1ère depuis 3 ans. Avons pu parler des choses sérieuses, il reviendra tous les 2 mois.
Il est pasteur dans la Drôme. J’ai beaucoup de travail, ai dû y aller aujourd’hui ».
Voici des extraits de la longue lettre qui était dans la caisse :
« Aujourd’hui c’est 5’ dimanche du mois donc pas de lettre à vous envoyer mais j’en envoie une quand
même et une lame au marché noir. J’espère que cette caisse vous arrivera sans encombre comme la
1ère.
J’aurais voulu pouvoir finir le tonneau mais vu les événements (relâchement dans les sanctions) je
vais vite faire mon expédition. La tirelire arrivera après Noël mais le cœur y est quant même. J’envoie
un rasoir pour Jacques et un pour mon cher père.
Je vous renvoie toutes mes correspondances. J’aurais aimé les garder pour les relire de temps en
temps mais on quittera peut-être ce bled plus tôt et plus vite qu’on croît. Je vois venir l’hiver confiant.
Au garage, si je ne suis pas le maître, le singe (le patron du garage où il est employé) ne l’est pas non plus. Il ne
me fait pas faire ce qu’il veut. Je suis au stalag VI D. le VI A est pour les Russes. Oh ceux- ! C’est une
abomination qui dépasse toute imagination. Tous les jours il en arrive par milliers en Allemagne.
Femmes, enfants, vieillards… et le marché commence. Les industriels sont qui attendent ce bétail
humain. Les maris sont déparés de leurs femmes, les enfants de leurs parents sans aucun égard et
avec de la musique. Pas de colis pour ces pauvres. Jamais de lettre. Paye nulle.
Pour nous, prisonniers, c’est presque normal, mais les civils c’est atroce. Excusez mon écriture, c’est
que j’écris dans l’ombre. Il faut que je me cache bien pour écrire ceci. Ce serait la cellule ou partir en
représailles sur le front russe.
Je crois que le ménage de la Guite a déjà des nuages. Son mari parti ici ! en ce moment il cuit un
bon plat de nouilles pour le souper du dimanche. Ce matin j’ai fait pour la chambre un bon chocolat
au lait. C’est idéal après une grasse matinée au lit. Voyez comme nous sommes bien et surtout
toujours unis. Nos gardes doivent dire : les Français ils sont mieux que nous.
Quant au singe, la guerre peut durer 10 ans pour lui elle sera encore trop courte. Jamais il n’a tant
gagné, et il y en a beaucoup comme lui sur la terre. Que Dieu soit avec vous tous en cette fin d’année
et au cours de l’autre. J’espère bien être des votre pendant son cours (en 1945). J’ai reçu une bible du
stalag et de temps en temps des brochures.
Ah ! Que je voudrais pouvoir partir dans cette caisse ! Dire qu’elle, elle va vers vous. Je voudrais vous
voir au déballage.
J’ai essayé de passer dedans avant de mettre les fonds, la tête et un bras y a passé. Vous allé rire.
L’oncle et le parrain (les Américains et les Anglais qui bombardent) en mettent un coup… je crois que le fabricant
de macaroni va bientôt filer du mauvais coton (les Italiens). Quant ça va mal pour le cousin (les Allemands ,
les sanctions pleuvent sur nous… quant les colis arrivent ils sont ouvert devant nous, les conserves
sont mises en réserve dans une armoire. On nous les donne à mesure que nous les demandons, ils
devraient nous ouvrir les boites mais ils les donnent, telles que, et je ramasse les miennes sous le
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parquet dont j’ai soulevé une lame. J’ai aussi une cachette dans la muraille vers mon lit entre les 2
plaques de fibrociment.
Les livres sont envoyés à la censure… Georges n’est pas bien … Prosper décline, ce n’est pas trop tôt…
je suis content que mon carnet soit en votre possession. Papa, l’étoile polaire est juste au dessus de
notre baraque. Demain nous la regarderons ensemble car c’est le 30. Ah ! Oui ces bonnes frittes
c’était bon ! Ça reviendra mes chéris.
Pour nous la nourriture est toujours à l’ordre du jour. 3 fois par semaines nous pouvons cuire des
pommes de terre avec la graisse de bœuf que nous fournissent nos 2 camarades bouchers.
Souvent aussi nous faisons salade de choux. Nous pouvons facilement avoir du vinaigre. On va bientôt
nous donner du pâté fais avec du bois. Ah ! Les ingénieurs chimistes !
Ah ! Chéris que Dieu vous garde et nous tous. A bientôt.
Aujourd’hui j’ai repos. J’ai eu du tracas au sujet de Georges. Je suis arrivé à mon but. Ce cher ami est
sur le chemin du retour. Surement vous l’aurez vu avant d’avoir cette lettre. Par lui vous saurez
exactement notre genre de vie. Il est très malade, il faut qu’il se soigne énergiquement, mais il ne s’en
doute pas… pour moi tout va toujours de même. Réveil, travail, couché, c’est la vie des bœufs de Julot.
Mais eux ont un avantage sur nous, ils ne pensent pas ! A présent que Georges est parti c’est plus dur
pour moi au garage. Je ne peux plus discuter. Les gosses qu’il y a ne sont pas intéressants.
Chère maman tu ne me parles jamais de ta santé et toi non plus papa. J’aimerais bien savoir. Pour
moi tout va très bien. On a de bonnes nouvelles du parrain. Le départ de Georges nous a fait une
petite dette, ne pouvez-vous pas dans un prochain colis me mettre une galline de rouge ou de blanc.
Je suis chagriné que la tirelire n’arrive pas et aussi les 2 rasoirs. Tant pis, je passe encore un hiver, je
recommencerai… mes meilleurs baisers »
Vendredi le 9 avril 1943
Depuis déjà longtemps il faisait bien beau, bien trop. On est en avance d’un mois sur les autres
années. Les hirondelles sont arrivées. Nous avons déjà une des nôtres qui attend patiemment sa
compagne. Mais depuis deux jours ça a changé et aujourd’hui nous avons de nouveau la neige. Il y a
eu une tempête terrible un peu partout. Alphonse Lame, qui vient d’arriver de Paris, dit qu’il a vu un
peu partout les effets du cyclone, il y a même des poteaux télégraphiques couchés.
Il dit que le nombre de 340 morts pour le bombardement de Billancourt est beaucoup exagéré. Et la
cause en est aux allemands qui n’ont pas fait sonner l’alerte.
Samedi le 10 avril 1943
La corvette française Aconit a coulé deux sous-marins allemands en les éperonnant. Un navire anglais
qui se portait sur les lieux pour venir au secours du navire français aux prises avec les deux sous-
marins a été coulé. Les équipages de ces trois bâtiments envoyés au fond ont été recueillis par la
corvette Aconit.
Le U 444 allemand n’a eu que 4 rescapés, mais 22 du U 442 ont été sauvés. Parmi les marins des deux
U allemands, deux frères se sont reconnus sur la corvette. Les premiers arrivés sur la corvette étaient
déjà en train d’astiquer, de montrer de la bonne volonté, faire du zèle quant les naufragés du 2ème
sous-marin sont arrivés.
Les marins du contre torpilleur anglais étaient sur un radeau quant ils ont été recueillis. Il y a fête à
Londres ce soir à cause de cet exploit.
Dimanche le 11 avril 1943
Georges Surleau a coupé un peu trop haut au « Djou Djan Bugnon». J’ai fait des excuses à chez
Guemann et je suis allé aujourd’hui pour mesurer avec le Christ. Nous avons eu du mal de trouver.
On a placé des bornes aux angles en haut et vers l’étang.
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Il y a 10 stères dans ce petit carré au dessus de l’étang et il a aussi une dizaine de beaux chênes.
Comme toujours j’avais Philippe avec son petit sécateur. Il me disait : « si Jean Pernol avait un
sécateur il ferait son malin ». Il aura cinq ans demain.
Eugène Haizer, domestique marchand de vin des Mathey, nous raconte que à Balersdorf (Alsace) les
Allemands ont fusillé 18 jeunes gens qui refusaient de partir. Et dans son propre village à Baschwiller
il y en a eu 7. Il les connaît tous de nom, c’est terrible.
En Tunisie Montgomery a avancé de 130 km en 2 jours. Rommel se sauve encore plus vite que les
français en 1940.
Mardi le 13 avril 1943
On doit conduire les chevaux à Couthenans, il me semble que la mère qui a un poulain ne devrait pas
y aller, le maire ne peut me donner une indication précise, alors je suis allé à Lure trouver l’ingénieur
allemand (agronome) qui a été « pien chentil » et m’a dit que je n’avais pas à la conduire.
Il fait de nouveau bien beau. J’ai fait un voyage d’agrément. J’ai passé par Ronchamp. En descendant
la fameuse route Frossard qui descend vers le puits du Tonay et qui arrive au Beuverou du Pied des
Côtes, j’ai demandé aux Houillères pour aller à la houille.
Au retour, passant à Moffans, je suis allé voir le père Victor, j’ai diné à Lomont chez Joseph et j’ai pris
le café chez Viénot.
Vendredi le 16 avril 1943
Un voiturier d’Etobon est allé nous chercher la houille pour le Perret et pour moi. Quant la voiture a
été chargée, j’ai eu idée de revenir par la Bouverie de Champagney qui est un hameau entre
Champagney et Ronchamp en tirant contre la montagne. J’ai pour cela pris un chemin à la houillère
pour aller au hameau portant ce nom. Eh bien ! Je me croyais perdu dans ces bois. Je suis quand
même arrivé chez mon ami Mathey qui a été bien content, j’ai diné et je suis revenu.
Notre hirondelle est arrivée. Quelle joie qu’a eu le père qui était depuis plusieurs jours. Quelle
belle chanson il lui a dit. Comme c’était touchant. Il s’affairait autour d’elle, il lui montrait le vieux nid
qu’il avait choisi, et peut-être lui racontait-il qu’il avait vu Rommel en Tunisie.
Dimanche 18 avril 1943
Jour des Rameaux, jour d’un printemps merveilleux, tout est fleuri, il a une belle promesse de fruits,
si le gel ne vient pas.
Il y avait bien 40° au soleil cet après midi, nous avons diné de la
salade nouvelle. L’Alfred (Pochard, son beau-frère) est venu, il nous dit que
le Samuel (son fils) a été appelé (au STO) et qu’il est parti. Oh ! Pourquoi
l’avoir laissé partir. N’y avait-il pas de place pour se cacher au Coteau,
nous l’aurions bien nourri.
Ils ont toujours d’assez bonnes nouvelles du Freddy (Pochard, son autre fils)
qui est toujours à Houstrin, en Prusse Orientale.
Ces jours ci cinq jeunes gens qui se cachaient dans les bois vers
Giromagny ont été vendus par un autre qui se cachait avec eux soi-
disant et qui était un mouton. Ils avaient des armes. Ils ont été arrêtés
et on croit fusillés.
Nous sommes retournés tailler dans nos sapins du pla Grive. Ceux
plantés cet hiver sont repris.
Philippe avec son petit sécateur taille les feuilles. Je l’ai photographié
aujourd’hui sur le poulain qui a 26 jours.
C’est une belle photo. On sera étonné que le poulain reste tranquille. Il est attaché par la courroie du
ventre après le poirier.
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