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Intégration financière et ajustements macroéconomiques en Union Monétaire
V. Duwicquet et J. Mazier
CEPN, CNRS Université Paris 13
Congrès AFSE
Septembre 2008
(Rédaction provisoire)
Résumé
Avec la mise en place de l’euro, les ajustements au sein de l’Union monétaire face à des chocs
ou à des évolutions asymétriques sont devenus plus complexes du fait de la fixation des
parités intra-européennes. Ces canismes d’ajustement sont de plusieurs ordres. La
flexibilité des salaires et des prix relatifs a été, dès le départ, mise en avant mais elle ne
permet qu’un rééquilibrage incomplet et très lent. La mobilité de la main d’œuvre est
présentée comme un autre mode d’ajustement potentiel mais, même dans le cas américain, les
migrations inter-régionales correspondent à des phénomènes permanents qui ne sont pas
réversibles à court terme et ne peuvent apparaître comme un facteur d’ajustement. Les
politiques budgétaires sont également susceptibles d’intervenir, notamment au niveau fédéral.
Enfin des marchés de capitaux bien intégrés, avec diversification des portefeuilles, transferts
de revenus du capital et crédits intra-zone, peuvent constituer un dernier mécanisme
d’ajustement. Cette question a fait l’objet d’une abondante littérature dans le cadre de
l’approche du « risk sharing » depuis la seconde moitié des années 1990. Un bilan rapide de
cette approche invite toutefois à en relativiser les conclusions. Si le principe de la méthode
d’estimation des coefficients de stabilisation par les revenus du capital et par les transferts
fédéraux peut être accepté, il n’en est pas de même pour le dernier, la stabilisation par le
crédit.
C’est pourquoi une approche différente s’appuyant sur un modèle « stock flux consistent »
(SFC) à deux pays en Union monétaire, s’inspirant des travaux de Godley et Lavoie (2006),
est proposée ici. Ce modèle décrit d’une manière complète les actifs et les passifs des deux
économies ainsi que la matrice des flux réels et financiers qui les engendrent de période en
période. Plusieurs versions du modèle sont envisagées: un modèle sans actif financiers
étrangers et sans crédit étranger, un modèle complet avec actifs et crédits étrangers mais où le
degré d’intégration financière peut être plus ou moins important, un modèle avec crédit
international mais sans détention d’actifs étrangers et donc sans revenus du capital provenant
de l’étranger. Ces différentes versions sont utilisées pour étudier les ajustements face à des
chocs affectant un pays. Par comparaison, il est possible de mesurer les coefficients de
stabilisation des revenus du capital étrangers et du crédit étranger.
Deux résultats se dégagent. La détention d’actifs étrangers a bien un rôle d’ajustement face à
des chocs mais le coefficient de stabilisation des revenus du capital est d’un ordre de grandeur
inférieur à ceux donnés par l’approche « risk sharing ». Le recours au financement étranger ne
semble en revanche avoir aucun rôle de stabilisation spécifique. Les modèles, avec ou sans
financement étranger mais toujours au sein de la zone monétaire, donnent des résultats
identiques. Ce résultat est lié au fonctionnement du crédit au sein d’une union monétaire et au
rôle clé joué par le refinancement auprès de la Banque Centrale. Au sein d’une Union
monétaire, les crédits intérieurs ou intra-zone sont de nature similaire. Il n’ y aurait aucun
effet de stabilisation supplémentaire à attendre du développement du crédit intra-zone euro,
contrairement à ce qui est espéré par la BCE et la Commission.
Key words: Open economy macroeconomics; International finance; Keynes, Keynesian, Post-
Keynesian
JEL classification: F41, F37, E12
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1. Introduction
Avec la mise en place de l’euro, les ajustements au sein de l’Union monétaire face à des chocs
ou à des évolutions asymétriques sont devenus plus complexes du fait de la fixation des
parités intra-européennes. Or, depuis le lancement de l’euro, les divergences dans les
évolutions des économies européennes ont été plus importantes qu’il n’était généralement
attendu. Le ralentissement observé après 2001 a été d’une ampleur inégale selon les pays. Le
blocage de la croissance dans les grands pays du centre, tout particulièrement en Allemagne
avant le rebond des années récentes, a contrasté avec les performances plus enviables
d’économies plus périphériques comme l’Irlande ou la Finlande. La France et, plus encore,
l’Italie sont enlisées dans la croissance lente tandis que l’Espagne a été portée par un boom
immobilier. Les divergences en matière d’inflation ont également été significatives. Un tel
environnement a redonné de l’actualité aux questions traditionnelles concernant le
fonctionnement d’une Union monétaire, la place des mécanismes d’ajustement et les
difficultés soulevées par les évolutions asymétriques. Face à ces asymétries, la conduite de la
politique économique s’avère délicate au niveau national avec un instrument budgétaire
contraint par le Pacte de stabilité et au niveau européen avec une politique monétaire
commune mal adaptée aux différences de conjoncture entre pays.
Les mécanismes d’ajustement en Union monétaire, entendus au sens large comme les
mécanismes permettant à un pays, après un choc, de retourner à la situation initiale, voire au
plein emploi, sont de plusieurs ordres. La flexibilité des salaires et des prix relatifs a été, s
le départ, mise en avant par les promoteurs de la monnaie unique pour servir de substitut, au
moins partiel, au taux de change (Commission européenne, 1990). La mobilité des facteurs,
particulièrement celle du travail, est présentée comme un autre mode d’ajustement potentiel,
conformément aux théories traditionnelles des zones monétaires optimales. Les politiques
budgétaires sont également susceptibles d’intervenir au niveau national, dans la limite des
marges de manœuvre fixées par le Pacte de stabilité, et au niveau fédéral, si le cadre
institutionnel le permettait. Enfin des marchés de capitaux bien intégrés, avec diversification
des portefeuilles, transferts de revenus du capital et crédits intra-zone, peuvent constituer un
dernier mécanisme d’ajustement important.
Ces questions ont donné lieu depuis les années 1990 à un grand nombre de travaux
empiriques qui relativisent la portée de ces mécanismes d’ajustement, particulièrement dans le
cas de la zone euro. La flexibilité des prix et des coûts relatifs ne permet qu’un rééquilibrage
incomplet et très lent. La mobilité inter-régionale de la main d’œuvre est très limitée en
Europe et, même dans le cas américain, son rôle doit être nuancé comme mécanisme
d’ajustement de court terme. La politique budgétaire a un effet stabilisant et redistributif dans
le cadre d’un état fédéral comme les Etats-Unis mais n’a pas d’équivalent dans le cas
européen.
Les mécanismes d’ajustement liés à des marchés de capitaux intégrés ont fait l’objet d’une
abondante littérature dans le cadre de l’approche du « risk sharing ». Ils sont largement
utilisés par la Commission européenne et la BCE pour plaider en faveur d’un
approfondissement de l’intégration financière au niveau de l’UE afin d’accroître le rôle du
canal financier et des mécanismes de marché dans les ajustements macroéconomiques face à
des chocs asymétriques. Une analyse des fondements théoriques et des résultats empiriques de
cette approche du « risk sharing » met cependant en évidence des limites importantes qui,
selon nous, rendent difficile de tirer des conclusions assurées.
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C’est pourquoi une approche différente s’appuyant sur les modèles « stock flux consistent »
(SFC) à deux pays s’inspirant des travaux de Godley et Lavoie (2006) et Lavoie (2003) est
proposée. Dans cette perspective un modèle SFC à deux pays en Union monétaire est
construit. Ce modèle décrit d’une manière complète les actifs et les passifs des deux
économies ainsi que la matrice des flux els et financiers qui les engendrent de riode en
période. Une analyse cohérente et explicite des ajustements réels et financiers est ainsi
obtenue, crivant, en particulier, pour chaque pays les revenus du capital (intérêts,
dividendes et gains en capital) ainsi que le financement intra-zone (obligations, bons du
Trésor, crédit). Plusieurs versions du modèle sont envisagées:
-un modèle sans actif financiers étrangers et sans crédit étranger,
-un modèle complet avec actifs et crédits étrangers mais le degd’intégration financière
peut être plus ou moins important (c'est-à-dire où la part des actifs financiers étrangers dans le
total des actifs détenus est plus ou moins grande),
-un modèle avec crédit international mais sans détention d’actifs étrangers et donc sans
revenus du capital provenant de l’étranger.
Ces différentes versions sont utilisées en simulation pour étudier les ajustements face à des
chocs affectant un pays (perte de compétitivité, chocs de demande). En comparant les
différents ajustements, il est possible de mesurer les coefficients de stabilisation des revenus
du capital étrangers (variables avec le degré d’intégration financière) et du crédit intra-zone.
Deux résultats, qui pourraient être confirmés par une calibration plus précise, se dégagent :
-la détention d’actifs étrangers a bien un rôle d’ajustement face à des chocs mais le coefficient
de stabilisation des revenus du capital est de l’ordre de 3 à 7% pour une part d’actifs étrangers
proche de celle qui est observée. Ce coefficient de stabilisation ne peut s’élever à près de 20%
que pour une part d’actifs étrangers dans le total des actifs se montant à 80%. Les coefficients
de stabilisation des revenus du capital sont donc d’un ordre de grandeur inférieurs à ceux
donnés par l’approche « risk sharing ».
-le recours au financement intra-zone ne semble en revanche avoir aucun rôle de stabilisation
spécifique. Les modèles, avec ou sans financement étranger mais toujours au sein de la zone
monétaire, donnent des résultats identiques. Ce sultat, indépendant des problèmes de
calibrage, est lié au fonctionnement du crédit au sein d’une union monétaire et au rôle clé joué
par le refinancement auprès de la Banque Centrale. Au sein d’une Union monétaire, les
crédits intérieurs ou étrangers sont de nature similaire. Il n’ y aurait aucun effet de
stabilisation supplémentaire à attendre du développement du crédit intra-zone euro,
contrairement à ce qui est espéré par la BCE et le Commission.
Le papier est organisé de la manière suivante. Une deuxième partie dresse un bilan rapide des
travaux empiriques sur les ajustements macroéconomiques au sein d’une union monétaire.
Une troisième partie retrace les grandes tendances de l’intégration financière au sein de l’UE
depuis les années 1990. Une quatrième partie présente la structure du modèle SFC à deux
pays en union monétaire. Ce type de modèle décrit d’une manière complète les actifs et
passifs de tous les agents (firmes, ménages, Etats) et distingue banques commerciales et
Banque centrale. Une cinquième partie donne les résultats des simulations face à des chocs de
demande ou d’offre (perte de compétitivité). Les coefficients de stabilisation des revenus du
capital et du crédit sont calculés. Une dernière section conclut.
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2. Les ajustements macroéconomiques au sein d’une union monétaire : une revue de
littérature
Les ajustements macroéconomiques au sein d’une union monétaire ont donné lieu à un
ensemble de travaux empiriques dont les principales conclusions sont les suivantes :
-La flexibilité des prix et des coûts relatifs en Europe ne permet qu’un rééquilibrage
incomplet et très lent (au delà de dix ans) face à des chocs d’offre ou de demande
asymétriques. Ce mécanisme ne peut donc servir de substitut au taux de change comme
variable d’ajustement (Mazier, Oudinet et Saglio, 2002 ; Mazier et Saglio, 2008). Des
résultats de même nature s’observent au niveau des Etats américains (Blanchard et Katz,
1992). Espérer qu’une plus grande flexibilité des marchés du travail et des produits obtenue à
travers des réformes structurelles permettrait d’améliorer les mécanismes d’ajustement est
largement illusoire. Les disparités de réaction entre pays européens face à un choc de même
ampleur apparaissent, par ailleurs, importantes en raison des différences structurelles et
institutionnelles existantes. Ces divergences sont des sources d’asymétries non négligeables
compliquant la conduite de la politique économique dans l’Union monétaire.
-La mobilité inter-régionale de la main d’œuvre jouerait un rôle rééquilibrant significatif dans
le cas américain, à la différence de ce qui peut prévaloir en Europe la mobilité est très
limitée (Blanchard et Katz, 1992). Une étude récente (L’angevin, 2007) montre que dans le
cas européen la mobilité de la main d’oeuvre aurait progressé au cours de la dernière
décennie, ce qui correspondrait à une forme de convergence avec le modèle américain. Ce
dernier résultat est cependant fragile car l’étude assimile l’immigration intra-européenne à
l’immigration totale, ce qui est bien différent. Plus généralement cette thèse sur le rôle de la
mobilité inter-régionale peut être contestée, même dans le cas américain les migrations
inter-régionales correspondent à des phénomènes permanents qui ne sont pas réversibles à
court terme et ne peuvent apparaître comme un facteur d’ajustement. De fait des simulations
macroéconomiques menées au niveau des Etats-Unis divisés en quatre grandes gions
confirment leur faible impact à court terme (Buiter, 1995 ; Mazier et al, 2002, 2007).
-Le rôle stabilisant et redistributif des politiques budgétaires serait important dans le cadre
d’un état fédéral comme les Etats-Unis. Selon différentes évaluations anciennes, le coefficient
de stabilisation du budget fédéral serait compris entre 15% et 28% (Pisani-Ferry et al., 1992 ;
Goodhart et Smith, 1992). Cette question, théorique dans le cas européen du fait de l’absence
de budget fédéral, a été reprise dans un cadre méthodologique renouvelé et élargi, celui du
« risk sharing ».
-Les mécanismes d’ajustement liés à des marchés de capitaux intégrés aux niveaux régional et
international ont fait l’objet d’une abondante littérature dans le cadre de l’approche du « risk
sharing » depuis la seconde moitié des années 1990. En s’appuyant sur des modèles
d’équilibre général dynamiques avec N économies ouvertes et des marchés financiers
incomplets, cette approche analyse comment la dynamique de la consommation peut être
reliée aux variations de la production en tenant compte des possibilités d’emprunts
internationaux et de diversification des portefeuilles internationaux. Le modèle général testé
successivement pour les Etats américains, les pays de l’UE ou de la zone euro et les pays de
l’OCDE est du type suivant, avec des variantes selon les méthodes utilisées (Asdrubali,
Sorensen et Yosha, 1996 ; Asdrubali et Kim, 2004, 2007 ; Kalemli-Ozcan, Sorensen et Yosha,
2004):
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ΔlogGDPit - ΔlogGNIit = aKt + bK ΔlogGDPit + uKit
ΔlogGNIit - ΔlogDGNIit = aFt + bF ΔlogGDPit + uFit
ΔlogDGNIit - ΔlogCit = aCt + bC ΔlogGDPit + uCit
ΔlogCit = aUt + bU ΔlogGDPit + uUit
bK + bF + bC +bU = 1
avec GDP= produit intérieur brut, GNI= revenu national brut, DGNI= revenu national
disponible, C= consommation, mesurés par tête et à prix constants
Le tableau 1 résume les valeurs obtenues pour les paramètres bi mesurant le « risk sharing »,
c'est-à-dire le coefficient de stabilisation, obtenu à travers les trois principaux canaux de
stabilisation identifiés :
-bK pour la stabilisation à travers les marchés internationaux de capitaux, c'est-à-dire à travers
les revenus de capitaux issus de la diversification internationale des portefeuilles qui se
retrouvent dans la différence entre le GDP et le revenu national brut GNI ;
-bF pour la stabilisation à travers les transferts fédéraux (fiscalité et redistribution) ou inter-
étatiques qui permettent le passage du revenu national GNI au revenu disponible DGNI; on
retrouve à ce niveau le mécanisme de stabilisation à travers les politiques budgétaires de type
fédéral précédemment évoqué ;
-bC pour la stabilisation à travers le crédit intérieur et international ; ce mécanisme de
stabilisation est peu clair et pose de nombreux problèmes d’interprétation, comme le
reconnaissent les auteurs des études ;
-bU pour le résidu, c'est-à-dire la partie qui n’est pas stabilisée.
Tableau 1: Coefficient de stabilisation « risk sharing » (en %)
EC AK EC MZ AK ASY MZ AK
bK21.2 5.4 18.1 -1.2 8.7 5 -0.5 39 24 35.8
bF6.3 3.9 4.3 -1.4 1.7 0 -0.5 13 13 15
bcg : 14.6
bcc : -11.4
bU57.1 86.5 62.7 79 42.9 80 78.7 25 39 35.8
Zone
euro
Zone euro 9
EU 15
bC
15.3
13.3
23.6
13.5
OCDE
USA
43
22.3
23
Source : EC, European Commission 1999-2006 (2007); AK, Asdrubali et Kim 1960-1990
(2004) ; MZ, Melitz et Zumer 1960-1990 (1999) ; ASY, Asdrubali et al. 1964-1990 (1996)
La stabilisation par les revenus du capital (bK) apparaît importante au niveau des états
américains (24 à 39%), faible au niveau des pays de l’OCDE (0 à 8%) et d’une ampleur
variable selon les estimations au niveau de l’Union européenne (0 à 18%) et de la zone euro
(5 à 21%). Ce mécanisme de stabilisation repose sur les revenus du capital provenant des
titres détenus à l’étranger par les agents intérieurs ou détenus dans d’autres états dans le cas
des Etats-Unis ou de l’UE. Il est d’autant plus important que le biais domestique dans la
détention d’actifs est faible, comme l’ont vérifié Sorensen et al. (2007). Le niveau élevé de
bK aux Etats-Unis refléterait une intégration financière approfondie avec une diversification
des portefeuilles au niveau de l’ensemble de l’espace américain. Assez logiquement ce
mécanisme jouerait beaucoup moins au niveau de l’ensemble des pas de l’OCDE le biais
domestique, bien qu’en recul, demeure important. Au niveau de l’UE les résultats sont plus
dispersés. En particulier, au niveau de la zone euro, le coefficient de stabilisation chute
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