Brodsky : Je suis assis à la fenêtre

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Brodsky : Ch’us assis à la fenêtre…
J’ai toujours affirmé que le sort est un jeu,
Pas besoin du poisson si on a le caviar.
Que le style gothique comme école sera vainqueur,
Comme façon de tripper sans se piquer et sans peur.
Ch’us assis à la fenêtre. En delà y’a un tremble.
Je n’ai aimé - mais fortement - que peu de monde.
Je croyais que la forêt n’est qu’une partie de la bûche.
Pas besoin de la fille si on a son genou.
Que l’oeil russe est las de la poussière du siècle,
qu’il se reposera sur la flèche estonienne.
Ch’us assis à la fenêtre. J’ai lavé la vaisselle.
J’étais heureux ici, je ne serai jamais tel.
J’écrivais que la veilleuse enferme l’horreur du sexe.
Que l’amour comme action est dépourvu de verbe.
Qu’à l’insu d’Euclide une chose réduite en cône,
Ne devient pas nulle mais Cronos la découvre.
Ch’us assis à la fenêtre, me souviens de ma jeunesse.
Je souris des fois, des fois je crache de dégoût.
J’ai dit que la feuille détruit le bourgeon.
Que la semence qui tombe dans la mauvaise terre
Ne donne pas de pousse ; que le pré et la clairière
Sont des exemples d’onanisme, donnés par la Nature.
Ch’us assis à la fenêtre, mes genoux étreignant,
Avec le poids de mon ombre pour seul compagnon.
Ma chanson fut dépourvue de toute mélodie,
Mais elle n’est pas faite pour être chantée en chœur.
Pas surpris que personne ne met pas comme prix
Ses jambes sur mes épaules pour de tels discours.
Ch’us assis dans le noir ; comme un train express
Derrière le store ondulé la mer gronde en détresse.
Citoyen d’une époque médiocre, j’admets, fier,
que mes meilleures pensées ne sont que produits secondaires,
et aux jours à venir je les offre comme expérience
Personnelle de la lutte contre l’étouffement.
Ch’us assis dans le noir. Et le noir n’est pas pire
Dans la chambre, que la noirceur à l’extérieur.
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