Jean-Pierre Blaché Lycée Gerbert
C’est la naissance de la science au XVII° siècle qui va définitivement ruiner l’idée de
Cosmos et d’équilibre : Galilée montre non seulement que la terre n’est pas le centre du
monde, mais surtout qu’il n’y a pas de centre du tout car le monde est infini, que le soleil
n’est qu’un soleil parmi tant d’autres. L’homme ne peut plus habiter le monde, il n’y a plus
une place. Descartes pense ainsi l’homme comme sujet pensant conscient, point d’Archimède
qui donne sens au monde (c’est l’idéalisme). Tout le sens dépend du sujet. Le sujet est res-
ponsable du sens. Le sujet ne peut plus chercher le sens de sa vie hors de lui —dans la beauté,
l’ordre et l’harmonie du Cosmos— : il doit trouver ce sens en lui, dans sa raison. C’est ce que
va théoriser Kant : seule l’obéissance à la loi de la raison en moi donne sens à la vie ; c’est
l’idée de devoir.
a. Le bonheur ne peut fonder une morale
Texte n°9 page 415 & 416
Kant montre d’abord que l’on ne peut pas prendre le bonheur comme principe moral de
conduite. Qu’est-ce que la morale ? C’est soumettre ma vie empirique (mon expérience hu-
maine) à un principe qui déborde l’expérience (ce que Kant appelle un principe a priori ce
qui veut dire indépendant de l’expérience). Je soumets ce qui est en fait à ce qui doit être. Le
bonheur peut-il être ce principe ? Kant répond non.
Pour une raison essentielle : le principe auquel je dois soumettre ma vie doit être détermi-
né or le bonheur est justement indéterminé.
L’idée de bonheur est en effet l’idée de la totalité présente et future du bien-être possible
pour un homme. Ce bien-être est constitué d’éléments empiriques (la richesse, la santé, les
honneurs, la connaissance, le plaisir, l’amour etc.) : ces éléments sont empiriques, ils ne peu-
vent donc être déterminés à l’avance par la seule raison, ils doivent être « rencontrés » et cette
rencontre dépend en partie de la chance (l’heur en vieux français), c’est un bon heur. Mais en
plus le bonheur suppose l’idée d’un Tout. Or comment un être dont la connaissance est limi-
tée (finie) peut-il penser cette totalité ? Et si je ne la pense pas comment puis-je l’atteindre, si
ce n’est par hasard (mais alors nous ne sommes plus dans la morale) ?
« On ne peut donc pas agir , pour être heureux, d’après des principes déterminés, mais seu-
lement d’après des conseils empiriques (…) » (Kant voir texte n°9 en bas de page 415)
Si le bonheur n’est pas le bien qui peut guider ma vie où trouver ce bien ?
b. La volonté bonne : seul bien absolu
Texte n° 7 page 401
Il nous faut d’abord distinguer le bien relatif (l’utile) et le bien en soi, absolu (le bien mo-
ral). Qu’est-ce qui pourra être dit absolument bon ?
Seule une volonté bonne est bonne absolument. Cela veut dire que le Bien moral n’est pas
à chercher hors de l’homme mais dans la volonté humaine. Si le Bien, l’Absolu était hors de
moi, soit il me faudrait le connaître et seuls les philosophes ou les sages pourraient être mo-
raux (c’est la morale platonicienne), soit il faudrait qu’il me soit révélé par la grâce divine,
mais ma moralité ne dépendrait pas essentiellement de moi (c’est la morale chrétienne, sur-
tout protestante) : pour Kant l’acte moral ne doit dépendre ni de ma connaissance ni de la
grâce, mais seulement de ma liberté. La moralité est donc à chercher dans l’intention de la
volonté.
Kant montre d’abord dans ce texte que tout ce qui m’est donné par la nature (qui ne dépend
donc pas de ma liberté, de ma volonté) n’est pas absolument bon. Les dons de la nature se
divisent en deux : les talents de l’esprit (discernement, aptitude à juger) et qualités du tempé-
rament (courage, décision) que l’on appelle souvent qualités « morales ». Ces talents et quali-
tés sont bons mais pas absolument car si la volonté est mauvaise —c’est la cas de l’individu
immoral, du brigand par exemple— ces dons de nature sont mis au service d’une action mau-
vaise. Distinguons au passage le tempérament qui est un don de l’esprit qui est ma nature et
le caractère qui est ce que je me fais par ma liberté (dans le langage courant nous appelons
caractère ce que Kant appelle tempérament) : par exemple on peut avoir un tempérament peu-
reux et par caractère (par devoir moral) devenir dans certaines circonstances courageux. J’ai
un tempérament, je suis mon caractère : je suis ce que je me fais.