1
Histoire des idées politiques
(L3 AGES, M. Le Masson, cours de 24 heures)
Ce cours d’histoire des idées politiques est centré sur la période contemporaine et est à
relier au cours d’histoire de la vie politique et sociale. Il en résulte le fait que bon nombre de
philosophies politiques ou de pensées politiques ne seront pas ici abordées.
Ce cours, s’appuyant sur l’ouvrage d’O. Nay, s’articulera autour de deux questions
donnant lieu à des prolongements dans l’histoire des idées politiques :
- la Révolution Française ;
- la société industrielle en question.
Il en résulte le fait que ce cours est essentiellement le travail de résumé de résumés.
Par ailleurs, ce cours a été réalisé dans l’urgence pour une année universitaire, il en résulte
une utilisation par trop massive de wikipédia, mauvais signe s’il en est.
Mais ce cours n’a qu’une seule ambition : celle de vous inviter à lire les auteurs
essentiels en histoire des idées politiques.
Plus pratiquement, il convient de relever que les étudiants en sciences économiques ou en
AGES, présentent dans les concours de la fonction publique un défaut de formation que ce
cours a prétention - dans l’absolu - de résorber.
Pour le formuler autrement, tout étudiant issu de la filière sciences économiques ou
d’AGES, qui travaillent sérieusement à la construction d’une culture générale en Histoire des
idées politiques, travaillent fondamentalement à la résorption de l’écart fondamental de
formation et donc de réussite entre les étudiants issus des IEP et eux-mêmes.
Bibliographie indicative
- D.G. Lavroff, « Les grandes étapes de la pensée politique », éd Dalloz, 1999.
- O. Nay « Histoire des idées politiques », éd A. Colin, 2004. (ouvrage conseillé).
- O. Nay, « Dictionnaire de la pensée politique », éd Dalloz,
- Ph. Nemo, « Histoire des idées politiques aux temps modernes et contemporains, éd
Puf, 2002.
- P. Ory, « Nouvelle histoire des idées politiques », éd Hachette, 1987.
- M. Prélot, G. Lescuyer, « Histoire des idées politiques », éd Dalloz.
- J. Touchard, « Histoire des idées politiques » (2 tomes), éd Puf, (rééd) 2006.
- J. Grondeux, Histoire des idées politiques en France au XIXème siècle
Au delà des ouvrages généraux, la lecture des auteurs s’impose, pour tous ceux qui
souhaitent « en savoir plus », mais là, la liste est infinie, ce qui ne suppose pas de ne pas
commencer.
2
Première partie :
La Révolution française
et
ses prolongements dans l’histoire des idées politiques
SECTION I : LE MOMENT REVOLUTIONNAIRE
Dans les interprétations de la Révolution française, deux thèses principales
s’affrontent :
- l’une consistant à considérer qu’elle est le fruit d’un héritage, qu’elle est le produit de
l’évolution des idées en particulier du développement des idées de Raison et
d’individu ;
- l’autre insistant sur la rupture entre la société d’Ancien régime et la nouvelle société
qui se dessine ; thèse plus particulièrement défendue par la mythologie républicaine.
I) Révolution française ou révolution atlantique
A) La convergence des révolutions
Nombre d’auteurs ont souligné que la Révolution française correspondait à un
mouvement universel de sortie de la féodalité. En cela, elle serait à situer dans le
prolongement des révolutions anglaises (1642-1649, 1688-1689), des soulèvements des
colonies américaines et à mettre en rapport avec le développement du système capitaliste et de
la bourgeoisie.
Document n°1
Les révolutions américaine et française « semblent ouvrir les portes d’un monde nouveau dans
lequel les hommes seront libres et égaux, pourront constituer le gouvernement de leur choix,
auront la possibilité de rechercher par les moyens qui leur paraîtront être le mieux adaptés le
bonheur auquel ils sont droit. C’est la fin du monde médiéval dominé par la religion et
l’autorité et le début du monde moderne caractérisé par la raison et la liberté. Les révolutions
américaine et française sont une étape importante dans l’évolution de la pensée politique car
elles sont l’aboutissement d’un mouvement de réflexion sur l’homme, sa nature et sa place
dans la société, qui s’était notamment développé depuis le milieu du XVIIème siècle avec la
philosophie rationaliste et les théories du droit naturel et qu’elles mettent en place les bases de
la construction d’une société nouvelle dont l’organisation sociale et politique est établie sur
l’idée que les hommes ont des droits qu’ils tiennent de leur nature même, auxquels personne
ne peut porter atteinte, et qu’il leur appartient notamment de choisir leur mode de
gouvernement.
D.G. Lavroff, « Les grandes étapes de la pensée politique », éd Dalloz, 1999, p.285.
B) La spécificité des contextes historiques
Pour d’autres auteurs, l’idée d’une révolution française marquée par la révolution
atlantique est contestable dans la mesure où les contextes historiques sont sensiblement
différents. Si les deux révolutions défendent un idéal de liberté, ils ne s’appuient pas sur les
mêmes références.
3
Document n°2
« Lorsque les colons se plaignaient du sort qui leur était fait par le gouvernement anglais, ce
n’était pas au nom de principes nouveaux dont ils souhaitaient l’application, mais en
invoquant les règles de la monarchie anglaise qui n’étaient pas respectées dans les colonies
américaines. Ce point est très important pour comprendre la signification de la révolution
américaine et la raison d’être des règles constitutionnelles qui ont été appliquées après
l’indépendance. Lorsque les colons américains lancèrent le slogan « No Taxation Without
Representation », ils ne faisaient que demander l’application des principes de la monarchie
anglaise, tel qu’ils avaient notamment été établis par la Magna Carta et par le Bill of Rights,
qui garantissaient qu’aucun impôt ne pourrait être prélevé sans que le Parlement en ait donné
l’autorisation ».
D.G. Lavroff, « Les grandes étapes de la pensée politique », éd Dalloz, 1999, p.289.
Document n°3 Révolution américaine et Révolution française
Si les Etats-Unis détiennent le record de la longévité dune Constitution écrite, la France se
révèle ainsi le plus grand producteur et consommateur de Constitutions du monde occidental.
A lorigine pourtant, lhistoire semblait ouvrir aux deux pays des voies identiques. Les
mêmes principes animaient en Amérique les chefs de la guerre dindépendance et en France
les leaders de la Révolution en marche. Les mes penseurs, les mêmes philosophes, les
inspiraient. Locke et sa théorie du contrat étaient présents dans tous les esprits. Montesquieu
guidait ici comme là les tenants de la séparation des pouvoirs. Les constituants qui se
retrouvaient à Philadelphie en ce printemps de 1787 étaient imprégnés de la philosophie
française des Lumières.
Rien de plus significatif à cet égard que la subtile exégèse à laquelle James Madison se
livrait en affirmant quil (Montesquieu) na jamais voulu dire quaucun de ces trois pouvoirs
ne puisse partager ou contrôler les actes des deux autres, pour mieux fonder le délicat
système de checks and balance de la Constitution américaine.
Phénomène exceptionnel de feed back intellectuel : la pensée des philosophes
français inspirait les constituants américains, et lexemple américain hantait à Paris tous ceux
qui rêvaient dune Constitution garantissant la liberté.
(...)Le constitutionnalisme, ce produit américain lon retrouve lesprit français, fait
fureur à Paris - et même à Versailles. Franklin, avec lassentiment de Louis XVI et contre le
voeu de ses ministres, fait éditer en France un recueil des Constitutions des Etats-Unis et en
offre à Versailles au roi lui-même un exemplaire superbement relié aux armes de lUnion. Les
écrits se multiplient sur les Constitutions américaines. Condorcet, le dernier des
encyclopédistes, lami de Voltaire et de DAlembert, comme de Jefferson et de Thomas
Paine, publie successivement les Considérations sur linfluence de la Révolution des Etats-
Unis et les Lettres dun Bourgeois de New Haven à un citoyen de Virginie.
Lexemple américain apportait en effet la preuve aux révolutionnaires français que
leur conception de lhomme et de la société civile et politique n’était pas seulement une
utopie, mais un modèle applicable à la réalité. Et comme ce modèle était à leurs yeux dicté par
la Raison, il avait valeur universelle et pouvait être mis en oeuvre partout, et dabord en
France, patrie des Lumières. Dès le 12 juillet 1789, La Fayette demanda à lAssemblée
constituante que, à lexemple des Constitutions des Etats américains, la Constitution française
fût précédée dune solennelle Déclaration des droits de lhomme et du citoyen.
Elle sera votée par lAssemblée constituante du 16 au 26 août 1789 - deux ans avant la
Bill of Rights américain.
4
Mais la réalité est têtue, et du modèle américain enfin on sait ce quil advint. Le
premier problème qui se posait aux constituants américains était de faire naître un Etat unique
de ce qui n’était quune confédération dEtats. Même partage entre Fédéralists et anti-
Fédéralists , pour lessentiel les constituants américains étaient sensiblement daccord : ils
partageaient une même foi dans la République, la souveraineté du peuple, la séparation des
pouvoirs, les libertés publiques et les droits des individus. Ils se méfiaient dun Etat trop fort,
dun gouvernement oppresseur.
Si leurs vues divergeaient sur les modalités techniques - rapport du président et du
Congrès, bicaméralisme, rôle du judiciaire, - ils navaient pas dopposition sur les principes
fondamentaux. Ajoutons, que pour la chance des Etats-Unis, rarement autant dhommes
éminents se sont trouvés réunis, comme de bonnes fées, autour du berceau dune Constitution.
En France, la situation était radicalement différente. Non que les talents individuels
fissent défaut à la Constituante, ni les personnalités puissantes. De Mirabeau à Sieyès ou à
Robespierre, bien des hommes qui allaient jouer un rôle décisif dans la Révolution étaient
présents aux Etats généraux réunis à Versailles en mai 1789, deux mois après que Washington
eut été élu président des Etats-Unis. Mais précisément, il ny avait pas en France de
Washington - quels que fussent les rêves de La Fayette - mais un roi, incarnation dune
monarchie héréditaire qui régnait sur la France depuis huit siècles.
Il ny avait pas de représentants dEtats locaux, jaloux de préserver leur souveraineté
et leurs droits, mais des représentants du clergé, de la noblesse et du tiers-état, ployés sous
lautorité dun roi absolu, héritier dune très ancienne monarchie, dont le gouvernement était
le plus fort et le plus centralisé de lEurope. Lappareil de lEtat ne comptait pas quelques
centaines de soldats et une poignée de fonctionnaires comme aux Etats-Unis, mais une armée
permanente de plus de cent mille hommes et une bureaucratie pléthorique. Enfin, ce roi était
de droit divin, cest à dire quil considérait ne tenir son pouvoir que de Dieu - et non du
peuple. Et ce pouvoir sappuyait sur lEglise catholique, dont la foi était religion dEtat et qui
détenait des richesses immenses.
Ainsi, les constituants américains avaient pour tâche de faire naître un Etat nouveau, à
partir de principes communément acquis. Alors que les constituants français avaient pour but
de changer une monarchie absolue de droit divin en une monarchie constitutionnelle,
respectueuse de la souveraineté du peuple et des droits du citoyen.
Ajoutons que, pour les constituants américains, la révolution et la victoire étaient déjà
acquises, tandis que pour les constituants français, la Révolution était à faire et la guerre des
souverains européens à la Révolution prévisible. Ainsi le système américain pouvait-il servir
de référence aux constituants de 1789, il ne pouvait servir de modèle parce quil n’était pas
transposable à la monarchie et à la société françaises.
On connaît la suite. La Constitution de 1791 emprunta aux Etats-Unis le principe
dune Déclaration solennelle des droits de lhomme précédant la Constitution et simposant au
respect du gislateur. Elle consacra la règle de la séparation des pouvoirs entre exécutif et
législatif, en donnant au roi le pouvoir exécutif et à une assemblée élue le pouvoir législatif.
Pour satisfaire les monarchistes, elle donna au roi sur les lois votées un droit de veto suspensif
inspiré de celui du président américain - en même temps quelle soustrayait ses ministres à
toute responsabilité politique devant lAssemblée. Elle créa un pouvoir judiciaire, élu, et
totalement indépendant des deux autres pouvoirs.
Mais entre les deux Constitutions lessentiel résidait dans les différences plus que dans
les ressemblances. Les Etats-Unis étaient un Etat fédéré. La France demeurait une monarchie
centralisée. Et surtout, entre les président des Etats-Unis et le roi de France, tous deux maîtres
de lexécutif selon les Constitutions, demeurait une altérité de nature plus encore que de
condition.
5
Entre un président élu pour quatre ans et un Congrès dont les représentants étaient soumis à la
réélection tous les deux ans et les sénateurs tous les six ans, les conflits devaient se résoudre
par la négociation et le compromis permanents. Et la Constitution américaine y pourvoyait par
un mécanisme subtil de checks and balance, et notamment par le veto présidentiel et le contre-
veto du Congrès.
Mais entre un monarque absolu et sacré, disposant en outre de pouvoirs considérables
et une Assemblée issue de l’élection, cest à dire se jugeant dépositaire de la volonté du
peuple, le conflit sil s’élevait, ne pouvait qu’être tranché par la force. (...) Et la monarchie
vaincue emporta dans sa chute la première Constitution et avec elle, les premières références à
lexemple américain.
R. Badinter, art : Lexemple américain, in Le Monde, 18 septembre 1987.
C) Les distinctions philosophiques et juridiques
On peut relever que les révolutionnaires américains portent une philosophie politique
bien différente de celle des jacobins. Ainsi, G. Washington est inspiré par les idées de
Montesquieu ou de J. Locke, ce qui débouche sur le fédéralisme, une volonté d’assurer une
intervention limitée du peuple et l’accent mis sur les droits concrets des citoyens au moyen du
développement de la justice.
Les jacobins de leur côté sont des défenseurs d’un Etat fort et centralisé et défendent
les droits abstraits des citoyens.
Il en sulte donc de profondes distinctions philosophiques et juridiques entre
révolution atlantique et révolution française même s’il convient de rappeler qu’une
interrogation est toujours posée, est-ce que la Révolution française est un bloc ?
Document n°4
"(...) l'avenir promis par la philosophie doit assurer "le plus grand bonheur du plus grand
nombre d'individus". Selon qu'on insiste sur la première partie ou sur la seconde partie de la
formule, les Lumières se présentent comme une philosophie de la liberté ou comme une
philosophie de l'égalité et débouchent sur la Révolution de 1789 ou sur celle de 1793" .
Delon (M.), art: "Bonheur", in P. Ory, « Nouvelle histoire des idées politiques, p.72.
II) Révolution bourgeoise ou révolution populaire ?
Parmi les grandes interrogations que l’on retrouve sur la Révolution française, il y a celle
de savoir si elle est l’œuvre de la bourgeoisie, de la bourgeoisie et du peuple ou du peuple.
A cette question, la mythologie républicaine répondait sans fard, pour Jules Michelet le
peuple en 1789 a pris son destin en main.
A) L’étude de la bourgeoisie révolutionnaire
Dans les analyses de la Révolution française, on trouve tout un courant qui insiste sur
le rôle des grands hommes, évidemment issue de la bourgeoisie. Cette approche roïque de
la Révolution française accorde donc une grande place aux meneurs mais également aux
forces obscures tel que représenté par l’ouvrage de l’abbé Barruel « Mémoires pour servir à
l’histoire du jacobinisme » (1796). Plus fondamentalement, ce courant correspond à une
certaine approche de l’histoire très en vogue au cours du XIXème siècle qui laissait peu de
place aux masses et dont le « Malet-Isaac » en est le plus illustre représentant, valorisant les
grandes figures de la révolution française.
1 / 115 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !