CINQUIEME ENSEIGNEMENT Jésus Christ est le centre et le sommet de toute notre vie de croyants et de toute la vie de l’Eglise. Toute notre foi part de lui, toute notre foi le regarde (dans tous les sens de ce mot) et première comme en dernière instance. Comme le projet des Samedis de l’Annonciation a été d’exposer et de travailler le fondement et la cohérence de notre foi chrétienne, il est normal de consacrer cette troisième samedi entièrement au mystère du Christ. C’est la Personne de Jésus Christ qui fonde notre foi. C’est également la Personne de Jésus Christ qui assure la cohérence de tout ce que l’Eglise propose de croire, et donc de tout ce que nous croyons de fait. Pour nous, Jésus est au centre et au sommet de toute notre vie religieuse, et par conséquent de notre vie tout court. Je le répète : pour nous, Jésus est au centre. Pour nous. Pas pour Dieu. Dans la Sainte Trinité, aucune des Personnes n’est à proprement parler au centre. Ce n’est pas le Père, à qui Jésus se réfère si souvent. Ce n’est pas l’Esprit Saint, même s’il est l’amour du Père et du Fils en Personne. Ce n’est pas non plus le Fils, même si le Père lui donne tout. Dans la Trinité Sainte, chaque Personne divine est toute tournée vers les deux autres et ne se comprend qu’en relation avec les deux autres : ainsi, aucune des Trois n’est à proprement parler au centre. Une Personne qui est tout don d’amour –et cela est vrai pour les Trois- ne peut se mettre au centre. Cela contient déjà une bonne leçon pour nous, qui sommes créés à l’image de Dieu : nous ne sommes pas au centre et nous ne devons pas nous y mettre. Nous sommes faits non pas pour nous-mêmes, mais pour les autres, à commencer par Dieu. C’est là que nous trouvons notre véritable substance et notre plus grande noblesse : en nous effaçant, pour aimer et servir ce qui est plus grand que nous. Dans les évangiles, Jésus le dit et le montre de bien des façons. Pour nous, Jésus est au centre de notre vie de chrétiens, parce qu’il est Dieu fait homme. Le Père, personne ne l’a jamais vu. L’Esprit reste l’Esprit : il ne s’incarne pas. Mais le Fils éternel du Père, à un moment précis de l’histoire, s’est fait homme, tout en restant Dieu, et il a dressé sa tente parmi nous. En lui seul Dieu et l’homme se rencontrent, se touchent et s’unissent. C’est pourquoi le mystère du Christ et le sommet de la révélation de Dieu. Toute la révélation divine d’avant comme d’après la venue de Jésus prend son sens par rapport à lui. Nous verrons cela plus en détail plus tard. D’un certain point de vue, il peut sembler étrange que je vous propose aujourd’hui un enseignement sur le mystère du Christ, pour la simple raison qu’il est fort possible que vous en savez plus que moi. Vous connaissez le Christ depuis le jour où vous vous êtes rendu compte de votre foi, et cela peut remonter à des dizaines d’années. A la mesure de votre foi, vous avez une réelle connaissance du Christ, connaissance qui va bien plus loin et bien plus profond de votre seule connaissance de l’évangile et de la doctrine de l’Eglise, aussi étendue ou aussi limitée que soit cette connaissance. Pendant de longs siècles, le plus grand nombre des chrétiens ont été assez peu instruits en matière d’Ecriture Sainte, pour des raisons pratiques d’abord. Prions en Eglise est un phénomène récent. Cela n’empêche que ces longs siècles ont donné un grand nombre de saints et de grands chrétiens qui ont vécu dans une profonde amitié avec Jésus. Oui, vous connaissez le Christ, bien plus que vous le pensez, bien plus que vous pouvez le dire. Saint Jean y insiste beaucoup dans sa première lettre, qu’il a écrite bien avant que les évangiles soient accessibles à tous. Même un petit enfant peut connaître le mystère de Jésus dès que quelqu’un lui apprend d’être attentif à sa présence. Dans une exultation magnifique et en même temps troublante pour les adultes que nous sommes, Jésus a remercié le Père de révéler aux tout-petits ce qu’il cache 1 aux sages et aux savants [Mt 11, 25]. Je ne pense pas que Jésus exalte la naïveté propre aux petits enfants. Le petit garçon de l’excellente question n’avait rien de naïf. Il ne simplifiait rien, et allait tout de suite à l’essentiel. Il existe bien évidemment une naïveté, pour ne pas dire une loufoquerie enfantine. Ils font parfois des raccourcis étonnants. J’ai lu l’histoire d’une femme qui avait passé deux ans dans un monastère, auprès de son oncle moine. C’était la guerre, et la famille avait été dispersée. Elle raconte comment elle vivait les processions du Saint-Sacrement, l’hostie consacrée dans un ostensoir, portée par le père abbé, entouré de ses moines et d’une petite fille, dans le cloître de l’abbaye. La petite fille n’avait aucune difficulté à croire que le petit rond de pain blanc était en réalité le corps du Christ. Pour elle, cela allait de soi. Son argumentation n’avait rien de théologique ; elle se disait que si une grenouille pouvait être en réalité un prince, alors rien n’empêcherait de croire que l’hostie était vraiment le corps de Jésus. Magnifique théologie loufoque ! L’argumentation de la petite fille n’était vraiment pas valable –la grenouille n’est pas sacrement du prince- mais sa foi était authentique. Dans sa conclusion, la petite ne se trompait absolument pas. Elle a dû vivre les processions avec une ferveur dont les moines, et surtout les moines théologiens, ne pouvaient que rêver. Les moines théologiens pouvaient sans doute faire de doctes conférences au sujet de la transsubstantiation des espèces eucharistiques, mais si leur foi n’était pas comme celle des petits enfants, cela ne les approcherait pas davantage du Christ. La foi est simple dans son objet. Nous croyons en Dieu, et Dieu est tout à fait simple ; aucune complexité, aucune composition ou division en lui. A la limite, nous pourrions arrêter le credo après les quatre premiers mots : « je crois en Dieu ». Cela implique déjà tout le reste. J’ai lu quelque part l’histoire d’une religieuse qui était incapable de dire le Notre Père au-delà des deux premiers mots ; rien que de s’adresser à Dieu en l’appelant Notre Père la saisissait tellement dans sa foi qu’elle n’arrivait pas à dire la suite. Au ciel, nous verrons dans la simplicité ce que nous croyons actuellement dans la complexité. Cette complexité vient de nous, de notre façon humaine d’appréhender les choses qui sont portées à notre connaissance. Notre connaissance se déploie dans le temps ; elle mûrit et s’approfondit, ou se néglige et s’effrite, au cours de notre vie. Notre connaissance s’exprime d’une façon complexe, par des affirmations, des négations et des raisonnements. C’est naturel. A la question en qui nous croyons, notre réponse peut être simple : en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. A la question ce que nous croyons de Dieu, la réponse est forcément complexe. On peut dire : je crois de Dieu tout ce que Dieu a révélé de lui-même et de son projet pour les hommes. Mais ce qu’il a révélé de lui-même et de son projet pour les hommes est beaucoup de choses : toute l’histoire que nous avons vue lors de notre dernière rencontre, et tout ce que la communauté des croyants en a retenu. C’est énorme, et nous avons tous besoin, dans une mesure ou dans une autre, d’expliciter tout cela, de l’éplucher spirituellement, et de l’exprimer dans des paroles, des gestes de prière, des célébrations. L’élan direct du cœur croyant vers Dieu est toujours présent dans nos actes de foi, mais nous ne vivons jamais cet élan de façon consciente. Parfois on s’en rend compte après coup. C’est assez rare, ce genre d’expérience spirituelle forte ou rien ne semble se mettre entre Dieu et nous, mais cela existe, et tous ceux qui croient l’ont vécu au moins une fois. Mais, comme je viens de dire, on ne s’en rend compte qu’après coup, parfois longtemps après. Dieu était là, et je ne le savais pas, dit Jacob après son premier songe, où Dieu se tenait près de lui [Gn 28, 16]. Notre cœur n’était-il pas brûlant au-dedans de nous, se disent les disciples d’Emmaüs une fois que leur mystérieux compagnon avait disparu de devant eux [Lc 24, 32]. Dieu nous donne parfois de vivre la rencontre avec lui sans que nous soyons dispersés par des préoccupations autres que Dieu lui-même, sans même que nous ne soyons préoccupés de la qualité de notre prière, et même sans que nous ayons cherché à prier. C’est exceptionnel, mais 2 c’est suffisamment puissant pour fortifier la foi pour le restant de ses jours. Dans bien des cas, c’est même le début de la foi proprement dite. Ces expériences de rencontre avec Dieu, où rien ne semble s’interposer entre Dieu et le croyant existent, mais elles ne sont pas la règle de notre vie de foi et de prière. Normalement, c’est bien plus laborieux. La vie chrétienne n’est pas un sport, mais elle demande quand même de sérieux efforts et un vrai entrainement. C’est là que les paroles de la foi, celles de la Bible, celles de l’enseignement de l’Eglise, celles aussi de la liturgie et de la piété populaire, nous donnent des béquilles pour nous approcher de Dieu. Habituellement, notre vie chrétienne est beaucoup plus marquée par la complexité de la nature de l’homme que de la simplicité de la nature divine. Et cependant, cette simplicité est toujours présente. Que ma prière soit un sommet mystique ou que je me batte contre une quantité de distractions de tout genre ou des préoccupations sans réel intérêt, je rencontre Dieu quand je le cherche. En Jésus, Dieu se dit et se donne à l’humanité autant qu’il peut le faire. En des termes plus théologiques on peut dire que pour nous, Jésus Christ est la source et le sommet de la révélation et de la grâce de Dieu. Jésus est surtout quelqu’un. Quelqu’un qui est venu à notre rencontre. Quelqu’un que nous connaissons mais qui nous échappe en même temps. Quelqu’un qui est un mystère. Je pense que ce mot de « mystère », que j’ai déjà employé plusieurs fois, mérite un peu d’explication. L’ancien catéchisme définissait un mystère comme « une vérité qu’il faut croire, et que la raison ne peut pas comprendre ni découvrir par elle-même ». Comme beaucoup de définitions de l’ancien catéchisme, celle-ci est formellement exacte, mais en même temps très sèche. Elle ne suscite pas vraiment de ferveur, ni même un début de fascination. Un mystère, dans le sans religieux, est ce qui est révélé. Nous parlons non seulement du mystère du Christ, mais aussi du mystère de la Trinité, le mystère de Pâques, le mystère du salut, des mystères du Rosaire. Autrefois, les mystères désignaient les sacrements, et notamment celui de l’eucharistie. J’ai lu quelque part une définition plus aguichante : le mystère du christianisme est celui de la vie intime de Dieu et la vie intime de l’homme associée par grâce à cette vie intime de Dieu. Cela reste un peu « abstraitement » théologique, mais c’est déjà beaucoup mieux que la première. Si le petit garçon était théologien, la religieuse aurait pu lui réponde comme ça, parce qu’avec sa question si simplement posée : « Dieu, il est comment ? », le petit garçon cherchait à découvrir la vie intime de Dieu au sein de sa propre vie intime, rien que cela… Vous voyez encore une fois à quel point sa question était cruciale. Ce qui répond à sa question, c’est ce que nous appelons le mystère, et surtout le mystère du Christ, qui rassemble pour nous tous les autres mystères de la foi. Et le mystère du Christ n’est pas une abstraction ou une théorie, mais quelqu’un. Je ne peux m’empêcher de rapprocher la question du petit garçon à la requête des grecs, qu’on trouve à un moment décisif de l’évangile de saint Jean. C’est juste après l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Quelques grecs –des païens, des non-juifs- étaient là ; ils priaient le disciple Philippe en disant : Nous voudrions voir Jésus. Philippe n’a pas répondu : « vous êtes bien trop curieux ». Non : avec son frère André, il informe Jésus de la demande. Et Jésus de réagir en disant : Elle est venue, l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme ! [Jn 12, 2022]. La demande des grecs déclenche ou inaugure ce que Jésus appelle son heure, cette heure même que Marie, sans succès, avait voulu précipiter un peu lors des noces de Cana. Cette heure va être le sommet de la révélation : la révélation de la gloire dans la passion, la mort et la résurrection de Jésus. Le mystère de Pâques. 3 Un mystère, c’est autre chose qu’un problème. Un problème est formulé par l’homme. Le mot « problème » vient du grec, et veut dire « rempart », comme le repart que dresse un régiment pour mieux assaillir les fortifications de l’ennemi. Au problème répond une solution, qui n’est pas immédiatement trouvé –c’est pourquoi un problème a quelque chose de mystérieux. Une fois la solution trouvée, le problème disparaît. Le mystère n’a pas de solution et ne disparaît jamais. Un mystère, c’est encore autre chose qu’une énigme. Le mot « énigme » vient également du grec, et veut dire « parole obscure » ; dans le langage courant, ont dirait un puzzle. A l’énigme répond une clé, qui résout l’énigme, qui dès lors n’a plus aucun intérêt. Le mystère n’a pas de clé, ne se décrypte pas et ne perd jamais son intérêt, mais il continue à fasciner. Le mot « mystère » vient aussi du grec ; il est dérivé d’un verbe qui veut dire « rester muet ». Le mystère est ce qui laisse bouche bée ; l’esprit ne peut pas l’étreindre, ne l’éteindra jamais, et malgré cela le mystère fascine, attire et curieusement repose ce même esprit. Certains courants de pensée disent que le mystère n’est que provisoire, et qu’à un stade plus avancé de son développement l’esprit humain finira bien par englober ce qui se présente pour l’instant comme un mystère. Autrement dit, c’est l’esprit qui donnera finalement son sens au mystère, et non pas l’inverse. C’est l’option de mon oncle qui après trois whiskys a donné le dernier mot sur le mystère de l’Arche de l’Alliance. Un ou deux whiskys de plus, et il serait devenu tellement lucide qu’il aurait décrypté la Sainte Trinité une fois pour toutes. D’autres courants, plus récents, concluent que le mystère appartient à la catégorie de l’absurde. Autrement dit, le mystère n’a pas de sens. Jean-Paul n’est pas d’accord avec ces deux idées. Pour lui, Marguerite est un mystère. Il l’a dit à Michel-aux-pectoraux-saillants et à Edouardde-l’héritage, mais ils n’ont pas compris. Ils ont rigolé. Ils on rigolé parce qu’ils n’aiment pas Marguerite comme Jean-Paul l’aime, parce qu’ils ne savent pas écouter, et peut-être parce qu’ils sont jaloux. Jean-Paul n’a pas dit qu’il ne comprend rien à sa femme. Il la comprend suffisamment pour avoir voulu passer sa vie avec elle. Mais il la découvre toujours plus, toujours plus profondément. Il découvre en elle des richesses qu’il n’avait même pas soupçonnées auparavant. Bien évidemment, il ne peut pas expliquer tout cela en détail à Michel et à Edouard, d’un côté parce que cela ne les regarde pas, et de l’autre parce qu’il ne le peut pas. Il a seulement dit à ses amis qu’il reste bouche bée d’émerveillement devant Marguerite, cette femme aux apparences si ordinaires. Il y a quelque chose d’inépuisable en elle. Pourvu que cela reste inépuisable ! Ce n’est pas pour rien que Jean-Paul ne boit pas de whisky. Il faut que Marguerite reste un mystère. Pour Michel et Edouard, c’est absurde –ce qui prouve bien qu’il valait mieux que Marguerite ne les épouse pas. Je voudrais terminer ce petit expose sur le mystère par une réflexion que Claudel a faite à Baudelaire. Le fond de la poésie, écrivait Claudel, ce n’est pas plonger au fond de l’infini pour trouver du nouveau, mais plonger au fond du défini pour y trouver de l’inépuisable. Ce que Claudel dit de la poésie, nous pouvons le dire du mystère, et quel que soit le mystère. Le mystère ne se présente jamais comme quelque chose d’infini, mais toujours comme quelque chose de défini. Le mystère a des contours précis. Marguerite est bien Marguerite. Elle n’est pas infinie. Elle se présente comme une femme née telle année à tel endroit, avec telle histoire et tel état de santé. Elle a une identité. Elle est repérable, même si elle a une sœur jumelle. Elle est définie et ne se confond avec personne d’autre. Au fond du mystère, il n’y a pas du nouveau mais de l’inépuisable. Le nouveau est provisoire. Rien n’est toujours nouveau. L’inépuisable, en revanche, est toujours inépuisable. Le mot le mieux choisi dans la phrase de Claudel (les poètes ont le talent de trouver les mots qu’il faut !), me semble-t-il, est le verbe « plonger ». On n’entre dans le mystère qu’en se laissant immerger. Il faut que l’esprit perde pied, et renonce à sa tendance de tout vouloir maîtriser. Devant le mystère, ou mieux : dans le mystère, l’esprit ne maîtrise rien. Il ne fait que recevoir. Il reçoit ce qu’il n’aurait jamais pu atteindre ou produire par lui-même. Cette perte de maîtrise n’est pas la démission de l’esprit. 4 Bien au contraire : l’esprit, c’est notre capacité de connaître et d’aimer, et cette capacité est illimitée. Elle n’est même pas limitée par elle-même ! Nous retrouvons ici l’image du lac. Tant qu’on reste sur le bord, on ne voit que la surface, on ne voit que le défini, pour reprendre le mot de Claudel. Une fois qu’on plonge, on trouve l’inépuisable. L’autre image qui dit d’une autre façon ce qu’est le mystère est celle du frigo. Papa peut raisonner autant qu’il veut, et il n’a même pas tort. Tout ce qu’il dit « tient » à son niveau propre –celui du spectateur, ou du badaud... Il n’est pas rentré dans le frigo pour découvrir le secret de la tranche de jambon. Le mystère n’est pas une connaissance ou une lumière que nous possédons, mais une connaissance ou une lumière qui nous possède. Tant qu’on n’est pas dedans, le mystère –tout mystère- apparaîtra comme un problème que malheureusement nous ne pouvons pas résoudre pour l’instant, sinon comme quelque chose d’absurde. Dès qu’on est dedans, on y trouve l’inépuisable. Le mystère tient de la révélation ; révélation progressive d’une personne que nous aimons, ou encore de la Révélation divine. Ce que dit le mystère ne vient d’aucune façon de nous-mêmes. Comme le dit saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens : La sagesse dont nous parlons n’est pas une sagesse du monde ou des puissances de ce monde voué à la disparition. Ce dont nous parlons, c’est une sagesse de Dieu mystérieuse, tenue cachée ; elle est celle que Dieu a d’avance destinée pour notre gloire. [Nous annonçons] ce que l’œil n’a pas vu et que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme : tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment [1 Co 2, 6-9]. Le mystère révélé vient de Dieu et de Dieu seul. Ce n’est pas l’homme qui a été assez malin et astucieux pour découvrir par lui-même les mystères de Dieu –c’est la grande tentation de la tour de Babel-, mais Dieu qui sort librement et gracieusement de son silence pour se révéler à ceux qui sont assez petits pour l’écouter avant de conclure quoi que ce soit. L’expression du mystère révélé est bien l’œuvre de l’homme (c’est la question du dogme, que nous verrons dans un mois), mais le mystère révélé lui-même est l’œuvre exclusive de Dieu. Personne n’a attendu ce que Dieu allait révéler. Personne ne l’a même soupçonnée. Personne n’a pu le calculer en regardant les étoiles. Ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment n’est pas monté au cœur de l’homme. Alors l’homme n’a qu’une chose à faire : écouter. Non : deux choses : écouter et plonger. Pour nous, le mystère qui est au centre de tous les mystères de la foi est le mystère de Jésus Christ. Tous les autres mystères de la foi trouvent leur place, leur cohérence et leur sens à la lumière du mystère du Christ. J’ai bien dit : pour nous, parce que de façon absolue, le mystère des mystères est celui de la Très Sainte Trinité. C’est le Christ, et personne d’autre, qui nous a révélé le mystère de la Trinité ; c’est lui également, et personne d’autre, qui nous permet de nous y plonger pour partager la vie intime de Dieu au cœur de notre vie intime à nous. Jésus Christ est l’unique médiateur de la nouvelle et éternelle Alliance. Il est l’unique médiateur entre Dieu et nous. C’est lui qui nous a permis de recevoir l’Esprit Saint en nos cœurs. Jésus est en Personne la rencontre et le lien entre Dieu et l’homme, entre Dieu et les hommes, et des hommes entre eux. Traditionnellement, les théologiens distinguent dans le mystère du Christ le mystère de l’Incarnation (une Personne divine prend la nature humaine) et le mystère de la Rédemption (cette même Personne, par la suite, réconcilie les hommes avec Dieu par sa mort et sa Résurrection). Liturgiquement, on dirait : Noël et Pâques. Je propose une autre distinction, qui nous permet de voir et de méditer ces deux mystères. Dans les premiers siècles, Jésus a été proclamé et célébré selon deux « titres » : Fils de Dieu et Sauveur. Ce sont ces titres qui sont derrière le symbole chrétien primitif du poisson. En grec, « poisson » se dit « ichthus », et les lettres grecs qui composent ce mot sont les initiales 5 du titre de Jésus : I : Ièsos ; Ch : Christos –jusque là vous suivez… mais continuons : Th : Théou (« de Dieu ») ; Y : huios (« le fils) ; S : sôtèr (« le sauveur »). Il semblerait que le symbole du poisson était à une époque (celle des premières persécutions sans doute) l’insigne secret des chrétiens. Ce n’est pas un mystère, ce poisson, mais une énigme, un puzzle ; il y a une clé permettant de passer du poisson au Seigneur Jésus. Peut-être aussi qui le poisson évoquait quelques scènes des évangiles ; il y en a plusieurs, souvent annonciateurs du mystère de l’Eglise. Jésus est bien l’un et l’autre : Sauveur et Fils de Dieu. La prière dite « de Jésus » de la tradition orientale, une prière jaculatoire avec de vieilles lettres de noblesse, y insiste : Jésus, Fils de Dieu, Sauveur : prends pitié de nous, pécheurs. Un concentré de l’essence de la vie chrétienne. Pour nous, Jésus est tout d’abord Sauveur. En lui-même, il est d’abord le Fils éternel du Père. Jésus est Sauveur des hommes, il est Fils de Dieu. C’est pourquoi nous donnerons dans notre exposé la priorité au mystère de Jésus Sauveur des hommes. Non pas que ce mystère serait plus important que le mystère de Jésus Fils de Dieu. Les deux vont de fait ensemble : c’est le Fils qui nous sauve. Mais par rapport à nous, les deux mystères ne se situent pas tout à fait au même niveau. Nous découvrons Jésus d’abord comme notre Sauveur, pour découvrir ensuite que ce Sauveur est Fils de Dieu. Pour le dire autrement : le salut est plus concret et plus immédiat pour nous que le mystère du Fils. Bien évidemment, le salut des hommes trouve sa source dans l’amour de Dieu, l’amour trinitaire du Père, du Fils et du Saint Esprit, mais cette source n’est pas ce que nous découvrons ou expérimentons en premier. Par ailleurs, Dieu aurait pu nous sauver autrement que par la mort et la Résurrection de son Fils. Il aurait pu nous sauver en claquant les doigts, si vous voulez ; mais il a voulu nous sauver comme il l’a fait : par la venue de son Fils « dans la chair », par sa mort et sa Résurrection. Il faut donc distinguer le salut de sa modalité, c'est-à-dire de la façon dont ce salut a été réalisé. La nécessité d’un salut est expérimentée par chaque homme, croyant ou pas. La façon dont Dieu nous sauve relève du mystère révélé. Avant de nous demander ce qu’est le salut, demandons-nous de quoi nous devons être sauvés. Etre sauvé, c’est se faire sortir d’une situation périlleuse dont on ne peut pas se sortir par ses propres moyens, et qui risque de nous être fatale. On peut penser à un sauvetage en mer : sans le secours des sauveteurs, on est perdu. Quelle est donc cette situation périlleuse, cette situation de perdition dont Dieu veut nous sauver ? Cette situation doit concerner tous les hommes, et non pas seulement quelques-uns. Nous voici de nouveau en face d’un mystère que saint Paul appelle « le mystère de l’impiété », plus communément appelé le péché. Dieu nous sauve du péché. Tous les hommes ont péché ; tous sont privés de la gloire de Dieu. Et tous sont justifiés gratuitement par le salut qui est en Jésus Christ [Rm 3, 23-24]. Voilà en quelques mots le mystère du salut. Le salut est motivé d’un côté par le péché, et de l’autre, plus profondément, par l’amour de Dieu révélé dans le mystère du Christ. Plus poétiquement, le prêtre Zacharie, le père de saint Jean Baptiste, chante après la naissance de son fils : Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut : tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en-haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix [Lc 1, 76-79]. Quand nous parlons ici de péché, il ne faut pas s’imaginer une petite bêtise, une maladresse ou un manque occasionnel de délicatesse. Ce n’est pas le péché dont on s’accuse en confession. Ici, le péché désigne une faille très profonde dans la nature de chaque homme. 6 Une faille qui prive l’homme de l’aplomb ou de la solidité qu’il devrait avoir. Une faille qui explique pourquoi nous ne faisons pas toujours spontanément, volontiers et jusqu’au bout ce qu’il fallait faire. Une faille qui rend la vie laborieuse, et la mort douloureuse. Une faille par laquelle s’infiltrent tous les prétextes pour faire le mal. J’emploie beaucoup d’images : c’est difficile de faire autrement quand on est en face d’un mystère. J’espère que vous voyez que ce péché dont je parle, n’est pas une défaillance ou une imperfection morale. Il y en a bien une, mais elle en est une conséquence parmi d’autres. Ce péché dont je parle est bien plus fondamentale ; il affecte notre être même. Il s’appelle en théologie le péché originel, et c’est un dogme. Nous ne l’expérimentons pas en lui-même, mais nous en voyons les conséquences dix fois par jour, pour peu qu’on y soit attentif, et surtout chez les autres –ce qui est encore un effet du péché originel. Comme disait le cardinal Newman, grand théologien anglais du XIXe siècle : de tous les dogmes de l’Eglise, celui du péché originel est le plus évident. Le péché est l’origine directe du mal. Je dis bien l’origine directe, et non pas l’origine ultime ou absolue. La Bible présente ce mystère sous une forme quelque peu légendaire dans les premiers chapitres de la Genèse ; vous en connaissez le récit : Adam, Eve, le serpent et le fruit défendu. Ce récit s’inspire de plusieurs traditions et tâche de répondre à la question du mal. Vous ne serez plus étonnés d’apprendre qu’il a été rédigé à l’époque de l’exil, quand le peuple d’Israël vivait une misère sans précédent. Le récit n’a pas de prétention historique ; c’est peine perdue que de partir à la recherche du crâne d’Adam. C’est un récit de sagesse, et il est inspiré. Le récit de la chute nous apprend en substance que dès les origines, l’homme s’est volontairement détourné de Dieu pour devenir son propre maître, le maître de son propre destin. Il a coupé le lien d’amitié naturelle qui le liait à son Créateur. D’où la faille, que la Genèse illustre par le renvoi du paradis, la mort désormais inévitable et la peine du labeur pour l’homme dans son travail et pour la femme dans sa maternité. L’homme reste cependant pardonnable, contrairement au serpent qui a inspiré l’orgueil et la désobéissance. Le péché originel, que le premier homme a transmis à toute sa descendance, n’est pas à comprendre comme une sorte de maladie sexuellement transmissible. Il est plutôt de l’ordre de la privation ou du manque : c’est ce qui n’est pas transmis de génération en génération, parce que le premier homme l’a perdu. Il a choisi de s’en séparer. Nous en connaissons les conséquences. Nous les subissons, et chaque fois que nous faisons un péché personnel, nous en sommes complices. La théologie de la réforme protestante présente le péché originel comme la perversion radicale de la nature humaine. La tradition catholique est plus modérée : le péché originel a blessée la nature humaine ; celle-ci reste dans une certaine mesure capable du bien. Il me semble d’ailleurs que la suite du récit de la chute l’illustre. Savez-vous quelle est la première chose que font l’homme et la femme après leur renvoi du paradis ? Ils s’accouplent. On peut y voir l’emprise sexuelle conséquence du péché originel (la « concupiscence »), mais aussi un acte d’obéissance à Dieu. Dieu n’avait-il pas donné comme commandement que l’homme et la femme soient féconds et qu’ils se multiplient ? L’homme connut Eve ; elle conçut et enfanta Caïn, et elle dit : j’ai acquis un homme de par le Seigneur [Gn 4, 1]. On voit encore qu’Eve a gardé une lucidité surnaturelle de l’intelligence, quand elle reconnaît que Dieu a été impliqué dans l’apparition d’une nouvelle vie humaine ; celle de son premier fils. En se séparant de Dieu, dans l’ambition de devenir comme Dieu, l’homme est devenu « dérangé » dans son être et désorienté dans la liberté. D’où la possibilité et la franche tendance de prendre le mal pour le bien. L’univers entier en a souffert, puisque dans le dessein de Dieu, l’homme devait être le maître et l’intendant de la création par mandat divin. Avec la faute, tout est par terre ; pas anéanti, ni maudit à jamais, mais par terre, en mille morceaux. Quand la relation fondamentale est compromise, tout le reste perd sa consistance et 7 son sens. Quand la pierre centrale d’une voûte est pulvérisée, la construction s’effondre ou du moins elle devient terriblement fragile et doit travailler dans tous les sens pour garder un semblant d’équilibre. Quand l’un des époux trahit l’autre et persiste dans sa trahison, la relation fondamentale, celle qui devait donner à tous les autres aspects de la vie leur place, leur force et leur sens, est compromise ; les effets sont terribles. Cette dernière image n’est peut-être pas tout à fait appropriée, parce que les cas de séparation de couples sont bien plus complexes que la faute originelle, et les torts sont souvent partagés. La faute originelle est bien une sorte de divorce, la cassure d’une relation sainte, non pas par consentement mutuel, mais par l’obstination d’une des parties, séduite par l’idée de « refaire sa vie », comme on dit aujourd’hui. Refaire sa vie indépendamment de Dieu. L’histoire a montré, et montre quotidiennement, où cela mène. Et nous ne sommes pas des spectateurs détachés et neutres. Le salut est fondamentalement la réconciliation entre Dieu et les hommes. On s’imagine spontanément que le salut est une sorte de remise en état, Dieu recollant les morceaux de l’homme et de l’histoire. Quand Dieu sauve, tout devient comme avant la chute, comme si rien ne s’était passé. Cette idée est fausse. Dieu ne fait pas de nous autres pécheurs des Adam et des Eve innocents de nouveau et « comme neufs ». Le mystère du Christ contredit cette conception. En Jésus, Dieu prend terriblement au sérieux les conséquences du péché. Pas une seule fois on voit Jésus, dans les évangiles, faire le détour de la souffrance, de la misère, de l’ignorance et de la mort. Ces situations-là paraissent plutôt l’attirer. Parmi toutes les attitudes de Jésus, celle qu’on appelle la miséricorde prend un relief particulier. Avant de faire un miracle, Jésus est touché par la misère qu’il voit. Jamais il n’agit sans cette miséricorde qui lui « remue les tripes » comme on dit un peu vulgairement mais tout à fait bibliquement. Les évangiles apocryphes, c'est-à-dire ceux que la communauté chrétienne n’a pas retenus et transmis comme d’authentiques témoignages de la vie du Christ, présentent justement un Jésus qui fait des miracles plus spectaculaires les uns que les autres sans qu’il y ait question de cette besogne qu’est la miséricorde. Dans nos quatre évangiles canoniques, Jésus regarde la souffrance droit dans les yeux, et chaque fois il se laisse toucher. Il est vrai que Jésus n’a pas empêché les misères d’arriver. Il n’aurait pu le faire sans priver l’homme de sa liberté. Dans le récit de la résurrection de Lazare, au chapitre 11 de l’évangile de saint Jean, les juifs se disent : lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? [Jn 11, 37] L’une des sœurs de Lazare fait un reproche qui va dans le même sens, quand elle dit à Jésus : Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort [Jn 11, 32]. Jésus laisse le travail de la mort prendre son cours, pour faire quelque chose de beaucoup plus grand. Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, dit Jésus à Marthe, l’autre sœur de Lazare, ne t’ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu ? [Jn 11, 40]. Vous connaissez la suite : Jésus rend à Lazare la vie qu’il avait auparavant. Ce n’est pas à proprement parler une résurrection, mais un retour à la vie, une réviviscence. Nous verrons plus tard comment la résurrection est autre chose qu’un retour à la vie. Dans les évangiles nous ne voyons pas Jésus résoudre le mystère du mal. Pour Jésus, ce n’est pas un mystère. Nous voyons Jésus s’approcher de personnes concrètes qui souffrent concrètement : nous ne sommes pas dans des abstractions théoriques. Jésus se montre particulièrement concerné, pour ne pas irrésistiblement attiré, par sa créature déchue dans sa situation de misère. Non pas par complaisance avec la misère, mais par amour. Du mystère du salut, la miséricorde de Dieu est la principale motivation. Dieu n’a rien à y gagner, à proprement parler. Et nous, nous avons tout à y gagner. Dieu nous sauve pour la même raison qu’il nous crée : par amour pour nous. Parce qu’il est Amour. Ainsi il est, ainsi il agit, ainsi il se révèle. 8 Jésus n’empêche pas les situations de misère d’arriver, mais il s’en sert en quelque sorte pour manifester ce qu’il appelle la gloire de Dieu. Cette notion de gloire jalonne tout l’évangile de saint Jean. Le mystère du mal est comme englobé et transfiguré dans le mystère de la gloire. Le salut de l’homme sert la gloire de Dieu ; c’en est, encore une fois : pour nous, la principale manifestation. Les hommes ont construit des cathédrales pour la gloire de Dieu, et pourquoi pas. Un seul homme qui se convertit est une gloire de Dieu plus grande que toutes les cathédrales. Retenons donc que Dieu n’est pas repoussé ou dégoûté par l’homme dans son état déchu, dans la misère de son péché. Jésus, dans les évangiles, nous le prouve. On a souvent tendance à plaquer notre propre dégoût et nos propres jugements sur Dieu. Je suis dégoûté par mon propre péché et ma propre faiblesse ; Dieu doit obligatoirement partager ces sentiments, et être divinement dégoûté par moi. La colère de Dieu et une punition divine seront ma part : voilà la justice que je mérite. C’est là un pli psychologique qui nous affecte tous dans une mesure ou une autre. L’évangile le contredit formellement. C’est vrai que Dieu n’a aucune complaisance avec le péché, c'est-à-dire le mal volontairement commis. On peut dire que le péché insulte la divine majesté. On peut aussi dire qu’il provoque la colère de Dieu. Bien des prières d’antan utilisaient volontiers ce genre d’expressions un peu fortes. Elles ne disaient rien de faux, mais à mon avis elles nourrissaient plus certains de nos plis psychologiques que notre foi, notre espérance et notre amour. Dieu fait la part des choses. Saint Augustin fait dire à Dieu, avec la concision dont la langue latine a le secret : Odi tua, amo te –ce qui veut dire : je déteste ce que tu fais, mais toi, je t’aime. Dieu n’a pas d’intérêts, à proprement parler. Mais nous pouvons dire, comme pour titiller un autre pli psychologique, que l’intérêt de Dieu est de nous sauver. Cela souligne au moins que Dieu veut nous sauver. Il ne veut pas nous laisser dans notre misère. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité [1 Tm 2, 4]. C’est sa sainte volonté, c’est son éternel désir : nous sauver et nous sauver encore. Pour méditer cet « état d’esprit » divin, cette urgence de l’amour de Dieu, rien n’égale les paraboles qu’on trouve dans l’évangile de saint Luc : le père du fils dit prodigue, le bon samaritain, le berger qui part à la recherche de sa brebis perdue et qui revient tout joyeux. Dieu ne se moque pas du tout du péché, mais il s’intéresse bien plus au pécheur. Odi tua, amo te. Son salut n’a rien d’une condescendance méprisante. Tertullien, un père de l’Eglise [env. 160-env. 220], a dit que rien n’est plus digne de Dieu que de sauver les hommes. Le salut, c’est premièrement notre réconciliation avec Dieu. Dieu nous invite à refaire un lien, une relation fondamentale toute nouvelle avec lui, qui n’est pas celle qu’Adam avait rompue. Le salut n’est pas une remise en état, ou un sparadrap sur le péché originel, comme si rien ne s’était passé. Le salut que Dieu propose à l’homme transfigure tout son passé, tout son présent et tout son avenir. Un salut qui nous dit que rien n’est définitivement perdu. L’homme sauvé reste capable du péché, et ce péché est plus scandaleux qu’avant, mais il aura toujours une issue, s’il veut bien l’emprunter. L’homme sauvé n’est pas dégagé de la souffrance, mais cette souffrance cache désormais un sens. L’homme sauvé meurt lui aussi ; mais dans cette mort il n’est pas seul, et elle a une issue glorieuse. Le salut de l’homme ne s’est pas réalisé par un coup de baguette magique, ou d’une manière tout implicite. Il s’est réalise dans la Personne de Jésus Christ, à travers tous les événements de sa vie terrestre et glorieuse. Jésus est Dieu venu à la rencontre de l’homme pour réconcilier en sa Personne ceux que le péché avait éloignés de Dieu. 9