CINQUIEME ENSEIGNEMENT Jésus Christ est le centre et le

publicité
CINQUIEME ENSEIGNEMENT
Jésus Christ est le centre et le sommet de toute notre vie de croyants et de toute la vie de
l’Eglise. Toute notre foi part de lui, toute notre foi le regarde (dans tous les sens de ce mot) et
première comme en dernière instance. Comme le projet des Samedis de l’Annonciation a été
d’exposer et de travailler le fondement et la cohérence de notre foi chrétienne, il est normal de
consacrer cette troisième samedi entièrement au mystère du Christ. C’est la Personne de Jésus
Christ qui fonde notre foi. C’est également la Personne de Jésus Christ qui assure la
cohérence de tout ce que l’Eglise propose de croire, et donc de tout ce que nous croyons de
fait. Pour nous, Jésus est au centre et au sommet de toute notre vie religieuse, et par
conséquent de notre vie tout court.
Je le répète : pour nous, Jésus est au centre. Pour nous. Pas pour Dieu. Dans la Sainte Trinité,
aucune des Personnes n’est à proprement parler au centre. Ce n’est pas le Père, à qui Jésus se
réfère si souvent. Ce n’est pas l’Esprit Saint, même s’il est l’amour du Père et du Fils en
Personne. Ce n’est pas non plus le Fils, même si le Père lui donne tout. Dans la Trinité Sainte,
chaque Personne divine est toute tournée vers les deux autres et ne se comprend qu’en relation
avec les deux autres : ainsi, aucune des Trois n’est à proprement parler au centre. Une
Personne qui est tout don d’amour –et cela est vrai pour les Trois- ne peut se mettre au centre.
Cela contient déjà une bonne leçon pour nous, qui sommes créés à l’image de Dieu : nous ne
sommes pas au centre et nous ne devons pas nous y mettre. Nous sommes faits non pas pour
nous-mêmes, mais pour les autres, à commencer par Dieu. C’est là que nous trouvons notre
véritable substance et notre plus grande noblesse : en nous effaçant, pour aimer et servir ce
qui est plus grand que nous. Dans les évangiles, Jésus le dit et le montre de bien des façons.
Pour nous, Jésus est au centre de notre vie de chrétiens, parce qu’il est Dieu fait homme. Le
Père, personne ne l’a jamais vu. L’Esprit reste l’Esprit : il ne s’incarne pas. Mais le Fils
éternel du Père, à un moment précis de l’histoire, s’est fait homme, tout en restant Dieu, et il a
dressé sa tente parmi nous. En lui seul Dieu et l’homme se rencontrent, se touchent et
s’unissent. C’est pourquoi le mystère du Christ et le sommet de la révélation de Dieu. Toute la
révélation divine d’avant comme d’après la venue de Jésus prend son sens par rapport à lui.
Nous verrons cela plus en détail plus tard.
D’un certain point de vue, il peut sembler étrange que je vous propose aujourd’hui un
enseignement sur le mystère du Christ, pour la simple raison qu’il est fort possible que vous
en savez plus que moi. Vous connaissez le Christ depuis le jour où vous vous êtes rendu
compte de votre foi, et cela peut remonter à des dizaines d’années. A la mesure de votre foi,
vous avez une réelle connaissance du Christ, connaissance qui va bien plus loin et bien plus
profond de votre seule connaissance de l’évangile et de la doctrine de l’Eglise, aussi étendue
ou aussi limitée que soit cette connaissance. Pendant de longs siècles, le plus grand nombre
des chrétiens ont été assez peu instruits en matière d’Ecriture Sainte, pour des raisons
pratiques d’abord. Prions en Eglise est un phénomène récent. Cela n’empêche que ces longs
siècles ont donné un grand nombre de saints et de grands chrétiens qui ont vécu dans une
profonde amitié avec Jésus. Oui, vous connaissez le Christ, bien plus que vous le pensez, bien
plus que vous pouvez le dire. Saint Jean y insiste beaucoup dans sa première lettre, qu’il a
écrite bien avant que les évangiles soient accessibles à tous.
Même un petit enfant peut connaître le mystère de Jésus dès que quelqu’un lui apprend d’être
attentif à sa présence. Dans une exultation magnifique et en même temps troublante pour les
adultes que nous sommes, Jésus a remercié le Père de révéler aux tout-petits ce qu’il cache
1
aux sages et aux savants [Mt 11, 25]. Je ne pense pas que Jésus exalte la naïveté propre aux
petits enfants. Le petit garçon de l’excellente question n’avait rien de naïf. Il ne simplifiait
rien, et allait tout de suite à l’essentiel. Il existe bien évidemment une naïveté, pour ne pas dire
une loufoquerie enfantine. Ils font parfois des raccourcis étonnants. J’ai lu l’histoire d’une
femme qui avait passé deux ans dans un monastère, auprès de son oncle moine. C’était la
guerre, et la famille avait été dispersée. Elle raconte comment elle vivait les processions du
Saint-Sacrement, l’hostie consacrée dans un ostensoir, portée par le père abbé, entouré de ses
moines et d’une petite fille, dans le cloître de l’abbaye. La petite fille n’avait aucune difficulté
à croire que le petit rond de pain blanc était en réalité le corps du Christ. Pour elle, cela allait
de soi. Son argumentation n’avait rien de théologique ; elle se disait que si une grenouille
pouvait être en réalité un prince, alors rien n’empêcherait de croire que l’hostie était vraiment
le corps de Jésus. Magnifique théologie loufoque ! L’argumentation de la petite fille n’était
vraiment pas valable –la grenouille n’est pas sacrement du prince- mais sa foi était
authentique. Dans sa conclusion, la petite ne se trompait absolument pas. Elle a dû vivre les
processions avec une ferveur dont les moines, et surtout les moines théologiens, ne pouvaient
que rêver. Les moines théologiens pouvaient sans doute faire de doctes conférences au sujet
de la transsubstantiation des espèces eucharistiques, mais si leur foi n’était pas comme celle
des petits enfants, cela ne les approcherait pas davantage du Christ.
La foi est simple dans son objet. Nous croyons en Dieu, et Dieu est tout à fait simple ; aucune
complexité, aucune composition ou division en lui. A la limite, nous pourrions arrêter le credo
après les quatre premiers mots : « je crois en Dieu ». Cela implique déjà tout le reste. J’ai lu
quelque part l’histoire d’une religieuse qui était incapable de dire le Notre Père au-delà des
deux premiers mots ; rien que de s’adresser à Dieu en l’appelant Notre Père la saisissait
tellement dans sa foi qu’elle n’arrivait pas à dire la suite. Au ciel, nous verrons dans la
simplicité ce que nous croyons actuellement dans la complexité. Cette complexité vient de
nous, de notre façon humaine d’appréhender les choses qui sont portées à notre connaissance.
Notre connaissance se déploie dans le temps ; elle mûrit et s’approfondit, ou se néglige et
s’effrite, au cours de notre vie. Notre connaissance s’exprime d’une façon complexe, par des
affirmations, des négations et des raisonnements. C’est naturel. A la question en qui nous
croyons, notre réponse peut être simple : en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. A la question ce
que nous croyons de Dieu, la réponse est forcément complexe. On peut dire : je crois de Dieu
tout ce que Dieu a révélé de lui-même et de son projet pour les hommes. Mais ce qu’il a
révélé de lui-même et de son projet pour les hommes est beaucoup de choses : toute l’histoire
que nous avons vue lors de notre dernière rencontre, et tout ce que la communauté des
croyants en a retenu. C’est énorme, et nous avons tous besoin, dans une mesure ou dans une
autre, d’expliciter tout cela, de l’éplucher spirituellement, et de l’exprimer dans des paroles,
des gestes de prière, des célébrations.
L’élan direct du cœur croyant vers Dieu est toujours présent dans nos actes de foi, mais nous
ne vivons jamais cet élan de façon consciente. Parfois on s’en rend compte après coup. C’est
assez rare, ce genre d’expérience spirituelle forte ou rien ne semble se mettre entre Dieu et
nous, mais cela existe, et tous ceux qui croient l’ont vécu au moins une fois. Mais, comme je
viens de dire, on ne s’en rend compte qu’après coup, parfois longtemps après. Dieu était là, et
je ne le savais pas, dit Jacob après son premier songe, où Dieu se tenait près de lui [Gn 28,
16]. Notre cœur n’était-il pas brûlant au-dedans de nous, se disent les disciples d’Emmaüs
une fois que leur mystérieux compagnon avait disparu de devant eux [Lc 24, 32]. Dieu nous
donne parfois de vivre la rencontre avec lui sans que nous soyons dispersés par des
préoccupations autres que Dieu lui-même, sans même que nous ne soyons préoccupés de la
qualité de notre prière, et même sans que nous ayons cherché à prier. C’est exceptionnel, mais
2
c’est suffisamment puissant pour fortifier la foi pour le restant de ses jours. Dans bien des cas,
c’est même le début de la foi proprement dite.
Ces expériences de rencontre avec Dieu, où rien ne semble s’interposer entre Dieu et le
croyant existent, mais elles ne sont pas la règle de notre vie de foi et de prière. Normalement,
c’est bien plus laborieux. La vie chrétienne n’est pas un sport, mais elle demande quand
même de sérieux efforts et un vrai entrainement. C’est là que les paroles de la foi, celles de la
Bible, celles de l’enseignement de l’Eglise, celles aussi de la liturgie et de la piété populaire,
nous donnent des béquilles pour nous approcher de Dieu. Habituellement, notre vie chrétienne
est beaucoup plus marquée par la complexité de la nature de l’homme que de la simplicité de
la nature divine. Et cependant, cette simplicité est toujours présente. Que ma prière soit un
sommet mystique ou que je me batte contre une quantité de distractions de tout genre ou des
préoccupations sans réel intérêt, je rencontre Dieu quand je le cherche.
En Jésus, Dieu se dit et se donne à l’humanité autant qu’il peut le faire. En des termes plus
théologiques on peut dire que pour nous, Jésus Christ est la source et le sommet de la
révélation et de la grâce de Dieu. Jésus est surtout quelqu’un. Quelqu’un qui est venu à notre
rencontre. Quelqu’un que nous connaissons mais qui nous échappe en même temps.
Quelqu’un qui est un mystère.
Je pense que ce mot de « mystère », que j’ai déjà employé plusieurs fois, mérite un peu
d’explication. L’ancien catéchisme définissait un mystère comme « une vérité qu’il faut
croire, et que la raison ne peut pas comprendre ni découvrir par elle-même ». Comme
beaucoup de définitions de l’ancien catéchisme, celle-ci est formellement exacte, mais en
même temps très sèche. Elle ne suscite pas vraiment de ferveur, ni même un début de
fascination. Un mystère, dans le sans religieux, est ce qui est révélé. Nous parlons non
seulement du mystère du Christ, mais aussi du mystère de la Trinité, le mystère de Pâques, le
mystère du salut, des mystères du Rosaire. Autrefois, les mystères désignaient les sacrements,
et notamment celui de l’eucharistie.
J’ai lu quelque part une définition plus aguichante : le mystère du christianisme est celui de la
vie intime de Dieu et la vie intime de l’homme associée par grâce à cette vie intime de Dieu.
Cela reste un peu « abstraitement » théologique, mais c’est déjà beaucoup mieux que la
première. Si le petit garçon était théologien, la religieuse aurait pu lui réponde comme ça,
parce qu’avec sa question si simplement posée : « Dieu, il est comment ? », le petit garçon
cherchait à découvrir la vie intime de Dieu au sein de sa propre vie intime, rien que cela…
Vous voyez encore une fois à quel point sa question était cruciale. Ce qui répond à sa
question, c’est ce que nous appelons le mystère, et surtout le mystère du Christ, qui rassemble
pour nous tous les autres mystères de la foi. Et le mystère du Christ n’est pas une abstraction
ou une théorie, mais quelqu’un.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher la question du petit garçon à la requête des grecs, qu’on
trouve à un moment décisif de l’évangile de saint Jean. C’est juste après l’entrée triomphale
de Jésus à Jérusalem. Quelques grecs –des païens, des non-juifs- étaient là ; ils priaient le
disciple Philippe en disant : Nous voudrions voir Jésus. Philippe n’a pas répondu : « vous êtes
bien trop curieux ». Non : avec son frère André, il informe Jésus de la demande. Et Jésus de
réagir en disant : Elle est venue, l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme ! [Jn 12, 2022]. La demande des grecs déclenche ou inaugure ce que Jésus appelle son heure, cette heure
même que Marie, sans succès, avait voulu précipiter un peu lors des noces de Cana. Cette
heure va être le sommet de la révélation : la révélation de la gloire dans la passion, la mort et
la résurrection de Jésus. Le mystère de Pâques.
3
Un mystère, c’est autre chose qu’un problème. Un problème est formulé par l’homme. Le mot
« problème » vient du grec, et veut dire « rempart », comme le repart que dresse un régiment
pour mieux assaillir les fortifications de l’ennemi. Au problème répond une solution, qui n’est
pas immédiatement trouvé –c’est pourquoi un problème a quelque chose de mystérieux. Une
fois la solution trouvée, le problème disparaît. Le mystère n’a pas de solution et ne disparaît
jamais. Un mystère, c’est encore autre chose qu’une énigme. Le mot « énigme » vient
également du grec, et veut dire « parole obscure » ; dans le langage courant, ont dirait un
puzzle. A l’énigme répond une clé, qui résout l’énigme, qui dès lors n’a plus aucun intérêt. Le
mystère n’a pas de clé, ne se décrypte pas et ne perd jamais son intérêt, mais il continue à
fasciner. Le mot « mystère » vient aussi du grec ; il est dérivé d’un verbe qui veut dire « rester
muet ». Le mystère est ce qui laisse bouche bée ; l’esprit ne peut pas l’étreindre, ne l’éteindra
jamais, et malgré cela le mystère fascine, attire et curieusement repose ce même esprit.
Certains courants de pensée disent que le mystère n’est que provisoire, et qu’à un stade plus
avancé de son développement l’esprit humain finira bien par englober ce qui se présente pour
l’instant comme un mystère. Autrement dit, c’est l’esprit qui donnera finalement son sens au
mystère, et non pas l’inverse. C’est l’option de mon oncle qui après trois whiskys a donné le
dernier mot sur le mystère de l’Arche de l’Alliance. Un ou deux whiskys de plus, et il serait
devenu tellement lucide qu’il aurait décrypté la Sainte Trinité une fois pour toutes. D’autres
courants, plus récents, concluent que le mystère appartient à la catégorie de l’absurde.
Autrement dit, le mystère n’a pas de sens. Jean-Paul n’est pas d’accord avec ces deux idées.
Pour lui, Marguerite est un mystère. Il l’a dit à Michel-aux-pectoraux-saillants et à Edouardde-l’héritage, mais ils n’ont pas compris. Ils ont rigolé. Ils on rigolé parce qu’ils n’aiment pas
Marguerite comme Jean-Paul l’aime, parce qu’ils ne savent pas écouter, et peut-être parce
qu’ils sont jaloux. Jean-Paul n’a pas dit qu’il ne comprend rien à sa femme. Il la comprend
suffisamment pour avoir voulu passer sa vie avec elle. Mais il la découvre toujours plus,
toujours plus profondément. Il découvre en elle des richesses qu’il n’avait même pas
soupçonnées auparavant. Bien évidemment, il ne peut pas expliquer tout cela en détail à
Michel et à Edouard, d’un côté parce que cela ne les regarde pas, et de l’autre parce qu’il ne le
peut pas. Il a seulement dit à ses amis qu’il reste bouche bée d’émerveillement devant
Marguerite, cette femme aux apparences si ordinaires. Il y a quelque chose d’inépuisable en
elle. Pourvu que cela reste inépuisable ! Ce n’est pas pour rien que Jean-Paul ne boit pas de
whisky. Il faut que Marguerite reste un mystère. Pour Michel et Edouard, c’est absurde –ce
qui prouve bien qu’il valait mieux que Marguerite ne les épouse pas.
Je voudrais terminer ce petit expose sur le mystère par une réflexion que Claudel a faite à
Baudelaire. Le fond de la poésie, écrivait Claudel, ce n’est pas plonger au fond de l’infini
pour trouver du nouveau, mais plonger au fond du défini pour y trouver de l’inépuisable. Ce
que Claudel dit de la poésie, nous pouvons le dire du mystère, et quel que soit le mystère. Le
mystère ne se présente jamais comme quelque chose d’infini, mais toujours comme quelque
chose de défini. Le mystère a des contours précis. Marguerite est bien Marguerite. Elle n’est
pas infinie. Elle se présente comme une femme née telle année à tel endroit, avec telle histoire
et tel état de santé. Elle a une identité. Elle est repérable, même si elle a une sœur jumelle.
Elle est définie et ne se confond avec personne d’autre. Au fond du mystère, il n’y a pas du
nouveau mais de l’inépuisable. Le nouveau est provisoire. Rien n’est toujours nouveau.
L’inépuisable, en revanche, est toujours inépuisable. Le mot le mieux choisi dans la phrase de
Claudel (les poètes ont le talent de trouver les mots qu’il faut !), me semble-t-il, est le verbe
« plonger ». On n’entre dans le mystère qu’en se laissant immerger. Il faut que l’esprit perde
pied, et renonce à sa tendance de tout vouloir maîtriser. Devant le mystère, ou mieux : dans le
mystère, l’esprit ne maîtrise rien. Il ne fait que recevoir. Il reçoit ce qu’il n’aurait jamais pu
atteindre ou produire par lui-même. Cette perte de maîtrise n’est pas la démission de l’esprit.
4
Bien au contraire : l’esprit, c’est notre capacité de connaître et d’aimer, et cette capacité est
illimitée. Elle n’est même pas limitée par elle-même ! Nous retrouvons ici l’image du lac.
Tant qu’on reste sur le bord, on ne voit que la surface, on ne voit que le défini, pour reprendre
le mot de Claudel. Une fois qu’on plonge, on trouve l’inépuisable. L’autre image qui dit d’une
autre façon ce qu’est le mystère est celle du frigo. Papa peut raisonner autant qu’il veut, et il
n’a même pas tort. Tout ce qu’il dit « tient » à son niveau propre –celui du spectateur, ou du
badaud... Il n’est pas rentré dans le frigo pour découvrir le secret de la tranche de jambon. Le
mystère n’est pas une connaissance ou une lumière que nous possédons, mais une
connaissance ou une lumière qui nous possède. Tant qu’on n’est pas dedans, le mystère –tout
mystère- apparaîtra comme un problème que malheureusement nous ne pouvons pas résoudre
pour l’instant, sinon comme quelque chose d’absurde. Dès qu’on est dedans, on y trouve
l’inépuisable.
Le mystère tient de la révélation ; révélation progressive d’une personne que nous aimons, ou
encore de la Révélation divine. Ce que dit le mystère ne vient d’aucune façon de nous-mêmes.
Comme le dit saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens : La sagesse dont nous
parlons n’est pas une sagesse du monde ou des puissances de ce monde voué à la disparition.
Ce dont nous parlons, c’est une sagesse de Dieu mystérieuse, tenue cachée ; elle est celle que
Dieu a d’avance destinée pour notre gloire. [Nous annonçons] ce que l’œil n’a pas vu et que
l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme : tout ce que Dieu a
préparé pour ceux qui l’aiment [1 Co 2, 6-9]. Le mystère révélé vient de Dieu et de Dieu seul.
Ce n’est pas l’homme qui a été assez malin et astucieux pour découvrir par lui-même les
mystères de Dieu –c’est la grande tentation de la tour de Babel-, mais Dieu qui sort librement
et gracieusement de son silence pour se révéler à ceux qui sont assez petits pour l’écouter
avant de conclure quoi que ce soit. L’expression du mystère révélé est bien l’œuvre de
l’homme (c’est la question du dogme, que nous verrons dans un mois), mais le mystère révélé
lui-même est l’œuvre exclusive de Dieu. Personne n’a attendu ce que Dieu allait révéler.
Personne ne l’a même soupçonnée. Personne n’a pu le calculer en regardant les étoiles. Ce
que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment n’est pas monté au cœur de l’homme. Alors
l’homme n’a qu’une chose à faire : écouter. Non : deux choses : écouter et plonger.
Pour nous, le mystère qui est au centre de tous les mystères de la foi est le mystère de Jésus
Christ. Tous les autres mystères de la foi trouvent leur place, leur cohérence et leur sens à la
lumière du mystère du Christ. J’ai bien dit : pour nous, parce que de façon absolue, le mystère
des mystères est celui de la Très Sainte Trinité. C’est le Christ, et personne d’autre, qui nous a
révélé le mystère de la Trinité ; c’est lui également, et personne d’autre, qui nous permet de
nous y plonger pour partager la vie intime de Dieu au cœur de notre vie intime à nous. Jésus
Christ est l’unique médiateur de la nouvelle et éternelle Alliance. Il est l’unique médiateur
entre Dieu et nous. C’est lui qui nous a permis de recevoir l’Esprit Saint en nos cœurs. Jésus
est en Personne la rencontre et le lien entre Dieu et l’homme, entre Dieu et les hommes, et des
hommes entre eux.
Traditionnellement, les théologiens distinguent dans le mystère du Christ le mystère de
l’Incarnation (une Personne divine prend la nature humaine) et le mystère de la Rédemption
(cette même Personne, par la suite, réconcilie les hommes avec Dieu par sa mort et sa
Résurrection). Liturgiquement, on dirait : Noël et Pâques. Je propose une autre distinction, qui
nous permet de voir et de méditer ces deux mystères.
Dans les premiers siècles, Jésus a été proclamé et célébré selon deux « titres » : Fils de Dieu
et Sauveur. Ce sont ces titres qui sont derrière le symbole chrétien primitif du poisson. En
grec, « poisson » se dit « ichthus », et les lettres grecs qui composent ce mot sont les initiales
5
du titre de Jésus : I : Ièsos ; Ch : Christos –jusque là vous suivez… mais continuons : Th :
Théou (« de Dieu ») ; Y : huios (« le fils) ; S : sôtèr (« le sauveur »). Il semblerait que le
symbole du poisson était à une époque (celle des premières persécutions sans doute) l’insigne
secret des chrétiens. Ce n’est pas un mystère, ce poisson, mais une énigme, un puzzle ; il y a
une clé permettant de passer du poisson au Seigneur Jésus. Peut-être aussi qui le poisson
évoquait quelques scènes des évangiles ; il y en a plusieurs, souvent annonciateurs du mystère
de l’Eglise.
Jésus est bien l’un et l’autre : Sauveur et Fils de Dieu. La prière dite « de Jésus » de la
tradition orientale, une prière jaculatoire avec de vieilles lettres de noblesse, y insiste : Jésus,
Fils de Dieu, Sauveur : prends pitié de nous, pécheurs. Un concentré de l’essence de la vie
chrétienne. Pour nous, Jésus est tout d’abord Sauveur. En lui-même, il est d’abord le Fils
éternel du Père. Jésus est Sauveur des hommes, il est Fils de Dieu. C’est pourquoi nous
donnerons dans notre exposé la priorité au mystère de Jésus Sauveur des hommes. Non pas
que ce mystère serait plus important que le mystère de Jésus Fils de Dieu. Les deux vont de
fait ensemble : c’est le Fils qui nous sauve. Mais par rapport à nous, les deux mystères ne se
situent pas tout à fait au même niveau. Nous découvrons Jésus d’abord comme notre Sauveur,
pour découvrir ensuite que ce Sauveur est Fils de Dieu. Pour le dire autrement : le salut est
plus concret et plus immédiat pour nous que le mystère du Fils. Bien évidemment, le salut des
hommes trouve sa source dans l’amour de Dieu, l’amour trinitaire du Père, du Fils et du Saint
Esprit, mais cette source n’est pas ce que nous découvrons ou expérimentons en premier.
Par ailleurs, Dieu aurait pu nous sauver autrement que par la mort et la Résurrection de son
Fils. Il aurait pu nous sauver en claquant les doigts, si vous voulez ; mais il a voulu nous
sauver comme il l’a fait : par la venue de son Fils « dans la chair », par sa mort et sa
Résurrection. Il faut donc distinguer le salut de sa modalité, c'est-à-dire de la façon dont ce
salut a été réalisé. La nécessité d’un salut est expérimentée par chaque homme, croyant ou
pas. La façon dont Dieu nous sauve relève du mystère révélé.
Avant de nous demander ce qu’est le salut, demandons-nous de quoi nous devons être sauvés.
Etre sauvé, c’est se faire sortir d’une situation périlleuse dont on ne peut pas se sortir par ses
propres moyens, et qui risque de nous être fatale. On peut penser à un sauvetage en mer : sans
le secours des sauveteurs, on est perdu. Quelle est donc cette situation périlleuse, cette
situation de perdition dont Dieu veut nous sauver ? Cette situation doit concerner tous les
hommes, et non pas seulement quelques-uns. Nous voici de nouveau en face d’un mystère que
saint Paul appelle « le mystère de l’impiété », plus communément appelé le péché. Dieu nous
sauve du péché.
Tous les hommes ont péché ; tous sont privés de la gloire de Dieu. Et tous sont justifiés
gratuitement par le salut qui est en Jésus Christ [Rm 3, 23-24]. Voilà en quelques mots le
mystère du salut. Le salut est motivé d’un côté par le péché, et de l’autre, plus profondément,
par l’amour de Dieu révélé dans le mystère du Christ. Plus poétiquement, le prêtre Zacharie,
le père de saint Jean Baptiste, chante après la naissance de son fils : Et toi, petit enfant, tu
seras appelé prophète du Très-Haut : tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu
prépareras ses chemins pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de
ses péchés, grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu, quand nous visite l’astre d’en-haut,
pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au
chemin de la paix [Lc 1, 76-79].
Quand nous parlons ici de péché, il ne faut pas s’imaginer une petite bêtise, une maladresse
ou un manque occasionnel de délicatesse. Ce n’est pas le péché dont on s’accuse en
confession. Ici, le péché désigne une faille très profonde dans la nature de chaque homme.
6
Une faille qui prive l’homme de l’aplomb ou de la solidité qu’il devrait avoir. Une faille qui
explique pourquoi nous ne faisons pas toujours spontanément, volontiers et jusqu’au bout ce
qu’il fallait faire. Une faille qui rend la vie laborieuse, et la mort douloureuse. Une faille par
laquelle s’infiltrent tous les prétextes pour faire le mal. J’emploie beaucoup d’images : c’est
difficile de faire autrement quand on est en face d’un mystère. J’espère que vous voyez que ce
péché dont je parle, n’est pas une défaillance ou une imperfection morale. Il y en a bien une,
mais elle en est une conséquence parmi d’autres. Ce péché dont je parle est bien plus
fondamentale ; il affecte notre être même. Il s’appelle en théologie le péché originel, et c’est
un dogme. Nous ne l’expérimentons pas en lui-même, mais nous en voyons les conséquences
dix fois par jour, pour peu qu’on y soit attentif, et surtout chez les autres –ce qui est encore un
effet du péché originel. Comme disait le cardinal Newman, grand théologien anglais du XIXe
siècle : de tous les dogmes de l’Eglise, celui du péché originel est le plus évident.
Le péché est l’origine directe du mal. Je dis bien l’origine directe, et non pas l’origine ultime
ou absolue. La Bible présente ce mystère sous une forme quelque peu légendaire dans les
premiers chapitres de la Genèse ; vous en connaissez le récit : Adam, Eve, le serpent et le fruit
défendu. Ce récit s’inspire de plusieurs traditions et tâche de répondre à la question du mal.
Vous ne serez plus étonnés d’apprendre qu’il a été rédigé à l’époque de l’exil, quand le peuple
d’Israël vivait une misère sans précédent. Le récit n’a pas de prétention historique ; c’est
peine perdue que de partir à la recherche du crâne d’Adam. C’est un récit de sagesse, et il est
inspiré. Le récit de la chute nous apprend en substance que dès les origines, l’homme s’est
volontairement détourné de Dieu pour devenir son propre maître, le maître de son propre
destin. Il a coupé le lien d’amitié naturelle qui le liait à son Créateur. D’où la faille, que la
Genèse illustre par le renvoi du paradis, la mort désormais inévitable et la peine du labeur
pour l’homme dans son travail et pour la femme dans sa maternité. L’homme reste cependant
pardonnable, contrairement au serpent qui a inspiré l’orgueil et la désobéissance.
Le péché originel, que le premier homme a transmis à toute sa descendance, n’est pas à
comprendre comme une sorte de maladie sexuellement transmissible. Il est plutôt de l’ordre
de la privation ou du manque : c’est ce qui n’est pas transmis de génération en génération,
parce que le premier homme l’a perdu. Il a choisi de s’en séparer. Nous en connaissons les
conséquences. Nous les subissons, et chaque fois que nous faisons un péché personnel, nous
en sommes complices. La théologie de la réforme protestante présente le péché originel
comme la perversion radicale de la nature humaine. La tradition catholique est plus modérée :
le péché originel a blessée la nature humaine ; celle-ci reste dans une certaine mesure capable
du bien. Il me semble d’ailleurs que la suite du récit de la chute l’illustre. Savez-vous quelle
est la première chose que font l’homme et la femme après leur renvoi du paradis ? Ils
s’accouplent. On peut y voir l’emprise sexuelle conséquence du péché originel (la
« concupiscence »), mais aussi un acte d’obéissance à Dieu. Dieu n’avait-il pas donné comme
commandement que l’homme et la femme soient féconds et qu’ils se multiplient ? L’homme
connut Eve ; elle conçut et enfanta Caïn, et elle dit : j’ai acquis un homme de par le Seigneur
[Gn 4, 1]. On voit encore qu’Eve a gardé une lucidité surnaturelle de l’intelligence, quand elle
reconnaît que Dieu a été impliqué dans l’apparition d’une nouvelle vie humaine ; celle de son
premier fils.
En se séparant de Dieu, dans l’ambition de devenir comme Dieu, l’homme est devenu
« dérangé » dans son être et désorienté dans la liberté. D’où la possibilité et la franche
tendance de prendre le mal pour le bien. L’univers entier en a souffert, puisque dans le
dessein de Dieu, l’homme devait être le maître et l’intendant de la création par mandat divin.
Avec la faute, tout est par terre ; pas anéanti, ni maudit à jamais, mais par terre, en mille
morceaux. Quand la relation fondamentale est compromise, tout le reste perd sa consistance et
7
son sens. Quand la pierre centrale d’une voûte est pulvérisée, la construction s’effondre ou du
moins elle devient terriblement fragile et doit travailler dans tous les sens pour garder un
semblant d’équilibre. Quand l’un des époux trahit l’autre et persiste dans sa trahison, la
relation fondamentale, celle qui devait donner à tous les autres aspects de la vie leur place,
leur force et leur sens, est compromise ; les effets sont terribles. Cette dernière image n’est
peut-être pas tout à fait appropriée, parce que les cas de séparation de couples sont bien plus
complexes que la faute originelle, et les torts sont souvent partagés. La faute originelle est
bien une sorte de divorce, la cassure d’une relation sainte, non pas par consentement mutuel,
mais par l’obstination d’une des parties, séduite par l’idée de « refaire sa vie », comme on dit
aujourd’hui. Refaire sa vie indépendamment de Dieu. L’histoire a montré, et montre
quotidiennement, où cela mène. Et nous ne sommes pas des spectateurs détachés et neutres.
Le salut est fondamentalement la réconciliation entre Dieu et les hommes. On s’imagine
spontanément que le salut est une sorte de remise en état, Dieu recollant les morceaux de
l’homme et de l’histoire. Quand Dieu sauve, tout devient comme avant la chute, comme si
rien ne s’était passé. Cette idée est fausse. Dieu ne fait pas de nous autres pécheurs des Adam
et des Eve innocents de nouveau et « comme neufs ». Le mystère du Christ contredit cette
conception. En Jésus, Dieu prend terriblement au sérieux les conséquences du péché. Pas une
seule fois on voit Jésus, dans les évangiles, faire le détour de la souffrance, de la misère, de
l’ignorance et de la mort. Ces situations-là paraissent plutôt l’attirer. Parmi toutes les attitudes
de Jésus, celle qu’on appelle la miséricorde prend un relief particulier. Avant de faire un
miracle, Jésus est touché par la misère qu’il voit. Jamais il n’agit sans cette miséricorde qui lui
« remue les tripes » comme on dit un peu vulgairement mais tout à fait bibliquement. Les
évangiles apocryphes, c'est-à-dire ceux que la communauté chrétienne n’a pas retenus et
transmis comme d’authentiques témoignages de la vie du Christ, présentent justement un
Jésus qui fait des miracles plus spectaculaires les uns que les autres sans qu’il y ait question
de cette besogne qu’est la miséricorde. Dans nos quatre évangiles canoniques, Jésus regarde la
souffrance droit dans les yeux, et chaque fois il se laisse toucher.
Il est vrai que Jésus n’a pas empêché les misères d’arriver. Il n’aurait pu le faire sans priver
l’homme de sa liberté. Dans le récit de la résurrection de Lazare, au chapitre 11 de l’évangile
de saint Jean, les juifs se disent : lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas
empêcher Lazare de mourir ? [Jn 11, 37] L’une des sœurs de Lazare fait un reproche qui va
dans le même sens, quand elle dit à Jésus : Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort [Jn
11, 32]. Jésus laisse le travail de la mort prendre son cours, pour faire quelque chose de
beaucoup plus grand. Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, dit Jésus à Marthe, l’autre sœur de
Lazare, ne t’ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu ? [Jn 11, 40]. Vous
connaissez la suite : Jésus rend à Lazare la vie qu’il avait auparavant. Ce n’est pas à
proprement parler une résurrection, mais un retour à la vie, une réviviscence. Nous verrons
plus tard comment la résurrection est autre chose qu’un retour à la vie.
Dans les évangiles nous ne voyons pas Jésus résoudre le mystère du mal. Pour Jésus, ce n’est
pas un mystère. Nous voyons Jésus s’approcher de personnes concrètes qui
souffrent concrètement : nous ne sommes pas dans des abstractions théoriques. Jésus se
montre particulièrement concerné, pour ne pas irrésistiblement attiré, par sa créature déchue
dans sa situation de misère. Non pas par complaisance avec la misère, mais par amour. Du
mystère du salut, la miséricorde de Dieu est la principale motivation. Dieu n’a rien à y gagner,
à proprement parler. Et nous, nous avons tout à y gagner. Dieu nous sauve pour la même
raison qu’il nous crée : par amour pour nous. Parce qu’il est Amour. Ainsi il est, ainsi il agit,
ainsi il se révèle.
8
Jésus n’empêche pas les situations de misère d’arriver, mais il s’en sert en quelque sorte pour
manifester ce qu’il appelle la gloire de Dieu. Cette notion de gloire jalonne tout l’évangile de
saint Jean. Le mystère du mal est comme englobé et transfiguré dans le mystère de la gloire.
Le salut de l’homme sert la gloire de Dieu ; c’en est, encore une fois : pour nous, la principale
manifestation. Les hommes ont construit des cathédrales pour la gloire de Dieu, et pourquoi
pas. Un seul homme qui se convertit est une gloire de Dieu plus grande que toutes les
cathédrales.
Retenons donc que Dieu n’est pas repoussé ou dégoûté par l’homme dans son état déchu, dans
la misère de son péché. Jésus, dans les évangiles, nous le prouve. On a souvent tendance à
plaquer notre propre dégoût et nos propres jugements sur Dieu. Je suis dégoûté par mon
propre péché et ma propre faiblesse ; Dieu doit obligatoirement partager ces sentiments, et
être divinement dégoûté par moi. La colère de Dieu et une punition divine seront ma part :
voilà la justice que je mérite. C’est là un pli psychologique qui nous affecte tous dans une
mesure ou une autre. L’évangile le contredit formellement. C’est vrai que Dieu n’a aucune
complaisance avec le péché, c'est-à-dire le mal volontairement commis. On peut dire que le
péché insulte la divine majesté. On peut aussi dire qu’il provoque la colère de Dieu. Bien des
prières d’antan utilisaient volontiers ce genre d’expressions un peu fortes. Elles ne disaient
rien de faux, mais à mon avis elles nourrissaient plus certains de nos plis psychologiques que
notre foi, notre espérance et notre amour. Dieu fait la part des choses. Saint Augustin fait dire
à Dieu, avec la concision dont la langue latine a le secret : Odi tua, amo te –ce qui veut dire :
je déteste ce que tu fais, mais toi, je t’aime.
Dieu n’a pas d’intérêts, à proprement parler. Mais nous pouvons dire, comme pour titiller un
autre pli psychologique, que l’intérêt de Dieu est de nous sauver. Cela souligne au moins que
Dieu veut nous sauver. Il ne veut pas nous laisser dans notre misère. Dieu veut que tous les
hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité [1 Tm 2, 4]. C’est sa
sainte volonté, c’est son éternel désir : nous sauver et nous sauver encore. Pour méditer cet
« état d’esprit » divin, cette urgence de l’amour de Dieu, rien n’égale les paraboles qu’on
trouve dans l’évangile de saint Luc : le père du fils dit prodigue, le bon samaritain, le berger
qui part à la recherche de sa brebis perdue et qui revient tout joyeux. Dieu ne se moque pas du
tout du péché, mais il s’intéresse bien plus au pécheur. Odi tua, amo te. Son salut n’a rien
d’une condescendance méprisante. Tertullien, un père de l’Eglise [env. 160-env. 220], a dit
que rien n’est plus digne de Dieu que de sauver les hommes.
Le salut, c’est premièrement notre réconciliation avec Dieu. Dieu nous invite à refaire un lien,
une relation fondamentale toute nouvelle avec lui, qui n’est pas celle qu’Adam avait rompue.
Le salut n’est pas une remise en état, ou un sparadrap sur le péché originel, comme si rien ne
s’était passé. Le salut que Dieu propose à l’homme transfigure tout son passé, tout son présent
et tout son avenir. Un salut qui nous dit que rien n’est définitivement perdu. L’homme sauvé
reste capable du péché, et ce péché est plus scandaleux qu’avant, mais il aura toujours une
issue, s’il veut bien l’emprunter. L’homme sauvé n’est pas dégagé de la souffrance, mais cette
souffrance cache désormais un sens. L’homme sauvé meurt lui aussi ; mais dans cette mort il
n’est pas seul, et elle a une issue glorieuse.
Le salut de l’homme ne s’est pas réalisé par un coup de baguette magique, ou d’une manière
tout implicite. Il s’est réalise dans la Personne de Jésus Christ, à travers tous les événements
de sa vie terrestre et glorieuse. Jésus est Dieu venu à la rencontre de l’homme pour réconcilier
en sa Personne ceux que le péché avait éloignés de Dieu.
9
Téléchargement