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IBSEN- AIDE DE LECTURE POUR LE DOSSIER EDUCATION NATIONALE
Ce cours écrit poursuit plusieurs objectifs . Il s’agit parfois simplement de reclarifier des
notions, des termes, dont on se sert parfois de manière un peu décontractée, de redonner des
exemples d’études (incomplètes)de mises en scène, de reparler d’Hedda Gabler.A cette
occasion , j’essaie de repréciser aussi pourquoi l’analyse psychologique ne peut être la seule
grille de lecture, en particulier lorsqu’elle n’aboutit pas à dire quelque chose qui soit en
relation forte avec les systèmes de sens que le texte met en place, ou la mise en scène .(Voir
partie sur Alain Françon).
Les études de mises en scène sont différentes de celles que vous aurez à faire au bac.,
jusqu’ici plus orienté sur l’étude de photos que sur l’analyse des propos des metteurs en
scène.Mais cela pourrait changer.
Attention, les photos ne peuvent pas être une illustration directe de propos,d’intentions,
d’analyses abstraites.N’inventez pas ce qui n’y est pas.Cependant, une photo vous raconte
d’autant plus de choses que vous avez réfléchi à la pièce et à diverses manières de la
travailler, de la mettre en scène. Interrogez-vous sur de nouvelles pistes de lecture, texte en
main.
I - NATURALISME - SYMBOLISME
Pages 10-11-12-13
Décor SYMBOLISTE : Il correspond au symbolisme de la pièce, qui coexiste,on l’a vu,
avec des aspects naturalistes.
Le symbolisme au théâtre , en France, a été représenté par Lugné-Poe, metteur en scène
au théâtre de l’Oeuvre .(Première mise en scène symboliste d’Ibsen en France :1892).Décor
réduit à l’essentiel. Le symbolisme porte de l’intérêt à un objet parce qu’il est la marque
visible de quelque chose d’invisible, et non parce qu’il donne à voir une réalité concrète et
matérielle.
J-P Sarrazac (page 11) voit un point commun entre naturalisme et symbolisme dans le fait
que l’homme n’est pas perçu comme libre. Si son destin n’est pas, comme dans la tragédie
antique, déterminé par les dieux, sa liberté est limitée par les déterminations que crée le
milieu (éducation, culture, classe sociale, contexte particulier etc ...) en ce qui concerne le
naturalisme ;et par des déterminations plus mystérieuses , en ce qui concerne le symbolisme.
A des époques différentes,et sous des formes et des courants théâtraux différents, se poursuit
une interrogation sur la liberté humaine ...
Hedda Gabler semble ne pas avoir de vrais choix : sa liberté est prise au piège, pas seulement
parce qu’elle vit dans un milieu contraignant, peut-être aussi parce qu’il y a chez elle une
démesure des désirs, impossible à exprimer comme à satisfaire .Ou encore parce que toute
possibilité de se réaliser par des actes tombe en paralysie quand les désirs se heurtent,à force
égale, aux désirs inverses. Les contradictions font alors d’Hedda un mystérieux champ de
bataille jusqu’à extermination des forces adverses, par le suicide.
Faut-il choisir entre naturalisme et symbolisme ?
Choisir, c’est ne pas laisser fonctionner le texte dans sa complexité. « Or, l’oeuvre d’Ibsen se
développe en une tension constante entre une forme qui se veut naturaliste et des éléments qui
tendent à briser cette forme », dit TERJE SINDING, page 13.
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STANISLAVSKI page 24
A propos de son travail (naturaliste) sur Hedda Gabler, Stanislavski refuse d’opposer
naturalisme et symbolisme, comme cela s’est fait en France puis en Russie lorsqu’on a
découvert le théâtre d’Ibsen. Mais évitons des confusions :
1- A cette occasion, Stanislavski parle du jeu , non de la scénographie ni de l’ensemble
de la démarche de mise en scène:
Un jeu naturaliste,dit-il, s’il pousse l’acteur à la plus grande sincèrité et à la plus grande
intensité,devrait lui permettre de prendre en compte les forces inconscientes ,obscures, qui
habitent le personnage,et donc de travailler aussi sur le symbolisme de la pièce . (Il revient
sur son travail passé).Autrement dit, ce n’est pas par excès de réalisme qu’a pêché son travail
sur Hedda Gabler , mais plutôt par insuffisance.Les jours il intériorisait vraiment l’état
mental de son personnage, Lovborg, jusque dans ce qui agite son inconscient, Stanislavski a
eu le sentiment d’être au plus près du personnage, sans clivage entre naturalisme et
symbolisme.
2 - Cette analyse vaut pour le travail naturaliste de Stanislavski sur Ibsen , mais il ne faut
pas la généraliser, par exemple en conclure que ,si ,du point de vue des sentiments du
personnage, le naturalisme dans le jeu de Stanislavski permettait selon lui d’aller vers les
enjeux portés par le symbolisme de la pièce, les deux manières de jouer se ressemblaient. En
France,par exemple, il y avait une forte différence entre les deux : le jeu symboliste des
acteurs du théâtre de l’Oeuvre était très spécial : le texte était psalmodié (= dit comme un
psaume)d’une voix blanche, par des acteurs comme somnambules, comme traversés par des
voix venues d’ailleurs... C’était une manière de jouer qui exaspérait les uns et bouleversait les
autres, ceux qui étaient sensibles à une sorte de rituel mystérieux, ou à l’idée que l’acteur est
possédé, à moins que ce ne soit le personnage...
3- L’ensemble de la marche est différent : Pour les naturalistes, il s’agit de considérer le
texte comme reflet du réel, et donc de donner à voir cette réalité au théâtre . Il faut créer un
effet de réel .De plus, le théâtre naturaliste est un théâtre psychologique, les dialogues
mettent en relation des rapports cause(s) / conséquence(s) ou le couple stimulus/réponse,
pour éclairer les mouvements intérieurs du personnage.Même si il ne s’agit finalement pas de
le réduire à ces tentatives d’élucidation.La démarche des symbolistes interroge un sens caché
au-delà de ce qui est perceptible dans la psychologie du personnage.
Si dans le contexte de l’époque la pièce s’est fait connaître , en France, on a tendance à
polémiquer autour de ces deux courants théâtraux , le naturalisme, le symbolisme, la question
aujourd’hui peut être aussi posée autrement ; mais elle continue à traiter ,par un bout ,du
naturalisme, c’est-à-dire de l’ancrage historique et sociologique de la pièce, qu’il soit
respecté, dépassé , nié.
II LA PORTEE SOCIALE / L’INTEMPORALITE
CITATION D’IBSEN,page 56.
« Je ne suis même pas certain de savoir ,au juste, ce que sont les droits de la femme.
(...) Bien sûr, il est souhaitable de résoudre, au passage, les problèmes de la femme ;
mais, je le répète, ce ne fut pas là mon dessein. Mon objet est de peindre l’être humain. »
Il faut retenir cette citation. Elle a une grande importance car elle montre qu’Ibsen ne veut pas
qu’on réduise la pièce à une étude naturaliste sur la condition des femmes ,les effets du
milieu social (familial) .Il ne prend pas la défense d’Hedda, comme il l’a fait pour Nora, dans
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Maison de poupée, il était clair qu’il voulait plaider la cause de l’émancipation
féminine.(Même si ce n’était pas là son seul objectif.)
La complexité de la pièce vient évidemment de là, c’est-à-dire d’une part du rapport ambigu
de l’auteur avec son personnage, et d’autre part du fait que la pièce fusionne des éléments
naturalistes(en rapport avec le milieu social) avec des problèmes existentiels.( La difficulté de
vivre, propre à la conditions humaine, qui s’incarne de manière particulière en chacun de nous
et donc en Hedda.)
A propos de La Cerisaie de Tchékhov, Strehler, metteur en scène italien, parle de
trois « boîtes »( = Trois niveaux d’intérêt et de sens,trois strates de lecture) :
1 - La petite histoire particulière des personnages(le particulier)
2 - L’Histoire(= Contexte historique, social, politique)
3 - L’Aventure Humaine(La portée universelle).
Lorsqu’on réduit à deux niveaux de lecture, au lieu de trois, c’est parce qu’on imbrique le
particulier (« boîte » 1) à l’universel ( « boîte »3): A travers une histoire particulière , qui ne
concerne qu’un individu particulier, quelque chose se dit qui concerne les hommes en général,
la condition humaine. C’est le propre des grands textes.
La « boîte 3 »cesse de relier le personnage à un milieu historiquement et géographiquement
précis , néanmoins l’être humain n’est jamais déconnecté de toute vie sociale, évidemment.
ATTENTION, ces trois strates de lecture ne sont possibles que dans certains textes.Quand
dans En attendant Godot de Beckett, Joël Jouhanneau a voulu mettre un sens social, il a
bousillé le sens métaphysique.On ne peut pas attendre à la fois Dieu et une assistante
sociale,ont dit les critiques.
Ou bien quand on veut donner toute une complexité humaine à des personnages qui ne sont
pas faits pour cela,(remplir la boîte 1), on joue autre chose que ce qui est écrit.On invente une
histoire par-dessus le texte,qui masque le texte.Il faut y faire attention avec Vinaver.
On a une bonne analyse de cette fusion entre le social et l’intemporel, faite par MARTIN
ESSLIN page 45.
Mais les mises en scène ne choisissent pas nécessairement de prendre en charge ces deux
pôles de la pièce. Le dossier présente différentes démarches.Vous devez les reconnaître dans
leurs différences, exposer les enjeux généraux que je suis en train de récapituler, et dépasser
ces généralités pour raisonner au cas par cas.
- I - Les mises en scènes purement naturalistes de Hedda Gabler :
STANISLAVSKI en 1899 (page24), MARGUERITE JAMOIS, en 1943 (page28),
RAYMOND ROULEAU en 1962 (« il est devenu rare de voir au théâtre un décor aussi
fouillé, aussi habitable et habité que le lourd salon scandinave imaginé par Lila de
Nobili »,page 31).
Rappelons qu’au sens strict du terme, une mise en scène est naturaliste si elle restitue
l’époque de la pièce,aussi bien par le décor que par les costumes, ET veut donner une
illusion de réalité(nous ne sommes pas censés être au théâtre) : jeu des acteurs, lumières
ETC..En outre, et cela est moins évident, le théâtre naturaliste est un théâtre psychologique.
Mais aucun des grands textes naturalistes n’est que naturaliste, d’où la liberté des mises en
scène.Ceci vous est rappelé page 5 ( les « grandes oeuvres (...) concourent presque toujours
à dépasser les oppositions forcées et à mettre en question les catégories reçues. » On peut
dire la même chose des mises en scène.Les catégories esthétiques dans lesquelles on veut les
faire entrer sont indicatives, mais risquent d’être réductrices.Quand Stanislavski défend l’idée
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qu’un jeu naturaliste n’empêche pas la rencontre avec le symbolisme, il propose de dépasser
des oppositions esthétiques.
II - Les choix « mixtes ».
Que faut-il étudier au cas par cas?
Le dosage entre références à l’époque et les écarts ou le refus du naturalisme
Par exemple JEAN-PIERRE MIQUEL(page 44) a proposé ,en 1979 et en 1982, une
scénographie chargée d’éléments réalistes , et qui ne se distinguait du naturalisme que par le
haut, par l’absence de plafond, celui-ci étant remplacé au dernier acte par un voile ; On
emploie dans ce cas le terme de déréalisation ;(concrètement, cela signifie que l’absence de
plafond vise à casser le naturalisme du décor) .
Les effets de sens qui en résultent
Le voile annonce le linceul. Cet effet d’annonce signifie qu’Hedda n’échappera pas à la mort,
celle-ci est inscrite dans le processus que la pièce met en place.(On pourrait d’ailleurs en
situer la présence symbolique dès le début , quand Hedda retrouve une maison pleine de fleurs
ou quand elle se plaint du soleil : Sa maison est son tombeau.).Le secret de la pièce est :
Pourquoi Hedda semble t-elle condamnée d’avance ?
Les qualités de la métaphore : Elle est juste, elle n’est pas « lourde »ou lourdement
démonstrative, car non lisible immédiatement, elle ouvre le sens(ouvre à l’ interrogation ci-
dessus), elle rejoint les aspects symboliques du texte.
Les défauts de cette scénographie nous sont signalés par le metteur en scène : elle restait trop
proche du naturalisme.L’influence du milieu était bien présente, mais trop.
En 2002, il propose une nouvelle scénographie qui conjugue davantage de significations : elle
est concrète et réaliste (elle va donc montrer la vie d’Hedda, dans le milieu qui est le sien),
mais également abstraite, pour laisser place aux rêves ; ce sera un espace, dit-il, « conçu entre
rêve et concret », dont les « contradictions esthétiques » répondent aux contradictions
d’Hedda. Ce système de correspondances se concrétise par un espace avec des meubles et
des objets d’époque, mais dans une pièce sans murs.Si vous deviez commenter le propos du
metteur en scène, il faudrait parler des contradictions d’Hedda,non pas en général mais plutôt
en rapport avec l’effet produit par l’absence de murs: elle rêve de liberté, de transgresser les
interdits, de sortir du carcan des conventions bourgeoises etc...Peut-être son désir d’autre
chose n’a t-il aucun rapport avec la vie réelle , avec ce que la réalité peut offrir? (Son pauvre
côté « Madame Bovary »).
D’autre part, le metteur en scène tient à ce que les accessoires, les costumes replacent
l’oeuvre dans son contexte historique. Il choisit me une traduction « désuète »(= dont le
style n’est pas moderne).
Les écarts par rapport au naturalisme semblent donc faibles .Le désir de replacer Hedda dans
son milieu semble prédominer. Soyez sensibles aux postures des personnages : Le corps
d’Anne Alvaro ne trahit pas les déroutes intérieures d’Hedda.Celle-ci a appris à bien les
maîtriser.Son regard est presque angélique. Le jeu semble donc être aussi naturaliste, c’est-à-
dire au plus près de ce que pourrait être une vraie Hedda, soucieuse de sauver les apparences
et d’être conforme à ce qu’on attend d’elle.
(Un jeu radicalement non naturaliste peut reposer sur la convention implicite que l’acteur joue
les états intérieurs du personnage et non son apparence extérieure. Il peut proposer un travail
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sur des métaphores. Exemple :L’interprétation d’Arturo Ui, dans la mise en scène d’Heiner
Müller reposait sur la métaphore du chien .Choix extrême. Entre les deux, se situe toute une
gamme de choix, en particulier la place pour des effets de déréalisation à l’intérieur d’un jeu
plus ou moins proche du naturalisme.
Autre exemple : Dans la mise en scène de Laurent Pelly, Henriette est travaillée à partir des
états invisibles du personnage, d’où les contresens possibles si on oppose à ce travail non
naturaliste une interprétation réaliste : comment se fait-il que ses parents la laissent se tenir
aussi mal ? Fausse question.)
ALAIN FRANçON 1987 : première version -1990 : deuxième version
Naturalisme des costumes.Présence du milieu social.
Mais aussi désir de tenir le naturalime à distance. Dans la première version, la peur que le
naturalisme éteigne les autres voies qu’ouvre le texte avait même poussé le metteur en scène
à supprimer certaines répliques, par exemple toutes celles de la bonne dans la première scène,
parce qu’elles lui paraissaient « emblématiques du drame naturaliste » (Page 48).Dans sa
seconde version, il semble qu’Alain Françon se soit moins méfié du naturalisme, comme s’il
faisait plus confiance au texte tel qu’il est écrit, à son propre travail, à celui des acteurs.
A Les effets de déréalisation, les enjeux de sens qui en découlent
- Naturalisme du salon mais cassé par les effets de déréalisation du vide: très peu de
meubles.
- Dans la première version, Françon déréalise encore l’espace et le jeu en interdisant aux
acteurs de s’asseoir !
Il faut éviter la banalisation des dialogues, garder la tension ; il ne veut pas voir les acteurs
tomber dans la « conversation de salon » ; Françon désire que les paroles échangées
fonctionnent pour dévoiler les non-dits du texte., tout comme dans sa deuxième version.
- La traduction et le travail des acteurs participent de la volonté de déréalisation puisque
cela consiste à prendre les dialogues comme une partition musicale. Les tirets( les pauses) du
texte implique un travail sur le rythme,non naturaliste. Mais le traducteur, Michel Vittoz,
propose aussi de tenir compte de la langue d’Ibsen , « une langue accidentelle qui détruit
toute construction des personnages en les rendant aussi inaccessibles et imprévisibles que
l’inconscient qui les travaille » etc. ... pages 47 et 48.
la psychologie cherche à créer des rapports de causes à conséquences, le travail non
psychologique de Françon vise à faire surgir l’incohérence et le chaos. Le personnage croit
énoncer une parole organisée, mais le travail de l’acteur va consister à en chercher les
discordances et les points de ruptures, l’inconscient brouille les cartes.En cela il sera
aidé par la traduction.
Pour s’éloigner du naturalisme, le jeu des acteurs va donc souvent prendre appui
ailleurs que sur l’analyse psychologique.C’est le plus compliqué à comprendre car cette
grille d’analyse n’ a que trop tendance à remplacer abusivement toutes les autres.
Pour changer un peu, au lieu de parler d’Hedda, prenons comme exemple le personnage de
Tesman pour voir comment on peut tenter d’interpréter les intentions du metteur en scène..
B - Le traitement du personnage de Tesman
1- Derrière les apparences, le secret.
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