Ibsen

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IBSEN- AIDE DE LECTURE POUR LE DOSSIER EDUCATION NATIONALE
Ce cours écrit poursuit plusieurs objectifs . Il s’agit parfois simplement de reclarifier des
notions, des termes, dont on se sert parfois de manière un peu décontractée, de redonner des
exemples d’études (incomplètes)de mises en scène, de reparler d’Hedda Gabler.A cette
occasion , j’essaie de repréciser aussi pourquoi l’analyse psychologique ne peut être la seule
grille de lecture, en particulier lorsqu’elle n’aboutit pas à dire quelque chose qui soit en
relation forte avec les systèmes de sens que le texte met en place, ou la mise en scène .(Voir
partie sur Alain Françon).
Les études de mises en scène sont différentes de celles que vous aurez à faire au bac.,
jusqu’ici plus orienté sur l’étude de photos que sur l’analyse des propos des metteurs en
scène.Mais cela pourrait changer.
Attention, les photos ne peuvent pas être une illustration directe de propos,d’intentions,
d’analyses abstraites.N’inventez pas ce qui n’y est pas.Cependant, une photo vous raconte
d’autant plus de choses que vous avez réfléchi à la pièce et à diverses manières de la
travailler, de la mettre en scène. Interrogez-vous sur de nouvelles pistes de lecture, texte en
main.
I - NATURALISME - SYMBOLISME
Pages 10-11-12-13
Décor SYMBOLISTE : Il correspond au symbolisme de la pièce, qui coexiste,on l’a vu,
avec des aspects naturalistes.
Le symbolisme au théâtre , en France, a été représenté par Lugné-Poe, metteur en scène
au théâtre de l’Oeuvre .(Première mise en scène symboliste d’Ibsen en France :1892).Décor
réduit à l’essentiel. Le symbolisme porte de l’intérêt à un objet parce qu’il est la marque
visible de quelque chose d’invisible, et non parce qu’il donne à voir une réalité concrète et
matérielle.
J-P Sarrazac (page 11) voit un point commun entre naturalisme et symbolisme dans le fait
que l’homme n’est pas perçu comme libre. Si son destin n’est pas, comme dans la tragédie
antique, déterminé par les dieux, sa liberté est limitée par les déterminations que crée le
milieu (éducation, culture, classe sociale, contexte particulier etc ...) en ce qui concerne le
naturalisme ;et par des déterminations plus mystérieuses , en ce qui concerne le symbolisme.
A des époques différentes,et sous des formes et des courants théâtraux différents, se poursuit
une interrogation sur la liberté humaine ...
Hedda Gabler semble ne pas avoir de vrais choix : sa liberté est prise au piège, pas seulement
parce qu’elle vit dans un milieu contraignant, peut-être aussi parce qu’il y a chez elle une
démesure des désirs, impossible à exprimer comme à satisfaire .Ou encore parce que toute
possibilité de se réaliser par des actes tombe en paralysie quand les désirs se heurtent,à force
égale, aux désirs inverses. Les contradictions font alors d’Hedda un mystérieux champ de
bataille jusqu’à extermination des forces adverses, par le suicide.
Faut-il choisir entre naturalisme et symbolisme ?
Choisir, c’est ne pas laisser fonctionner le texte dans sa complexité. « Or, l’oeuvre d’Ibsen se
développe en une tension constante entre une forme qui se veut naturaliste et des éléments qui
tendent à briser cette forme », dit TERJE SINDING, page 13.
1
STANISLAVSKI – page 24
A propos de son travail (naturaliste) sur Hedda Gabler, Stanislavski refuse d’opposer
naturalisme et symbolisme, comme cela s’est fait en France puis en Russie lorsqu’on a
découvert le théâtre d’Ibsen. Mais évitons des confusions :
1- A cette occasion, Stanislavski parle du jeu , non de la scénographie ni de l’ensemble
de la démarche de mise en scène:
Un jeu naturaliste,dit-il, s’il pousse l’acteur à la plus grande sincèrité et à la plus grande
intensité,devrait lui permettre de prendre en compte les forces inconscientes ,obscures, qui
habitent le personnage,et donc de travailler aussi sur le symbolisme de la pièce . (Il revient
sur son travail passé).Autrement dit, ce n’est pas par excès de réalisme qu’a pêché son travail
sur Hedda Gabler , mais plutôt par insuffisance.Les jours où il intériorisait vraiment l’état
mental de son personnage, Lovborg, jusque dans ce qui agite son inconscient, Stanislavski a
eu le sentiment d’être au plus près du personnage, sans clivage entre naturalisme et
symbolisme.
2 - Cette analyse vaut pour le travail naturaliste de Stanislavski sur Ibsen , mais il ne faut
pas la généraliser, par exemple en conclure que ,si ,du point de vue des sentiments du
personnage, le naturalisme dans le jeu de Stanislavski permettait selon lui d’aller vers les
enjeux portés par le symbolisme de la pièce, les deux manières de jouer se ressemblaient. En
France,par exemple, il y avait une forte différence entre les deux : le jeu symboliste des
acteurs du théâtre de l’Oeuvre était très spécial : le texte était psalmodié (= dit comme un
psaume)d’une voix blanche, par des acteurs comme somnambules, comme traversés par des
voix venues d’ailleurs... C’était une manière de jouer qui exaspérait les uns et bouleversait les
autres, ceux qui étaient sensibles à une sorte de rituel mystérieux, ou à l’idée que l’acteur est
possédé, à moins que ce ne soit le personnage...
3- L’ensemble de la démarche est différent : Pour les naturalistes, il s’agit de considérer le
texte comme reflet du réel, et donc de donner à voir cette réalité au théâtre . Il faut créer un
effet de réel .De plus, le théâtre naturaliste est un théâtre psychologique, où les dialogues
mettent en relation des rapports cause(s) / conséquence(s) ou le couple stimulus/réponse,
pour éclairer les mouvements intérieurs du personnage.Même si il ne s’agit finalement pas de
le réduire à ces tentatives d’élucidation.La démarche des symbolistes interroge un sens caché
au-delà de ce qui est perceptible dans la psychologie du personnage.
Si dans le contexte de l’époque où la pièce s’est fait connaître , en France, on a tendance à
polémiquer autour de ces deux courants théâtraux , le naturalisme, le symbolisme, la question
aujourd’hui peut être aussi posée autrement ; mais elle continue à traiter ,par un bout ,du
naturalisme, c’est-à-dire de l’ancrage historique et sociologique de la pièce, qu’il soit
respecté, dépassé , nié.
II – LA PORTEE SOCIALE / L’INTEMPORALITE
CITATION D’IBSEN,page 56.
« Je ne suis même pas certain de savoir ,au juste, ce que sont les droits de la femme.
(...) Bien sûr, il est souhaitable de résoudre, au passage, les problèmes de la femme ;
mais, je le répète, ce ne fut pas là mon dessein. Mon objet est de peindre l’être humain. »
Il faut retenir cette citation. Elle a une grande importance car elle montre qu’Ibsen ne veut pas
qu’on réduise la pièce à une étude naturaliste sur la condition des femmes ,les effets du
milieu social (familial) .Il ne prend pas la défense d’Hedda, comme il l’a fait pour Nora, dans
2
Maison de poupée, où il était clair qu’il voulait plaider la cause de l’émancipation
féminine.(Même si ce n’était pas là son seul objectif.)
La complexité de la pièce vient évidemment de là, c’est-à-dire d’une part du rapport ambigu
de l’auteur avec son personnage, et d’autre part du fait que la pièce fusionne des éléments
naturalistes(en rapport avec le milieu social) avec des problèmes existentiels.( La difficulté de
vivre, propre à la conditions humaine, qui s’incarne de manière particulière en chacun de nous
et donc en Hedda.)
A propos de La Cerisaie de Tchékhov, Strehler, metteur en scène italien, parle de
trois « boîtes »( = Trois niveaux d’intérêt et de sens,trois strates de lecture) :
1 - La petite histoire particulière des personnages(le particulier)
2 - L’Histoire(= Contexte historique, social, politique)
3 - L’Aventure Humaine(La portée universelle).
Lorsqu’on réduit à deux niveaux de lecture, au lieu de trois, c’est parce qu’on imbrique le
particulier (« boîte » 1) à l’universel ( « boîte »3): A travers une histoire particulière , qui ne
concerne qu’un individu particulier, quelque chose se dit qui concerne les hommes en général,
la condition humaine. C’est le propre des grands textes.
La « boîte 3 »cesse de relier le personnage à un milieu historiquement et géographiquement
précis , néanmoins l’être humain n’est jamais déconnecté de toute vie sociale, évidemment.
ATTENTION, ces trois strates de lecture ne sont possibles que dans certains textes.Quand
dans En attendant Godot de Beckett, Joël Jouhanneau a voulu mettre un sens social, il a
bousillé le sens métaphysique.On ne peut pas attendre à la fois Dieu et une assistante
sociale,ont dit les critiques.
Ou bien quand on veut donner toute une complexité humaine à des personnages qui ne sont
pas faits pour cela,(remplir la boîte 1), on joue autre chose que ce qui est écrit.On invente une
histoire par-dessus le texte,qui masque le texte.Il faut y faire attention avec Vinaver.
On a une bonne analyse de cette fusion entre le social et l’intemporel, faite par MARTIN
ESSLIN page 45.
Mais les mises en scène ne choisissent pas nécessairement de prendre en charge ces deux
pôles de la pièce. Le dossier présente différentes démarches.Vous devez les reconnaître dans
leurs différences, exposer les enjeux généraux que je suis en train de récapituler, et dépasser
ces généralités pour raisonner au cas par cas.
-
I - Les mises en scènes purement naturalistes de Hedda Gabler :
STANISLAVSKI en 1899 (page24), MARGUERITE JAMOIS, en 1943 (page28),
RAYMOND ROULEAU en 1962 (« il est devenu rare de voir au théâtre un décor aussi
fouillé, aussi habitable et habité que le lourd salon scandinave imaginé par Lila de
Nobili »,page 31).
Rappelons qu’au sens strict du terme, une mise en scène est naturaliste si elle restitue
l’époque de la pièce,aussi bien par le décor que par les costumes, ET veut donner une
illusion de réalité(nous ne sommes pas censés être au théâtre) : jeu des acteurs, lumières
ETC..En outre, et cela est moins évident, le théâtre naturaliste est un théâtre psychologique.
Mais aucun des grands textes naturalistes n’est que naturaliste, d’où la liberté des mises en
scène.Ceci vous est rappelé page 5 ( les « grandes oeuvres (...) concourent presque toujours
à dépasser les oppositions forcées et à mettre en question les catégories reçues. » On peut
dire la même chose des mises en scène.Les catégories esthétiques dans lesquelles on veut les
faire entrer sont indicatives, mais risquent d’être réductrices.Quand Stanislavski défend l’idée
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qu’un jeu naturaliste n’empêche pas la rencontre avec le symbolisme, il propose de dépasser
des oppositions esthétiques.
II - Les choix « mixtes ».
Que faut-il étudier au cas par cas?
Le dosage entre références à l’époque et les écarts ou le refus du naturalisme
Par exemple JEAN-PIERRE MIQUEL(page 44) a proposé ,en 1979 et en 1982, une
scénographie chargée d’éléments réalistes , et qui ne se distinguait du naturalisme que par le
haut, par l’absence de plafond, celui-ci étant remplacé au dernier acte par un voile ; On
emploie dans ce cas le terme de déréalisation ;(concrètement, cela signifie que l’absence de
plafond vise à casser le naturalisme du décor) .
Les effets de sens qui en résultent
Le voile annonce le linceul. Cet effet d’annonce signifie qu’Hedda n’échappera pas à la mort,
celle-ci est inscrite dans le processus que la pièce met en place.(On pourrait d’ailleurs en
situer la présence symbolique dès le début , quand Hedda retrouve une maison pleine de fleurs
ou quand elle se plaint du soleil : Sa maison est son tombeau.).Le secret de la pièce est là :
Pourquoi Hedda semble t-elle condamnée d’avance ?
Les qualités de la métaphore : Elle est juste, elle n’est pas « lourde »ou lourdement
démonstrative, car non lisible immédiatement, elle ouvre le sens(ouvre à l’ interrogation cidessus), elle rejoint les aspects symboliques du texte.
Les défauts de cette scénographie nous sont signalés par le metteur en scène : elle restait trop
proche du naturalisme.L’influence du milieu était bien présente, mais trop.
En 2002, il propose une nouvelle scénographie qui conjugue davantage de significations : elle
est concrète et réaliste (elle va donc montrer la vie d’Hedda, dans le milieu qui est le sien),
mais également abstraite, pour laisser place aux rêves ; ce sera un espace, dit-il, « conçu entre
rêve et concret », dont les « contradictions esthétiques » répondent aux contradictions
d’Hedda. Ce système de correspondances se concrétise par un espace avec des meubles et
des objets d’époque, mais dans une pièce sans murs.Si vous deviez commenter le propos du
metteur en scène, il faudrait parler des contradictions d’Hedda,non pas en général mais plutôt
en rapport avec l’effet produit par l’absence de murs: elle rêve de liberté, de transgresser les
interdits, de sortir du carcan des conventions bourgeoises etc...Peut-être son désir d’autre
chose n’a t-il aucun rapport avec la vie réelle , avec ce que la réalité peut offrir? (Son pauvre
côté « Madame Bovary »).
D’autre part, le metteur en scène tient à ce que les accessoires, les costumes replacent
l’oeuvre dans son contexte historique. Il choisit même une traduction « désuète »(= dont le
style n’est pas moderne).
Les écarts par rapport au naturalisme semblent donc faibles .Le désir de replacer Hedda dans
son milieu semble prédominer. Soyez sensibles aux postures des personnages : Le corps
d’Anne Alvaro ne trahit pas les déroutes intérieures d’Hedda.Celle-ci a appris à bien les
maîtriser.Son regard est presque angélique. Le jeu semble donc être aussi naturaliste, c’est-àdire au plus près de ce que pourrait être une vraie Hedda, soucieuse de sauver les apparences
et d’être conforme à ce qu’on attend d’elle.
(Un jeu radicalement non naturaliste peut reposer sur la convention implicite que l’acteur joue
les états intérieurs du personnage et non son apparence extérieure. Il peut proposer un travail
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sur des métaphores. Exemple :L’interprétation d’Arturo Ui, dans la mise en scène d’Heiner
Müller reposait sur la métaphore du chien .Choix extrême. Entre les deux, se situe toute une
gamme de choix, en particulier la place pour des effets de déréalisation à l’intérieur d’un jeu
plus ou moins proche du naturalisme.
Autre exemple : Dans la mise en scène de Laurent Pelly, Henriette est travaillée à partir des
états invisibles du personnage, d’où les contresens possibles si on oppose à ce travail non
naturaliste une interprétation réaliste : comment se fait-il que ses parents la laissent se tenir
aussi mal ? Fausse question.)
ALAIN FRANçON –1987 : première version -1990 : deuxième version
Naturalisme des costumes.Présence du milieu social.
Mais aussi désir de tenir le naturalime à distance. Dans la première version, la peur que le
naturalisme éteigne les autres voies qu’ouvre le texte avait même poussé le metteur en scène
à supprimer certaines répliques, par exemple toutes celles de la bonne dans la première scène,
parce qu’elles lui paraissaient « emblématiques du drame naturaliste » (Page 48).Dans sa
seconde version, il semble qu’Alain Françon se soit moins méfié du naturalisme, comme s’il
faisait plus confiance au texte tel qu’il est écrit, à son propre travail, à celui des acteurs.
A – Les effets de déréalisation, les enjeux de sens qui en découlent
- Naturalisme du salon mais cassé par les effets de déréalisation du vide: très peu de
meubles.
- Dans la première version, Françon déréalise encore l’espace et le jeu en interdisant aux
acteurs de s’asseoir !
Il faut éviter la banalisation des dialogues, garder la tension ; il ne veut pas voir les acteurs
tomber dans la « conversation de salon » ; Françon désire que les paroles échangées
fonctionnent pour dévoiler les non-dits du texte., tout comme dans sa deuxième version.
- La traduction et le travail des acteurs participent de la volonté de déréalisation puisque
cela consiste à prendre les dialogues comme une partition musicale. Les tirets( les pauses) du
texte implique un travail sur le rythme,non naturaliste. Mais le traducteur, Michel Vittoz,
propose aussi de tenir compte de la langue d’Ibsen , « une langue accidentelle qui détruit
toute construction des personnages en les rendant aussi inaccessibles et imprévisibles que
l’inconscient qui les travaille » etc. ... pages 47 et 48.
Là où la psychologie cherche à créer des rapports de causes à conséquences, le travail non
psychologique de Françon vise à faire surgir l’incohérence et le chaos. Le personnage croit
énoncer une parole organisée, mais le travail de l’acteur va consister à en chercher les
discordances et les points de ruptures, là où l’inconscient brouille les cartes.En cela il sera
aidé par la traduction.
Pour s’éloigner du naturalisme, le jeu des acteurs va donc souvent prendre appui
ailleurs que sur l’analyse psychologique.C’est le plus compliqué à comprendre car cette
grille d’analyse n’ a que trop tendance à remplacer abusivement toutes les autres.
Pour changer un peu, au lieu de parler d’Hedda, prenons comme exemple le personnage de
Tesman pour voir comment on peut tenter d’interpréter les intentions du metteur en scène..
B - Le traitement du personnage de Tesman
1- Derrière les apparences, le secret.
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« Dans le rôle du mari, (...), Francis Frappat éparpille des gestes de faux distrait et une
assurance de mari comblé ; »
Mon commentaire :
Ne faites pas de contresens à partir de l’expression « faux distrait » : Le mari n’est pas un rusé
qui joue les distraits, ce n’est pas un homme qui a tout compris mais fait semblant de rien
pour garder sa femme ETC.... (le groupe de l’an dernier pensait qu’il fallait sauver Tesman de
la niaiserie par la duplicité, lui prêter des ruses). Ce serait rester dans le domaine du
psychologique, et ici d’une interprétation arbitraire et anecdotique( fausse). Il s’agit plutôt de
faire surgir ce que le personnage ne sait pas. C’est pourquoi Françon dit quelque part que les
personnages croient qu’ils parlent , mais il « sont parlés », expression qui signifie que ce sont
les conditionnements de la société qui parlent à travers eux, et /ou leur inconscient. Françon
prend au pied de la lettre les « hein ? » de Tesman : il est sourd. D’où la question : qu’est-ce
donc qu’il ne veut pas entendre ?Encore une fois, cette question ne se limite pas à mentionner
une possible mauvaise foi de Tesman , possible, probable, et même juste ,mais qui relève
encore trop de ce que l’étude psychologique ne cesse de véhiculer derrière elle : le jugement
moral anecdotique, ici sur son égoïsme de mari comblé, soit-disant comblé. (Mais comment le
serait-il ?)
La surdité , métaphore de l’aveuglement , raconte quelque chose de généralisable à la
condition humaine : c’est la difficile transparence entre soi et soi, la peur de faire face aux
plus grands désarrois.Tesman, comme Hedda, subit plus qu’il ne choisit sa vie. Il est dans le
stéréotype social : le mari est nécessairement un mari « comblé », le professeur un peu savant
est nécessairement « distrait ».Mais sa « vérité » est ailleurs, introuvable, du reste ; elle est
peut-être dans tout ce qu’il n’ose pas être, n’ose pas faire.La pièce propose un système de sens
du côté de la quête , dont seule Hedda serait consciemment porteuse, et encore très peu
consciemment, puisqu’elle ne sait pas ce qu’elle cherche ,et/ou elle ne parvient pas à se
l’avouer.Quête de la vérité, ou quête de la liberté, et de toutes façons quête de la vie, qui
échappe, qui ne propose que des contrefaçons. Tesman se situe au degré zéro de cette quête :
il est important pour lui de sauver sa tranquillité d’esprit, son contentement. Autrement dit, ce
que Tesman n’entend pas ne relève pas du simple « égoïsme » , exemple type de commentaire
psychologique inutilement moralisateur.Ce qu’il n’entend pas , c’est ce qu’il refuse de la vie,
ce qui lui fait peur, ce qu’il ne saurait affronter. Ce n’est pas chez lui une démarche libre,
volontaire et consciente.
Son tic n’est pas pour Françon « un effet de réel »,ou du moins n’est pas que cela, il le prend
comme symbole du personnage tout entier ; peu importe qu’il signifie « n’est-ce pas ? » et
non pas « Quoi ? ». C’est une béquille, un point d’appui intransitif, qui ne rencontre jamais
l’interlocuteur,un tic d’autiste. Il ne s’entend pas le dire.Il demande un accord à ses paroles de
manière purement formelle.Il n’en attend aucune réponse.
Ce commentaire, dans son ensemble, propose une lecture un peu tchékhovienne de la pièce
d’Ibsen, qui porte sur le désir et la peur de vivre. Proximité avec Tchékhov aussi par une
situation propre à celle de la comédie : le mari de comédie, toujours « à côté », pauvre
bouffon qui ne comprend rien , pendant que sa femme SOUFFRE, et souffre ,en particulier,
la tentation de l’adultère .
(Digression : Hedda va mettre sa mort en scène au dénouement, ;ce qui m’inspire dans cette
image du mari comblé, c’est l’ idée que,lui, c’est sa vie qu’il met en scène, dans ce mensonge
inconscient du « tout va très très bien mon Dieu comme je suis heureux ». Il y a une
théâtralisation possible, avec Tesman, du contentement de soi et de la sérénité.)
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Ce qui est très intéressant aussi dans ce qui se dit sur le travail de Françon, c’est la référence à
Feydeau, auteur de vaudeville : La précipitation de Tesman « semble participer d’une
mécanique à la Feydeau » ;
Parenthèse Il y a eu un cours, en seconde, sur la « mécanique des situations » dans
Feydeau.Le personnage ne s ‘appartient plus, la situation se dérègle et l’emporte dans sa
propre logique implacable, qui chez Feydeau est celle de l’absurde.C’est aussi la logique du
langage :La parole entraîne le personnage . Où ? (Vers ses propres abîmes ? ). Le parallèle
entre le travail de Françon sur La Dame de chez Maxim de Feydeau et son travail sur Ibsen
( page 52 ) concerne plus directement Hedda que Tesman :
« S’il fallait absolument rechercher un ordre dans ces textes, une loi un peu générale à
laquelle les soumettre, il me semble qu’il faudrait les rechercher du côté de ce que, dans la
société des humains, il est impossible de formuler(sauf peut-être dans le cabinet d’un
psychanaliste, et encore rien n’est moins sûr) : l’inconscient. On verrait sans doute qu’il
propose chacun les deux versants possibles d’une même défaillance, celle de la parole à
exprimer le « réel »du désir(...). Réel au sens où conscient et inconscient y sont
inextricablement mêlés.
La force de ces deux pièces (...) résident (...) en ce qu’elles nous place (...) devant cette
défaillance comme devant un destin. »
2 - Tesman, benêt ou « immense savant » ?
Dans sa première version, Françon, en rupture avec la tradition qui fait de Tesman un benêt
propose qu’il soit « supérieurement intelligent, un immense savant ». Ce choix se répercute
bien évidemment sur la conception que l’on se fait d’Hedda : Que devient-elle si on ne peut
plus lui accorder le crédit de vouloir se sauver de la médiocrité ambiante ?
Mon commentaire : Personnellement, j’aime imaginer Tesman à la manière dont Baudelaire
décrit les albatros : ils savent voler mais non marcher. Tesman, sublime et ridicule, peut
comprendre la portée du travail de Lovborg, mais ne comprend rien à la vie, ne voit rien.Je lui
accorderais aussi volontier de la bonté, cette bonté qui rend aveugle à la
méchanceté(d’Hedda). Il me semble alors que la quête d’Hedda n’en devient que plus
clairement dévastatrice.
C’est dans sa deuxième version, qu’Alain Françon insiste sur « sa puissance de destruction »,
la première fois Dominique Valadié,lumineuse, avait privilégié les forces de vie d’Hedda :
« la vie était plus forte que la mort. Elle jouait au niveau de l’enfant qui refuse tout. »
C- Quelques mots sur Brack
Alain Françon s’est laissé tenté par un costume qui révèlerait les tendances homosexuelles de
Brack dans sa première version.
Une analyse psychologique et sociale aurait privilégié l’interprétation du bourgeois qui
derrière les apparences de la respectabilité trahit ses amis masculins en séduisant leur femme,
et celle de l’homme cynique qui refuse les engagements amoureux en s’adressant
exclusivement à des femmes déjà engagées dans les liens du mariage ,(le salaud, quoi).Cette
analyse est juste, non anecdotique puisqu’elle nous renvoie à la manière dont la bourgeoisie
sauve sa liberté par une immoralité feutrée.
Mais si on refuse de fixer Brack en salaud comme le veut la tradition, si ,de plus, on
considère le théâtre d’Ibsen comme espace de l’inconscient,on peut se demander si le goût du
« triangle » ne cache pas une attirance pour les hommes, qui ne se vit qu’indirectement,de
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manière biaisée, en leur prenant leur femme ! Ce sont là les ruses de l’inconscient face aux
interdits sexuels. Il y a recherche inconsciente d’identification à l’autre homme. Ce choix se
défend si l’objectif du metteur en scène est de souligner qu’Hedda Gabler est une pièce sur les
interdits sexuels, ce qu’elle EST aussi, et très très fortement.(Voir les notes de mises en scène
de Brigitte Jaques).
Personnellement je me demande si cette interprétation sur une possible homosexualité de
Brack prend assez appui sur le texte lui-même, si elle n’est pas un peu « en surplomb ». La
seconde version d’A. Françon abandonne les références à l’homosexualité de Brack au
niveau du costume mais le dossier ne permet pas de savoir si cela correspond à un
changement de conception du personnage.
CONCLUSION :
Alain Françon part de l’époque d’Ibsen pour élargir la perspective à l’ensemble de la
bourgeoisie, ses interdits, ses lois.Il part d’un monde rassurant et familier, mais traversé
d’étrangeté.Cette analyse, qui vaut pour la mise en scène de Françon, est proposée à propos
de la scénographie de Jean Haas, dans la mise en scène de BRIGITTE JAQUES,page 63 :
« Le réalisme du salon n’est que le moyen de mettre en lumière l’incongruité de ce qui
sort de la norme(...) ou la strate de songes qui sous-tend le réel.
Il prend en compte une citation d’Ibsen sur la confrontation de deux classes sociales(voir
page 52), la rencontre entre la bourgeoisie et la bohème, représentée par Lovborg dans Hedda
et par la Môme Crevette dans La Dame de chez Maxim . Cette rencontre est dangereuse, la
bourgeoisie ,fascinée( si elle n’est pas choquée) entre dans un vertige de perdition.(Lire
l’interprétation que Jean-Claude Durand propose de Lovborg, page 53)
Enfin ce théâtre ne cherche pas à mettre sur la scène le simple reflet du monde réel, il s’agit
de faire surgir l’invisible imbriqué au visible, la levée de l’inconscient, les brèches, les
ouvertures sur l’opacité des désirs qui habitent le personnage , apparues par surprise à
l’occasion de l’ébranlement intérieur que produit la rencontre entre deux mondes . L’acteur
doit jouer l’instant du texte, sans continuité psychologique, sans créer des liens logiques, pour
« Faire que la parole qui surgit à l’instant de cette rencontre engage celui qui la prononce
vers quelque chose de lui-même qu’il ignore(...) »(Page 53).
Autrement dit il y a une tension entre une écriture qui donne des jalons pour que l’on ressente
que tout est joué d’avance, et l’acuité des dialogues où quelque chose se joue sans cesse
sur l’instant.La mise en scène de Françon rend compte de l’un et de l’autre , par exemple
grâce à certaines des postures d’Hedda, qui anticipent sur sa perte finale, ou l’atmosphère de
la maison qui s’alourdit, les meubles qui se « volatilisent », la couleur rouge, le noir du deuil
ETC...(analyse page 53).Les signes de perte sont là,avant le dénouement.
Dans la démesure d’Hedda, le metteur en scène propose de voir « une figure de notre
condition », le désir insensé , le combat perdu d’avance d’une femme qui, comme une enfant,
voudrait « mettre le monde en son pouvoir » et assume jusqu’au bout cette impossibilité, en
se donnant le seul pouvoir possible, se tuer.Cette conception est assez proche de celle de
Brigitte Jaques , sensible au combat épique de l’homme contre le monde,seul à vouloir faire
advenir l’impossible, figure non d’Hedda mais d’Ibsen,à travers la part de lui qu’il donne à
ses personnages.
Mise en scène de BRIGITTE JAQUES. A étudier seuls.
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-III - L’absence de références à l’époque d’Ibsen.
Les metteurs en scène qui tournent le dos à tout naturalisme, à toute inscription dans l’époque
d’Ibsen, ne renoncent pas pour autant à cet aspect de la pièce puisqu’il est porté par le
texte.Mais ils ne permettent pas de le visualiser.Pourquoi ?
Il se peut qu’ils élargissent le sens social au-delà de l’époque d’Ibsen et /ou qu’ils nous
indiquent une lecture qui cherche à imposer l’universalité du sens de la pièce, en considérant,
par exemple , que cela se fera plus fortement si on évacue le naturalisme.
Qu’est-ce que cela signifie ?
- a) L’élargissement du sens SOCIAL au-delà de l’époque d’Ibsen consiste à s’interroger
sur des structures sociales « contraignantes », qui conditionnent durablement les mentalités.
Je mets des guillemets car ces structures ont été choisies par des êtres humains, et si elles se
sont imposées, c’est que d’autres êtres humains les ont jugées viables.Elles sont
contraignantes pour certains, et porteuses de stabilité pour d’autres, mais elles peuvent
surtout être les deux à la fois.
C’est ainsi que PETER ZADEK (page 42) dénonce « l’institution de la famille bourgeoise »,
institution qui évidemment va bien au-delà de l’époque d’Ibsen et du milieu d’ Hedda Gabler,
le modèle bourgeois s’étant imposé à l’ensemble de la société, au plus grand nombre, tout en
ayant sécrété des contres-modèles, plus ou moins marginaux (exemple :la vie
communautaire).
Peter Zadek considère que la pièce est représentative de la difficulté à entrer dans les
contraintes propres au mariage : « Les scènes qui se jouent dans ce lieu sont celles de la mise
à mort d’un couple, non parce que les êtres sont mauvais, mais parce que les conventions
avec lesquelles ils doivent vivre ensemble - l’institution de la famille bourgeoise - ne leur
permettent pas d’en réchapper.(...)
C’est toute l’histoire de Tesman et de Hedda, l’histoire d’un couple(...). Elle se tue parce
qu’elle a contracté un mariage. »
Mon commentaire : Le mariage sera donc un piège doux et collant, qui se manifeste dans le
spectacle par un changement progressif d’atmosphère.Cela a un rapport avec le traitement
des autres personnages : on nous dit que « la gentillesse de Tesman devient inquiétante », que
« l’imperturbable sollicitude de la tante se transforme peu à peu en soif de possession ».Il
s’agit de montrer la vie familiale et conjugale sous un jour de plus en plus insolite,comme si
c’était le lieu de rapports humains voraces ou nuisibles.La famille serait le lieu qui favorise la
prise de possession des êtres. Un champ de bataille dans du coton. De ce point de vue,
Tesman est un vieux petit garçon, le neveu idéal pour les tantes qui l’ont élevé ,adoré.Il peut
devenir inquiétant du fait même qu’il n’est pas un homme : c’est un gamin auquel on vient de
donner du pouvoir sur une femme.
L’agressivité initiale d’Hedda , qui ne veut pas se laisser vaincre par tant de douceur, fait
alors place à l’effroi.
Au niveau des costumes, on nous dit qu’ils sont dans le style des années 50. Cela pourrait
signifier que le metteur en scène ne travaille pas sur l’intemporalité, mais sur un déplacement
d’époque.Mais qu’est-ce que les années 50 auraient de si important à raconter par rapport à
cette pièce ? La condition de la femme y était-elle particulièrement proche de celle
d’Hedda ?L’institution du mariage entrait-elle dans une phase particulière ? En fait, ce choix
n’a pas de portée sociale(= il n’est pas chargé de signifier quelque chose sur les années
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50).Il cherche à créer une « grande familiarité » avec le public.On rapproche la pièce du
public pour qu’il ne la situe pas dans un passé révolu, qui ne le concernerait pas.La portée
sociale de la mise en scène ne vise pas une époque précise mais une institution sociale
durable, le mariage, la famille, et leur conventions, interdits, idéologie.
Une mise en scène peut négliger les liens avec l’époque d’Ibsen , et toute époque précise,
pour l’autre raison évoquée précédemment :
- b) Il s’agit de travailler sur la portée universelle de la pièce.Plus le metteur en scène
veut s’éloigner radicalement du naturalisme, plus cela peut signifier qu’il estime important
d’attirer l’attention ailleurs. Que devez-vous vous demander ?
Sur la forme : Comment le naturalisme a t-il été évacué ?
Sur le fond : Au profit de quel propos ?
EXEMPLE : Mise en scène d’ INGMAR BERGMAN , page 34 . A étudier seuls.
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CORRIGE BAC. BLANC
Comparaison entre3 mises en scène : I. Bergman, A. Françon, B . Jaques. ( Sélection de 2
photos + Sélection de textes
Elles se rejoignent dans leur volonté de déstabiliser le réel.Ce sont des mises en scène qui font
symbole de tout,qui font parler les murs, les canapés, les corps,les miroirs . Celle d’I. Bergman prend
davantage de libertés par rapport à Ibsen.
A. Françon –
Page 50 : Les murs sont envahis d’une végétation en trompe l’oeil,fausse nature, non dangereuse.Elle
symbolise l’érotisme, en correspondance avec les jeux faussement dangerereux d’Hedda Gabler et
de Lovborg avant le mariage de la jeune fille, quand elle restait protégée par la présence de son
père.Présence « vénéneuse » pourtant , car les désirs sexuels d’Hedda vont la conduire à la mort.
Les corps :Hedda se tient bizarrement, dans l’enfouissement de sa robe.On dirait qu’elle s’agrippe au
canapé, comme si elle était assise sur un siège de manège et qu’elle ait peur de glisser !Alors que le
corps de Brack est de profil,incliné dans sa direction, elle est sur la défensive,raide, mal posée,prête à
se reculer du côté de l’accoudoir.Vigilance de son regard. Le chasseur( cf. costume de Brack) et sa
proie. Elle est si tendue que nous voyons qu’elle sait que la conversation avec Brack lui fait côtoyer
ses propres abîmes.
Autre facette d’Hedda ,page 51 : Le corps exposé. Elle est à moitié couchée sur la table, fixant Brack,
qui a pris les allures d’un bon bourgeois inoffensif. Ces deux-là sont l’un pour l’autre de bons
partenaires de jeu. Mais le jeu est truqué par l’opacité intermittente de l’inconscient.
Parce que, selon A. Françon, les personnages ne peuvent dire le « réel du désir », c’est dans la réalité
des objets et des corps que quelque chose d’invisible se fait jour.
Mise en scène de B. Jaques.
Page 58 : Corps presque abandonné d’Hedda,à demi-couchée, les yeux fermés. Mais théâtralité de ce
faux abandon ,ou crispation , qui s’expriment par ses mains ouvertes et redressées.
Brack l’écoute attentivement,sur un autre siège, comme s’il craignait que la proximité physique
bloque ses confidences.Mise austère, bras sagement croisés.On pourrait croire qu’il veut aider Hedda à
exprimer ce qui la tourmente.On pense au divan du psychanaliste, où l’inconscient tente de se dire,
avec l’aide d’une écoute attentive et désintéressée.
Brigitte Jaques dit que la situation de base, c’ est celle où Lovborg racontait ses nuits à Hedda Gabler
en présence du père, présence essentielle car elle garantissait l’impossibilité du passage à l’acte avec
Lovborg.Scène de base qui recommence avec Lovborg dans la scène de l’album photos, avec Brack,
en présence de Tesman .Celui-ci prend à son insu le relai du père ,sa présence « protège » Hedda
d’elle-même, lui permet de ruser avec ses désirs sans y céder, de jouer avec le feu. Brack est au plus
près de la vérité d’Hedda Gabler dans la scène où il l’interroge sur son mariage ;c’est pourquoi il finit
par lui dévoiler ses intentions. Il mise sur le fait que son immoralité pourrait convenir à cette femme,
toucher le secret de ses désirs, qui ont besoin d’être scandaleux pour rester des désirs(elle n’en a pas
pour son mari),c’ est un « cas d’hystérie, cas d’une femme qui jouit de ce qu’elle méprise ,ou de ce
qu’elle envie de loin », dit Brigite Jaques.
Le canapé devient le lieu du fantasme érotique, le subtitut du lit défendu.
(Bien que cela ne soit pas visible sur les documents, précisons que pour Brigitte Jaques, Hedda
associe le sexe et la mort.Cette névrose n’a rien à voir avec une époque précise, dit-elle ,même si les
interdits d’une société la favorise.
Attention, ne confondez pas folie et névrose. )
Mise en scène d’I. Bergman
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Le miroir :Ce n’est qu’un cadre vide , il ne peut renvoyer Hedda à la réalité de son corps.C’est de sa
réalité toute entière dont le personnage est privé, « somnambule », « esprit damné ». Les pulsions de
mort qui habitent Hedda baignent l’ensemble de la pièce, renforcées par les scènes muettes devant le
miroir, où l’horreur de la vie s’exprime par le désir d’Hedda d’expulser le bébé qu’elle attend .Scènes
inventées par Bergman.
L’interprétation :Ibsen a dit qu’il y a quelque chose de « démoniaque » en Hedda (page 7) .Dans
cette mise en scène, ses cheveux roux, sa pâleur en font une créature poétique et satanique,
condamnée d’avance au mal et à la mort.
Assise sur le canapé, elle croise les mains et baisse les yeux pendant que Théa et Lovborg
s’embrassent, comme si elle cachait sa violence intérieure, sa jalousie , son dégoùt ,ou une jouissance
masochiste, derrière cette austère apparence.Théa et Lovborg projettent devant elle ce qu’elle se
refuse, la sexualité.A ce sujet, on peut formuler l’hypothèse qu’elle ne connaît aucune satisfaction de
ce côté avec le sérieux Tesman, qui ne s’en doute pas, protégé par son innocence.
Le miroir renvoie au narcissisme, à la négation du corps, à la théâtralisation de soi(on se met en
scène), à la solitude, au sentiment d’irréalité (c’est un trou vide).Cet introuvable reflet de soi poétise le
manque.
C’est certainement une des caractéristique de ces mises en scène de donner à l’objet réel sa
charge fantasmatique ou symbolique.
La scénographie s’éloigne d’un double mode de fonctionnement réaliste, symbolique, et donc ne
procède pas par effets de déréalisation, comme celle de Françon puisqu’elle ne laisse pas du tout
s’instaurer l’illusion de réalité : lumières dans la salle, au début du spectacle, avancée du plateau près
du public, toute la pièce étant jouée devant la limite du rideau de fer.On est au théâtre.
Une forme épique ne casse pas le rapport avec une réalité sociale, le théâtre de Brecht, théâtre
politique,était loin de le faire. Tout dépend des références au réel qu’elle maintient concrètement sur le
plateau.Par exemple il y a refus de toute actualisation par les costumes, on est libre de maintenir un
lien avec le passé.
Cette forme peut permettre de ressentir une proximité avec les personnages,non parce qu’on croirait
presque à leur existence comme c’est le cas dans le processus d’identification, mais parce qu’en
s’éloignant de leur « réalité », on se rapproche de la création artistique, et donc de l’artiste,écrivain
ou metteur en scène, dont les personnages sont des projections. En ce sens, l’univers de Bergman
empiète fortement sur celui d’Ibsen, tout en rendant compte de la pièce.
Hedda n’a pas une spiritualité suffisante pour donner un sens à sa vie, comme Tesman, Théa,
Lovborg, mais en refusant aussi les sentiments( maternels , amoureux) ,et l’érotisme, elle reste dans
le vide, sa demande de beauté relève d’ un esthétisme sans contenu, d’une exigence stérile. Le
sentiment d’irréalité, et ce qu’on peut appeler « la mort dans la vie » donnent au texte une dimension
onirique qui met l’accent sur l’aspect inquiétant – et tragique – que peut prendre notre rapport au
monde, .
Alain Françon et Brigitte Jaques travaillent à faire parler les désirs interdits de paroles, qui se sont
réfugiés dans la névrose, Bergman s’attache à dire le vide et la stérilité dans une femme morte à
toute vie, dont le narcissisme ne parvient même plus à signifier l’amour de soi.
TRAVAIL PERSONNEL :
1-Etudier la démarche de création et de réflexion de Brigitte Jaques par peintures interposées.)
2-Dans le sujet 1, vous éviterez de proposer des symboles naïfs si vous comprenez le processus de
fonctionnement de ceux que nous avons étudiés , par exemple leur rapport à un sens non anecdotique,
ou la nécessité qu’ils puissent fonctionner hors de leur sens symbolique, soit comme objet
réel,utilitaire(le miroir, le canapé) soit comme décoration (les feuillages en trompe l’oeil) pour
éviter la lourdeur démonstrative de la pure métaphore.
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