Traumas et angoisses
La conception ferenczienne du traumatisme et ses apports concernant le traumatisme narcissique :
Thierry BOKANOWSKI (48 rue des Francs-bourgeois, 75003 Paris)
Avec les propositions développées dans la dernière partie de son œuvre (1928-1933), lesquelles ont été très en
avance sur son temps et sont encore aujourd'hui d'une remarquable modernité, S. Ferenczi a apporté une
compréhension des conjonctures traumatiques qui viennent jeter un regard complémentaire aux théories
fondamentales du traumatisme établies, depuis le début de l'édification de la psychanalyse, par S. Freud. De tous
les psychanalystes, S. Ferenczi a été, en son temps, le premier à avoir mis l'accent sur le fait que le trauma doit
être essentiellement considéré comme le résultat d'une absence de réponse de l'objet face à une situation de
détresse, absence qui, pour le sujet, a comme conséquence une atteinte précoce du moi, vécue alors par celui-ci
comme une véritable blessure narcissique, ce qui entraîne, sur le plan de son organisation psychique, des défenses
de l'ordre du déni et du clivage.
Cette conception va avoir deux conséquences :
de permettre à Freud l'abord, à la fin de son œuvre, du traumatisme sous l'angle du traumatisme
narcissique, ce qui l'entraîne alors à distinguer les aspects négatifs des aspects positifs du trauma ;
de permettre à Ferenczi de se situer, dès à l'époque, comme étant l'un des précurseurs de la clinique dite
"d'aujourd'hui", clinique dont un autre précurseur fut D.W. Winnicott, du seul fait que ce qui est au "vif"
des conjonctures auxquelles ils se sont intéressés concernent, pour l'essentiel, les relations des catégories
du primaire et de l'originaire avec les catégories œdipiennes classiques, c'est-à-dire celles qui renvoient
aux pathologies "limites", voire "non-névrotiques", qui nous sollicitent tant aujourd'hui.
Bref rappel des positions freudiennes
Aux débuts de la psychanalyse (entre 1890 et 1897), Freud rapporte l'étiologie des névroses des patients à leurs
expériences traumatiques passées. Pour lui, c'est le traumatisme qui qualifie en premier lieu l'événement
personnel du sujet : cet événement externe, qui est cernable et datable, devient subjectivement fondamental du fait
des affects pénibles qu'il déclenche. Leur datation peut devenir de plus en plus reculée au fur et à mesure que
l'investigation (l'anamnèse) et l'intervention analytique (l'interprétation) s'approfondissent. C'est ainsi que l'idée du
traumatisme, comme celle d'événement traumatique, ne vont plus quitter son œuvre : elles en deviennent l'un de
ses fils rouges et ceci jusqu'au terme de son parcours théorique, puisque dans l'un de ses ouvrages testamentaires,
L'homme Moïse et la religion monothéiste (Freud S., 1939) (9), Freud, pour soutenir ses avancées théoriques, est
conduit à brosser une véritable vue d'ensemble sur la question du traumatisme.
Simplement entre la conception du traumatisme du début de son œuvre, celle des Études sur l'hystérie (Freud S.
et Breuer J., 1895) (6), et celle dont il fait état dans L'Homme Moïse en 1939, le concept même de traumatisme va
sensiblement se modifier et changer ainsi de nature, de qualité et de finalité au regard du fonctionnement
psychique. Par exemple, alors que dans le cadre de la première topique, le traumatisme se référait au sexuel et, de
ce fait, était intimement lié à la théorie de la séduction, aux lendemains du tournant des années 1920 partir de
Au-delà du principe de plaisir (Freud S., 1920) (7), dans le cadre de la seconde topique, le concept de
traumatisme devient un concept emblématique (métaphorique) des apories économiques de l'appareil psychique :
le traumatisme représente une "effraction du pare-excitation". L'"Hilflosigkeit" la détresse du nourrisson devient
le paradigme de l'angoisse par débordement, lorsque le signal d'angoisse ne permet plus au moi de se protéger de
l'effraction quantitative, qu'elle soit d'origine externe ou interne. Dès lors, les notions de trauma et de traumatique
viennent s'adjoindre au concept de traumatisme dans son sens large. Un peu plus tard, à partir de Inhibition,
symptôme, angoisse (Freud S., 1926) (8), Freud, dans le cadre de sa nouvelle théorie de l'angoisse, met l'accent
sur le lien entre le traumatisme et la perte d'objet. Enfin, dans L'Homme Moïse, Freud souligne que les
expériences traumatiques peuvent être des atteintes précoces du moi et qu'elles peuvent ainsi être des blessures
d'ordre narcissique.
Les dernières théories du traumatisme chez Freud
Nous ne ferons, ici, que rappeler les toutes dernières avancées de Freud qui concernent, pour l'essentiel, le
traumatisme narcissique. De notre point de vue, ces avancées sont en grande partie redevables à celles qui étaient
proposées par Ferenczi lors de la dernière partie de son œuvre, entre 1928 et 1933.
Dans L'Homme Moïse, Freud, reprenant l'ensemble de la question du traumatisme sous l'angle de ses liens avec la
genèse des névroses, dégage, pour la première fois, une conception du traumatisme au regard de la problématique
du narcissisme et de sa constitution. C'est ainsi qu'il écrit : "Nous appelons traumatismes les impressions
éprouvées dans la petite enfance, puis oubliées, ces impressions auxquelles nous attribuons une grande
importance dans l'étiologie des névroses".
Par ailleurs, Freud ajoute que l'on peut considérer comme traumatiques des cas dont "les effets remontent
indubitablement à une ou plusieurs impressions fortes" de la première enfance et qui "se sont soustraites à une
liquidation normale". Puis il souligne l'importance du facteur quantitatif du traumatisme et les rapports de force
avec le moi (comme instance) tout en insistant sur le fait que les expériences traumatiques "se situent dans la
période de l'amnésie infantile" ; "elles se rattachent à des impressions de nature sexuelle et agressive,
certainement aussi à des atteintes précoces au moi (blessures narcissiques)" (c'est nous qui soulignons).
Freud poursuit : "Les traumatismes sont, soit des expériences touchant le corps même du sujet, soit des
perceptions sensorielles affectant le plus souvent la vue et l'ouïe ; il s'agit donc d'expériences ou d'impressions".
Ces impressions, qui renvoient implicitement aux fantasmes originaires (fantasmes de duction, fantasmes de
castration et fantasmes de scène primitive), permettent alors à l'enfant de répondre aux multiples questions
"traumatiques" que lui pose la "réalité" : à partir des excitations qu'il éprouve, excitations qui ne trouveraient à
s'exprimer que dans des auto-érotismes primaires de décharge, les fantasmes originaires vont lui permettre
d'organiser celles-ci en des scénarios à entrées multiples et de participer, ainsi, à l'élaboration de ses théories
sexuelles infantiles.
Mais ce qui, au regard de la problématique du trauma, caractérise surtout L'Homme Moïse, est le fait que pour la
première fois Freud différencie deux destins du traumatique :
"Les effets du traumatisme sont de deux sortes, positifs et négatifs. Les premiers sont des efforts pour remettre en
œuvre le traumatisme, donc pour remémorer l'expérience oubliée ou, mieux encore, pour la rendre réelle, pour en
vivre à nouveau une répétition, même si ce ne fut qu'une relation affective antérieure, pour la faire revivre dans
une relation analogue à une autre personne. On réunit ces efforts sous le nom de fixations au traumatisme et de
contrainte de répétition (...) Ainsi un homme qui a passé son enfance dans un attachement excessif à sa mère,
aujourd'hui oublié, peut-il chercher toute sa vie une femme dont il peut se rendre dépendant, dont il se laisse
nourrir et entretenir. Une jeune fille qui a été dans sa première enfance l'objet d'une séduction sexuelle peut
arranger sa vie sexuelle ultérieure de manière à toujours provoquer des agressions de cette sorte. Il est facile de
deviner que par de telles sortes de vues nous pénétrons, par-delà le problème de la névrose, jusqu'à l'intelligence
de la formation du caractère en général.
"Les réactions négatives tendent au but opposé : à ce qu'aucun élément des traumatismes oubliés ne puisse être
remémoré, ni répété. Nous pouvons les réunir sous le nom de réaction de défense. Leur expression principale est
ce que l'on nomme les évitements, qui peuvent s'aggraver en devenant des inhibitions ou des phobies (...)".
Ainsi, chez Freud le double destin du traumatique se conçoit-il de la manière suivante :
positif d'une part, organisateur, il permet par à-coups successifs "la répétition, la remémoration et
l'élaboration";
négatif, il crée une enclave dans le psychisme (un "État dans l'État", écrit Freud) qui empêche ces
activités (de "répétition, remémoration et élaboration") ; il accomplit alors son œuvre destructrice.
La théorie du traumatisme chez S. Ferenczi
Il apparaît que l'œuvre de Ferenczi, qui s'est prématurément achevée en 1933 (Ferenczi était alors dans sa
soixantième année), a permis à Freud ses dernières avancées sur le trauma, c'est-à-dire l'association "atteintes
précoces du moi / blessures narcissiques".
Pour Ferenczi, le traumatisme, ainsi que le trauma et le traumatique, trouvent leur origine dans les avatars d'un
certain type de destin libidinal lié à l'action excessive et violente d'une excitation sexuelle prématurée, laquelle,
suivant certaines circonstances, prend alors la valeur d'un viol psychique. Cette effraction a pour conséquence la
sidération du Moi, ainsi que l'asphyxie, voire l'agonie de la vie psychique. Pour Ferenczi, le trauma doit être
considéré comme résultant d'une absence de réponse de l'objet face à une situation de détresse. Cette absence
mutile à jamais le Moi, maintient une souffrance psychique en relation à l'intériorisation d'un objet primaire
"défaillant" et entraîne une sensation de détresse primaire (d'Hilflosigkeit) qui, toute la vie durant, se réactive à la
moindre occasion.
Ainsi, pour Ferenczi les traumas ont donc un soubassement métapsychologique bien différent de ceux que Freud
théorisait à l'époque, puisque pour lui il ne s'agirait pas de trauma secondaire à une séduction (via les soins
maternels ou via l'absence de l'objet comme Freud le propose à partir d'Inhibition, symptôme et angoisse), mais il
s'agirait, dans ces cas, de viol psychique viol de la pensée et de l'affect par disqualification de l'affect et par le déni
de la reconnaissance de l'affect et de l'éprouvé par l'objet (la mère, ou son tenant lieu), ce qui conduit alors à la
création d'un trauma par une "confusion des langues" entre le langage de la tendresse de l'enfant face au langage
de la passion (passionnel) tenu par l'adulte.
Ces conjonctures psychiques entraînent des subornations, du fait :
des "excès" des demandes parentales,
des "privations d'amour" (tant sur le plan primaire que secondaire),
ou des "méconnaissances" des besoins de l'enfant, qui engendrent une "paralysie psychique", voire une
"sidération psychique" due, pour l'essentiel, au désespoir.
Ce dont Ferenczi tentait de rendre compte à propos de ces patients n'est plus de l'ordre du destin naturel de la
libido, mais de l'asphyxie de la vie psychique.
Ainsi, comme on le voit, avec de telles avancées, non seulement la nature du trauma se modifie considérablement,
mais de plus ses effets s'aggravent : non seulement la sexualité est loin d'être seule en question, mais encore,
défendant sa conception de la confusion des langues, Ferenczi décrit ici une modalité, jusque inaperçue, du
traumatisme, puisqu'il met en cause la nature de l'objet (et par voie de conséquence, celle de l'analyste)(1). Dès
lors, il est conduit à interpréter les effets du traumatisme au niveau du Moi : inhibitions graves, sidérations de
l'appareil psychique, ravages de l'incompréhension, de la froideur, etc., soulignant la profondeur des dégâts. Le
traumatisme ici concerne tout autant les réponses de l'objet qui avaient fait faut que celles qui avaient été
données, de manière inappropriée, pour satisfaire les désirs de l'adulte ou pour parer à la détresse de l'enfant.
C'est la figure du "nourrisson savant", métaphore créée par Ferenczi, qui permet d'illustrer au mieux comment il
concevait les effets du trauma psychique.
Dans un premier temps, en 1923, celui-ci avait proposé l'analyse d'un rêve qu'il avait élevé au rang de rêve dit
"typique". Ce rêve, dit "rêve du nourrisson savant" (Ferenczi S., 1923) (2), que Ferenczi a rencontpendant
l'analyse de certains adultes, met en scène un nourrisson hypermature (surdoué) qui parle de sexualité (et de
théories sexuelles infantiles) comme un adulte : ceci permet à Ferenczi de décrire une conjoncture psychique qui
vient illustrer les apories liées à l'immaturité du petit enfant, immaturité inhérente à sa constitution, tant psychique
que physiologique, et dont l'adulte, qu'il est devenu depuis, cherche, psychiquement, à se dédommager. Ferenczi
décrit, ici, un enfant pulsionnel, devenu un adulte névrosé (porteur de sa pulsionnalité et des conflits qu'elle sous-
tend), lequel, au cours de son analyse et dans le cadre du développement de sa névrose de transfert, propose une
mise en perspective de celle-ci au regard de sa névrose infantile.
Dans les années qui suivent, à la faveur de ses avancées qui portent sur le traumatisme, Ferenczi, s'appuie à
nouveau sur la figure du nourrisson savant afin d'illustrer une configuration psychique d'un tout autre type : le
nourrisson savant vient représenter un enfant traumatisé et narcissiquement atteint dans l'unité de sa
personnalité, devenu par la suite un adulte clivé du fait de l'empreinte de son trauma, trauma dont l'origine se
situe, pour Ferenczi, dans la confusion entre le langage de la tendresse, apanage du langage de l'enfant, et le
langage de la passion qui est celui des adultes (Ferenczi S., 1933) (5).
Dans une telle conjoncture, avance Ferenczi, le processus analytique voit à l'œuvre un patient / enfant traumatisé
qui, débordé par ses défenses, se retire de sa sphère psychique, opère un clivage narcissique et observe
l'événement traumatique, tout en s'abandonnant à un inéluctable destin de "nourrisson savant".
La disqualification, ainsi que le déni de la reconnaissance de la pensée et des affects par l'environnement (la mère
ou ses substituts), entraînent chez l'enfant la création d'un trauma qui engendre un clivage avec une atteinte du
narcissisme. Ferenczi note : "Nous assistons ainsi à la reproduction de l'agonie psychique et physique qu'entraîne
une inconcevable et insupportable douleur" (Ferenczi S., 1931) (3). Cette douleur reproduit celle éprouvée, dans
la petite enfance, à l'occasion d'un traumatisme, qui peut avoir été de type sexuel ; elle a pour conséquence, selon
un point de vue qui sera ensuite très souvent repris par Ferenczi, un "clivage de la propre personne en une partie
endolorie et brutalement destructrice, et en une autre partie omnisciente aussi bien qu'insensible". De cette
position, l'enfant traumatisé peut éventuellement considérer l'agresseur (cela peut être le psychothérapeute ou le
psychanalyste si celui-ci est animé d'une "passion pédagogique", de "rigidité technique" voire d'"hypocrisie
professionnelle") comme un malade, un fou ; parfois même, il essaye de le soigner, de le guérir, comme autrefois,
véritable "nourrisson savant", il avait pu se faire le psychiatre de ses parents. Rappelons que ce clivage, que
Ferenczi nomme "auto-clivage narcissique", peut aussi se situer dans une partie du corps (visage, main, orteil,
etc.) qui représente, alors, le sujet tout entier. Il est intrapsychique et développe chez le sujet, du fait des
"capacités de perception auto-symboliques", une partie "sensible brutalement détruite" qui coexiste avec "une
autre qui sait tout, mais ne sent rien". Ce clivage, désigné comme "processus primaire de refoulement", est
perceptible lorsque certains fantasmes ou récits de rêve mettent en scène une tête (organe des pensées) parée du
corps (clivage somato-psychique).
Freud "lecteur" de Ferenczi
Progressivement élaborées dans les dernières années de sa vie, les avancées de Ferenczi ont rendu inévitable,
comme on le sait, le conflit avec Freud, puisqu'un véritable fossé théorique avec celui qu'il aimait appeler son
"Paladin et Vizir secret" s'est alors creusé, fossé dont la ligne de démarcation sera la conception du traumatisme
infantile. Car, pour Freud, invoquer la compulsion de répétition comme répétition de la situation traumatique et en
rendre l'objet responsable, comme le proposait Ferenczi, revenait à sous-estimer les ressources de l'appareil
psychique et sa capacité à transformer le trauma, ainsi que la douleur psychique qui lui est liée. Pour Freud,
envisager d'autres concepts risquait de revenir à un retour en arrière (notamment à un retour à sa "neurotica", un
avant 1897), et équivalait ainsi à une déviance théorique.
Aussi, si à la suite de Freud, on a pu reprocher à Ferenczi d'évacuer du concept de "nourrisson savant" seconde
manière (1931) la composante pulsionnelle (celle que l'on voit à l'œuvre chez le "nourrisson savant" première
manière Le rêve du nourrisson savant, 1923) au profit de la composante narcissique et de mettre, ainsi, l'accent
sur une théorie de l'infantile qui ne verrait plus à l'œuvre qu'un pauvre enfant innocent et démuni, victime d'un
monde d'adultes séducteurs, disqualifiants et, de ce fait, violeurs psychiques, il semble néanmoins que l'on doive
être redevable à Ferenczi d'avoir, non seulement, mis en perspective une théorie féconde et novatrice de
l'"infantile", mais surtout d'avoir perçu, avant quiconque, l'importance mutative de l'association du concept de
trauma avec celui de clivage, tout en ayant su donner au concept de "clivage narcissique" ses titres de noblesse
(Bokanowski T., 1997) (1).
Nous avons pu noter que ce n'est qu'à la fin de sa vie que Freud admet qu'il existe des atteintes traumatiques
précoces qui entraînent des blessures narcissiques (lesquelles peuvent être en relation avec une séduction par le
père, ou par la mère), ces atteintes narcissiques laissant le Moi du sujet fragilisé et dépendant, mal organipour
faire face et endiguer "la puissance excessive du facteur quantitatif".
On peut ainsi faire l'hypothèse d'un Freud devenu, après-coup, un "lecteur" non seulement latent, mais patent, de
Ferenczi, ceci pouvant être en lien avec le deuil douloureux et conflictuel qu'il a du faire depuis la disparition,
quelques années auparavant, de son ancien disciple et patient, ami et confident, mort de n'avoir pu peut-être
supporter le poids de ses divergences au regard de celui qu'il considérait comme son Maître. N'assisterait-on pas,
précisément ici, chez Freud à un processus d'"introjection" (au sens ferenczien du terme) de l'objet perdu ? En
effet, comme on a pu le voir plus haut, c'est Ferenczi qui avait été le premier à proposer l'hypothèse clinique et
théorique des effets des trauma précoces qui engendrent des clivages avec atteinte du narcissisme, et c'est cette
idée que Freud semble être conduit à reprendre dans L'Homme Moïse, lorsqu'il parle des blessures narcissiques
secondaires à des atteintes traumatiques précoces.
Cette hypothèse paraît pouvoir être confirmée du fait que Freud évoque pour la première fois, dans ce texte, les
deux types d'effet des traumatismes : leurs effets positifs et leurs effets négatifs.
Qu'est-ce d'autre, sinon de cette négativité (de cette morbidité) du trauma dont Ferenczi a tenté, à sa façon, de
rendre compte dans la dernière phase de son œuvre et notamment dans son Journal Clinique (janvier-octobre
1932) (Ferenczi S., 1932) (4), dans lequel il est insensiblement conduit à interroger, au fil de ses investigations
clinico-théoriques ainsi que théorico-pratiques, tout aussi bien les catégories psychiques qui relèvent des failles
auto-érotiques, que celles qui relèvent des avatars de l'amour et de la haine primaire, ainsi que des manques au
niveau du narcissisme primaire et des clivages narcissiques, des défauts de symbolisation et des troubles de la
pensée, des états d'altération du Moi (états-limites), des dépressions anaclitiques, voire essentielles, des transferts
passionnels, etc. ?
Dans ce sens, on peut avancer que Ferenczi est un des précurseurs de la clinique traumatique du narcissisme (celle
qui concerne les manques au niveau du "narcissisme primaire" et les "clivages narcissiques"), du seul fait que ce
qui est au "vif" de la clinique à laquelle il s'intéresse concerne, pour l'essentiel, les relations des catégories du
primaire et de l'originaire avec les catégories œdipiennes classiques, c'est-à-dire, comme nous l'écrivions plus
haut, les pathologies "non-névrotiques" et "limites".
T. B.
(1) On sait qu'après Ferenczi d'autres auteurs ont développé cette ligne de pensée : ce fut, comme nous
l'indiquons plus haut, plus particulièrement le cas de Winnicott, Mélanie Klein ayant pour sa part moins mis
l'accent sur la réponse maternelle que sur les sources endogènes du psychisme.
Références bibliographiques
(1) BOKANOWSKI (T.), Sándor Ferenczi, " Psychanalystes d'aujourd'hui ", P.U.F., 1997.
(2) FERENCZI (S.) (1924), Le rêve du nourrisson savant, Psychanalyse III, 1974, Payot, Paris, p. 203.
(3) FERENCZI (S.) (1931), Analyse d'enfants avec les adultes, Psychanalyse IV, Payot, Paris, 1982, p. 98-112.
(4) FERENCZI (S.) (1932), Journal Clinique, Payot, Paris, 1985, 298 p.
(5) FERENCZI (S.) (1933), Confusion de langue entre les adultes et l'enfant, Psychanalyse IV, Payot, Paris,
1982, p. 125-138.
(6) FREUD (S.) et BREUER (J.) (1895), Études sur l'hystérie, Paris, P.U.F., 1956.
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