La douleur serait alors, non pas une réminiscence du traumatisme, mais une réviviscence
dans le sens d’une mémoire qui n’a pas sans doute cessé d’être consciente mais sans
représentation.
Notion de reviviscence, de défaut de représentation lié au réel du traumatisme originaire : il
y aurait dans cette sidération, une défaillance du dire, une mise à mal des ressources
symboliques qui entraînent cette mise à contribution du corps.
Ainsi, pour éviter de subjectiver une souffrance intolérable, plutôt la rapatrier dans le corps
pour mieux l’abriter et la contrôler. L’autre bénéfice étant d’organiser à partir du corps un
appel, appel au secours, appel à l’aide, semblant d’appel à l’Autre, communication difficile
et souvent pathétique.
Ce trauma originaire réactivé, souvent, par une cause occasionnelle (autre trauma physique
ou psychique même minime) organise cette vie en deux temps des douloureux chroniques.
Trauma originaire renvoyant à une problématique très archaïque de la perte et de la
séparation, au moment des premiers étayages, ce qui peut expliquer cette allure de langage
du besoin avec des appels au secours à assouvir toujours dans l’urgence, et jamais satisfaits,
toujours à répéter.
On est en deçà du sexuel et de la problématique oedipienne. Peut-être, est-ce pour cela que
nous avons tant de difficultés à proposer une nouvelle séparation à ces patients, c’est-à-dire
passer d’un espace d’accueil comme le nôtre à une véritable prise en charge
psychothérapique dans un autre espace qui suppose de pouvoir, véritablement, s’adresser à
l’Autre et non pas de faire du corps la stratégie élective entraînant ce repli narcissique où
s’organise, très vite, la répétition si désespérante de la plainte.
Notre responsabilité
Venons-en à la responsabilité : notre responsabilité première est, sans nul doute, de recevoir
le patient avec le mode de représentation qu’il a choisi et de croire en « sa » douleur. C’est
ce que certains ont nommé le postulat de sincérité. La sincérité est une attitude éthique qui
rend possible l’établissement d’une relation de confiance. Elle implique que, le médecin
reconnaisse que le patient a de bonnes raisons de dire ce qu’il dit. On ne peut pas,
d’emblée, rejeter la subjectivité du patient, c’est-à-dire ce qu’il dit à partir de son vécu, de
ses émotions, de ses convictions. Nous devons postuler, dès le départ, que le patient est
sincère et que sa plainte a nécessité d’être soutenue. Qui a mal ne ment pas !
Une fois reconnue l’infinie douleur d’exister derrière ces secrets du corps, il nous faut bien
accepter de ne pas les « perdre de vue » pour reprendre l’expression d’Assoun situant le
point de départ de la douleur chez le nourrisson du côté de la perte brutale de la vision de la
mère, disparue et crue perdue, « scène originaire de la séparation et douleur première ».
Ne pas les perdre de vue, c’est accepter le maintien d’un lien, véritable étayage pouvant
nous effrayer de devenir interminable, mais suffisamment garanti pour qu’une expérience
sécurisante puisse être enfin réalisée.
Alors, seulement, peuvent s’effectuer ces réaménagements d’existence, bris collages plus
ou moins solides, ne supprimant jamais la douleur mais l’intégrant dans un passé connu