Douleurs chroniques : les secrets du corps

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Douleurs chroniques : les secrets du corps. Secrets, confidences,
responsabilités par Annie Bleas*, Virginie Keraudren**
Paru dans : Nervure, Journal de psychiatrie, avril 2004, p.17.
Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/
*Psychiatre, praticienne hospitalière **Psychologue Clinicienne
Unité douleur-Méd .11 -CHIC-QUIMPER.
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Cet intitulé s’est associé très vite, pour nous, à notre pratique dans la consultation douleur
de l’hôpital de Quimper. Pratique effectuée à temps très partiel, mais depuis longtemps,
puisque cette consultation existe depuis 92, née de la volonté d’un service et de sa
responsable le Docteur Roswag, Rhumatologue en Médecine II. 1992, c’est encore le tout
début en France de cette préoccupation aujourd’hui largement partagée, introduisant des
notions subversives à l’hôpital général que sont l’attention à la subjectivité, celle de la
plainte et la transversalité bousculant la logique des services et des spécialités.
La pratique y devient forcément pluridisciplinaire entre rhumatologie, anesthésiologie,
rééducation fonctionnelle, psychiatrie, psychologie.... et multiprofessionnelle entre
médecins, psychologues, infirmiers, kiné etc...
Le fonctionnement proprement dit de la consultation est habituel avec cette particularité
que nous revendiquons. Celle d’écouter la plainte à plusieurs, et en même temps, c’est-àdire à trois : médecin aIgologue, psychiatre et psychologue. C’est, pour nous, offrir la
garantie que nous acceptons l’inscription corporelle du symptôme, préalable indispensable
à un accueil possible de la plainte.
« Douleur et médecine, la fin d’un oubli » a écrit la sociologue Isabelle Baszanger.
(Baszanger I., Douleur et médecine la fin d’un oubli, Seuil Paris, 1995). Au-delà de la
douleur, ce qui nous intéresse, bien sûr, c’est le sujet douloureux, et comment dans la
plainte peut s’entendre le cri, l’interjection à l’autre et se réaliser, enfin, la confidence sur
les secrets du douloureux chronique.
Ces secrets
Ces secrets inscrits dans le corps, réalisant le fameux syndrome psychosomatique ou plutôt,
selon l’expression plus heureuse du psychanaIyste Paul Laurent Assoun (Assoun P. L,
Corps et - Tome 2, 1997, Anthropos, Paris), le site somatique du symptôme nous place dans
une responsabilité particulière sur laquelle nous reviendrons. Avant toute chose,
interrongeons-nous sur ces secrets et ce qu’ils entraînent comme « saut mystérieux du
psychique au somatique » selon l’expression freudienne. Freud a longuement abordé les
douleurs dites « psychogènes » comme des symptômes corporels identifiés comme des
conversions de douleurs morales remémorées en une douleur physique invalidante « faute
de pouvoir tolérer psychiquement le souvenir concerné ».
Si une théorisation de la douleur chronique étayée sur le phénomène psychodynamique de
la conversion est incontournable, elle n’est pas dépourvue d’ambiguïté puisque la
répercussion dans le champ clinique réactualise le dualisme psyché/soma.
Au sein de la consultation, nous avons donc souhaité ne sacrifier aucune dimension du
phénomène. Le « syndrome douloureux chronique » semble impliquer une atteinte du corps
propre, une « altération du rapport pathique du sujet à son corps propre » diront certains.
Les entretiens menés nous ont permis de percevoir en quoi la relation du sujet à son corps
était « précaire ». C’est à la lumière de confidences, faites au compte-gouttes, que nous
avons pu entrevoir les motifs de l’histoire des patients qui ont, sans doute, contribué à une
fragilisation narcissique permettant l’installation d’un « syndrome douloureux chronique ».
N’est cassable que ce qui est devenu fragile.
Dans la majorité des cas, le « syndrome de douleur chronique » s’est installé à la suite d’un
accident, d’un traumatisme physique (accident de la voie publique, chute...)et les patients
décrivent ce dernier comme créant la fracture de leur vie. « Là a commencé le malheur »,
malheur né de la douleur.
C’est en acceptant d’écouter et de réécouter des dizaines de fois ces patients décrire les
lieux de la douleur et la qualifier, décrire le paradis hyperactif perdu, qu’ils finissent par se
livrer à quelques confidences.
Ces confidences
Confidences autour d’une enfance éprouvante dans un contexte socio-économique souvent
difficile. Certains ont été contraints au travail très tôt ceci mobiIisant, de façon intense, leur
corps et retentissant sur leur vie de façons multiples. Stressés par la précarité, les parents
ont été souvent indisponibles et la mère non contenante. Confidences autour d’une enfance
maltraitée, des violences dites à mi-mots, des aveux timides car ce qui caractérise bien le
récit de ces patients douloureux, c’est bien la justification. Ils assument la défense de
l’adulte violent en affirmant avoir été aimés « malgré tout »... Une telle attitude, on le sait,
s’accompagne d’une négation de leur propre souffrance. Ils pensent avoir laissé loin
derrière eux le traumatisme découlant de la maltraitance. Ils ont oublié leur propre
souffrance, percevant que, très rarement, le malheur qui a frappé leur enfance a toujours eu
un fort ancrage corporel. « Là a commencé la douleur », par cet apprentissage du corps qui
est ce par quoi le sujet se prête à la souffrance. Apprentissage, de surcroît, sous la tonalité
dominante du pâtir.
Par les confidences, il nous vient alors à voir ce que « sécrète » le corps. Une empreinte de
la douleur, une trace durable propre à modifier la réceptivité du sujet.
Une des transformations induites par l’expérience précoce et répétée de la douleur ne sera
autre qu’une hyperréactivité physiologique du sujet, une vulnérabilité le poussant à réagir à
tout événement traumatique par réactivation du pattern douloureux. Il s’agit d’une
« mémoire somatique de la douleur », celle-ci étant fixée dans le corps même.
La clinique nous renvoie, sans cesse, aux deux pôles Douleur /Trauma. Comme si la
douleur participait de cette pointe du réel qui nous amène à toujours ré-interroger ses liens
avec le symptôme et l’affect. L’affect dans tous les cas, apparaît comme celui d’un
« effroi », d’une terreur parfois, d’une pétrification toujours. Le trauma agissant comme un
anesthésique arrêtant toute activité psychique. Aucune défense n’est opérante, pas même
l’angoisse. Le traumatisme précoce produit, alors, une violence de survie, une violence
vécue corporellement.
La violence interne n’ayant pas trouvé de décharge suffisante dans le psychisme reste
proche du perceptif ; son contre-investissement se fait dans le corps, la décharge se fait
dans la motricité. Les perceptions restent sans sens, sans représentations.
Nous comprenons aIors, fort bien, le tableau typique d’hyperactivité sous lequel se
présentent les patients. Si l’on s’en tient au processus de déliaison de l’énergie psychique
décrite dans le trauma, l’expérience douloureuse nous en semble indissociable.
Les violentes actions de décharge qu’entraîne la douleur, explique Freud (Freud S.,
Inhibition, symptôme et angoisse, 1984, PUF, Paris) « se dérou-lent de façon réflexe ; c’està-dire sans médiation psychique. Sa forme est métapsychologiquement proche d’une
réaction catastrophique de l’appareil psychique devant un trauma auquel il n’est pas
préparé. Le Moi est débordé. Si la reprise progressive de la maîtrise par le Moi ne peut
avoir lieu ; on assiste au passage à la chronicité ».
La douleur, comme le traumatisme, révèle un moi qui n’est pas maître dans sa propre
maison.
Le traumatisme physique (souvent bénin), générateur d’une perception douloureuse
réactiverait donc le traumatisme originaire rappelant les vécus d’impuissance et de détresse
qui y étaient associés.
Une réminiscence du traumatisme
La douleur serait alors, non pas une réminiscence du traumatisme, mais une réviviscence
dans le sens d’une mémoire qui n’a pas sans doute cessé d’être consciente mais sans
représentation.
Notion de reviviscence, de défaut de représentation lié au réel du traumatisme originaire : il
y aurait dans cette sidération, une défaillance du dire, une mise à mal des ressources
symboliques qui entraînent cette mise à contribution du corps.
Ainsi, pour éviter de subjectiver une souffrance intolérable, plutôt la rapatrier dans le corps
pour mieux l’abriter et la contrôler. L’autre bénéfice étant d’organiser à partir du corps un
appel, appel au secours, appel à l’aide, semblant d’appel à l’Autre, communication difficile
et souvent pathétique.
Ce trauma originaire réactivé, souvent, par une cause occasionnelle (autre trauma physique
ou psychique même minime) organise cette vie en deux temps des douloureux chroniques.
Trauma originaire renvoyant à une problématique très archaïque de la perte et de la
séparation, au moment des premiers étayages, ce qui peut expliquer cette allure de langage
du besoin avec des appels au secours à assouvir toujours dans l’urgence, et jamais satisfaits,
toujours à répéter.
On est en deçà du sexuel et de la problématique oedipienne. Peut-être, est-ce pour cela que
nous avons tant de difficultés à proposer une nouvelle séparation à ces patients, c’est-à-dire
passer d’un espace d’accueil comme le nôtre à une véritable prise en charge
psychothérapique dans un autre espace qui suppose de pouvoir, véritablement, s’adresser à
l’Autre et non pas de faire du corps la stratégie élective entraînant ce repli narcissique où
s’organise, très vite, la répétition si désespérante de la plainte.
Notre responsabilité
Venons-en à la responsabilité : notre responsabilité première est, sans nul doute, de recevoir
le patient avec le mode de représentation qu’il a choisi et de croire en « sa » douleur. C’est
ce que certains ont nommé le postulat de sincérité. La sincérité est une attitude éthique qui
rend possible l’établissement d’une relation de confiance. Elle implique que, le médecin
reconnaisse que le patient a de bonnes raisons de dire ce qu’il dit. On ne peut pas,
d’emblée, rejeter la subjectivité du patient, c’est-à-dire ce qu’il dit à partir de son vécu, de
ses émotions, de ses convictions. Nous devons postuler, dès le départ, que le patient est
sincère et que sa plainte a nécessité d’être soutenue. Qui a mal ne ment pas !
Une fois reconnue l’infinie douleur d’exister derrière ces secrets du corps, il nous faut bien
accepter de ne pas les « perdre de vue » pour reprendre l’expression d’Assoun situant le
point de départ de la douleur chez le nourrisson du côté de la perte brutale de la vision de la
mère, disparue et crue perdue, « scène originaire de la séparation et douleur première ».
Ne pas les perdre de vue, c’est accepter le maintien d’un lien, véritable étayage pouvant
nous effrayer de devenir interminable, mais suffisamment garanti pour qu’une expérience
sécurisante puisse être enfin réalisée.
Alors, seulement, peuvent s’effectuer ces réaménagements d’existence, bris collages plus
ou moins solides, ne supprimant jamais la douleur mais l’intégrant dans un passé connu
émergeant dans le présent du discours comme un possible « vivre avec ».
Et quand advient une demande de reconnaissance et de réparation symbolique comme celle
faite auprès de médecins de la sécurité sociale d’une invalidité ou d’une longue maladie,
c’est également sûrement à nous qu’il incombe de prévenir ces rejets si fréquents
réactivant, de façon catastrophique, d’anciennes maltraitances réactualisées dans la plainte
sur la mal- traitance médicale.
A nous donc d’être des passeurs, des médiateurs pour que cette communication si
paradoxale et pathétique, soit entendue, que ces douleurs chroniques soient reconnues
comme appels au secour, signes d’une infinie douleur d’exister.
En conclusion
Citons Gabriel Burloux (Burloux G., Pourquoi la douleur, Revue française de psychanalyse
n°1 PUF, 1999), autre psychanalyste qui s’intéresse beaucoup à la douleur : « Le moi
douleur est un moi immature, coupable et innocent. Il s’est tourné vers l’autre qui ne l’a pas
entendu.... Figé dans sa souffrance il est là, en suspension, en attente, dans son éternelle
demande. C’est un moi à l’accusatif : il a besoin d’un porte-parole pour comprendre et faire
comprendre que la douleur des origines est liée à la vie ».
Bibliographie
Assoun P.L, Corps et symptôme, Tome 2, Anthropos, 1997.
Baszanger I., Douleur et médecine la fin d’un oubli, Seuil, 1995.
Burloux G., Pourquoi la douleur, Revue française de psychanalyse PUF, 1999.
Freud S., Etudes sur l’hystérie, PUF, 1994.
Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, PUF, 1984.
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