dans la création du monde, ne le comprendra pas davantage par
après, plus tard, à savoir dans la doctrine de la Rédemption ” (SW
XIV, p. 24; cf. IP, p. 137).
L'ironie de Dieu! Que voilà un étrange concept! Expression
manifestement défaillante. L'idée, chez Hamann, en remonte à
Luther. Alors que la théologia gloriae prétend connaître les
propriétés divines par voie d'analogie directe, la théologia crucis
doit éprouver, selon le Réformateur, l'amour de Dieu dans son
courroux, et sa miséricorde dans le châtiment, mais aussi sa
grandeur dans sa faiblesse. En un mot, saisir Dieu dans ou plutôt
sous son contraire (sub contraria specie). Que Dieu se
communique, on l'admettra sans peine, mais qu'Il se fasse tel qu'Il
est, ou même dans le semblable, voilà l'objet du litige. Il le pourrait
Lui-même que l'homme ne saurait L'appréhender. C'est donc
seulement sous ce qui n'est pas Lui qu'Il se révèle. Dieu se révèle en
se dissimulant, Il réalise son œuvre propre sous les aspects d'une
œuvre étrangère. “ Tout ce qui est profond, clame Nietzsche, aime
le masque; les choses les plus profondes haïssent même l'image et
le symbole. Le contraste (Gegensatz) ne serait-il pas le vrai
travestissement où se cacherait la pudeur d'un dieu? ”
, ce qui est de
nature à rapprocher le divin de l'humain s'il est vrai que, comme
Jules Renard le disait, que “ l'ironie est la pudeur de l'humanité ”
.
La dimension d'ironie dévoile une idée plus troublante que le
simple constat, celui de François Varillon, que Dieu “ reste caché
pour n'être pas irrésistible ”, car “ son invisibilité est pudeur ”
.
Qu'une pensée de l'humilité de Dieu ne s'accommode pas
nécessairement de l'hypothèse de l'ironie, on le conçoit sans peine
avec Varillon qui écrit avec finesse : “ On ne peut, sans
méconnaître l'amour, soupçonner Dieu d'une arrière-pensée ou
d'une arrière-intention. L'amour ne livre pas quelque chose de soi
en réservant le fond : c'est le fond qu'il livre. Sinon il manque à
l'innocence. Garder une pensée ou une intention en arrière de soi en
s'assurant de son invisibilité signifie qu'on se veut propriétaire de
soi. En cette discordance créée par les arrière-pensées entre l'être et
le paraître, en cette distance entre la “contenance extérieure” et les
“dispositions du cœur”, Rousseau n'avait pas tort de voir l'essence
du péché du monde ”
? La question rebondit de savoir à quel mode
de révélation Dieu est contraint. La réponse dépend de l'accent que
l'on veut bien mettre, soit sur le critère ontologique soit sur celui de
l'amour. Dans le premier cas, la révélation qui a lieu dans l'être
étranger prend forcément guise d'étrangèreté. Dans le deuxième, la
révélation se fait pour l'être étranger et se doit à la sincérité. Et
Par-delà bien et mal, § 40.
Journal, 30 avril 1892.
L'Humilité de Dieu, Paris, Le Centurion, 1974, p. 91
L'Humilité de Dieu, p. 96.