JP BIASUTTI Colle Etat Social ECE 1 Année 2008 2009 2
Elle laisse surtout entendre que la protection sociale relèverait uniquement des
interventions de l’Etat alors que nombre de ses institutions et organisations sont de droit
privé, a priori indépendantes de l’Etat et gérées par des partenaires sociaux. Réduire la
protection sociale à l’Etat-providence, c’est à la fois rejeter de son champ des institutions qui
renvoient à la sphère familiale ou à des communautés d’appartenance mutuelle et assimiler,
à l’inverse, à l’Etat des organisations qui en sont indépendantes et que certaines réformes
récentes ont eu pour but d’étatiser.
Ainsi la Sécurité Sociale, en France, coeur de la protection sociale, est constituée par
des organisations de droit privé placées sous la tutelle de l’Etat dans la mesure où celui-ci
leur a concédé le pouvoir de prélever des cotisations sociales obligatoires. Ce terme
de «sécurité sociale» est employé dès 1908 par Winston Churchill et passera en français via
le plan de Pierre Laroque en 1945. Ce dernier exprime justement la volonté «de réaliser la
sécurité sociale c-a-d garantir à tous les éléments de la population qu’en toutes
circonstances ils jouiront des revenus suffisants pour assurer leur subsistance familiale »
Si elle constitue le pilier du système français contemporain, elle ne se confond pas avec
celui-ci puisque l’assurance-chômage n’en fait pas partie. Aux Etats Unis, la «social
security» instituée en 1935 ne concerne que les retraités et les handicapés.
On a pu présenter la protection sociale comme la réponse, à toute époque, à la
«question sociale»
question née elle-même à la fin du XIXème. Ce choix revient
cependant à organiser la réflexion autour d’invariants historiques alors que les
développements actuels ne peuvent être réduits à des avatars de phénomènes éternels.
En vérité, le terme de «protection sociale», dans son sens moderne, n’a pris corps
qu’avec le passage au XX ème siècle. L’expression ne se développe en France que dans
la deuxième moitié du XXème et ce n’est qu’à partir des années 1990 que le terme «système
de protection sociale» est devenu courant. Comme le notent Jean-Claude Barbier et Bruno
Theret
, «dans la perspective polanyienne (de Karl Polanyi), la protection sociale renvoie à
un processus général qui a trait à la différenciation de la société en multiples sphères
de vie relativement autonomes les unes vis-à-vis des autres. Parmi ces sphères, outre
l’ordre économique marchand de l’entreprise capitaliste (avec son conflit interne entre capital
et travail), il faut compter l’ordre politique de l’Etat (structuré autour du conflit entre
gouvernants et gouvernés) et la sphère domestique de la famille (structurée, quant à elle,
autour de l’opposition homme/femme).
La prise en compte de cette différenciation sociale propre aux sociétés individualistes
permet de comprendre pourquoi on parle de protection sociale, et non pas simplement de
protection économique et de protection individuelle. Si l’on est en droit de le faire, c’ est que
la protection économique individuelle est aussi protection de la société contre elle-
même, protection contre le risque d’éclatement que le processus de différenciation fait peser
sur elle. Par rapport aux notions d’«Etat providence» et de «sécurité sociale» et, a fortiori, de
«question sociale», la notion de système national de protection sociale n’est donc pas
seulement la plus pertinente du point de vue de la description. Elle permet de souligner
l’articulation complexe des relations sociales qui sont au fondement d’ un tel système.
Tout d’ abord, la protection sociale ne protège pas seulement contre les effets négatifs de
la division sociale du travail, elle protège contre ceux de la division gouvernants/gouvernés
(en constituant des droits légitimes sur les ressources fiscales de l’Etat qui doivent être
honorées par les gouvernants) et ceux de la division sexuelle des tâches domestiques (en
assurant des droits sociaux spécifiques aux femmes).
Ce faisant, elle participe à la légitimation de l’Etat, ainsi qu’à la transformation des
formes de la vie familiale. Corrélativement, elle mobilise trois grandes modalités d’allocation
des ressources économiques en combinant assurance privée, redistribution fiscale et
solidarité familiale.
Le sociologue Robert Castel écrit en 1995 Les métamorphoses de la question sociale et l’historien
Pierre Rosanvallon, La nouvelle question sociale la même année.
dans Le nouveau système de protection sociale, Repères, 2004, p 5 et 6.