Congrès Marx International V - Section Histoire – Paris-Sorbonne et Nanterre – 3/6 octobre
2007
valeur d’usage qui compte et la socialisation de la production apparaît directement, sans
passer par le masque de la marchandise. Quand le prolétariat exproprie le capital, il
« complète le travail du capital, l’élimination du marché » et les nouveaux rapports
économiques prolétariens, qui abolissent le conflit des classes en supprimant l’exploitation,
rendent possible une « harmonisation » et une planification de la production (Kritsman
affirme qu’il suffirait que les grandes entreprises soient « à la disposition du prolétariat » pour
que le reste de l’économie des petits producteurs soit entraîné dans le nouveau mode de
production). En bref, et autrement dit, les théoriciens bolcheviks sont convaincus de la
supériorité de leur pensée, du savoir « défétichisé » que leur donne le marxisme (et l’art de la
guerre…)
5/ Le défaut d’EPT, qui est conçu alors que la guerre civile et, surtout, la guerre avec la
Pologne ne sont pas encore terminées, est que Boukharine ne peut (ou ne veut) pas voir que
l’économie de la révolution n’est qu’une économie de guerre soumise à des contraintes
extrêmes et que ni le CE, ni son double, le SE, ne disposent d’une rationalité supérieure. La
crise qui explosa dès que la guerre fût suspendue a éclairé tous les bolcheviks : le maintien du
« communisme de guerre » (forme concrète du SE abstrait conçu par Boukharine) continuerait
à détruire le peu qui restait d’économie productive. L’Etat « socialiste » devait donc rétablir la
circulation marchande.
Kritsman, qui écrit après le tournant de la NEP, est beaucoup mieux placé pour déceler les
contradictions de l’action révolutionnaire et les décortiquer. Alors que Boukharine, dans EPT,
néglige le problème posé par la révolution agraire, a priori « bourgeoise », Kritsman étudie en
parallèle les révolutions ouvrières et paysannes qui suivent les mêmes phases (idéologique,
politique, économique, technique). En fait, la révolution économique au village, le partage des
terres féodales, précède nettement l’expropriation des usines. Pour nouer l’alliance des
ouvriers et des paysans, le décret sur la terre (volé aux SR) a démantelé les grandes
exploitations. Si l’on ajoute les effets d’une guerre civile acharnée pendant trois ans, on arrive
à des destructions inouïes et à d’importantes déformations du cours de la révolution. Kritsman
souligne que la guerre révolutionnaire exigeait des actions « économiquement irrationnelles ».
Pas seulement les dégâts dus aux combats, mais des folies comme la « nationalisation » d’une
échoppe d’artisan ou la confiscation de meubles et de vêtements. La proscription du
commerce, remplacé par une administration du ravitaillement, aide à asphyxier le capital,
mais elle étrangle aussi le marché des produits agricoles et le développement des petites
exploitations. La révolution apporte beaucoup de changements (Kritsman développe cela)
mais cette première expérience est imparfaite.
6/ Devenue « communisme de guerre », la transition au socialisme fait apparaître des
contradictions propres à cette période : Kritsman voit que l’expropriation du capital n’a pas
supprimé l’anarchie de l’économie. Les entreprises socialisées restent indépendantes. Les
plans de production ne sont pas coordonnés. Dans ces conditions l’approvisionnement est
anarchique et ne correspond jamais aux besoins de la production prévue par les entreprises.
Dans une économie « prolétaro-naturelle », où les produits pourraient être toujours distribués
par une administration, il y a des pénuries, des sous-productions en même temps que des
stocks inutilisés. Cette forme de « crise » s’oppose à la surproduction des marchés
capitalistes. Elle est le signe que le prolétariat n’a pas achevé son travail : organiser une
planification complète. D’autre part la destruction du marché légal a affaibli les capacités de
contrôle des administrations. Un marché noir illégal répond à la demande dans des
proportions énormes, souvent majoritaires. Kritsman observe que les sphères légales et
illégales de l’économie sont reliées par l’émission monétaire (passablement inflationniste),
etc. Notons seulement, ici, que Kritsman pense assurément que le système socialiste
prématurément mis en place pendant (et à cause de) la guerre a voulu trop embrasser et a
explosé.